On m'a raconté une fois l'anecdote suivante : quand Al Gore était vice-président des États-Unis, il demandait à chaque expert qu'il auditionnait : "Quelles sont vos hypothèses ?". Car il savait bien chaque théorie ou explication avancée par la science repose sur des hypothèses, et la conclusion ne vaut rien si on ne sait pas quelles sont ces hypothèses de départ, les implicites du raisonnement. En plus de répondre à la question “Que sait-on aujourd’hui ?”, l’expert doit donc pouvoir expliquer comment on le sait, si ça tient la route et à quelles conditions.

De cela, je parle dans un ouvrage collectif (La science, éditions Cavalier bleu, collection "Idées reçues") à paraître en 2011. Et puis j'y ai repensé l'autre jour en lisant le livre d'Helen Longino, intitulé Science as Social Knowledge. À l'encontre de la philosophie positiviste, cette philosophe soutient qu'on ne peut dériver ou soutenir de façon strictement logique une hypothèse à partir d'un ou plusieurs faits. C'est pour cela que plusieurs théories peuvent dériver des mêmes observations, et que des faits vieux comme le monde ont été interprétés de façon différente au cours de l'Histoire. Mais à l'inverse de Kuhn et son principe d'incommensurabilité, Longino estime que ces diverses interprétations peuvent être comparées entre elles et discutées, ouvrant la porte à l'inter-subjectivité, source ultime d'objectivité.

L'explication, selon elle, tient au fait que pour une hypothèse donnée, un paquet de convictions, de valeurs et d'implicites sont nécessaire avant de considérer une observation comme pertinente, puis pour interpréter cette donnée et en faire un élément à l'appui de la théorie.

À la lecture de ces arguments, je me suis pris à imaginer ce que serait la recherche si chaque chercheur en avait conscience et en profitait pour jouer la transparence. Chaque présentation en colloque ou article serait précédé de quelques lignes sur les convictions de base du chercheur, ce à quoi il tient, le cadre de valeurs qui sous-tendent son travail. "J'ai été élevé dans une famille chrétienne et je suis convaincu que l'information génétique est un programme de développement nécessaire et suffisant." "Je place au dessus de tout le progrès de l'humanité et suis convaincu que de la technique découle le bien." "Je crois dans la possibilité d'un bien commun et la suprématie du collectif." Cartes sur table…

Ca aurait de l'allure, non ? Et quelque chose de touchant dans l'aveu de petitesse de l'Homme face à ses propres limitations…