Dissémination des idées en science (suite)
24
mar.
2009
En janvier 2007, je discutais un modèle de diffusion des idées en science proposé par l'Office of Scientific and Technical Information américain et inspiré des modèles mis au point pour décrire la diffusion des maladies. Il montrait sur une série de cas (prion, théories des cordes ) comment la probabilité et l'efficacité de contact entre chercheurs permet de diminuer le temps nécessaire au développement des connaissances (ou en tous cas, le temps nécessaire à la contamination des chercheurs par une nouvelle idée), sur un schéma très proche de la mémétique.
Ce travail n'était que préliminaire et les auteurs ont depuis perfectionné leur approche, au point de la publier dans la revue Scientometrics. Rien de très différent dans cette publication, si ce n'est un point sur lequel ils ont à mon avis progressé. Je leur faisais en effet le grief d'être trop focalisé sur le modèle épidémiologique (susceptibilité -> exposition -> infection -> résistance) et d'en oublier les facteurs environnementaux. En effet, on peut considérer que les recherches sur le prion auraient pu plafonner vers les années 1990 grâce à un meilleur paramètre "exposition à la théorie des chercheurs susceptibles", au lieu de démarrer à peine, mais ce serait oublier que l'essentiel de cette recherche s'est développé quand le besoin politique s'en faisait sentir avec la crise de la vache folle !
Dans la nouvelle version de leur travail, Bettencourt et ses collègues prennent en compte cet aspect de deux façons, en considérant que :
- des facteurs externes peuvent alimenter le réservoir des scientifiques susceptibles d'être exposés à la nouvelle théorie (plus fort recrutement lié à une réussite ou un intérêt soudain)
- la productivité des chercheurs, c'est-à -dire le nombre de publications supplémentaires par recrue, change en fonction du contexte (plus le volume de financement est élevé plus il sera facile de mettre les nouveaux entrants au diapason et de les faire publier).
Ils montrent ainsi comment la productivité des chercheurs croît avec la masse dans les domaines théoriques et technologiques (nanotubes de carbone, informatique quantique, théorie des cordes) alors qu'elle décroît dans les domaines des sciences biomédicales ! Ceci s'explique à peu près par le fait que dans ces derniers domaines, le coût associé à chaque recrutement (équipement, infrastructure, formation) est très grand par rapport aux sciences théoriques. Mais alors la pôle position des nanotechnologies est une "anomalie", qui s'explique par l'énorme attention médiatique et politique qu'elles reçoivent. Une confirmation plutôt inattendue, s'il en fallait
Commentaires
J'ai parcouru avec intérêt ce papier. Je n'ai peu être pas complètement saisi, mais l'utilisation d'un modèle inspiré de la diffusion des pathogènes utilisé pour modéliser la diffusion des idées en science peu paraître, par bien des aspects, périlleuse. Cette approche ne semble pas prendre très en compte la "mécanistique interne" de la diffusion des idées, liée par exemple à la densité des acteurs dans le réseau/domaine étudié... C'est la partie "infection" de cette approche qui me parait la plus sujette à discussion.
Utiliser un modèle inspiré de la dissémination des pathogènes pour modéliser la diffusion des idées sur un pathogène tel que H5N1 peut être source de confusion (surtout pour le virologue de formation que je suis!). Pour l'exemple du virus influenza A (H5N1), la production des chercheurs ne suit pas l'évolution de la masse. Mais les données produites sur ce sous-type de virus (H5N1) alimentent de manière assez spectaculaire la production scientifique sur les virus influenza en général (et la courbe serait peut-être tout autre). Il me semble y avoir un certain biais dans la comparaison entre domaines (techno/biomédical). Est ce que l'on compare est bien comparable?
En tout cas merci de nous mettre le nez dans scientrometrics. C'est très intéressant.
@Olivier > Moi-même j'avais certaines préventions contre ce type de modèle. Pourtant, et surtout dans la version améliorée, on peut en tirer des enseignements intéressants :
Merci pour ces lumières!
@Olivier > Merci d'être passé et d'avoir lancé la discussion !
En style télégraphique... :-) Comme d'habitude : bravo. Pour ton prochain billet : Bollen et al. PlosOne e4803.
Pablo > Puisque tu es là ... Dans la cartographie en question, "brain research" est très éloigné de "neurology" (et distinct de "brain studies"). Tu aurais une explication à cela ?
Je me suis posé la même question. La 1e hypothese c'est que la représentation ne permet pas de mettre en evidence tous les liens et que les neurosciences ont trop de liens avec trop de disciplines. La 2e, c'est que ces domaines des neuro se "parlent" très peu. Il faudrait voir ce qu'ils ont mis sous ces différentes catégories, mais il est vrai que les "sciences cognitives" et la "neurobiologie" sont à des échelles spatiales tellement distinctes (il y a un "trou" entre "quelques neurones" et "1 mm" soit "quelque 100000 neurones") qu'elles interagissent assez peu.
Et pendant que je suis là : http://www.nature.com/news/2009/090318/full/458274a.html
@ PAblo : c'est marrant d'apprendre que PZ Myers a commencé son blog parce qu'il s'ennuyait. Il y a des gens qui sont quand même un peu gonflés.