Le dialogue est une forme canonique et historique de la vulgarisation des sciences, essentiellement depuis le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde de Galilée. J'ai l'honneur de présenter ici le premier billet à  quatre mains du C@fé des sciences, sous la forme d'un dialogue entre un apprenti-biologiste (Benjamin) et un apprenti-sociologue (moi-même). Espérons que d'autres suivront…

PCR©© Epicatt

Enro : Benjamin, si tu es comme les quelques thésards en biologie que je connais, tu dois gonfler tes proches en les bassinant régulièrement avec ta « PCR qui n'a pas marché » ou tes « amorces de m**** ». Je me trompe ?

Benjamin : Non, c'est vrai… j'en fais tous les jours avec des fortunes diverses.

Enro : La PCR, ou Polymerase Chain Reaction (« réaction en chaîne par polymérase »), est un peu une photocopieuse à  ADN. Corrige-moi si je me trompe mais tu mets ton échantillon dans la machine, contenant quelques exemplaires d'un brin d'ADN qui t'intéresse, et hop, avec les bonnes « amorces » elle va enchaîner les cycles de duplication des brins d'ADN et séparation des doubles brins obtenus. A chaque cycle la quantité est multipliée par deux et les quelques exemplaires deviennent des milliers d'exemplaires après, quoi… une heure ? Deux heures ?

Benjamin : Les mots de Mullis, inventeur de la PCR, sont : « Beginning with a single molecule of the genetic material DNA, the PCR can generate 100 billion similar molecules in an afternoon. The reaction is easy to execute. It requires no more than a test tube, a few simple reagents, and a source of heat. »

Enro : Ah, des milliards de copies, donc. J'étais loin du compte !

Benjamin : Quant à  la durée… Nos réactions de PCR comportent 30 cycles (la norme est de 25 à  30), ce qui devrait donner 2^30=1 milliard de copies de chaque exemplaire introduit. Evidemment, l'efficacité des amorces, de l'enzyme et la limitation par la quantité d'amorces et de nucléotides font que la « courbe de croissance » s'aplatit bien avant.

Enro : Bon, combien de cycles et combien de temps en tout alors ?

Benjamin : Un cycle se décompose en plusieurs phases :

  • 94°C dénaturation initiale des deux brins
  • 55°C hybridation des amorces à  la matrice (ADN simple brin)
  • 72°C élongation par la Taq polymérase (nom de l'enzyme dérivé de la bactérie Thermus aquaticus)
  • 94°C dénaturation à  nouveau
  • retour à  55°C…
La durée de la phase d'élongation est variable et dépend de la taille du fragment amplifié ; on compte 1 minute à  72°C par kb environ. Au total, une réaction de PCR nous prend entre deux et quatre heures.

Enro : Et dire qu'avant tout se faisait à  la main… Les biologistes trempaient leurs bassines dans les différents bacs, successivement… On comprend pourquoi Mullis a eu le Prix Nobel, grâce a lui les labos ont économisé pas mal de main d'œuvre ! J'ose pas imaginer l'état de la recherche française sinon !

Benjamin : C'est plutôt l'inventeur du thermocycleur qui aurait dû avoir le Nobel alors :-)

Enro : Pffff… C'était petit, ça !! Mais tu as raison, l'invention de la PCR n'est pas uniquement celle du thermocycleur… Au début, Kary Mullis travaillait sur la synthèse d'oligonucléotides, c'est-à -dire de petits brins d'ADN ou ARN, dans l'entreprise de biotechnologie Cetus. Mais après avoir automatisé ces synthèses laborieuses, voilà  que son équipe disposait de plein de temps libre !

Benjamin : Encore une histoire de temps libre !

