La science, la cité - Mot-clé - histoire
"La science, la cité" par Enro, alias Antoine Blanchard
2022-01-02T10:30:39+01:00
Antoine Blanchard
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Dotclear
Petite histoire des blogs de science en français
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2014-09-08T22:16:00+02:00
2014-09-08T22:16:00+02:00
Antoine Blanchard
Général
blogculture scientifiquehistoireInternet
<p>Il y a quelques mois, un chercheur en histoire culturelle m’a contacté suite au <a href="http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/manifestations/13_14/14_02_11.html">colloque “Histoire de la culture scientifique en France : institutions et acteurs”</a> organisé à Dijon en février. Dans le cadre de l’édition des actes, il souhaitait élargir le périmètre des thèmes traités et m’a demandé de <q>faire un article de synthèse sur l’histoire des blogs de science</q>. J’ai longtemps hésité avant d’accepter, et j’ai profité de l’été pour retourner dans mes archives personnelles et fouiller ma mémoire afin d’écrire ce chapitre. <a href="https://docs.google.com/document/d/1-5tRNXCR2pegBHqX4kKJziwYtIUFodQYI5vmZs5RMRU/pub">Le voici en version auteur</a> : j’en suis assez fier. N’hésitez pas à laisser un commentaire pour signaler une erreur ou combler un manque.</p>
<iframe src="https://docs.google.com/document/d/1-5tRNXCR2pegBHqX4kKJziwYtIUFodQYI5vmZs5RMRU/pub?embedded=true" height="880" width="740"></iframe>
Les experts sont-ils formels ?
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2011-04-15T10:47:33+00:00
2011-04-22T12:37:33+00:00
Antoine Blanchard
Général
expertise scientifiquehistoirerelations science-société
<p><em>J'ai écrit avec quelques camarades du <a href="http://www.groupe-traces.eu/">groupe Traces</a> un livre collectif intitulé</em> Les scientifiques jouent-ils aux dés ?<em>, à paraître aux <a href="http://www.lecavalierbleu.com/">éditions du Cavalier Bleu</a> dans la collection "Idées reçues Grand angle". Son principe : analyser nombre d’idées reçues sur la science et sur ceux qui la font, en mobilisant les travaux de l'histoire, sociologie et philosophie des sciences. L'ouvrage a été dirigé par Bastien Lelu et Richard-Emmanuel Eastes, et préfacé par Dominique Pestre. Mélodie a déjà publié <a href="http://infusoir.hypotheses.org/804">son texte sur la vulgarisation</a>, voici le mien sur l'expertise (version de l'auteur, différente de la version finalement publiée).</em></p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/couv_traces.jpg" alt="" /></p>
<h3>L'expertise, qu'est-ce c'est ?</h3>
<p>L'expert, c'est d'abord le spécialiste, comme les héros de cette série télévisée qui se livrent à des reconstitutions de scènes de crime ou à l'identification d'empreintes ADN. Équipés de leurs outils, armés de connaissances bien maîtrisées, ils sont capables de donner du sens à des éléments d'information épars et incomplets. Une flaque de sang, un lambeau de tissu sous un ongle… Leur théâtre d'action est surtout mécanique, parfois aseptisé, offrant des conditions de travail très proches de celles du laboratoire et permettant de mettre naturellement en application un savoir scientifique et technique.</p>
<p>Mais il y a une autre figure de l'expert. Dans la presse, face à un tribunal ou lors d'une audition parlementaire, l'expert est un spécialiste qui doit sortir de son champ d'action contrôlé et mettre son savoir en situation. Il n'est plus simplement chargé d'objectiver ou de quantifier, et on lui demande de préciser d'où il parle, de fournir des arguments avec un degré de confiance qui peut être inférieur à 100% et d'avancer des recommandations. Ce qui compte alors, c'est non seulement la science froide et solide, mais aussi les théories en émergence, la culture des communautés scientifiques, leurs présupposés. On raconte ainsi que quand Al Gore était vice-président des États-Unis, il demandait à chaque expert qu'il auditionnait : "Quelles sont vos hypothèses ?" Car il savait bien que chaque théorie ou explication avancée par la science repose sur des hypothèses, et que la conclusion ne vaut rien si on ne sait pas quelles sont ces hypothèses de départ ou implicites du raisonnement. Quand un biologiste explique qu'un maïs OGM est équivalent en substance au même maïs non OGM, c'est que pour lui la transgenèse découle des techniques précédentes de sélection variétale et ne constitue pas une rupture conceptuelle ou technique.</p>
<p>Lorsque la parole de l'expert devient publique et sert de passerelle entre science et décision, c'est de sa responsabilité de rendre cet échaufaudage intellectuel visible, et de celle des autorités de mettre en œuvre une expertise contradictoire qui confronte les points de vue et ose faire ressortir les divergences. En ce qui concerne les OGM par exemple, <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2007/01/07/87-ogm-et-cultures-epistemiques-des-chercheurs">il a été montré</a> que les généticiens n'ont globalement pas les mêmes positions que les écologues ou les agronomes. Et surtout, ils ne basent pas leurs positions sur les mêmes arguments et considérations, ce qui force à prendre de la distance ou au moins à remettre en perspective l'éclairage des experts.</p>
<p>Sinon, les conséquences peuvent être graves. L'expert ne se contente pas de donner un avis mais conduit à ériger des normes, les hiérarchiser, et contribue ainsi à énoncer de nouvelles règles de comportement qui structurent le monde où nous vivons — qu'il s'agisse d'autoriser des aliments nouveaux, d'encadrer les nouvelles pratiques de procréation médicalement assistée ou de réguler le commerce international.</p>
<h3>Faut-il avoir confiance dans l'expertise ?</h3>
<p>L'expertise scientifique sert souvent à éclairer l'action politique. Qu'elle soit le fait d'un corps constitué, comme l'Académie des sciences dont c'est l'une des missions, ou d'individus volontaires, elle permet de mettre les savoirs techniques au service de la société. Cependant, il arrive aux décideurs de faire appel aux experts pour recouvrir leurs décisions d'un vernis d'objectivité (au lieu d'assumer les valeurs qui les justifient) ou se dédouaner de leur responsabilité en cas d'impopularité ou d'échec. Les chercheurs continuent cependant à se porter caution parce qu'ils y trouvent leur intérêt, justifiant ainsi les investissements consacrés à la recherche scientifique et se prévalant du rôle de "conseiller du prince" considéré comme privilégié. Ce petit jeu peut être risqué : en entretenant leur "privilège d'extra-territorialité politique" (comme l'appelle Jean-Marc Lévy-Leblond), les chercheurs veulent échapper à la juste règle commune et peuvent se retrouver pris au piège entre une fausse autonomie et un effilochement des alliances avec le corps social. C'est-à-dire qu'à vouloir imposer à tous leur rève d'un savoir objectif et positif, à la fois utile pour eux et l'humanité entière, ils se retrouvent vidés du sens premier de leur mission et du soutien collectif.</p>
<p>C'est une des raisons pour lesquelles les institutions ou laboratoires de recherche ne doivent pas perdre de vue l'environnement dans lequel elles avancent et ce qui leur permet de tenir une position d'expertise indépendante et impartiale. Jusqu'à l'émergence du débat public sur les OGM, l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) se positionnait comme un fer de lance de l'innovation variétale, obtenant de nouvelles variétés destinées aux agriculteurs français, y compris transgéniques. Il s'apprêtait vers 1995-1996 à mettre sur le marché un colza génétiquement modifié, tolérant à un herbicide, co-développé avec des sociétés semencières privées. Mais la direction de l'Inra fit volte-face en 1997-1998, pour ne pas perdre sa légitimité à intervenir ensuite comme expert dans l'espace public. Cette barrière que l'Inra décida de ne pas franchir n'est pas toujours identifiable facilement. Les experts d'un domaine se retrouvent parfois à conseiller des entreprises privées et à siéger dans des comités d'homologation, sans y voir forcément de conflit d'intérêt… et en profitant même de ces diverses activités pour enrichir leur expertise !</p>
