Les protocoles expérimentaux vus de l'intérieur
27
fév.
2007
Pour démystifier un peu la méthode scientifique, et dans l'esprit du billet sur le peer-review vu de l'intérieur, je traduis et reprends ici partiellement un billet de Matthew Hall. Dans ce billet, Matthew revient sur un protocole expérimental qu'il a lui-même rédigé, publié en 2004 dans un article scientifique :
Le caractère hydrophobe, LogP, des huit complexes a été mesuré sur trois réplicats par le coefficients de partage octanol-1/eau, selon la méthode mentionnée par Robillard et al. Les solutions ont été ajustées à 500 mL (100 IM) dans du KCl à 0,15 M pour minimiser l'hydratation des complexes. Des volumes égaux (2 mL) de la solution eau et octanol-1 ont été agitées mécaniquement pendant 24 h. Des aliquots ont été prélevés de la phase supérieure d'octanol et de la phase aqueuse inférieure. Les échantillons aqueux ont été dilués 100 fois avec une agitation rigoureuse. La quantité de platine a été déterminée par spectrométrie d'absorption atomique à four en graphite (GFAAS). Les coefficients de partage ont été exprimés par le Log10 du rapport entre la concentration de platine dans la phase d'octanol-1 et de la concentration de platine dans la phase aqueuse, comme indiqué dans l'Equation (1).
Rien que de très habituel pour une publication scientifique. Mais voilà comment, quelques années après, Matthew décrit la manière dont l'expérience s'est réellement passée :
On a décidé qu'il nous fallait comprendre si les substances pénètrent facilement ou non dans les cellules ; il y a une vieille méthode pour ça, mais bien sûr, quand on a essayé de répéter l'article de Robillard, ça n'a pas marché. On a donc pris un café en se plaignant de notre superviseur pendant une demi-heure — et on a encore eu une discussion du type "je suis tellement inquiet à propos de ma carrière universitaire, il n'y a pas de garanties, allez, on devrait tout vendre et gagner quatre fois plus en travaillant moins". Finalement, on est revenus au labo et on a commencé la dissolution ; comme on n'avait pas d'octanol-1, le labo d'à côté nous en a prêté un peu, puis on s'est cassé la tête avec le spectromètre d'absorption atomique archaïque que le département ne veut pas remplacer. (Il a même un vieil écran monochrome vert !) On a chargé nos échantillons et, évidemment, le manège du spectromètre ne marchait pas, c'est vraiment une machine de m****. Pendant qu'elle analysait nos échantillons, on a partagé notre inquiétude à propos de nos propres financements de recherche, et on est tombés d'accord sur le fait que les gens qui reçoivent des bourses ne font pas vraiment de la science très impressionnante. Après que la machine a imprimé nos résultats sur une imprimante matricielle, on a dû refaire la moitié de nos échantillons parce qu'on n'aimait pas les chiffres que ça nous donnait. La deuxième fois était bien meilleure, donc on est allés faire un tour au pub, où on a discuté de combien il est injuste que nous ne soyons pas autant payés que les gens du privé, et que la société ne nous estime pas à notre juste valeur. Puis j'ai fait faire les calculs à mon stagiaire parce que je n'avais pas que ça à faire et, franchement, je ne me souviens pas du tout de ces trucs logarithmiques du lycée !
Comme conclut Matthew, ce serait tellement plus fun si les chercheurs écrivaient ce qu'ils ont réellement fait !
Commentaires
Oui, mais euh... Attends, je m'étouffe à force de rigoler ! Si on disait vraiment comment se passait la recherche au jour le jour, on perdrait l'image de génie avec laquelle le quidam nous voit !
Complétement d'accord avec Béné :)
Pensez égalament aux doctorants qui codent beaucoup :
"Ho, ça marche !"
"c'est vrai ??"
"ha non..."
:)
Oui, effectivement c'est très marrant. Je trouve que c'est très bien de démystifier comme ça les sciences. Je trouve ça d'autant mieux que dans le monde des sciences sociales et de l'économie où j'évolue, les gens ont souvent un complexe à l'égard des sciences dures et dévalorisent ce qu'ils font. J'essaient souvent de leur expliquer que c'est une illusion d'optique et que si on voyait les sciences dures de l'intérieur, en train de se faire (en action comme dirait l'autre…), on aurait tout de suite beaucoup moins de complexe.
Néanmoins, je pense qu'il faut aussi se méfier de ce type de confession de la part des scientifiques. Souvent, on peut avoir tendance à dévaloriser un peu ce qu'on fait. Il n'empêche que malgré tout ça, il y a quand même une méthode et une rigueur derrière qu'il ne faut pas non plus nier mais que certains scientifiques n'ont tendance à ne plus voir tellement elle est "naturelle" à leurs yeux…
J'ai bien ri... J'aimerais aussi qu'il y ait plus d'humour dans les écrits de la recherche (ma dernière tentative était une peer review, ça n'est pas passé...) mais ce serait difficile à faire accepter: à mon avis la recherche sélectionne en partie une certaine catégorie d'autistes intransigeants... Heureusement, quand les chercheurs écrivent plus librement des commentaires d'articles, des canulars (tous les 1er avril), ils sont en général plus légers et plus agréables à lire. Et puis, il y a les blogs...
Benjamin > A propos d'ajouter de l'humour dans les articles scientifiques : toujours dans le même billet, Matthew raconte que ses co-auteurs ne veulent pas qu'il insère le passager suivant dans un papier en cours de rédaction :
vous vous etes passe le mot ? http://www.math.columbia.edu/~woit/wordpress/?p=527
blop > Excellent, merci pour le lien !
C'est vraiment très très drôle... Chouette tranche de science !
excellent !