La science, la cité

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Colloque CNRS "Sciences et société en mutation" : compte-rendu (1)

Voici un debrefiefing rapide du colloque (programme) qui se tenait hier au siège du CNRS, à  Paris, et que j'avais annoncé il y a plusieurs mois déjà . Toutes les interventions ont été filmées et sont visibles en ligne.

Participation

500 personnes s'étaient inscrites, malgré une publicité minime, avec 48 % de femmes (contre 42,5% au CNRS, soit une sur-représentation des femmes !), 20% de personnel non-CNRS et 29% de spectateurs venues des régions. Trois attentes ont été exprimées majoritairement par le public, lors de l'inscription :

  • qu'est-ce que la communication : raison, méthodes, posture etc. ;
  • besoin de comprendre quels sont les mécanismes à  l'œuvre dans les connexions entre science et société (appel aux sciences humaines, et en particulier à  la sociologie des sciences !) ;
  • comment modifier les politiques de recherche en général pour intégrer l'éthique et les préoccupations de la société.

Introduction par la présidente du CNRS, C. Bréchignac

Introduction très moyenne, pleine de lieux communs : aux scientifiques la rationalité, au grand public l'émotion et la peur. Le but du colloque pour Bréchignac : apprendre à  faire passer les messages dans la société. De dialogue, point. On est mal parti !!

"Une prospective de la société de la connaissance"

Heureusement, Paraskevas Caracostas (conseiller à  la DG Recherche de la Commission européenne) cadre le débat et détruit ces préjugés. Oui, il faut sortir du modèle de l'instruction publique. Non, l'autre solution n'est pas celle d'une recherche menée par les associations et ONG. Entre les deux extrêmes se déploie une palette d'interactions, et une multi-modalité des recherches, où la science n'est pas neutre, pure et désintéressée. De fait, la Commission européenne est passée d'un programme "Science et société" dans le 6e PCRD à  un programme "Science en société" dans le 7e PCRD. Et Caracostas de citer Dominique Pestre à  propos des nouveaux modes de production des savoirs, comprenant la question des modèles d'innovation ouverte et la critique des droits de propriété intellectuelle. Une excellente intervention !

La perception des attentes de la société par les scientifiques

Cette session a un parti pris original, qui sort de l'habituel refrain sur la "perception des scientifiques par le grand public". Il s'agit d'enquêter et d'interroger la perception qu'ont les scientifiques (du CNRS) des attentes de la société. Un film de Joà«lle Le Marec présente 18 entretiens réalisés avec des chercheurs, y compris Baudouin Jurdant.
Pabo Pablo Jensen fait une synthèse des rapports annuels d'activité des laboratoires et chercheurs du CNRS, et présente quelques statistiques : le CNRS organise 7000 actions de vulgarisation par an (conférences, portes ouvertes, interview, accueil de scolaires etc.), mobilisant environ 1/3 des chercheurs. A comparer avec les 3/4 des chercheurs anglais mobilisés dans des actions de vulgarisation, selon un rapport de la Royal Society. 3% des chercheurs vulgarisent très souvent, et sont des "semi-professionnels", représentant 30% des actions ! Les départements "Chimie" et "Vivant" sont les moins actifs et contrairement aux idées reçues, on trouve une corrélation positive entre activité de vulgarisation et promotion CR1 -> DR2 -> DR1 !
Enfin, Daniel Boy présente les résultats d'une enquête menée auprès d'un échantillon de 2075 chercheurs et ingénieurs représentatifs de la population du CNRS. Où l'on s'aperçoit que le désir de rendre service à  la société est la deuxième motivation des chercheurs après la curiosité et que 2/3 des chercheurs se préoccupent de ce que la société pourrait attendre de leurs recherches. 28% des scientifiques pensent qu'il y a une crise entre la société et la science, contre 42% qui pensent qu'il n'y a pas de crise. 56% pensent qu'il y a une crise de vocation des jeunes, particulièrement dans le domaine des sciences de la vie ! 13% des scientifiques pensent que la science ne peut être faite que par des scientifiques et 27% pensent que les expériences de collaboration avec la société civile (associations de malades, etc.) sont intéressantes mais ne changent pas grand chose. Ce qui pourrait convaincre les chercheurs de communiquer encore plus sont d'abord la possibilité de développer des contacts favorables aux recherches, et ensuite d'obtenir des financements !
Je retiens enfin dans le débat l'intervention une chercheuse d'Aix-en-Provence, qui travaille sur la question de l'exclusion et interagit constamment avec politiciens d'une part et associations de la société civile d'autre part, pour qui valorisation et vulgarisation se confondent et, au-delà  de cette transmission, le vrai enjeu est celui de la co-construction : ses propres travaux s'inscrivent dans des préoccupations de société et se définissent avec la participation directe du "tiers-secteur".