<p>C'est pourquoi on fonde de plus en plus la légitimité de l'expertise non plus sur la légitimité de la science mais sur des procédures contrôlables. Ces procédures ont déjà été évoquées : expertise collective et non individuelle, contradictoire plutôt qu'appuyée sur les seules positions qui font consensus, mentionnant les avis minoritaires, transparente et indépendante. Au lieu de contenir l'incertitude et de chercher à la réduire, il s'agit de la cerner et la rendre visible. Et tenter de cadrer le moins possible les experts : si le Comité permanent amiante (1982-1995) n'a pas permis de faire émerger le risque de ce matériau pour la santé publique et d'en interdire l'usage, c'est parce qu'il était pris dans un dispositif qui lui laissait comme seule possibilité d'intervention le contrôle de l'exposition professionnelle.</p>
<h3>Les nouvelles tendances de l'expertise</h3>
<p>L'expertise scientifique a longtemps été le fait de chercheurs engagés. Mais depuis la fin des années 1970, on assiste à une transformation des mobilisations des chercheurs, qui ne se reconnaissent plus dans l'image du communiste Frédéric Joliot-Curie ou du "chercheur responsable" qui politise son champ de compétence. À la place, on voit émerger la figure du "lanceur d'alerte" sanitaire ou environnementale, plus rare, individuel et moins directement en porte-à-faux avec l'institution. Les collectifs de chercheurs engagés, porteurs d'une contre-expertise comme dans les domaines du nucléaire ou de la santé, ont quasiment disparu au profit des organisations de la société civile (associations de malades, de solidarité, écologistes…). Ce mouvement est à la croisée de quatre tendances complémentaires, amenées à se développer :</p>
<p><ul>
<li>face à des enjeux de plus en plus globaux et complexes (comme le climat ou la biodiversité), l’expertise scientifique participe souvent davantage à l’extension de la controverse et à la polarisation des débats qu’elle ne permet d’en sortir ; plutôt que d'attendre la preuve scientifique formelle, on en vient à privilégier une attitude comme celle du principe de précaution, qui fait valoir que l’absence de preuves ne saurait empêcher l’adoption de mesures destinées à prévenir un dommage. La trajectoire entre le laboratoire et l'expertise devient moins linéaire, remplacée par un processus d'apprentissage collectif au fur et à mesure que les certitudes évoluent ;</li>
<li>le corps social dans son ensemble profite de cette recherche en plein air. Au moment même où le niveau de scolarisation progresse, le credo du progrès est mis à distance et l'État décline, les frontières entre professionnels des institutions scientifiques et autres acteurs (usagers, malades, publics, praticiens, militants…) ne peuvent que devenir poreuses, impulsant une société de la connaissance disséminée :</li>
<li>les savoirs et engagements profanes sont reconnus pour leur légitimité et leur utilité, venant compléter les savoirs scientifiques experts. Cette combinaison a fait ses preuves dans de nombreux cas, des bergers anglais dont l'expérience locale peut être plus opératoire que des savoirs scientifiques plaqués abruptement aux malades du sida intervenant dans la conception de nouveaux essais thérapeutiques ;</li>
<li>les citoyens et groupes concernés s'impliquent de plus en plus dans les décisions, approfondissant ainsi la démocratie délégative par une démocratie dialogique avec une multiplication des espaces de débats et de choix (démocratie technique participative, conférences de citoyens…).</li></ul></p>
<h3>Bibliographie :</h3>
<p><ul>
<li><del>Jacqueline</del> Janine Barbot (2002), <em>Les Malades en mouvements : la médecine et la science à l’épreuve du sida</em>, Paris : Balland</li>
<li>Christophe Bonneuil (2005), "<a href="http://sciences-medias.ens-lyon.fr/article.php3?id_article=56">Les transformations des rapports entre sciences et société en France depuis la Seconde Guerre mondiale : un essai de synthèse</a>", in Joëlle Le Marec et Igor Babou (dir.), <em>Actes du colloque Sciences, Médias et Société</em>, École normale supérieure Lettres et sciences humaines, Lyon 15-17 juin 2004, p. 15-40</li>
<li>Christophe Bonneuil (2006), "<a href="http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00140594">Cultures épistémiques et engagement des chercheurs dans la controverse OGM</a>", <em>Natures Sciences Sociétés</em>, vol. 14, pp. 257-268</li>
<li>Christophe Bonneuil et Frédéric Thomas (2008), "L'Inra dans les transformations des régimes de production des savoirs en génétique végétale", in Christophe Bonneuil, Gilles Denis et Jean-Luc Mayaud (dir.), <em>Sciences, chercheurs et agriculture</em>, Paris : L'Harmattan/Éditions Quæ, pp. 113-135</li>
<li>Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe (2001), <em>Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique</em>, Paris : Seuil</li>
<li>Emmanuel Henry, "<a href="http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00135903/fr/">Militer pour le statu quo. Le Comité permanent amiante ou l'imposition réussie d'un consensus</a>", <em>Politix</em>, n° 70, pp. 29-50</li>
<li>Pierre-Benoît Joly (1999), "Besoin d'expertise et quête d'une légitimité nouvelle : quelles procédures pour réguler l'expertise scientifique ?", <em>Revue française des affaires sociales</em>, vol. 53, pp. 45-53</li>
<li>Jean-Marc Lévy-Leblond (1996), <em>La Pierre de touche</em>, Paris : Gallimard Folio essais</li>
<li>Naomi Oreskes (2004), "Science and public policy: what's proof got to do with it?", <em>Environmental Science & Policy</em>, vol. 7, pp. 369-383</li>
<li>Philippe Roqueplo (1996), <em>Entre savoir et décision, l'expertise scientifique</em>, Paris : INRA Éditions</li>
<li>Alexis Roy (2002), <em>Les experts face au risque: le cas des plantes transgéniques</em>, Paris : Presses universitaires de France</li>
<li>Brian Wynne (1992), "Misunderstood misunderstanding: Social identities and public uptake of science", <em>Public Understanding of Science</em>, vol. 1, pp. 281-304</li></ul>
La vie secrète des objets de laboratoire
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2010-12-11T19:12:40+00:00
2010-12-14T10:04:04+00:00
Antoine Blanchard
Général
histoirephysiquesociologie des sciencesépistémologie
<p>On les connaît tous : éprouvette, mouche drosophile, <a href="http://www.larecherche.fr/content/recherche/article?id=19761">souris "inbred"</a>, microscope, plante modèle <em>Arabidopsis thaliana</em>, lignées cellulaires, <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2007/03/10/132-dialogue-sur-la-pcr">PCR</a>, lames de verre, <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2010/06/01/430-petite-mythologie-du-traitement-d-image">Lena</a>… ces objets qui font le laboratoire sont véritablement les stars de la recherche. Mais tous n'ont pas le même statut : certains sont des objets techniques, qui créent les conditions expérimentales nécessaires à l'étude des objets épistémiques, ceux dont on ne sait pas tout<sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2010/12/11/444-la-vie-des-objets-de-laboratoire#pnote-444-1" id="rev-pnote-444-1">1</a>]</sup>. Et la limite entre les deux est mouvante : l'éprouvette était un simple objet technique, une boîte noire sans problème, jusqu'au jour où l'on s'est rendu compte qu'<a href="http://www.nature.com/news/2008/081106/full/news.2008.1212.html" hreflang="en">elle peut contaminer les expériences en relarguant certaines substances chimiques</a> ! L'équipe qui s'est lancée à la poursuite de ces substances a donc fait de l'éprouvette un objet épistémique, à déterminer, à l'aide d'autres objets techniques (en l'occurrence un spectromètre de masse).</p>
