Attention, quoique le titre laisse penser, je ne prétends pas être un "sociologue". Cependant, j'ai jugé bon, dans un exercice de réflexivité salutaire, d'expliquer les changements que j'ai cru déceler en moi quand je suis passé d'une formation en sciences dures (agronomie) à  une formation de sociologie (fût-elle "des sciences").

Une remarque préliminaire : après une formation en agronomie, donc, je suis entré dans un cursus de sociologie au niveau Master, comme le système français m'y autorise. Une aberration pour certains de mes enseignants, sachant qu'à  l'inverse, il n'est pas possible de rentrer directement en Master de biologie ou de physique après avoir fait de la sociologie ou de l'anthropologie. La "transition", pourtant, n'en est pas moins difficile : ne s'improvise pas sociologue qui veut (à  ce titre, j'essaye de rester modeste) et ne pense pas comme un sociologue qui veut.

En effet, je me suis vite rendu compte, sous l'effet de mes cours et de mes lectures, que la Weltanschauung sociologique s'emparait de mois et que je ne voyais plus le monde de la même façon.

Deux exemples :

  • quand j'étais étudiant en agronomie, j'étais scandalisé (et le mot n'est pas trop fort) par la Confédération paysanne et ses membres qui se qualifient de "paysans". Or, comme l'histoire et la science nous l'enseignent, les paysans cultivent pour se nourrir (culture vivrière), et la révolution agricole les a remplacés par des agriculteurs (qui cultivent pour un marché). En France, il n'y a plus de paysans ! Mais voilà , après avoir appris à  penser comme un sociologue, je considère plutôt que la notion de paysannerie traduit un certain rapport à  la terre, qui ressurgit aujourd'hui, non sans raison. La nouveauté n'est pas tant de considérer qu'il s'agit là  d'un sujet d'étude possible mais de se dire que ce sont les acteurs eux-mêmes qui forgent les définitions et le sens qu'ils donnent à  leurs actions ;
  • un collègue m'affirmait la semaine dernière que, bien qu'il n'écoute pas de musique gothique, il s'est trouvé une fois au concert de "Within Temptation" avec un public 100% "gothique". Pourtant, répète-t-il, le groupe ne fait pas du tout de musique gothique. Et moi de le détromper en essayant de lui démontrer que si le public était gothique, c'est bien que le groupe l'était aussi. Pour moi, un objet n'est pas donné a priori, il se définit par ce qu'en font les acteurs. Pour lui, chimiste de formation, la musique gothique est bien une catégorie prédéfinie, qui s'applique ou non à  tout objet, indépendamment du reste.

Pourtant, je ne dis pas que la sociologie n'impose pas une autre grille de lecture. En tant que latourien, je vais avoir tendance à  voir des réseaux, des traductions et des investissements de forme partout. Mais la manière d'appréhender la nature est bien différente. Pour moi, ce fut comme un apprentissage batesonien de deuxième ordre. Une autre manière de voir le monde, qu'il est difficile de partager et d'expliquer, même si ce blog s'y essaye...