Enro : Eh oui. Et à  force de réflexion, alors qu'il conduit entre San Francisco et Mendecino en avril 1983, il a l'idée géniale de combiner deux choses : les mécanismes de dénaturation/re-naturation de l'ADN, et le concept de boucle itérative. Mais pour lui, l'idée était trop évidente pour que quelqu'un n'y ait pas déjà  pensé. Une recherche bibliographique lui montrera que tel n'est pas le cas et le voici lancé, malgré le peu de soutien de ses collègues, jusqu'à  réussir la première PCR en décembre 1983. L'histoire veut que seul Halluin, le chef des brevets, était encore présent au bureau ce soir là , et Mullis de traverser le hall pour partager sa joie. Halluin se met à  rédiger une demande de brevet immédiatement, et celle-ci sera déposée malgré le peu d'enthousiasme (au début au moins) de l'équipe et du PDG. Pour l'anecdote quand même, l'article de Mullis qui explique le principe de la PCR, celui qui lui vaudra finalement le Prix Nobel, sera rejeté successivement par les revues Nature et Science, et seulement accepté par la modeste Methods of Enzymology !! De quoi remonter le moral de tous les thésards qui ne publient pas dans Nature ou Science, n'est-ce pas ?

Benjamin : (tête de thésard renfrogné) Mgnmgngrmbl Laisse-moi plutôt te parler des applications à  la PCR. J'en vois quatre, chacune exploitant une de ses particularités :

  • la copie fidèle permet le séquençage
  • l'amplification quantitative permet la préparation de fragments d'intérêt
  • l'incorporation des amorces permet l'introduction de mutations
  • la spécificité des amorces permet le diagnostic.
Détail amusant, aujourd'hui vendredi 2 Mars 2007, j'aurais employé au moins une fois chacune de ces méthodes ! La PCR n'est pas l'essentiel de mon travail, du moins sur le fond, mais elle constitue un outil extrêmement puissant, souvent indispensable, et, ce qui n'est pas négligeable, qui consomme peu de temps de travail.
Commençons par l'application la plus triviale, le séquençage : j'envoie assez souvent de l'ADN à  un laboratoire spécialisé, accompagné de l'amorce qui marque le début de la région dont je souhaite avoir la séquence. Il s'agit ensuite de réaliser une PCR classique, mais où une fraction des nucléotides arrêtent l'élongation du brin amplifié. Ils sont de plus marqués par une molécule fluorescente. Chaque fragment amplifié d'une longueur donnée finit donc par le même nucléotide (puisqu'ils ont le même point de départ et un sens de polymérisation imposé par l'amorce), que l'on a les moyens de connaître : le fragment de 50 nucléotides fluoresce en vert, il finit donc par un A ; 51 nucléotides, en bleu, c'est donc un G, etc.
En biologie moléculaire, on aime bien connaître la fonction du gène auquel on s'intéresse. Pour cela, on a souvent besoin de constructions d'ADN un peu compliquées (on coupe ici, on colle là …), en général réalisées par des enzymes. La première utilité de la PCR est donc de fournir les quantités d'ADN nécessaires à  ces constructions. On peut également utiliser la PCR pour réaliser certaines de ces opérations de « collage » entre fragments… pourquoi rigoles-tu ?

Enro : J'imagine comment tout serait plus simple si la taille de l'ADN était de l'ordre du centimère… On pourrait utiliser de la vraie colle et des vrais ciseaux pour faire ce bricolage. De l'ordre du mètre, par contre, on risquerait d'avoir des problèmes d'encombrement dans les laboratoires de génétique !

Benjamin : Tiens, tu me rappelles Shrà¶dinger : dans Qu'est-ce que la vie ?, il disserte longuement sur « pourquoi les atomes sont-ils si petits ? » Il conclut que le désordre à  l'échelle des atomes nous impose d'être grands (sinon il n'y aurait pas d'ordre stable face à  l'agitation thermique, donc pas de vie) et insensible au mouvement incessant des atomes, sans quoi nous deviendrions fous ! Heureusement, la PCR est là  pour nous aider à  accéder à  une information logée dans quelques atomes, et mieux, à  la changer ! J'en viens donc à  ma troisième application : une PCR amplifie un fragment situé entre deux amorces spécifiques et elle marche d'autant mieux que ces amorces ont de nombreux nucléotides communs avec l'ADN qui sert de modèle. Idéalement, les amorces doivent donc être la copie conforme de la séquence patron, mais elles tolèrent facilement un ou deux petits changements… On peut donc introduire volontairement une mutation ponctuelle dans l'amorce (il suffit de la commander telle au fournisseur du labo), et comme l'amplification de chaque fragment incorpore deux amorces, on obtient après la PCR de très nombreuses copies de l'ADN mutées là  où on l'a décidé ! On peut utiliser ce produit de « mutagénèse dirigée » pour remplacer le gène naturel, créer des protéines différentes, introduire des sites de restriction…
Enfin, grâce à  la spécificité des amorces, on peut :

