Dans mon billet sur la difficulté de montrer la science en train de se faire, j'écrivais : s'ils savent que les scientifiques travaillent en groupes et que ce travail leur permet d'échanger des points de vue, les élèves ont une représentation naïve de la "preuve" scientifique et de la construction d'une théorie, et une idée finalement vague des caractéristiques du travail des scientifiques. A l'appui de ce constat, des références bibliographiques anglo-saxonnes tant il semble que cette question a peu interessé les enseignants ou chercheurs français.

Pourtant, je suis tombé récemment sur un encart intéressant au détour d'un article rapportant une expérience novatrice de pédagogie des sciences[1]. Cet encart présente brièvement les réponses d'enfants de cycle 3 (CE2 à  CM2) à  la question Quand tu fais des sciences à  l'école, fais-tu un travail de chercheur ?. Les réponses sont variées :

  • oui : dans les deux cas, on cherche une réponse à  une question, on fait des choses sans savoir ce que ça va donner et on explore des choses que l'on ignore
  • non : on ne cherche pas de la même façon (c'est plus difficile pour le chercheur qui cherche des choses inconnues), on ne se déplace pas et on n'invente pas, on cherche dans les livres et pas dans le monde.

C'est intéressant de voir qu'en effet, les élèves font très peu la différence qualitative entre la recherche au laboratoire et la recherche à  l'école. Dans le premier cas pourtant, il n'y a aucun enseignant pour donner la bonne réponse : le doute est permanent. Dans le second cas, l'état de naïveté face aux résultats n'est que provisoire, le temps pour l'enseignant d'expliquer ce que l'on observe. Le chercheur est bien dans l'invention permanente, et il ne peut compter que sur lui-même pour mettre fin à  l'état de doute qui le mine et le motive à  la fois. Alors, oui, cela fait de l'activité du chercheur une activité quantitativement plus difficile que celle de l'élève. Mais cela en fait surtout quelque chose de tout autre. Cette nuance épistémologique, pourtant si évidente pour nous autres, est loin d'être acquise.

Dans le même genre, on se souviendra du concours de dessin "Dessine-moi un chercheur" dont les résultats furent présentés lors de la nuit des chercheurs 2007, à  Paris. Extraits ci-dessous :

Tous les éléments de contexte y sont : le laboratoire, la blouse, le bécher, les étagères, le tableau blanc etc. Mais il faut croire qu'il manque finalement le plus important, qui ne se transmet pas par un dessin : ce qui fait la spécificité de ce professionnel, ses présupposés épistémologiques. L'image (véhiculée par la littérature et les films des années 50 explique Gianni Giardino) l'aurait emporté sur la compréhension plus intime de la raison d'être de ces chercheurs.

Pourtant, on observe la récurrence du danger dans le laboratoire vu par les enfants : "dang bombe", "boum" Cela pourrait être leur façon de montrer que le chercheur explore l'inconnu, ce qui ne se fait pas sans risques. Pour que cette hypothèse soit valide, il faudrait que la notion de danger soit absente de leur vision des activités scientifiques à  l'école. J'ignore si c'est le cas

Notes

[1] Dominique Bioteau, "Qui apporte les glaçons ?", Cahiers pédagogiques, n° 409, décembre 2002, pp. 37-38.