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Quand les célébrités disent des bêtises, les scientifiques ne valent pas forcément mieux...

Autant j'aime beaucoup d'habitude le travail de l'organisation Sense about Science (notamment en matière de sensibilisation au peer review), autant leur dernière campagne est largement critiquable. Dans un document PDF de 2 pages (repris par le 20 minutes de Genève), ils répondent à  quelques jugements considérés comme erronés, impliquant la science et tenus par des célébrités (tant qu'à  faire...).

Si Madonna en prend avec raison pour son grade (parce qu'elle imagine qu'il est possible de neutraliser les radiations), d'autres réponses sont moins justifiées. Ainsi, à  la mannequin Elle MacPherson qui se dit heureuse de pouvoir nourrir sa famille avec de la nourriture qui évite des pesticides inutiles (unnecessary) et des additifs alimentaires nocifs, un toxicologue répond que les pesticides sont une part nécessaire de l'agriculture et une diététicienne ajoute que les additifs ne sont pas nocifs pour la plupart des personnes. La première de ces réponses est fausse puisque si l'alimentation de MacPherson, ou le bio en général, n'emploient pas de pesticides (sous-entendu "de synthèse") c'est bien parce que ceux-ci ne sont pas nécessaires (dans le sens de "qui ne peut pas ne pas être"). A moins de comprendre que dans le cadrage (implicite) de cet expert, l'agriculture se réduit à  l'agriculture productiviste et ne s'envisage pas autrement. Quant à  la seconde réponse, elle généralise en parlant de la plupart des personnes, ce qui est bien la position épistémologique de la science, mais ne répond pas aux préoccupations d'un individu en particulier, à  savoir Elle MacPhersen.

Autre exemple : à  l'actrice Joanna Lumley qui considère qu'on ne peut continuer à  gaver les animaux de produits chimiques et d'hormones de croissance, en mentionnant notamment l'explosion des cas de cancer, un docteur répond : 1) que le cancer n'explose pas, 2) qu'il est plus fréquent parce que les gens vivent plus vieux, 3) qu'il faut se baser sur les faits et non sur des peurs, 4) qu'il n'y a pas de preuve absolue que des additifs alimentaires causent le cancer et 5) que nous savons en revanche que la moitié des cancers sont dus au mode de vie (obésité etc.). Bref, il pinaille entre la réponse 1) et 2), en 4) il répond additifs alimentaires là  où Lumley parle d'hormones de croissance (alors qu'évidemment le problème n'est pas le même, souvenons-nous qu'en Europe la viande aux hormones américaine a été très controversée, y compris par les experts) et il se dédouane un peu trop facilement sur le mode de vie en 5) alors que des indices croissants laissent penser qu'il y a un lien avec des activités comme l'agriculture.

Attitude hautaine (les scientifiques interrogés sont à  tu et à  toi avec les stars citées et prennent un malin plaisir à  les détromper), citations sorties de leur contexte etc., voilà  un travail qui (à  mon avis) ne fait pas vraiment honneur à  la science ! Pas forcément par mauvaise volonté de la part des auteurs mais par la nature même du discours scientifique, qui ne peut s'empêcher d'être moralisant -- et qui est limité par ses propres présupposés : généralisation, réductionnisme etc. Surtout, en agissant ainsi et en se concentrant sur les faits, on rate la dimension cognitive et sociologique de ces discours profanes, et on retombe dans le malheureux travers du modèle de l'instruction publique...

