Le journalisme scientifique n'a pas bonne presse, il est souvent accusé de sensationnalisme, d'imprécision ou de simplification, voir même parfois d'être trop timoré. La vulgarisation scientifique en général peut être accusée de ces maux. A un niveau plus fin, on leur reproche de considérer leur public comme des ardoises vides où viendrait s'inscrire la "bonne parole scientifique", dotée naturellement d'une autorité et d'une universalité incontestables : l'immense public des "profanes" est invité au grand spectacle de la science qui, implicitement, en raison même de l'identification des exclus à  des profanes, relève du "sacré"[1].

En ce qui concerne les journalistes scientifiques, ces travers sont sans doute en partie dus à  l'embargo imposé par les journaux (et le rédacteur en chef du Lancet ne dit pas autre chose). Selon cette pratique désormais habituelle, Nature, Science ou les autres mettent les articles importants à  la disposition des journalistes quelques jours avant publication, à  condition que ceux-ci ne sortent pas leur article avant le jour de publication, ou la veille. Alors, les journalistes se croyant dépositaires d'un savoir rare et déférents vis-à -vis des sources d'information dont ils dépendent, considèrent qu'il suffit d'être la caisse de résonance des maîtres du Verbe[2] (sans regard critique !) pour faire leur travail. De plus, les communiqués de presse diffusés par les mêmes revues ou parfois les équipes de recherche (aux Etats-Unis) favorisent le journalisme paresseux et l'information homogène.

Mais alors, que faudrait-il ? Eh bien, pour reprendre les arguments de Franco Prattico[3], il ne faudrait plus "traduire" le langage ésotérique du savant dans le langage "vulgaire" du public mais chercher à  en identifier les points communs, les viaducs et les isthmes. Mais pour cela,

il faut construire une nouvelle figure d'intellectuel disposant d'une vaste formation, non seulement scientifique et philosophique, mais aussi littéraire et artistique, qui soit en mesure de lire notre époque de manière critique sans préjugés. Cette nouvelle figure doit se faire porte-parole d'une prise de conscience, d'une part, de la pénétration de la technologie (et donc la lire avec un regard critique), d'autre part du fait que l'image du monde que nous avons héritée des siècles passés est désormais déstructurée, et que ce tremblement de terre (…) concerne aussi l'imaginaire et demande donc une reconstruction des points de repère et des valeurs. (pp. 206-208)

Les scientifiques qui font de la vulgarisation doivent aussi éviter de penser que seule la "vérité" (sur l'origine de la vie, les causes du cancer, les mécanismes du réchauffement climatique…) intéresse leur public alors qu'eux-mêmes sont intéressés par toute autre chose, et qu'ils n'attendent pas de leur collègue qu'il s'intéresse à  un énoncé scientifique sous le seul prétexte qu'il est vrai. Comme l'écrivent Françoise Bastide et al., il faut trahir la science, c'est-à -dire trahir ce que les scientifiques ne disent pas au "public", ce par quoi ils trahissent eux-mêmes la différence qu'ils font entre publics et collègues[4].

A la lumière de ces principes, j'ai essayé de réécrire une brève de Science & vie consacrée à  la toxoplasmose et brocardée par Timothée. Pas facile, surtout dans ce format aussi court. Mais je persiste à  croire que c'est possible — et après tout, il existe bien des formations où les journalistes scientifiques pourraient apprendre à  s'y mettre !

Notes

[1] Baudouin Jurdant (1996), "Enjeux et paradoxes de la vulgarisation scientifique", Actes du colloque La promotion de la culture scientifique et technique : ses acteurs et leurs logiques, Université Paris 7 - Denis Diderot, 12-13 décembre, pp. 201-209.

[2] Franco Prattico (1998), "Divulgation scientifique et conscience critique", Alliage, n° 37-38, pp. 204-210.

[3] Op. cit.

[4] Françoise Bastide, Denis Guedj, Bruno Latour et Isabelle Stengers (1987), "Il faut trahir la science", Le résistible objet des films scientifiques, club Scientifiction.