<p>Si je vous parle de tout ça, c'est parce que deux articles sur le sujet sont parus dans la dernière livraison du <em>British Journal for the History of Science</em>. <a href="http://journals.cambridge.org/action/displayAbstract?aid=7892279" hreflang="en">Le premier</a> raconte la brève histoire du raton-laveur, utilisé aux États-Unis pour des études sur le comportement animal entre 1907 et 1928. <a href="http://depts.washington.edu/ssnet/ModyandLynch_Test_objects.pdf" hreflang="en">Le second</a> s'attarde sur le silicium (111) 7 x 7, "mètre-étalon" de la science des surfaces. Deux histoires méconnues donc intéressantes, en plus d'être pertinentes.</p>
<p>Le raton-laveur fait pleinement partie de l'histoire des États-Unis. Les esclaves le chassaient à la tombée de la nuit, quand leurs maîtres les laissaient tranquilles, attrapant ainsi le surnom péjoratif de "Coon" (d'où l'anglais "raccoon", ration-laveur). D'où l'enseigne (raciste) de cette ancienne chaîne de restauration rapide, Coon Chicken.</p>
<p class="center"><a href="http://www.flickr.com/photos/redraspus/3048047878/" title="Sad, senselessly racist matchbook from the Coon Chicken Inn in Seattle, WA."><img src="http://farm4.static.flickr.com/3173/3048047878_95bc181e3e_d.jpg" alt="Sad, senselessly racist matchbook from the Coon Chicken Inn in Seattle, WA." style="border: solid 1px #999; padding:6px;"></a><small>©© RedRaspus</small></p>
<p>Le raton-laveur est aussi un animal "curieux", ce qui le pousse à un comportement malicieux et fripon. Qu'est-ce que ça veut dire ? Tel était l'enjeu des études sur le comportement du raton-laveur, et plus largement de la psychologie comparative. L'allemand Karl Groos et l'américain James Mark Baldwin pensaient que la curiosité était le moteur du jeu, et donc de l'apprentissage. D'où l'intérêt d'étudier son évolution ontogénique et phylogénique. Pour d'autres chercheurs plus pragmatiques, la curiosité permettait aux animaux d'exécuter les tâches requises sans recourir à la peur ou la faim. À cet égard, le raton-laveur était pour certains un animal d'un tout autre genre que le rat, le chat ou le chien, quasiment humain dans sa façon d'apprendre et de créer rapidement des associations complexes entre actions, même pendant qu'il était distrait par autre chose.</p>
<p>Pourtant, le nombre de modèles expérimentaux en éthologie s'est fortement réduit dans les années 1930, comme dans de nombreuses disciplines, et le raton-laveur s'est effacé devant la souris et le singe — et l'étude de la curiosité avec lui (jusque dans les années 1950 et l'arrivée du néo-behaviorisme). On peut y voir la victoire des animaux faciles à élever et à domestiquer, mais sans doute aussi des animaux plus facilement "standardisables", moins marginaux (à tous points de vue) que le raton-laveur.</p>
<p>La standardisation, c'est aussi ce qui explique l'histoire du silicium (111) 7x7 — sauf que nous passons maintenant dans le camp des vainqueurs. Cette configuration particulière d'atomes de silicium, une des plus complexes qu'il soit, s'obtient <del>en découpant</del> à partir d'un cristal de <del>silice</del> silicium<del> selon un plan particulier</del>, sous ultra haut vide. Pas si anodin que ça, le Si(111) 7x7 a été entre les années 1950 et les années 1980 le cœur d'une nouvelle <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Science_des_surfaces">science des surfaces</a>, se constituant à la marge de l'industrie de l'électronique (qui l'a financée avec sa R&D), et sur les forces vives de la physique de l'état solide et la physique des électrons. Une bonne tête de vainqueur, pas comme notre raton-laveur… Mais pourquoi ?</p>
<p class="center"><a href="http://www.flickr.com/photos/89235234@N00/4346699820/" title="Si (111) 7 x 7 reconstruction"><img src="http://farm5.static.flickr.com/4003/4346699820_e67f3b7ab1_d.jpg" alt="Si (111) 7 x 7 reconstruction" style="border: solid 1px #999; padding:6px;"></a><small>©© Denis Trente-Huittessan</small></p>
<p>Pour pouvoir utiliser leurs appareils de mesure comme les diffractomètres ou les spectroscopes, les scientifiques des surfaces ont besoin de surfaces de test qu'ils puissent reconnaître, pour contrôler la qualité des observations. Au fur et à mesure qu'ils affinaient leurs instruments et que leur pouvoir d'observation augmentait, ils maîtrisaient mieux la fabrication de surfaces de silicium pures, les deux se tirant mutuellement vers le haut. La fabrication du Si(111) 7x7 servait également de test auquel on soumettait les nouveaux venus. Mais ces objets n'étaient pas entièrement connus pour autant. Jusqu'à l'arrivée du <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Microscope_à_effet_tunnel">microscope à effet tunnel</a>, les observations du Si(111) 7x7 devaient être <a href="http://surface-science.uni-graz.at/main_frame/techniques/leed.htm" hreflang="en">déchiffrées et reconstruites</a> avant de pouvoir proposer un modèle plausible d'arrangement des atomes en surface. À côté des objets techniques et des objets épistémiques, les auteurs proposent de ranger le Si(111) 7x7 dans la classe des objets tests — ceux qui servent à tester l'expérimentateur ou son expérience, en même temps qu'ils génèrent de nouvelles connaissances.</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2010/12/11/444-la-vie-des-objets-de-laboratoire#rev-pnote-444-1" id="pnote-444-1">1</a>] On doit cette distinction à Hans-Jörg Rheinberger, <em>Toward a History of Epistemic Things: Synthesizing Proteins in the Test Tube</em>, Stanford: Stanford University Press, 1997.</p></div>
Lecture automnale : "Les arpenteurs du monde" de Daniel Kehlmann
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2010-10-02T18:38:59+00:00
2010-10-03T16:57:09+00:00
Antoine Blanchard
Général
culture scientifiquehistoirelivre
<p>Ce qui est bien avec cet ouvrage paru en 2005 et traduit en français en 2007, c'est qu'il a eu un succès fou (vendu à plus d'un million d'exemplaires et traduit dans une quarantaine de pays). Je ne suis donc pas le premier à vous en parler, et vous découvrirez <a href="http://alasource.aliceblogs.fr/blog/_archives/2007/1/27/2692837.html">chez David</a> que l'auteur ne s'explique pas ce succès : <q>"Mon livre est comme quelque chose de sérieux qui serait devenu fou", s'amuse l'auteur, d'à peine trente ans. Gerd Voswinkel, qui a détecté très tôt le talent de Kehlmann en lui décernant le prix Candide, ose une explication pour ce phénoménal succès : "l'Allemagne reprend peut être confiance en elle".</q> <a href="http://science-for-everyone.over-blog.com/article-11012920.html">Avec Benjamin</a>, vous apprendrez tout des deux protagonistes, Carl Friedrich Gauss (1777-1855) (<q>un des plus grands mathématiciens de tous les temps</q>) et Alexander von Humboldt (1769-1859) (<q>un grand explorateur ayant fait de nombreuses découvertes en Amérique du sud</q>), mis en scène dans une fiction largement inspirée de la réalité. Enfin, <a href="http://carnetsdejlk.hautetfort.com/archive/2007/01/09/une-paire-de-doux-foldingues.html">vous saurez grâce à JLK</a> que sous un ton débonnaire se cache une satire qui montre <q>les aspects tout humains de vieux gamins égomanes ou de tyrans domestiques, de même que les Lumières philosophiques de l'époque (Kant toussote encore dans son coin) vont de pair avec de vraies ténèbres politiques ou policières</q>.</p>
<p class="center"><a href="http://www.flickr.com/photos/enro/5047610938/" title="Punasiirtymä (Redshift) par Petri Eskelinen, 2009, Espoo Museum of Modern Art"><img src="http://farm5.static.flickr.com/4092/5047610938_e101eab172.jpg" width="500" height="375" alt="photo.jpg" /></a></p>
<p>En alternant les chapitres consacrés à Gauss et ceux consacrés à Humboldt, <q>le roman confronte deux façons d'explorer le monde à la fois opposées et complémentaires – Humboldt sillonne et cartographie le monde du fin fond de l'Amazonie au bout des steppes sibériennes, tandis que Gauss scrute les nébuleuses mathématiques ou les galaxies physiques sans quitter ses savates – et deux attitudes par rapport à la science : l'optimisme scientiste pour Humboldt, et le scepticisme plus humble pour Gauss</q> (<a href="http://carnetsdejlk.hautetfort.com/archive/2007/01/09/une-paire-de-doux-foldingues.html">JLK encore</a>). On a donc droit autant à des descriptions du monde des Lumières que du processus scientifique, des liens avec le pouvoir, et de la personnalité de ces "doux foldingues".</p>