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Deux expériences de culture scientifique

Comme François parle de plus en plus de musique dans ses Petites choses du mardi, à  mon tour d'évoquer le groupe Strup X, vu aux Transmusicales de Rennes 2004. Et notamment son clip "A robot is missing" : de la bonne musique électronique et un univers à  la Ed Wood, pas sérieux pour un sou...

Mais pourquoi en parler sur ce blog ? Parce que le clip est tourné dans le laboratoire d'astrochimie expérimentale de l'Université Rennes-I. Et que c'est une élégante manière de détourner la science à  des fins artistiques, de montrer les laboratoires sous un autre jour, de mettre la science en scène, bref de créer une culture scientifique. Comme le fait le botaniste Patrick Blanc avec ses murs végétaux ou l'exposition "Folies végétales" à  l'Espace EDF-Electra (Paris), que je vous encourage fortement à  aller visiter !

 En robe d'hiver...

Les objets scientifiques, mais aussi ses méthodes et ses outils sont, dans nos deux exemples, déplacés vers d'autres univers pour devenir à  la fois plus accessibles et autrement intéressants. C'est un des aspects de la "culture scientifique" décidément riche de nombreuses facettes. Et ici, le soi-disant dialogue "art et science" sort des sentiers battus : au lieu de proposer d'étudier l'art par le spectre de la science (les exemples, essentiellement peu intéressants pour nous, abondent), c'est l'art qui s'approprie la science. Peut-être plus intéressant encore que la science qui se fait art mais reste toujours science

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Un nouvel éléphant blanc, l'Institut des hautes études pour la science et la technologie ?

Le président Chirac l'avait promis le 25 septembre dernier, il vient de tenir parole (si si !) :

Pour permettre une meilleure diffusion, dans la société, de la culture scientifique et technique, j'ai demandé au gouvernement de créer, avant la fin de l'année un Institut des hautes études pour la science et la technologie (IHEST).

L'IHEST, inscrit dans le Pacte pour la recherche[1], existe donc depuis le mois dernier. Concrètement, son fonctionnement est assez flou, malgré le site Internet dédié. Il semblerait que l'institut organisera un cycle annuel de formation, destiné à  une cinquantaine de membres de la société civile... choisis sur leur CV et lettre de motivation, après contribution de 3000 € (qui peuvent être pris en charge par l'employeur au titre de la formation continue).

La forme est originale, a le mérite de considérer la culture scientifique dans un sens assez large et fera probablement quelques heureux. Mais si c'est avec cette initiative isolée et centralisée que l'on espère promouvoir "une culture de la recherche et de l’innovation dans la société", je reste perplexe. Pourquoi ne pas s'être appuyé sur les nombreux Centres culturels scientifiques, techniques et industriels (CCSTI) qui parsèment notre territoire depuis une dizaine d'années maintenant, et ont acquis depuis une certaine expérience ?...

Bref, éléphant blanc peut-être, mais il ne faut pas cracher dessus non plus. En fervent partisan de la "mise en culture" de la science[2] chère à  Jean-Marc Lévy-Leblond, je ne refuse aucun dispositif nouveau et croit en la diversité des initiatives. Pourtant, nous avertit Lévy-Leblond, il faut pour cela aller "à  l'encontre d'une politique technocratique ou paternaliste". C'est pas gagné...

Notes

[1] D'après le Pacte pour la recherche adopté en novembre 2005, "l'IHEST assurera une mission de formation et contribuera à  la diffusion de la culture scientifique dans la société (pouvoirs publics, entreprises, associations, syndicats, chercheurs, enseignants, journalistes) et à  l'animation du débat autour de la science et de ses progrès".

