C'est un des sujets de philosophie du bac 2008 qui a le plus alimenté la discussion sur les blogs scientifiques : Une connaissance scientifique du vivant est-elle possible ? S'il a fait couler tant d'encre (virtuelle), c'est surtout parce qu'il ne semble pas problématique à  la plupart des personnes à  l'esprit scientifique qui nous entourent. Un lecteur de Tom Roud est le premier à  s'en étonner. Lequel Tom répond qu'il n'y voit goutte, à  moins que la question soit de disserter sur la place de l’homme dans le vivant. Helran, étudiante en biologie, ne s'en sort pas mieux. Les forums non plus. Et un ami doctorant en neurosciences de donner sa langue au chat dans un courriel légèrement angoissé… ;-)

Avertissement : ce billet n'est pas une correction en bonne et due forme. Simplement, après réflexion, ce sujet ne me semble pas si creux qu'il en a l'air et j'avais envie de partager avec vous quelques pistes de réflexion.

Le bachelier peut partir bille en tête sur les limites de la connaissance et ses présupposés, mais il loupe à  mon avis la dimension propre au vivant. Quelle est-elle me demandez-vous, vous qui avez si bien incorporé la génétique, la biochimie et la biologie que le vivant semble un objet physique comme un autre ? J'en vois plusieurs :

  • le vivant, ou au moins une partie d'icelui, possède un cerveau qui lui donne un sentiment de libre arbitre : je suis capable de prendre des décisions, de faire des choix, de balancer des arguments opposés, et cela en toute conscience. Pourtant, l'approche scientifique repose sur une hypothèse de déterminisme très forte : l'objet scientifique idéal est celui dont les lois peuvent-être connues et sont invariantes. Difficile d'en dire autant du cerveau, car même si l'on peut étudier le comportement d'un neurone particulier voire d'un réseau de neurones, des propriétés semblent émerger de ce système complexe. Et la question du libre arbitre n'est encore qu'effleurée par les chercheurs, ou en tous cas reste sujette à  discussion.
  • le terme de "vivant" regroupe une large palette d'organismes et de milieux, de la bactérie qui peuple mon tube digestif aux peuplades étudiées par les ethnologues. Or chacun est étudié par ses spécialistes avec des outils adéquats. Jusque là , rien de très sensationnel : le monde physique vit la même parcellisation, de l'astrophysique à  la physique quantique en passant par la physique de la matière molle. Mais le vivant à  ceci de particulier qu'il englobe l'être humain et du coup, qu'il fait appel à  des sciences humaines et sociales. On peut donc se demander s'il est possible d'obtenir une vision unifiée du vivant, où les apports de la bactériologie épouseraient les apports de la sociologie. Rien n'est moins sûr, mais la question est intéressante et effleure celle du niveau d'étude le plus pertinent pour étudier un système donné.
  • le vivant est soumis à  l'évolution et rien n'a de sens en biologie si ce n'est à  la lumière de l'évolution. D'où cette question : une connaissance scientifique de l'évolution est-elle possible, ou la théorie néo-darwinienne de l'évolution est-elle une théorie scientifique ? Selon votre réponse vous pouvez rentrer directement soit au laboratoire de Guillaume Lecointre au Muséum soit au Discovery Institute américain !
  • enfin, si l'on ne considère que le vivant non-humain, alors on peut disserter à  loisir sur l'éthologie. Récemment, l'exposition "Bêtes et hommes" à  la Grande halle de la Villette montrait combien l'éthologie est une science problématique en raison des présupposés qu'elle a sur ses objets d'étude et de ses difficultés à  donner une vision objective du monde animal. Ainsi, Vinciane Despret et d'autres ont étudié par exemple comment le comportement des grands singes n'est pas vu et interprété de la même façon selon que l'observateur est un homme ou une femme…

Bon, cela fait quelques années que j'ai passé mon bac et je ne sais pas si tous ces concepts sont "au programme". Néanmoins, ce sont probablement des pistes qui auraient été appréciées par le jury et avec lesquelles un bachelier peut se familiariser facilement… s'il fréquente assidûment les blogs de science !

Mes remerciements vont à  Béné pour m'avoir suggéré quelques pistes pour ce billet !