Science froide et crise des vocations
13
fév.
2008
Si l'on montre une science différente (en mouvement, controversée) dans les médias, sans doute peut-on aussi la montrer différemment dans l'éducation. L'enseignement des sciences à l'école, souvent figé et décevant, a fait l'objet de nombreuses critiques et des initiatives plus ou moins récentes explorent des voies de traverse : opération "la main à la pâte", enseignement des questions vives, recommandations du rapport Rocard… On pourrait facilement être tenté de toutes les regrouper sous une même bannière, plus ou moins judicieusement.
Franchissons ce pas : ces initiatives originales, donc, visent à montrer une science chaude. Une science qui se construit plutôt qu'elle ne dicte des réponses. Une science qui baigne dans le doute plutôt que dans la certitude. Une science qui est contingente et non pas transcendante. Donner cette image de la science aux élèves, dès le plus jeune âge (quand, dit-on, leurs capacités d'interrogation et d'émerveillement sont les plus grandes), pourrait ramener les jeunes vers la science. Mettre fin à la désaffection des études scientifiques. Et éveiller de nouvelles vocations.
Ce n'est pas moi qui le dit mais deux chercheurs en sciences de l'éducation de l'université d'Oslo. En plus de certains critères déterminants (comme la gratification des carrières de scientifique ou le statut social des chercheurs), l'attractivité de la matière scientifique est cruciale. Or elle pourrait être améliorée par un enseignement renouvelé des sciences à l'école :
Les jeunes sont très intéressés par la science et la technologie, mais pas tellement par la science et technologie qu'ils rencontrent à travers leur cursus scolaire. Celui-ci se fonde traditionnellement sur la science "bien établie" — la science qui ne peut être mise en cause, et que les épistémologues appellent en anglais le textbook science. Le contraste est grand avec la "science réelle", dans laquelle les chercheurs sont engagés aujourd'hui, à savoir celle qui provoque de vifs débats, de nouvelles expérimentations, des tentatives d'hypothèses, des conjonctures… Il s'agit là des frontières de la recherche, où de nouveaux territoires de la connaissance se construisent, grâce à des d'êtres humains bien réels. C'est souvent cette sorte de science qui est relatée (avec néanmoins de nombreux malentendus) par les médias. Beaucoup de jeunes aiment ces sujets, alors qu'ils peuvent détester la science présentée à l'école.
Le passage de la théorie à la pratique n'est pas simple et nombreux sont les colloques, séminaires, groupes de recherche qui se penchent ou se sont penchés sur le sujet. Mais on pourra aussi se souvenir d'un billet précédent sur les manuels scolaires où il était suggéré que, loin de brûler les manuels tels qu'ils sont aujourd'hui, il faudrait les re-contextualiser pour ne plus se cacher derrière une neutralité de façade. Par exemple, au lieu de présenter Toumaï comme le plus vieil hominidé, pourquoi ne pas rendre compte de la controverse scientifique qui hésite à en faire plutôt l'ancêtre des grands singes ? Les chercheurs d'Oslo proposent autre chose :
un cursus de science devrait comprendre des débats sur l'astrologie, l'homéopathie, la divination, etc. Et même peut-être les relations entre la science et la religion. Mais traiter de ces sujets avec délicatesse, sans offenser ceux qui croient dans ces systèmes, n'est pas facile.
Des petites actions, des grandes actions, tout compte si l'on veut montrer un autre visage de la science aux élèves…
Commentaires
Je suis tout à fait pour ce genre de choses, mais il me vient une question : se lancer dans des débats, ça demande de maîtriser le sujet, et donc d'avoir des bases "fondamentales". La meilleure solution, c'est d'introduire ces bases au fil du débat, mais la grande question est : le "système" est-il prêt à se remettre aussi fondamentalement en question?
Timothée > Ces chercheurs sont conscients de la difficulté :
Des débats sur l'astrologie ?! Je suis un peu inquiète devant cette culture du débat. De plus en plus, que ce soit à l'école ou dans les médias, on cherche de moins en moins à savoir, mais à débattre. Va t on débattre de l'existence de l'atome ?
De plus cette façon de faire me paraît dangereuse à un autre titre: beaucoup de gens sont persuadés qu'on ne sait en fait pas grand chose, que "tout est relatif", que les scientifiques ne sont finalement sûrs de rien et racontent beaucoup de bêtises. Est il bien nécessaire d'en remettre une couche ?
