J'entame avec ce billet une série d'explications de fond sur ce qui me tient le plus à  cœur et sous-tend ce blog : la nécessité d'ouvrir la science au public et pour celui-ci de s'engager dans les débats de fond sur les politiques scientifiques. Le premier chapitre va tenter de montrer en quoi la science a désormais besoin de démocratie scientifique et ne peut plus fonctionner en circuit fermé.

Longtemps, la science a été une activité comme une autre, soumise aux aléas de la vie (Rousseau qui se met à  herboriser quand il emménage en Suisse, Mendel qui fait ses petits pois dans son coin avec ses moyens limités et à  sa dimension), parfois une affaire d'importance (Giordano Bruno condamné au bûcher, Galilée condamné à  se rétracter) mais toujours une activité contingente. Puis elle a donné naissance au progrès technique (révolution industrielle du XIXe siècle) et est devenue un enjeu politique et économique (compétitivité, défense des intérêts des nations, science au service de la guerre). Elle s'est alors 1) institutionnalisée (création du CNRS en France, du Ministère chargé de la recherche etc.) et 2) constituée comme un corps autonome avec ses propres règles (invention du "chercheur", légitimation de la thèse de doctorat comme diplôme qualifiant, mise en place de la revue par les pairs et des comités d'experts, constitution de corps puissants à  défaut d'être représentatifs comme le collège des Prix Nobel ou les Académies etc.).

Récemment, ce sont les objets de la science qui ont changé : au lieu de chercher à  comprendre la nature, elle s'est mise à  la modifier — quitte à  ne pas tout comprendre ! C'est l'ère des OGM, du clonage etc. et l'avènement de la technoscience, mélange indissociable de science et de technique[1]. Les articles scientifiques commencent à  compter moins que les brevets et l'objectif de rentabilité et de résultat remplace celui de recherche fondamentale. Surtout, la science n'offre plus "des possibles entre lesquels nous pourrions choisir, des moyens que nous pourrions utiliser ou rejeter suivant nos fins." Désormais, elle exécute : "Tout ce qui peut être fait, sera fait." (Jean-Marc Lévy-Leblond, La pierre de touche : la science à  l'épreuve..., Gallimard Folio essais, 1996).

Un autre constat s'impose, celui du désaveu par les français de leurs politiques scientifiques (songeons seulement aux OGM...). A ceci plusieurs raisons, dont la crise de légitimité des institutions et un sentiment de défiance entretenu par "les contradictions du discours sur la science (la science neutre, des applications révolutionnaires, mais qui s’inscrivent dans la continuité des rapports de l’homme à  la nature,...)" (Pierre-Benoît Joly, "Les relations entre science et démocratie : nouveaux enjeux et nouvelles pratiques"). Une réconciliation s'impose :

Comment alors reconstruire la confiance à  l'égard de la science et des technologies ? Quelles nouvelles formes de gouvernance de la recherche et de l'innovation doivent être introduites dans la politique publique ? Autour de quelles priorités de recherche un nouveau contrat entre science et société peut-il se retisser ? (Fondation Sciences citoyennes)

L'introduction de démocratie dans la définition des politiques scientifiques semble inévitable. Mais le prochain billet montrera que la majorité des chercheurs pense bien différemment.

Notes

[1] Pierre-Benoît Joly explicite ce point en prenant l'exemple des biotechnologies : "Les biotechnologies sont à  la fois un ensemble d'applications de connaissances scientifiques, mais aussi des outils et instruments qui conditionnent la production de connaissances et qui déterminent l'agenda de la recherche."