<p>Au-delà de l'évident plaisir de lecture, grâce au style érudit et drôle de Daniel Kehlmann, j'ai aimé les portraits sans concession de la science telle qu'elle se fait. Humboldt qui occulte son compagnon d'expédition <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Aimé_Bonpland">Bonpland</a> et feint de s'en offusquer ; le même Humboldt qui affirme sans sourciller que les hommes ne volent pas, que même s'il le voyait il ne le croirait pas, et que c'est exactement ainsi que fonctionne la science ; j'en passe et des meilleurs. On dit souvent que les vies trépidantes de ces héros (parfois tragiques) font les plus belles histoires. Mais pas seulement car ce "roman historique" est hallucinant de justesse et de clairvoyance sur notre monde contemporain. Et c'est sans doute là que se cache la force de cet excellent livre (vous l'aurez compris !).</p>
Les surprises de l'histoire des sciences
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2010-08-03T12:23:37+00:00
2010-08-03T18:26:37+00:00
Antoine Blanchard
Général
génétiquehistoire
<p>J'ai beau savoir que l'histoire des sciences ne se résume pas à un progrès et qu'il faut se lever tôt pour y trouver un sens, je continue à être surpris par ses multiples méandres. Prenez l'histoire de la génétique : on connaît tous l'année 1953 qui marque la découverte de l'ADN par Watson et Crick (avec l'aide de Rosalind Franklin). Ce fut une belle prouesse que de donner une forme (de double hélice) à cette molécule si importante pour la vie, marquant l'apogée d'une quête longue de plusieurs décennies. <a href="http://svt.ac-dijon.fr/dyn/article.php3?id_article=228">Cette page</a> retrace bien les étapes que l'on cite en général pour marquer cette chronologie :</p>
<ul>
<li>1879 - W. Flemming : chromatine vue au microscope + chromosome</li>
<li>1902 - Sutton : observation de chromosomes durant la méiose ; même comportement que les facteurs mendéliens ; postulat : les gènes sont sur les chromosomes</li>
<li>1928 - Griffith : transformation bactérienne ; transgénèse bactérienne</li>
<li>1931 - Morgan : recombinaison, crossing-over</li>
<li>1935 - Avery : rôle ADN facteur transformant</li>
<li>1941 - Beadle, Tatum : Neurospora ; relation gène-enzyme</li>
<li>1944 - Avery : ADN support de l’information génétique</li>
<li>1950 - Chargaff : proportion équivalente AT et CG</li>
<li>1953 - Watson, Crick : modélisation double hélice appariement A=T, C=G</li>
</ul>
<p>Je connais bien cette histoire d'ailleurs, mes chats ne s'appellent-ils pas Beadle et Tatum<sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2010/08/03/433-les-surprises-de-l-histoire-des-sciences#pnote-433-1" id="rev-pnote-433-1">1</a>]</sup> ?!</p>
<p class="center"><a href="http://www.flickr.com/photos/enro/4856669170/" title=" "><img src="http://farm5.static.flickr.com/4100/4856669170_a4edb424fd_m.jpg" alt=" " style="border: solid 1px #999; padding:6px;"></a></p>
<p>La surprise, elle, est venue la semaine dernière. En assistant à <a href="http://www.genomicsnetwork.ac.uk/forum/events/title,23708,en.html">un séminaire</a> de <a href="http://www.history.ucla.edu/people/faculty?lid=4296">Soraya de Chadavarian</a> (UCLA), j'ai découvert que pendant que ces messieurs dames cherchaient à comprendre comment est codée l'information génétique, d'autres s'intéressaient à nos chromosomes : combien y en a-t-il, quelles sont leurs anomalies… ? Exactement au même moment ! Ainsi, ce n'est qu'en 1956 qu'on saura avec certitude que l'homme possède 23 paires de chromosomes.<sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2010/08/03/433-les-surprises-de-l-histoire-des-sciences#pnote-433-2" id="rev-pnote-433-2">2</a>]</sup></p>
<p>Pour moi, l'étude des chromosomes (qu'on appelle "cytogénétique") venait forcément avant l'étude de l'ADN, à la fois parce qu'ils sont "au-dessus" en terme d'organisation de l'information, mais aussi parce qu'ils semblent plus faciles d'accès car plus gros. Sans doute est-ce une lecture biaisée par la prédominance de la double hélice d'ADN dans notre représentation de la génétique, comme le "graal suprême" !</p>
<p>Ce qui est aussi intéressant dans cette histoire, c'est que le "moteur" du développement de la cytogénétique fut tout autre que celui du de la biologie moléculaire. Qui dit étude des chromosomes (et <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Caryotype">caryotypage</a> des individus) dit d'abord applications médicales. Michael Court-Brown, qui fut directeur entre 1956 et 1969 de la Medical Research Council Human Genetics Unit à l'hôpital d'Edimbourg, lança par exemple une base de données de carytoypes (Registry of Abnormal Human Karyotypes) et obtint plusieurs résultats importants : première description d’un homme XXY, et du lien avec le syndrome décrit par Klinefelter, première description d’une femme XXX… Mais ces préoccupations médicales avaient une autre origine : l'âge d'or du nucléaire et l'étude des mutations chromosomiques induites par les radiations. C'est ainsi qu'une partie de la génétique a été influencée par la physique nucléaire et les questions de radiation !</p>
<p>Je vous le disais, l'histoire des sciences est pleine de surprises (et de photos de chats) !</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2010/08/03/433-les-surprises-de-l-histoire-des-sciences#rev-pnote-433-1" id="pnote-433-1">1</a>] Et hop, une photo de chat. Au mois d'août on a le droit ;-)</p>
<p>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2010/08/03/433-les-surprises-de-l-histoire-des-sciences#rev-pnote-433-2" id="pnote-433-2">2</a>] Tjio J.H & Levan A. 1956. "The chromosome number of man". <em>Hereditas</em> 42, 1-6</p></div>
Petite mythologie du traitement d'image
urn:md5:e3e9ce7f7a3d0fc04119c203e9871707
2010-06-01T09:36:47+00:00
2010-06-01T10:23:00+00:00
Antoine Blanchard
Général
culture scientifiquehistoire
<p>Les disciplines scientifiques ont souvent leurs petites histoires, leurs anecdotes qui les rendent banalement humaines tout en leur apportant une dose de mythologie. Les physiciens des particules savent par exemple que le nom "quark" fut tiré de <em>Finnegan's Wake</em> de James Joyce ; les astrophysiciens se souviennent que le terme "big bang" fut inventé par Fred Hoyle d'abord pour s'en moquer, avant d'être définitivement adopté par la communauté ; mais <a href="http://twitter.com/MacBrains/status/15112103682">peu d'informaticiens savent</a> d'où provient cette image :</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/len_std.jpg" alt="" /></p>
<p>Attendez
quel est le rapport avec l'informatique ? Cette photo de visage féminin est <a href="http://en.wikipedia.org/wiki/Lenna" hreflang="en">utilisée depuis 1973</a> pour évaluer le résultat d'un algorithme de traitement d'image, qu'il s'agisse de compression, réduction du bruit… Elle s'y prête bien : la photo regorge de détails capables de mettre à l'épreuve le meilleur des algorithmes et contient aussi bien des aplats que des textures et des ombres. Mais quand Alexander Sawchuk, fatigué d'utiliser les images standard de test qui remontaient au début des années 1960, chercha un portrait sur papier brillant pour dépanner un collègue qui devait soumettre un papier à un colloque, il ne se doutait pas qu'il ferait l'histoire. Et pas de n'importe quelle façon : une personne entra alors au laboratoire avec un numéro récent de <em>Playboy</em>, dont l'encart central mettant en scène la délicieuse <a href="http://en.wikipedia.org/wiki/Lena_Söderberg" hreflang="en">Lena Soderberg</a> (agée de 21 ans). La photo était toute trouvée, il ne restait plus qu'à la scanner en coupant aux épaules. La photo dans son entier est on ne peut plus <a href="http://www.lenna.org/full/len_full.html">suggestive</a> (attention, nudité).</p>