Je pense que les matières scientifiques sont effectivement difficiles parce qu'elles demandent un énorme prérequis. Par exemple les cursus scientifiques universitaires (ou en GE) demandent des heures et des heures de cours, TD, TP. C'est d'autant plus dur que les programmes de lycée ont été pas mal allégés. Ces études ne sont pas vraiment compatibles avec le fait que beaucoup d'étudiants travaillent. De plus on n'en voit pas trop l'intérêt: pourquoi se fatiguer alors que tout un chacun est amené à donner sa précieuse opinion lors des fameux débats, et que le monde de l'entreprise réclame avant tout des commerciaux et des consultants ?
On n'a même pas besoin de la moindre formation scientifique pour devenir Professeur des Ecoles...
Ancien ingénieur, passionné de science depuis toujours et, plus récemment,de politique, la démarche de ce blog m'intéresse.
La science et la technique qu'elle engendre, n'ont plus la place qu'elles devraient avoir dans la société.
J'ai débuté ma carrière au début des 30 glorieuses. Ceux qui venaient des filières scientifiques avaient les meilleures places. De nombreux "techniciens" devenaient PDG.
Or, insensiblement, mais inéluctablement, la tendance s'est inversée au profit du commerce et de la finance, puis du droit, filière pourtant considérée naguère comme repère des dilettantes, ou pire.
On peut se demander pourquoi, alors que, sans avancées scientifiques et techniques, il n'y aurait plus de progrès. Je vois deux causes possibles.
1- Le succès des filières scientifiques de l'époque a généré un appel vers elles et peut-ètre, une "surpopulation"du secteur. J'ai entendu des propos révélateurs à cet égard de la part de certains dirigeants, du style: "les questions techniques, ce n'est pas un problème, on y arrivera toujours", rappelant la phrase célèbre : "l'intendance suivra". C'était une condamnation sans appel, pour tous les scientifiques et techniciens, à des roles subalternes. Les commerciaux d'abord, les financiers ensuite se sont engouffrés dans la brèche et tiennent aujourd'hui le haut du pavé avec les dérives que l'on sait : faire vendre n'importe quoi par des commerciaux surdoués, sabrer les budgets de recherche et développement, sacrifier des secteurs industriels pour des profits à court terme, sous-payer les techniciens.... En conséquence, les filières scientifiques et techniques n'attirent plus les jeunes ( d'autant qu'elles restent les plus exigeantes) et, d'une situation de pléthore on se dirige vers une pénurie et une baisse de niveau.
2- Une autre raison du renversement de tendance, pourrait ètre l'incurie dont ont fait preuve certains patrons "techniciens" en matière de comptabilité, de gestion et de finance, poussant ainsi certains conseils d'administration à nommer des "gestionnaires avant tout".
Heureusement, les choses changent dans les grandes écoles à connotation scientifique où les matières non techniques ont maintenant une plus grande place.
Mais les habitudes ont la vie dure et il faudra du temps avant que les scientifiques retrouvent des perspectives de carrière assez motivantes pour inciter la jeunesse à consentir quelques sacrifices.
En conclusion, je souhaite que le balancier de l'histoire nous ramène à un meilleur équilibre entre les disciplines de l économie. Mais je ne pense pas qu'il suffise d'améliorer l'enseignement des sciences, qui est à mon avis excellent. Il faut aussi une sorte de révolution culturelle, dans l'opinion, c'est à dire au final, dans la classe politique, pour restaurer l'image des sciences et de la technique auprès des décideurs économiques.
AubeMort >
D'un autre côté, la désillusion n'est-elle pas plus grande quand on leur a asséné à longueur de temps que la science est universelle, rigoureuse, désintéressée, et qu'ils la découvrent telle qu'elle est, chaude, humaine, faillible ?Litan > Merci pour ce commentaire. Il est évident que de nombreux facteurs jouent dans l'attractivité d'une filière mais il ne faut pas se leurrer, on ne retrouvera jamais les niveaux qui prévalaient dans l'après-guerre, en partie parce que plus un pays est développé, moins ses étudiants souhaitent devenir scientifiques ou ingénieurs. On note seulement un transfert depuis la physique ou les maths vers des domaines mieux côtés comme la biologie, la médecine, les études de vétérinaire et les sciences de l'environnement qui offrent "plus de sens" dans la société actuelle.
