Après la science, réenchanter le monde
17
fév.
2007
Matthieu le regrettait récemment, Georges Lochak l'écrit mieux que quiconque dans Défense et illustration de la science : le savant, la science et l'ombre (Ellipses, 2002, p. 261) :
Journalistes (non scientifiques), historiens (pas ceux des sciences), philosophes (les moins scientifiques possible), sociologues, penseurs en tout genre, médecins, tous ont une opinion, basée sur une méconnaissance solidement assise sur des lectures de seconde main. Et une opinion sur quoi ? Pas sur des sujets techniques, bien sûr. Ce qui les intéresse, c'est l'univers (au moins), les rapports entre science et religion, le hasard, le désordre, la complexité, l'action à distance, tout ce qui incline à la magie.
Les sujets les plus courus sont des probabilités, le chaos, l'indéterminisme, les fractals, les incertitudes, l'ordre émergent du désordre, les états virtuels, le stochastique, la décohérence, la téléportation, les attracteurs étranges, le vide quantique, les catastrophes, l'intrication, l'effet papillon, les fluctuations, le paradoxe EPR... Plus des notions astronomiques qu'on adore ne pas comprendre : les quasars, les lentilles gravitationnelles, les pulsars, les trous noirs, la masse manquante, le sacro-saint big bang. Et quelques mots mathématiques comme les "résultats indécidables" qui fleurent bon l'impuissance.
Une attitude consiste en effet à regretter la popularité de ces marronniers pseudo-scientifiques, et n'y voir qu'un effet de plus de la perte de terrain de la culture scientifique du grand public. Mais ces concepts colorés ne font-ils pas aussi parti de la culture scientifique ? Ne sont-ils pas aussi un moyen de venir à la science, comme peuvent l'être les textes poétiques d'Hubert Reeves ou les films de Jacques-Yves Cousteau ?
Plus encore, on peut y voir une réaction salutaire pour échapper au désenchantement du monde induit par la science. Ainsi, Richard-Emmanuel Eastes et Francine Pellaud, dans un article à paraître sur "Le rationnel et le merveilleux", notent :
lorsque la science, par de nouvelles élucidations du monde, contribue à le désenchanter, elle ne met pas longtemps à faire renaître l'émerveillement en lançant, par le biais de la vulgarisation scientifique, des problématiques fantastiques alimentées par moult contradictions (jumeaux de Langevin, paradoxe de Fermi), concepts à larges affordances (effet papillon, effet tunnel, principe d'incertitude) et objets mystérieux (attracteurs étranges, trous noirs). Autant de chemins empruntés ensuite par la métaphysique, la science-fiction, les arts, les parasciences ; autant de soupapes de sécurité dans une conception scientifique du monde qui ne souffre pas la présence du merveilleux mais qui, par l'invention de ces problématiques et leur vulgarisation, semble s'assurer que ses frontières en demeurent constamment imprégnées.
Commentaires
Bien d'accord. La vulgarisation scientifique aura à mon avis une plus large audience si elle se présente sous une forme ludique: quoi de mieux qu'une "petite histoire" pour capter l'attention? Cela n'exclut pas nécessairement qualité et rigueur théorique: la partie technique n'est pas indispensable à une compréhension globale. S'il est impossible d'être performant dans toutes les disciplines (l'être dans une n'est déjà pas si mal...), il est permis, et même enrichissant de s'intéresser à ce que font les voisins plus ou moins éloignés. Le partage des connaissances avec le plus grand nombre est un peu un "challenge", mais qui contribuerait peut-être à faire diminuer les sentiments d'inégalités, d'exclusion etc. (j'ai dit "contribuer"). A charge des communiquants de restituer leur savoir correctement, et à leurs pairs d'exercer un contrôle.
Tu as raison, c'est justement sur cet interet qu'il faut capitaliser. La vulgarisation ne doit pas avoir pour objectif de combattre ceux qui n'aiment pas la science, point barre, mais d'enrichir ceux qu'elle enchante. Il faut être positif !
J'ai essayé de mettre un super commentaire sur ton billet précédent, mais il n'apparait pas. Alors soit il sera en 10000 exemplaires dans quelques minutes, et je te présente mes excuses, soit il y bug. Je le retranscris donc ici, sa densité me le permettant. J'avais écris précisément
"Ce sera ma lecture du we...."
Seven > Tu avais été interceptée par l'anti-spam (pour quelle raison ? Je l'ignore). Je suis désolé, mais voilà , c'est réparé...
Merci. Ma paranoïa va progressivement s'apaiser.
Je vais faire mon vilain sectaire et tout, mais on a bien peu de biologie dans tout ca! Pourtant, ca ne me semble pas moins
(notamment la biologie des populations et l'écologie).Matthieu, je suis bien d'accord avec toi, mais d'un autre côté, elle (la vulgarisation) doit permettre une réponse aux manipulations et récupérations de la science. Je mentionne ici le super texte de Paul Reiter, que j'avais probablement deja envoyé sur le groupe du c@fé, d'ailleurs.
Le gros problème actuellement n'est pas au niveau de la vulgarisation, mais de ceux qui la font. La formation à cet acte de communication pourtant fondamental est inexistante à ma connaissance. J'ai eu beau avoir droit à une UE de
, elle nous formait surtout à échanger avec nos pairs (super utile, évidemment, mais j'attendais autre chose).D'un point de vue plus global, le
passera nécessairement par des échanges inter-disciplinaires, puisque ce monde est bien trop complexe pour qu'on puisse se permettre de ne l'observer que sous un angle.pour répondre à Timothée:
Je pense qu'en biologie, la vulgarisation n'entraîne pas tant d'émerveillement que la physique ou les maths parce qu'elle se focalise sur l'attirance des chercheurs à vouloir "jouer à Dieu" (OGM, cellule souche...); ce qui suscite tout de suite plus d'inquiétude que d'émerveillement.
Celà vient peut-être de la place toute particulière qu'occupe la théorie de l'évolution dans l'imaginaire populaire et religieux.
En fin de compte, c'est bien dommage, parce que je considère comme toi que certains phénomènes biologiques semblent tout aussi "spectaculaires" et "merveilleux" !
Chaque jour naît un nouveau monde.
L'excellent dessinateur et blogueur Boulet ne dit pas autre chose quand il écrit :