<p>Cette "Lenna", comme on surnomme la photo aujourd'hui, n'est pas arrivée par hasard dans les ordinateurs des chercheurs : c'est un monde essentiellement masculin qui préfère travailler sur un joli minois que sur une photo quelconque. Mais de là à utiliser la photo d'une <em>pin up</em> (également sous droit d'auteur, ce qui pose d'autres problèmes sur lesquels le magazine <em>Playboy</em> est passé de façon magnanime), on n'est pas très loin du monde des chauffeurs routiers…</p>
<p>Et apparemment <a href="http://www.ee.cityu.edu.hk/~lmpo/lenna/Lenna97.html">ce n'est pas prêt de s'arrêter</a> : les chercheurs se sont plains au fil du temps qu'il leur manquait des informations précises sur la numérisation originale de la photo pour pouvoir travailler efficacement. Jeff Seideman, président à Boston de la section locale de la <em>Society for Imaging Science and Technology</em>, prévoyait apparemment de re-scanner l'image en collaboration avec les archivistes de <em>Playboy</em> et en faire l'image de référence du XXIe siècle pour comparer les techniques de compression !</p>
<p>Notons aussi que l'année suivante, en 1974, un informaticien <a href="http://en.wikipedia.org/wiki/Hello_world_program#History" hreflang="en">décidait pour la première fois</a> de faire afficher "hello world" à son programme, ouvrant ainsi une tradition qui se perpétue encore aujourd'hui ! Ces années-là se construisit donc la mythologie qui fonde l'informatique aujourd'hui…</p>
Lecture hivernale : "Comment faire taire les grenouilles" de Christophe Recoura
urn:md5:d57c8d7e5a29007f8f7411cbf04d6acc
2010-02-06T15:32:14+00:00
2010-02-06T16:39:21+00:00
Antoine Blanchard
Général
culture scientifiquehistoirelivre
<p>L'an dernier à cette époque, je <a href="http://enroweb.com/blogsciences/index.php?2009/01/16/367-lecture-hivernale-le-bestiaire-amazonien-de-francois-feer">lisais un livre</a> à mi-chemin entre le compte-rendu naturaliste et les miscellanées populaires. J'ai décidé d'approfondir cette veine avec <em>Comment faire taire les grenouilles</em>, un ouvrage courageux de Christophe Recoura <a href="http://www.fypeditions.com/comment-faire-taire-les-grenouilles-2000-ans-de-science-extravagante-et-danimaux-curieux/">paru aux petites éditions FYP</a>. Pourquoi courageux ? Parce que republier des extraits d'encyclopédies naturalistes, illustré d'images rares servies par une belle photogravure et un beau papier, semble promis à un échec à la fois financier et intellectuel. Qu'est-ce que de vieux grimoires ont à nous apprendre sur les animaux aujourd'hui ?!</p>
<p class="center"><img src="http://fypeditions.com/wp-content/uploads/2009/12/grenouilles.gif" alt="" /></p>
<p>Ouvrir ce livre, c'est donc embarquer pour un voyage au pays des cabinets de curiosité, où connaissances savantes et contes populaires se mélangent allègrement. Christophe Recoura puise autant chez Albert le Grand (l'alchimiste) que Pline l'ancien (celui qui mourut près de Pompéi, en allant étudier l'éruption du Vésuve), mais aussi l'abbé Spallanzani (qui mit des culottes aux grenouilles) et Quatremère d'Isjnoval (qui fit d'excellentes prédictions météo en regardant les araignées tisser leur toile). Ces étranges savants sont aussi importants que les textes que Ch. Recoura a compilé pour nous, puisque comprendre les auteurs permet de comprendre les auteurs (et réciproquement) : nous sommes dans un monde où la connaissance n'est pas désincarnée mais se raconte.</p>
<p>Nous avons donc là un pot pourri de petites histoires, qui montre que le savoir a eu ses limites et qu'il en a toujours autant. L'auteur lui-même se trompe au moins une fois sur l'ornithorynque, quand il raconte que Wilhelm Haacke et William Caldwell ont découvert simultanément en août 1884 que l'ornithorynque pondait des œufs (comme on le lit un peu partout). En fait, Haacke (directeur du musée d'Adélaïde) avait découvert le premier œuf d'échidné. Comme il le <a href="http://www.jstor.org/stable/114220" hreflang="en">raconte lui-même</a> :</p>
<blockquote><p>On the 3rd of August, 1884, a number of living specimens of <em>Echidna hystrix</em> were brought to Adelaide from Kangaroo Island, where they had been captured some days previously. I was unable to procure more of them than two, a male and a female, as the others had been disposed of before I heard of them. But those two afforded me the good fortune of making a discovery that, in our days, perhaps no naturalist would have expected to make. I found an egg in the mammary pouch of the female, and was thus enabled to prove that <em>Echidna</em> is really an oviparous mammal. This discovery was made on the 25th of August; it was announced, and the egg was exhibited at the meeting of the Royal Society of South Australia on the 2nd of September; the scientific society referred to being the first one on record, the members of which had an opportunity of examining an egg laid by one of the Monotremata.</p></blockquote>
<p>Si l'époque des articles scientifiques qui se lisent comme des romans et des premières scientifique et naturalistes vous fascine (on montrait pour la première fois que les monotrèmes, des mammifères dont font partie l'échidné et l'ornithorynque, pondent des œufs : rendez-vous compte !), ce livre est fait pour vous. Vous saurez l'histoire de la découverte du magnétisme animal, du <a href="http://bacterioblog.over-blog.com/article-26654557.html">rhinocéros</a> et du corail qui n'était pas une plante mais un animal… Et entre découvertes et pseudo-découvertes, votre esprit critique sera soumis à dure épreuve !</p>
<p><em>Nota bene</em> : mon exemplaire m'a été offert par les éditions FYP lors du <a href="http://barcamp.org/BookCampParis2">BookCampParis2 à la Cantine</a> et je les en remercie.</p>
L'histoire de la penicilline selon la BBC
urn:md5:3ba4565431bc56cbfb6f6d167f5e4d84
2009-08-04T12:02:57+00:00
2009-08-04T15:29:07+00:00
Antoine Blanchard
Général
culture scientifiquehistoirevulgarisation
<p>La <em>BBC 4</em> diffusait la semaine dernière <em><a href="http://www.bbc.co.uk/iplayer/episode/b00ly0t1/Breaking_the_Mould_The_Story_of_Penicillin/" hreflang="en">Breaking the Mould</a></em>, un docu-fiction sur la naissance de la pénicilline entre les mains de… Florey et Chain ! Première surprise pour certains qui associent indéfectiblement pénicilline et Fleming. Mais pas pour les lecteurs du Bacterioblog qui se souviennent de l'<a href="http://bacterioblog.over-blog.com/article-10513113.html">excellent billet de Benjamin</a> il y a deux ans, ni pour ceux qui savent que le <a href="http://nobelprize.org/nobel_prizes/medicine/laureates/1945/" hreflang="en">prix Nobel de physiologie/médecine 1945</a> est allé aux trois hommes.</p>
<p class="center"><a href="http://www.flickr.com/photos/enro/142203932/" title=" "><img src="http://farm1.static.flickr.com/46/142203932_94decd94e7_m.jpg" alt=" " style="border: solid 1px #999; padding:6px;"></a></p>
<p>Il y aurait beaucoup à dire sur cette création originale, et je renvoie les lecteurs vers la <a href="http://www.lablit.com/article/532" hreflang="en">critique de Jennifer Rohn</a> sur le site <em>Lablit</em>. On y trouve en tous cas beaucoup de choses intéressantes : la distinction entre le chercheur de paillasse (Ernst Boris Chain), obsédé par sa quête et prêt à sacrifier beaucoup de choses pour son travail, et l'administrateur (Howard Walter Florey, seulement 8 ans plus agé) qui trouve les financements, recrute et rassemble les expertises dont a besoin le laboratoire, s'assure les soutiens politiques ou industriels. Ou échoue à se les allier, puisque l'industrie pharmaceutique dispose des sulfamides, qui seront les médicaments les plus vendus dans les années 1950, et que l'idée de produire des antibiotiques par fermentation lui est étrangère. La "culture chimique" de l'entreprise pharmaceutique va la tenir éloignée des antibiotiques, dont vont s'emparer des industriels de l'agro-alimentaires et autres spécialistes de la fermentation comme Pfizer<sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/08/04/407-l-histoire-de-la-penicilline-selon-la-bbc#pnote-407-1" id="rev-pnote-407-1">1</a>]</sup>. On constate aussi la faible place des femmes, on assiste aux débats sur les brevets (faut-il ou non breveter la péniciline ? Et si on ne le fait pas et que les Américains le font, est-ce que le Royaume-Uni sera privé d'une découverte aussi cruciale ?).</p>