Je suis prersque d'accord, mais pas tout à fait. D'accord en ce sens que les étudiants ont des souhaits différents à mesure du développement d'un pays. Mais il appartient aux responsables du pays d'en inciter un nombre suffisant à aller vers ce qui est utile au pays en question. Car, à la limite, si tous les étudiants allaient vers les filières du sport, de l'art, des sciences humaines, du droit, etc...que deviendrait notre PIB ?? N'irait-on pas au déclin? Le progrès appelle le progrès, car il crée toujours plus d'attentes et donc de besoins. Or, à l'heure de la mondialisation, nous ne pouvons maintenir notre rang qu'en ayant toujours un Know-how d'avance sur les pays émergents. Aujourd'hui, pour vendre des Airbus, il faut donner en prime la "façon de faire". Ce qui veut dire que, demain, nous n'aurions plus rien à vendre, si nous ne préparions aujourd'hui, à coup d'avancées scientifiques et techniques, nos futurs marchés export. C'est typiquement une fonction régalienne que de mettre en place les incitations adéquates.
@Litan "droit, filière pourtant considérée naguère comme repère des dilettantes, ou pire" > par exemple ca ?
@Aubemort > je suis d'accord, ras-le-bol du relativisme à tous les étages. Et si on commence à discuter de l'homéopathie, de l'astrologie, pourquoi pas du créationisme, du tordage de petites cuillière, du pastafarianisme, etc. Cela dit, je fais les mêmes reproches à l'enseignement scientifique qu'à l'enseignement de la musique au conservatoire : on fait des gammes et des exercices pendant des années avant de faire de la musique et de se faire plaisir. Pour les futurs musiciens professionnels, ce sont des bases indispensables, mais cela a dégouté de la musique des générations d'enfants. L'enseignement scientifique est était parfait pour donner les bases aux futurs scientifiques mais terrible pour tous les autres. Je suis content de voir qu'aujourd'hui le programme des séries L ne contient plus d'équilibrage d'équations de combustion (j'ai souvenir d'avoir dû aider ma soeur à comprendre la première phrase de son cours : "le carbone est un atome tétravalent" !!) Discuter des "enjeux planétaires énergétiques" me paraît plus pertinent et peut être traité tout à fait scientifiquement...
je ne sais pas comment le lien sur "était" est apparu :-/
peut-être qu'on pourrait en débattre ;-)
@Aubemort : Il y a débat et débat, je pense. On peut avoir un débat sur des sujets tendancieux si il y a un "encadrement" scientifique (je n'aime pas le mot, ca remet le scientifique à une place 'à part'), sans que ça ne dégénère. Les risques de dérive ne sont pas négligeables, et il me semble qu'une formation scientifique un peu plus solide des enseignants est nécessaire (pas forcément en sciences dures, mais peut être en epistemo et sociologie des sciences, qui sait? je rêve éveillé…)
@Blop : toi aussi tu a été tramatisé par les "techniciens de la musique" et tu as mis 10 ans avant de te faire plaisir avec un instrument?
Entièrement d'accord. A ceci près : je suis enseignant des Biologie-Géologie depuis plus de 30 ans ; et précisément, j'enseigne une "science chaude". Par exemple Faut-il avoir peur des OGM, ou en utilisant des textes de Lyssenko (en préparation -- mars 2008), en utilisant la magie, l'humour, ou l'actualité paléontologique etc. Mais le conformisme des élèves, la pression de notes... obligent une telle pédagogie à être une pédagogie militante (et la période n'est pas à la militance mais à l'individualisme). Je partage votre critique des manuels scolaires. et votre préférence pour une science de la controverse. Mais y a-t-il d'autres professeurs de sciences, aussi extra terrestre que moi, pour penser que c'est une nécessité pédagogique ?!
Cordonnier > Merci pour votre commentaire qui permet d'ancrer la discussion dans du concret. Rassurez-vous, vous n'êtes pas seul, rien que sur ce blog Yves partageait une expérience assez similaire !
Je vois que j'ai choqué en parlant d'étudiants dilettantes en droit et je m'en excuse. Toutefois, personne n'aurait du se sentir visé, car j'évoquais des temps anciens, très anciens,...trop anciens à mon gout.