A tout seigneur tout honneur, regardons d'abord du côté du Centre de sociologie de l'innovation de l'Ecole des mines de Paris, où l'école française de sociologie des sciences est née à  la fin des années 1970 (Bruno Latour et Michel Callon). Bruno Latour a depuis quitté ce petit laboratoire (13 permanents) pour Sciences Po et c'est Madeleine Akrich qui le dirige. Verdict :

La principale caractéristique du laboratoire est la très grande cohérence scientifique des recherches qui y sont menées dans la mesure où elles prennent appui sur un fond commun conceptuel, l'actor-network theory qui met en avant l’importance de la prise en compte des non-humains et des dispositifs matériels dans la fabrique du lien social. Les chercheurs du CSI ont pu ainsi acquérir une position solide dans un certain nombre de champs scientiques qu’ils ont même parfois contribué à  créer comme celui de la sociologie des sciences.

Le comité constate une activité de publication très soutenue et fortement tournée vers l'international, le rôle de défricheur (dans le bon sens du terme) dévolu aux doctorants (qui, ô chance, disposent de bureaux), l'insertion dans des réseaux de recherche internationaux, la collaboration avec de nombreux partenaires, la capacité à  mobiliser des ressources contractuelles etc. A l'inverse, aucun point négatif n'a été constaté, seulement quelques questions sans réponse : que va devenir le leadership scientifique après le départ de deux chercheurs (sur 12) auxquels le laboratoire s'était largement identifié ? La diversification des objets et terrains de recherche, si elle paraît être une bonne chose dans la mesure où elle permet d’aller au-delà  des études de sociologie de la science, ne va-t-elle pas déboucher sur une certaine dispersion des centres d’intérêts couverts par le laboratoire ? Le faible nombre de doctorants peut-il permettre le renouvellement des approches théoriques du laboratoire ? Enfin, les chercheurs du CSI sont incités à  mieux investir, à  partir de leurs travaux, les différents forums de discussions scientifiques disciplinaires plutôt que les réseaux spécialisés comme c'est le cas actuellement. Sans surprise, le laboratoire obtient donc la note maximale de A+.

Vient ensuite le Centre de recherche en épistémologie appliquée (CREA) de l'Ecole polytechnique, où officient notamment Michel Bitbol et Jean-Pierre Dupuy… ainsi que le tristement célèbre Serge Galam ! Le CREA est une équipe qui travaille en épistémologie et modélisation (recourant à  des outils mathématiques avancés issus surtout de la morphodynamique), en interaction avec des physiciens, biologistes, avec des chercheurs des neurosciences, des économistes, des théoriciens des réseaux sociaux. Ses références philosophiques sont principalement néo-kantiennes (Cassirer, mais aussi des réinterprétations originales de Kant) et phénoménologiques. Et c'est en particulier pour ses compétences sur la notion de complexité qu'est reconnu internationalement le CREA, de l'embryogenèse à  l'économie cognitive en passant par la linguistique et l'épistémologie. Le séminaire interne est cité comme un lieu d’interactions vivantes et approfondies, il reste à  améliorer l'insertion des allocataires dans l'enseignement mais l'équipe repart avec son A+.

Le Laboratoire d'histoire des sciences et de philosophie – Archives Henri Poincaré à  Nancy est une plus grosse unité, avec 35 membres statutaires. C'est dire que son déménagement, depuis des locaux exigus vers la Maison des sciences de l'homme de Lorrain, est attendu avec impatience. Généralement, le laboratoire entend privilégier le dialogue entre spécialistes de différents domaines, à  savoir : des scientifiques intéressés par l'histoire et l'épistémologie de leur discipline avec des historiens, philosophes et sociologues formés aux contenus scientifiques. Il dispose notamment pour cela d'un vaste fonds d'archives porté par un programme de numérisation qui exigerait un renfort en ressources humaines et servis par la collaboration de plusieurs établissements universitaires étrangers. Les activités de valorisation des Archives Poincaré sont nombreuses : depuis la conception de quatre films diffusés sur France 5 jusqu’à  la coopération scientifique dans le cadre de la fondation de la chaire « Charles Morazé » au Brésil, en passant par la réalisation d’un Guide de la recherche en philosophie des sciences en France. Les sommaires de la revue Philosophie Scientiae ainsi que la collection des Publications des Archives Henri-Poincaré attestent le beau dynamisme éditorial de ce laboratoire. Malgré un sous-effectif en personnel IATOSS, l'UMR 7117 constitue une équipe dynamique assez bien soudée et l'intérêt porté aux doctorants y est manifeste. Et malgré des problèmes d'organisation dus notamment aux lenteurs bureaucratiques et aux difficultés de l'adaptation aux différents régimes de contractualisation auxquels les équipes de recherche sont désormais voués, (…) les membres des Archives témoignent d'un dynamisme remarquable, par exemple en matière de relations internationales. Ils obtiennent donc la note de A.