<p>Ce qui m'a le plus intéressé, c'est la mise en image de ce que raconte Wei Chen dans son livre <em>Comment Fleming n'a pas inventé la pénicilline</em> (qui a pour titre original <em>The laboratory as business, Sir Almroth Wright's vaccine programme and the construction of penicillin</em>) : cette idée que la pénicilline de Fleming n'est pas la même pénicilline que celle de Florey et Chain : onze années ont passé, la Seconde guerre mondiale est là et la guérison des sépticémies, gangrènes et autres infections bactériennes est un aimant puissant. La pénicilline de Florey et Chain est construite comme un agent thérapeutique alors que celle de Fleming était un outil de laboratoire.</p>
<p>Dans cette narration très britannique, quelques libertés sont prises avec l'histoire. Est passé sous silence le rôle de René Dubos, dont Bruno Latour écrit<sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/08/04/407-l-histoire-de-la-penicilline-selon-la-bbc#pnote-407-2" id="rev-pnote-407-2">2</a>]</sup> que <q>par l'un des plus curieux cas de rétrodécouverte de l'histoire des sciences, il oblige Florey à s'intéresser enfin à cette moisissure que Fleming déclarait sans intérêt et dont l'effet ressemble grandement à la thyrothricine que lui, Dubos, vient de découvrir</q> (mais peut-être que cette version est teintée d'un autre nationalisme, français cette fois). Le film nous montre juste Chain lisant l'article de Fleming (le véritable, ça m'a ému de voir de la littérature scientifique en gros plan à la télé !) et creusant la piste de cette substance que Fleming n'avait pas réussi à faire produire en quantités suffisantes et à isoler. Quant à l'arrivisme de Fleming à la fin du film, qui vient récolter les lauriers du travail ingrat effectué par d'autres simplement parce qu'il actionne quelques leviers au sein du gouvernement, il est un peu forcé. Mais il a le mérite de montrer que la paternité d'une découverte est toute relative
aujourd'hui encore, la pénicilline reste associée au seul nom de Fleming !</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/08/04/407-l-histoire-de-la-penicilline-selon-la-bbc#rev-pnote-407-1" id="pnote-407-1">1</a>] Le film ne montre pas cette toile de fond, c'est mon travail au sein du <a href="http://www-ulpmed.u-strasbg.fr/ulpmed/dhvs/spip/article.php3?id_article=65">séminaire "Innovations médicales et thérapeutiques"</a> qui me l'a enseignée.<br />
[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/08/04/407-l-histoire-de-la-penicilline-selon-la-bbc#rev-pnote-407-2" id="pnote-407-2">2</a>] Préface à R. Dubos, ''Louis Pasteur : franc-tireur de la science'', La Découverte.</p></div>
Jacques Monod au jour le jour
urn:md5:9282d403a404444d978dbd4c356a40cc
2009-03-15T13:05:14+00:00
2009-03-15T20:41:09+00:00
Antoine Blanchard
Général
génétiquehistoire
<p>Via le numéro de mars du magazine <em>La Recherche</em>, j'apprends que l'Institut Pasteur vient de mettre en ligne le <a href="https://webext.pasteur.fr/archives/mado_bio.pdf">journal personnel de Madeleine Brunerie</a>, qui fut "pastorienne" pendant 58 ans, d'abord comme employée puis comme bénévole. Elle fut notamment technicienne de laboratoire et secrétaire du service de Chimie biologique, dirigé successivement par Michel Machebœuf (1946-1953) et Jacques Monod (1953-1954), secrétaire de Jacques Monod au service de Biochimie cellulaire (1954-1971) puis secrétaire de direction, chargée du courrier personnel et scientifique du directeur de l'Institut Pasteur, Jacques Monod (1971-1976).</p>
<p>La transcription par son auteur des notes presques quotidiennes, au moins jusqu'en 1970, a demandé un sacré travail qui est désormais à la disposition de chacun. Profitons de ce trésor pour explorer plusieurs décennies de recherche de pointe française, dans le domaine de la chimie des protéines (dont Michel Machebœuf fut un pionnier) et de la génétique et biologie moléculaires (dont Jacques Monod, prix Nobel, fut l'un des chefs de file). Et, comme le remarque l'éditorial, on a rarement l'occasion de suivre de près <q>ce qui se passe dans un laboratoire, les événements qui permettent sa création puis sa disparition, ou son passage à d’autres mains, les conditions relationnelles et matérielles qui permettent la production d’une information scientifique communicable (…), la circulation des personnes en son sein et le réseau dans lequel il est inséré (…), bref ce qui fait la vie d’un laboratoire</q>.</p>
<p>Pas d'hagiographie ici mais un témoignage vivant, au plus près du personnel des laboratoires et des institutions de recherche (souvent, d'ailleurs, le "petit personnel"). Extraits choisis :</p>
<blockquote><p>Notre service était réputé pour les festivités qui y étaient organisées. En début d’année, notre Patron [Michel Machebœuf] nous offrait la galette des rois avec du Jurançon qu’une fois nous réussîmes à cristalliser plus ou moins en le mettant à rafraîchir un peu trop longtemps dans la chambre froide à –20°C !</p></blockquote>
<blockquote><p>Cet après-midi, Monsieur Monod me demande si je peux travailler un peu pour lui. Il me confie une bibliographie à faire d’après les Chemical abstracts de la bibliothèque de Chimie sur une enzyme dénommée glucuronidase. Certainement pour tester mes capacités en anglais aussi bien qu’en termes biologiques. (…) J’ai vu Monsieur Monod qui continue de m’appeler Madeleine, ce que je préfère à mon patronyme. Il m’a aperçue à la bibliothèque et n’en revient pas de voir tant de fiches sur la glucuronidase. A dire vrai, ce sujet m’étant naturellement totalement étranger, j’avais préféré en noter plus que pas assez…</p></blockquote>
<blockquote><p>Monsieur Monod fit installer un système discret que je qualifierai « d’éjecteur des indésirables » qui pouvait être mis en action grâce à un interrupteur dissimulé sous chacun des plateaux de nos bureaux respectifs, avec voyant rouge interposé. Si un importun prenait trop de temps auprès du Patron, je guettais la loupiotte. Si celle-ci s’allumait, je décrochais le téléphone et informais Monsieur Monod d’une urgence impérative ailleurs.</p></blockquote>
<blockquote><p>Je me souviens d’une fois où je prenais en sténographie une demande de subventions quand, s’arrêtant brusquement de dicter, Monsieur Monod quitta son bureau et se dirigea vers le tableau noir sur lequel il se mit à écrire à la craie de mystérieuses formules et des tas de chiffres. J’étais littéralement fascinée parcet interlude auquel je ne comprenais évidemment strictement rien. Soudain, revenant sur terre, il s’exclama : Regardez, ça y est ! Le crayon en l’air, pleine d’un innocent enthousiasme, assurément d’accord, je n’osais remuer le petit doigt, de crainte de troubler ses réflexions. En fait, filant vers son laboratoire contigu, il me planta là pour discuter avec ses collègues et élèves de la nouvelle idée ou du dernier concept qui venait de naître dans son esprit ! Et moi, je restais là , calée dans mon fauteuil devant un bureau vide, attendant la reprise de la demande de crédits.</p></blockquote>
<blockquote><p>Cet après-midi, le Patron m’a longuement dicté du courrier. Comme je riais d’une bêtise qu’il venait de dire : Vous n’êtes pas sérieuse, Madeleine, vous riez toujours ! Tous deux nous entamons alors une discussion sur un « canular » possible. Il faudrait publier, par exemple, un article qu’il signerait E. Kohli ! Le Patron propose alors de faire un petit papier plutôt signé <em>E. Coli</em> sur des travaux effectués sur l’homme et non sur les bactéries. Ce ne sera pas très facile ! Et il me demande de le faire !</p></blockquote>