  • soit vérifier la longueur du fragment amplifié entre les deux amorces, si par exemple on y a introduit quelque chose
  • soit vérifier la présence dans l'ADN testé d'une séquence identique à  celle d'une amorce utilisée. Ainsi, si je connais un gène propre à  un microbe pathogène, je choisirai deux amorces situées dans ce gène pour en révéler la présence.

Enro : C'est précisément cette dernière technique qui a été utilisée dans l'article de Quist et Chapela de 2001 rapportant la présence — dans des variétés sauvages de maïs mexicain — du promoteur 35S d'un virus du chou-fleur couramment utilisé dans les OGM. Première preuve de « pollution génétique » qui, tu le sais sans doute, a été très controversée et sur lequel il est intéressant de s'arrêter un peu. En effet, les auteurs avaient utilisé deux techniques de PCR pour détecter ce transgène et comprendre si son insertion s'était produite à  une ou plusieurs reprises. Cette technique qui présentait pour eux l'avantage d'être « très sensible » (cf. le communiqué de presse de l'UC Berkeley), utile lorsqu'on a que quelques échantillons, a été critiquée rapidement par leurs adversaires. Ainsi, P. Christou signait au nom du comité éditorial de la revue Transgenic Research (vol. 11, février 2002, pp. 3-5) une tribune virulente où il qualifie la PCR de technique « discutable » et « propice aux artefacts ». La PCR serait même si peu fiable qu'elle invaliderait par avance tout résultat qui s'appuierait dessus ! Ce qu'il n'aurait sans doute pas osé dire en dehors d'une controverse comme celle-ci. C'est là  qu'intervient la notion de « boîte noire », chère à  la sociologie des sciences : ici, une méthode utilisée en routine et que l'on n'interroge plus, une boîte noire à  qui on confie ses résultats, est soudain réouverte et réinterrogée à  la faveur d'une controverse. Ces retours sur ce qui était acquis sont parfois salutaires, parfois du temps perdu, mais montrent que la science avance nécessairement en acceptant de plus en plus de choses. On ne peut, à  chaque PCR ou manipulation, requestionner l'échelle des températures, le dogme central de la biologie, les lois de l'électricité, la structure de l'ADN etc.

Benjamin : Oui, et heureusement ! J'aimerais toutefois apporter une petite nuance : la PCR n'apporte qu'une information partielle, et qui peut être biaisée par de nombreux facteurs. J'en ai moi-même pâti récemment, car rien ne vaut un bon séquençage.

Enro : La PCR a aussi d'autres aspects qui la rendent intéressante pour la sociologie des sciences. On peut par exemple rappeler l'affaire du maïs Starlink : lors de celle-ci, les Américains ont retrouvé dans leurs chips de maïs des OGM qui n'auraient pas dû s'y trouver. Alors, la PCR a été mobilisée comme « un allié précieux du mouvement anti-OGM puisqu'elle permet de rendre sensible la présence des OGM et de les traquer dans les produits les plus courants » (Joly et al., 2001, p. 65). Où un simple outil de biologie moléculaire peut devenir un instrument (voire un acteur) politique ! Et peut-être est-ce parce que les chercheurs pro-OGM ont été ainsi dépossédés de cet outil qu'ils n'ont pas hésité à  le remettre en question lors de la controverse sur la maïs mexicain…