Retour à  Paris avec l'unité de Recherches épistémologiques et historiques sur les sciences exactes et les institutions scientifiques (REHSEIS) rattachée à  l'Université Paris 7 – Denis Diderot et dirigée par Karine Chemla. Cohésion, dynamisme, qualité et pertinence de la réflexion, ancrage dans l'environnement institutionnel, interdisciplinarité, innovation, pragmatisme et absence de dogmatisme doctrinal, voilà  ce qui caractérise cette unité selon le comité d'évaluation. Ainsi que le jeune âge des doctorants (ce qui laisse penser que la moyenne nationale est assez élevée). Les recherches s'organisent selon trois axes principaux d’orientation clairement disciplinaire (histoire et philosophie des mathématiques, de la physique, de la médecine, des sciences de la vie et de la terre), eux-mêmes équilibrés par trois axes transversaux. Aussi, étant donné son ouverture sur des disciplines de sciences sociales (sociologie, anthropologie, analyse des mentalités, des outils, etc.), REHSEIS est très présente dans le paysage des travaux d'histoire des sciences accessibles à  un large public. Ce foisonnement d'idée aboutit parfois à  une moindre rigueur, avertit le comité, mais l'unité mérite clairement sa note de A.

Enfin, le petit poucet est l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les sciences et la technologie (IRIST), responsable du Master que je suis actuellement à  l'Université Louis-Pasteur de Strasbourg. Par sa taille d'abord (15 statutaires dont 13 chercheurs et 10 publiants), qui ne suffit pas toujours à  rendre l'IRIST aussi visible qu’il serait souhaitable, mais aussi par sa jeunesse, qui expliquerait une difficulté de positionnement des publications ainsi qu'une difficulté à  capitaliser les connaissances. La pluridisciplinarité y fait loi, tant chez ses chercheurs que dans ses méthodes (études de terrain, études de cas, immersions, archivistique, histoire orale, études comparatives transnationales dans un contexte frontalier) ou ses objets (images, discours, consensus, patrimoines mais aussi objets « circulants » comme les maladies, les médicaments, ou « traumatisants » - et donc révélateurs - comme les catastrophes écologiques, ...). Et puis au côté de la note B (pour information, la note minimum est D), il y a un paragraphe du rapport d'évaluation que je ne peux m'empêcher de citer en entier :

Au-delà  de l'interdisciplinarité, un certain nombre de choix de perspectives donnent une identité repérable à  l'IRIST et à  ses membres : focalisation sur les co-constructions des concepts, des discours, des pratiques et des dispositifs probatoires, tant dans les sciences que dans les interactions sciences/société. En adaptant et en renouvelant opportunément ses voies de recherche (ainsi de l’apparition récente des axes « éthique médicale » et « expertise »), l'IRIST anticipe et se positionne déjà  pour répondre à  certaines demandes sociales émergentes. Il se présente comme un des laboratoires d’épistémologie français les mieux à  même d’assumer (jusqu'à  la recherche-action), mais aussi de renouveler conceptuellement, les perspectives épistémologiques de type Science Studies, encore peu relayées en France. Ce positionnement possède le mérite de mettre directement en dialogue l'IRIST avec des sujets de recherches, des laboratoires et des chercheurs à  l’audience internationale.

Ma conclusion personnelle : on ne s'étonnera pas que je sois obsédé par les science studies (c'est-à -dire la nouvelle sociologie des sciences), en côtoyant une unité qui l'est tant, et je suis donc ravi d'y soutenir prochainement un mémoire qui rentre autant dans ses cordes !