<p>A ne pas rater évidemment, les pages 197 et suivantes qui racontent les coulisses de l'annonce du prix Nobel (lequel est précédé de grosses rumeurs et s'évente forcément) ! Ainsi que ses suites, avec cette réponse magnifique à la question incongrue d'un journaliste : <q>Monsieur, toutes les déclarations scientifiques sont du ressort des trois professeurs lauréats du prix Nobel [Jacob, Monod et Lwoff]. Pour les questions idiotes, nous n’avons personne prévu.</q> Et cette remarque de Jacques Monod : <q>C’est drôle, depuis que le Nobel a été annoncé, je n’entendais plus ma petite voix intérieure et j’étais très triste. Heureusement, elle est revenue ce matin.</q></p>
<p>Enfin, le lecteur interessé trouvera en annexe (pages 268 et 269) la liste des engagements politiques de Jacques Monod, preuve s'il en fallait de l'extraordinaire fécondité d'un chercheur et homme hors du commun.</p>
Darwin qui vient dîner
urn:md5:03e19f822b79e1415c5e2c0e46a9c6a3
2008-12-29T09:38:27+00:00
2008-12-29T09:39:29+00:00
Antoine Blanchard
Général
histoire
<p>Cela ne vous aura pas échappé, <a href="http://www2.cnrs.fr/presse/journal/4132.htm">2009 est l'année Darwin</a>, célébrant à la fois le bicentenaire de la naissance de notre homme et les 150 ans de son chef d'oeuvre, <em>De l'origine des espèces</em>. Le président de la Société linéenne qui avait accueilli les exposés de Charles Darwin et d'Alfred Wallace <a href="http://www.im.microbios.org/1103/IM1103_0209.pdf" hreflang="en">déclara dans son rapport annuel</a> : <q>Cette année [1859] ne fut point marquée par aucune de ces découvertes qui, en quelques sorte, révolutionnent d'un seul coup le domaine scientifique où elles s'appliquent.</q> Ah, s'il avait su !</p>
<p>Pour fêter cette nouvelle année, je ne peux m'empêcher de reprendre le chouette <a href="http://plindenbaum.blogspot.com/2008/12/random-notes-2008-12.html">travail geekesque et auto-référentiel à souhait</a> de Pierre Lindenbaum : un portrait de Charles Darwin obtenu par… algorithme génétique.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/Darwin.png" alt="" /> <img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/Darwin_AG.png" alt="" /></p>
<p>Selon ce principe informatique emprunté à la biologie, une population de 20 individus évolue en fonction d'un seul critère : que les 50 triangles codés par un individu forment une image la plus ressemblante possible à l'image de départ. La sélection s'opère au sein de la population, les individus les plus adaptés sont recombinés entre eux pour former une nouvelle génération dont certains individus seront plus performants et d'autre moins, mais en moyenne plus performant qu'à la génération précédente. On introduit également un taux de mutation pour éviter de s'enfermer dans des <em>minima</em> locaux et le tour est joué. En l'espace de 200 itérations, l'évolution est étonnante ! Une belle démonstration du pouvoir de la mutation pour fournir des formes toutes plus variées les unes que les autres et de la sélection pour ne conserver que les plus adaptées au contexte donné.</p>
<p class="center"><img src="http://media.tumblr.com/NngfN9gsDhbu9tybOD7LoRCzo1_500.png" alt="" /></p>
<p>Et avec un peu d'avance, je vous souhaite une bonne année à tous !</p>
Trouver l'auteur : Science et historiographie
urn:md5:2679287c2bdb528a39ea8189abc25166
2008-12-08T10:05:59+00:00
2008-12-09T10:22:30+00:00
Antoine Blanchard
Epistemologie
histoiretrouvez l'auteur
<p>Ce quizz est une réponse à Tom Roud, <a href="http://tomroud.com/2007/11/25/nouvel-episode-dans-le-debat-science-vs-foi/">qui écrivait</a> : <q>la science n’est tout simplement pas capable d’expliquer des événements contingents ou aléatoires, car la science se préoccupe uniquement des événements reproductibles et des lois générales (c’est pour cela que l’histoire n’est pas une science, au contraire de l’économie)</q>.</p>
<blockquote><p>Comme toutes les Sciences, l'Histoire est en elle-même et par elle-même une activité désintéressée. Elle ne se croit pas chargée d'approvisionner pour les vivants d'aujourd'hui et de demain un large compte en banque de "précédents" propres à déterminer leur conduite. La seule leçon qu'elle prétende donner, c'est qu'il n'y a pas de leçons de l'Histoire. C'est que l'Histoire n'oblige pas. Sans quoi... — Sans quoi on prétendrait que, pour conjurer en 1945 une attaque combinée de tanks et d'avion, de V2 et de bombes atomiques — il eût fallu d'abord étudier les campagnes de Gustave-Adolphe, de Turenne, de Napoléon 1er ou même de Foch.</p></blockquote>
<p><strong>[Mà J 09/12, 10h19]</strong> : Bravo à Oldcola qui a reconnu <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Lucien_Febvre">Lucien Febvre</a>, dans son "Avant-propos" aux <em><a href="http://www.centre-charles-moraze.msh-paris.fr/IMG/pdf/moz2-1.pdf">Trois essais sur histoire et culture</a></em> de <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Morazé">Charles Morazé</a> (Librairie Armand Colin, p. vii, 1948). On touche là à l'<a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_des_Annales">école des Annales</a>, d'émanation strasbourgeoise, qui renouvela le travail historique en France en sortant du recueil des faits et des biographies pour s'intéresser au "temps longs", aux mouvements sociaux. Selon un des principes de ce mouvement, l'historien doit oublier qu'il connaît l'issue des évènements qu'il étudie pour ne pas tomber dans une explication téléologique. On retrouve cela en histoire des sciences : Pasteur <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_controverses_scientifiques#Louis_Pasteur_contre_F.C3.A9lix-Archim.C3.A8de_Pouchet">triompha-t-il de Pouchet</a> parce qu'il avait raison ? C'est oublier qu'à l'époque, il n'avait pas "raison" de la même façon qu'on le dirait aujourd'hui et qu'aucun de ses contemporains ne le "savait". Il a donc bien dû mener un combat, qu'il faut décrire et expliquer... Pablo <a href="http://web.me.com/pablo.achard/Labo/Blog/Entries/2008/11/26_Latour%2C_prend_garde_!.html">a engagé une discussion sur ce sujet</a>, promis, je lui réponds dès que j'en trouve le temps ! ;-)</p>
Le voyage agronomique du baron de Pradt, un secret enfin partagé
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2008-10-16T06:24:23+00:00
2008-10-17T11:21:52+00:00
Antoine Blanchard
Général
agronomiehistoire
<p>Le <em>Voyage agronomique en Auvergne</em> (1803) du baron et abbé de Pradt n'est pas une oeuvre majeure de la littérature française. Mais il fait partie de mon jardin secret depuis qu'un stage agricole de la première année d'Agro m'a emmené au fin fond du Cantal, sur un plateau pelé situé à plus de 1100 mètres d'altitude. Son nom : les Prades, ancienne forme orthographique du patronyme de Pradt. De ce domaine qui appartenu au fameux baron, il reste un magnifique corps de ferme, où une famille d'exploitants agricoles accueille les visiteurs de passage dans ses <a href="http://www.fermedesprades.com/">chambres d'hôte</a>.</p>
<p>Mais on y trouve aussi un exemplaire original du fameux livre du baron, ainsi qu'une biographie de cet homme par Jean Moins, publiée à compte d'auteur. Ce trésor méconnu, je me suis enfin décidé à le partager largement grâce à l'initiative <em><a href="http://bibnum.education.fr/">Bibnum</a></em>, qui propose des textes fondateurs de la science analysés par les scientifiques d'aujourd'hui. <a href="http://www.maths-et-physique.net/article-23670062.html">Une idée formidable</a>, dont je suis fier de faire désormais partie. Vous y retrouverez donc <a href="http://bibnum.education.fr/sciences-de-la-vie/voyage-agronomique-en-auvergne">mon analyse de ce livre</a> et en particulier de sa préface, disponible après le saut de page.</p> <p class="center"><object style="margin:0px" width="535" height="455" codebase="http://download.macromedia.com/pub/shockwave/cabs/flash/swflash.cab#version=9,0,0,0" id="doc_6194291" name="doc_6194291" classid="clsid:d27cdb6e-ae6d-11cf-96b8-444553540000">
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Les leçons de la découverte du VIH
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2008-10-06T20:09:48+00:00
2008-10-07T11:53:18+00:00
Antoine Blanchard
Général
histoireorganisation de la recherche
<p>Souvenons-nous de ce que woody <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2008/04/15/269-comment-le-retard-vient-aux-francais#c11114">écrivait sur ce blog</a> en avril dernier :</p>
