Ma chronique radio de décembre est dédiée à  Tom Roud, qui se demandait si la science doit être rentable. En effet, j'aborde pour une fois une question scientifique très fondamentale (dont je sais qu'elle lui plaira), bien éloignée de mes précédentes histoires sur le LHC, le scandale de la mélamine ou la rentabilité des éoliennes. Ceci pour montrer que les blogs abordent tout aussi souvent des questions plus fondamentales, qui n'attirent pas moins de commentaires. Je pense notamment ces dernières semaines à  des conversations autour de la physique quantique ou des notions de vérité et de réalité (si si !).

Mais c'est d'un autre exemple que je voudrais parler, tiré du blog de Jean Zin. Jean Zin est un libre penseur, fameux pour ses ouvrages de philosophie et à  plusieurs titres ” ce qui lui assure un lectorat nombreux et régulier, qui n'hésite pas à  laisser des commentaires. Dans un billet récent, il se livrait à  un longue réflexion sur l'émergence de l'humanité ("Qui sommes nous ? D'où venons-nous ?"), inspirée par un livre du paléoanthropologue Jean-Jacques Hublin. La discussion tourne essentiellement autour du paléolithique, dont on se fait l'image d'un âge d'or où l'Homme, vit en harmonie avec son environnement, du produit de sa chasse et de la cueillette. Mais en fait, il s'avère qu'Homo sapiens a toujours été violent et a exercé une énorme pression sur son environnement et sur les ressources alimentaires, conduisant finalement à  la disparition de l'Homme de Néandertal.

Voici en fait comment Jean Zin résume les grandes étapes de l'hominisation :

  • le singe se redresse et sa main se libère, ce qui ouvrira le champ des possibles comme la fabrication d'outils
  • notre ancêtre n'a plus besoin de ses poils pour se protéger du soleil (ses cheveux lui suffisent) : il perd ses poils, ce qui lui permet de mieux se rafraîchir, donc d'éviter d'haleter et favorise l'utilisation de la bouche pour communiquer
  • le cerveau se développe, et notre alimentation s'enrichit en viande pour pouvoir lui apporter l'énergie nécessaire
  • notre ancêtre commence à  enterrer ses morts
  • la taille de la population se réduit, pour une raison inconnue, puisque 15.000 individus vivant il y a 50.000 ans suffisent à  expliquer la diversité génétique actuelle
  • après l'anatomie, c'est la société qui se modernise : débuts de l'art, des religions et mythes chamaniques, du langage narratif
  • enfin, avec la révolution néolithique, nos ancêtres domestiquent le chien, se sédentarisent et ouvrent la voie à  l'émergence des grandes civilisations.

A partir de ce billet, les lecteurs vont réagir. Un lecteur demande quel rôle ont joué les drogues dans cette histoire : pour Jean Zin c'est évident, il n'y a pas de société humaine sans drogues. Un lecteur approuve l'idée qu'avec l'apparition de l'agriculture, la qualité des aliments (surtout des céréales) a nettement diminué. Un autre estime qu'un vieil héritage biblique nous fait privilégier à  tort une origine unique à  l'humanité. Un troisième se demande si l'on n'est pas passé d'un extrême à  l'autre et si, finalement, ce n'est pas notre société moderne qui nous fait voir notre ancêtre comme très violent ; selon lui, quand des groupes se rencontrent, ils sont d'abord intéressés par les échanges sociaux et c'est bien ce qui a dû arriver dans la cohabitation avec l'Homme de Néandertal.

Jean Zin répond qu'en effet, les paléontologues sont souvent aveuglés par des croyances ou le politiquement correct, comme cet autre tellement laïque qu'il refusait de reconnaître que les hommes préhistoriques puissent avoir une religion. Par contre, le débat continue, de nombreuses questions restent ouvertes : y a-t-il eu métissage entre l'Homme de Néandertal et celui de Cro-Magnon ? Y'a-t-il eu un seul ou plusieurs foyers d'apparition de l'Homme moderne ? Il faut rassembler plus de pièces du puzzle pour pouvoir y répondre.

On le voit, les blogs permettent vraiment d'aborder tous les sujets scientifiques, même fondamentaux, et d'en discuter avec la Terre entière Par contre, je préfère vous prévenir ; les conversations familiales à  Noà«l risquent de ne pas être toutes de ce niveau-là  !