[2] Pour "mettre en culture la science et la technique", "il ne s'agit pas seulement de partager le savoir, mais de le changer. Multiplier les échanges des milieux scientifiques techniques avec le corps social doit modifier, et la science et la société. On ne peut mettre la science en culture sans la mettre en question." ("Pour des centres culturels scientifiques et techniques" in L'Esprit de sel, Points Seuil, 1984) (voir l'extrait complet sur mon wiki)

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Blaise Pascal et la diffusion des sciences

A voir, la conférence-débat de Gérard Wormser à  l'ENS Lyon, intitulée "Science et société (la société a ses raisons que la raison ignore)". Le fondateur du site sens-public.org y développe une approche très philosophique, dont je retiens l'argument basé sur la citation suivante de Blaise Pascal (tirée de De l'esprit géométrique), donnée en introduction :

On peut avoir trois principaux objets dans l'étude de la vérité. L'un, de la découvrir quand on la cherche. L'autre, de la démontrer quand on la possède. Le dernier, de la discerner d'avec le faux quand on l'examine. Je ne parle point du premier, je traite particulièrement du second car il enferme le troisième. (...) Il faut auparavant que je donne l'idée d'une méthode encore plus éminente et plus accomplie mais où les hommes ne seraient jamais arrivés, car ce qui passe la géométrie nous surpasse et néanmoins il est nécessaire d'en dire quelque chose quoi qu'il soit impossible de la pratiquer. Cette véritable méthode, qui formerait les démonstrations dans la plus haute excellence, s'il était possible d'y arriver, consisterait en deux choses principales : l'une, à  n'employer aucun terme dont on n'eût auparavant expliqué nettement le sens ; l'autre, de n'avancer jamais aucune proposition qu'on ne démontra par des vérités déjà  connues. C'est-à -dire, en un mot, à  définir tous les termes et à  prouver toutes les propositions. (...) Certainement, cette méthode serait belle mais elle est absolument impossible, car il est évident que les premiers termes qu'on voudrait définir en supposeraient de précédents pour servir à  leur explication, et que de même les premières propositions que l'on voudrait prouver en supposeraient d'autres qui les précéderaient, et ainsi il est clair qu'on n'arriverait jamais aux premières. (...) D'où il paraît que les hommes sont dans une impuissance naturelle et immuable de traiter quelque science que ce soit soit dans un ordre absolument accompli.

La science ne peut parvenir à  cette situation idéale où elle pourrait démontrer l'ensemble des thèses lui permettant d'accéder à  la vérité, en particulier à  cause des limitations du langage... Il est donc difficile de passer des intuitions de la connaissance aux démonstrations, sachant qu'une partie des hypothèses de nos démonstrations ne sont fondées que sur des convictions, suffisamment partagées pour paraître valides mais non démontrées. On est loin ici des relations science/société, mais Wormser conclut ainsi sa conférence :

La conséquence de la phrase de Pascal que je citais en commençant est que seule une communauté scientifique produit la validation des hypothèses qui nous permettent, à  défaut de connaissance sur les fondements même du savoir, de disposer d'hypothèses partagées. A l'autre bout, seul un dialogue permanent de la science et des scientifiques avec les composantes moins scientifiques des sociétés dans lesquelles nous nous trouvons peut permettre de rétablir la confiance là  où elle aurait été entamée. Sur ce point, je pense qu'il faut avoir une très grande confiance dans la capacité de l'esprit humain, puisque les mêmes qualités qui ont permis à  l'esprit humain de développer toute la science et toute la technologie dont nous bénéficions et dont nous sommes les acteurs, ces mêmes qualités peuvent venir à  l'œuvre dans le dialogue avec les scientifiques, dès lors que ce dialogue n'est pas fondé sur l'idée qu'il n'y a pas de partage possible, qu'il n'y a pas de consentement possible ou qu'il n'y a pas d'objection possible à  ce que chacun, dans notre laboratoire, aurions développé de manière solitaire.

P.S. : En réponse à  une question du public, Wormser constate que nous sommes aujourd'hui actifs face à  l'information (en particulier scientifique) diffusée par les médias, et capables d'exercer un contrôle. J'y vois moi une apologie des blogs et de l'interactivité qu'ils permettent ;-)

P.P.S. : Il y a toujours dans ce genre de débats un moment où la discussion s'échauffe. Ici, c'est à  partir de 1h24'50''...

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