Comment raconter la science aux enfants
14
nov.
2007
Vous avez déjà lu Comment ça marche, La vie : une histoire de l'évolution ou Les étranges lunettes de Monsieur Huette ? Dans le monde anglo-saxon, les enfants intéressés par la science liront aussi How things work de David Macaulay ou Horrible Science et Uncle Albert and the Quantum Quest.
Alice Bell est doctorante à l'Imperial College de Londres et elle a fait de ces histoires son objet d'étude. Avec un point de vue à la fois éducatif, sociologique et des sciences de la communication, elle décrit ces livres, la manière dont ils interagissent avec leurs jeunes lecteurs et l'image qu'ils donnent de la science. Son blog revenait récemment sur leur structure narrative : traditionnellement, un livre sur la science a une structure "fermée" et suit un fleuve tranquille qui emmène le lecteur du début à la fin. En espérant qu'il en sache plus à la fin qu'au début ! Pour Ron Curtis, cela implique un fonctionnement très baconien de la science, qui vient à bout du réel par l'effort et répond aux questions qu'elle se pose. Mais la science ouvre plus de questions qu'elle n'en ferme (combien de voies de recherche ouvertes à partir d'une unique découverte ?). Elle fonctionne par un aller-retour constant entre questions et réponses, et improvise en permanence des passerelles (instruments, protocoles, heuristiques etc.) qui la sortent de son cours "naturel". Ainsi, d'autres possibilités narratives doivent exister, qui reflètent bien mieux cette science là . On commence en effet à les retrouver aujourd'hui en librairie. Par exemple, le livre Pick me up offre une structure que Bell qualifie de "shufflepedia" : elle permet de passer facilement du blog d'un viking (sic) à une illustration qu'on dirait sortie des années 1950 ou un jeu interactif, chaque concept en entraînant un autre sur un mode toujours différent (humour, interactivité, fantaisie, anachronisme).
Il y a également la possibilité du dialogue socratique, comme dans le livre Why is snot green? de Glenn Murphy.
Et comme précédemment, de nombreux renvois situés dans les notes de bas de page permettent de naviguer à travers le livre au lieu de le lire en continu du début à la fin...
Mais si les livres pour enfants ne vous intéressent pas, pensez aux histoires que racontent les médias : la science y est souvent présentée comme une enquête policière. On retrouve le même principe baconien de victoire sur le réel (une question conduit à une réponse), et de nouvelles formes narratives devraient également se développer pour ce public !
Commentaires
en voilà une thèse utile!
Enro, je n'ai pas lu ces ouvrages, mais personnellement, je rêve d'ouvrages, ou d'expositions, qui fassent vivre au lecteur ou au spectateur le vrai déroulement d'une recherche scientifique. Bien sûr, on retrouve depuis plusieurs années ces expositions "interactives", mais dans tous les cas, la réponse est déjà toute prête, et on n'enseigne pas tant à réfléchir qu'à deviner "la" bonne réponse. La science derrière est toute écrite, et le tout n'est qu'un prétexte pour "endoctriner", pour amener le spectateur à assimiler un morceau de science toute faite. On veut surtout que le spectateur retienne la réponse, et non assimile la démarche. Mais dans la "vraie" pratique de la science, surtout expérimentale, la réponse n'est jamais connue d'avance, la question elle-même étant souvent floue, et le résultat est souvent une réponse à une question tout à fait différente! L'important de la démarche scientifique n'est pas de trouver la bonne réponse. On dit souvent qu'un bon chercheur est celui qui pose les bonnes questions, mais les bonnes questions viennent elles-mêmes d'une attitude très "ouverte" face aux observations. Aucune découverte expérimentale ne se ferait sans un expérimentateur à l'affût des "anomalies", par exemple. Si on regarde ses résultats en tâchant de les faire absolument entrer dans le cadre d'une théorie préconçue, on ne trouvera jamais les failles de cette théorie. L'histoire et la philosophie des sciences ont bien montré comment les observations sont soumises à la théorie. Cela est bien, mais omet la capacité du bon scientifique de s'affranchir de cette soumission. Sinon, la science serait à jamais enlisée dans la même ornière! Or c'est précisément ce mode de fonctionnement servile qu'on transmet la plupart du temps.
Moi, ce que j'aimerais faire vivre, et ce qui est l'aspect le plus ennivrant du métier de scientifique (qui fût le mien...), c'est ce que Jacques Testard appelle (de mémoire, dans son ouvrage "L'oeuf transparent") le "parfum de la vérité à l'état naissant".
François > C'est si bien dit ! Une tâche pas facile, certes, mais en effet,
(Bruno Latour)…Personnellement, ce dont je rêve, c'est d'un livre pour enfants qui leur expliquerait les sciences sociales. Tiens, un projet...
il n ya de science que de ce qui ait cache