<blockquote><p>En biologie et médecine, la France est à la traîne de l’innovation (pas de prix Nobel depuis plus de 28 ans, ça commence à être sérieux).</p></blockquote>
<p>Eh bien voilà , c'est fait : Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier <a href="http://nobelprize.org/nobel_prizes/medicine/laureates/2008/">viennent de recevoir le prix tant convoîté</a> pour leur découverte du virus du SIDA, le VIH, en 1983 (l'Institut Pasteur en <a href="http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/science_actualites/sitesactu/question_actu.php?langue=fr&id_article=9803&id_mag=0">fêtait les 25 ans</a> il y a quelques mois).</p>
<p>L'histoire de cette découverte est instructive à plusieurs titres. Nous savons qu'elle a donné lieu à une querelle de priorité entre l'équipe américaine de Robert Gallo et celle de Montagnier. Lors de l'annonce du prix, on pouvait voir sur le webcast un porte-parole du comité Nobel affirmer qu'ils se sentaient suffisamment qualifiés pour écarter Gallo (une information que <a href="http://friendfeed.com/e/d9cb4417-18f4-451c-a8c8-1bc659111561/The-Nobel-Prize-in-Physiology-or-Medicine-goes-to/">je dois à Attila Csordas</a>). On s'en convaincra en lisant ce <a href="http://dx.doi.org/10.1126/science.1079027" hreflang="en">récit de Montagnier</a> ou cette <a href="http://dx.doi.org/10.1038/326435a0" hreflang="en">chronologie écrite à quatre mains</a> : le LAV fut isolé en mai 1983 par l'équipe française alors que le HTLV-3 identifié par l'équipe de Gallo fut annoncé en grande pompe (par la Secrétaire d'état à la santé américaine) en avril 1984. Il s'avèrera que ces deux virus n'en sont qu'un, renommé VIH à la suite d'une conférence internationale. Par la suite cependant, Gallo fit plus que Montagnier pour soumettre le virus aux <a href="http://bacterioblog.over-blog.com/article-5205412.html">postulats de Koch</a>.</p>
<p>Mais la lecture socio-politique de cette controverse est éclairante. Dans un <a href="http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1987_num_69_1_2385">article paru en 1989</a>, Johan Heilbron et Jaap Goudsmit montrent pourquoi l'équipe française a découvert le virus et pourquoi les Américains, qui avaient plus d'expérience et plus de crédit (dans tous les sens du terme), ne l'ont pas trouvé. Heilbron <a href="http://www.cairn.info/revue-histoire-des-sciences-humaines-2006-2-p-103.htm">y voit</a> le paradoxe de ce système américain dont l'extrême efficacité peut se transformer en relative inefficacité.</p>
<p>Explications. L'équipe de Gallo formula l'hypothèse que l'agent du SIDA est un rétrovirus et se lança à la recherche d'un variant du HTLV, le seul rétrovirus humain connu qu'ils avaient eux-même identifié. L'équipe de Montagnier, elle, saisit l'hypothèse au bond mais rechercha plus généralement un rétrovirus humain. En partie par manque d'expérience, et parce qu'ils ne disposaient pas du matériel des Américains, les Français utilisèrent une stratégie plus prudente et une technique plus traditionnelle. <q>Le retard technologique français s'est avéré être un avantage</q>. Le groupe de l'Institut Pasteur collaborait avec un groupe français informel de médecins intéressés par le SIDA. Lorsqu'ils présentèrent ces résultats à un colloque au Cold Spring Harbor en décembre 1983, le travail fut largement critiqué (notamment par les membres de l'équipe de Gallo) et le virus LAV considéré comme le produit d'une contamination. Toutes sortes de détails, comme l'accent français du groupe ou leurs méthodes de travail, ne pouvait les rendre crédibles face aux mastodontes de la recherche en rétrovirologie humaine. D'autant que Gallo ne se priva pas d'utiliser sa position dominante pour faire paraître dans les actes du colloque un résultat postérieur à la date du colloque, entre autres pratiques indélicates qui se retournèrent contre lui par la suite.</p>
<p>La morale ? Il y en a plusieurs. Déjà , <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2008/04/15/269-comment-le-retard-vient-aux-francais">tout retard</a> n'est pas mauvais en soi : il ne suffit pas d'être à la pointe pour réussir. Aussi, le groupe français réussit par sa structure souple, son indépendance à l'égard des bureaucraties de la recherche et de l'establishment médical, <q>alors que dans d'autres pays toutes sortes de procédures administratives ou autres faisaient perdre aux chercheurs un temps coûteux</q>. Comme ce serait le cas aujourd'hui, l'esprit aventureux qui réussit si bien au groupe français fut malheureusement reproché à Montagnier, l'un des rares membres de l'équipe à être doté d'un poste "à responsabilité". Enfin, des résultats sont souvent accueillis à l'aune de celui qui les porte, et le fait est que les autres Européens s'alignèrent sur les Américains dont ils adoptèrent toute la terminologie, et rirent au nez de nos compatriotes…</p>
<p>Une autre morale nous est fournie par woody, dans son récit de cette découverte et de ses conséquences politiques :</p>
<blockquote><p>En 1982, un petit groupe de médecin français [dirigé par Willy Rozenbaum] contacte un directeur de laboratoire de Cochin pour lui demander de rechercher un rétrovirus dans le ganglion d’un malade. Ce dernier les envoie sur les roses [tout comme d'autres partenaires contactés] et les médecins s’adressent alors [en décembre 1982] à Luc Montagnier de [l'Institut] Pasteur. Rapidement, le virus est identifié et la France est à la tête de la recherche sur le virus du SIDA. Puis le pouvoir politique s’en mêle, crée une agence de recherche sur le SIDA dont la direction est confiée….. au directeur du laboratoire de Cochin. La position de la France sur le domaine du SIDA a rapidement chuté. 10 ans après la politique de cette agence n’était pas évaluée, mais la revue américaine <em>Science</em> s’est fendue d’un article critique qui a fini par aboutir au changement de directeur.</p></blockquote>
<p>J'ai bien peur que nous soyons encore ce mauvais élève qui ne tire pas ses leçons du passé…</p>
Le zéroïème théorème en histoire des sciences
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2008-09-23T08:37:36+00:00
2008-09-23T14:53:17+00:00
Antoine Blanchard
Général
histoirephysique
<p>Le zéroïème théorème, késako ? C'est cette idée selon laquelle une découverte ou une invention qui porte le nom d'une personne n'est jamais due à cette personne. Le <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre_d%27Avogadro">nombre d'Avogadro</a> ? Il a été déterminé en premier par <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Johann_Josef_Loschmidt">Loschmidt</a> en 1865. La <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Com%C3%A8te_de_Halley">comète de Halley</a> ? Elle était connue un siècle avant que Halley remarque son apparition régulière. Le <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_d%27Olbers">paradoxe d'Olbers</a> ? Il avait été discuté par Halley et Cheseaux un siècle auparavant et par Kepler deux siècles auparavant.</p>
<p>J. D. Jackson a <a href="http://arxiv.org/abs/0708.4249" hreflang="en">publié le mois dernier</a> dans l<em>'American Journal of Physics</em> quelques autres exemples empruntés à la physique où le zéroïème théorème se vérifie (<a href="http://blogs.nature.com/nautilus/2008/09/the_zeroth_theorem_of_the_hist_1.html" hreflang="en">via Nautilus</a>). Mais il raconte aussi cette histoire hilarante : en mathématiques, ce théorème est connu sous le nom de principe d'Arnold, d'après V. I. Arnold. Ce nom lui a été attribué par Michael V. Berry, formalisant ainsi le travail d'Arnold qui avait cherché à rendre aux mathématiciens russes ce qui leur appartient et à corriger certains attributions erronées. Mais ces mathématiciens ne peuvant s'empêcher d'être logiques et auto-référentiels jusqu'au bout, Berry proposa aussi la loi de Berry selon laquelle <q>on ne découvre jamais rien pour la première fois</q>.</p>
<p>Par conséquent, le zéroïème théorème vérifie parfaitement la loi de Barry puisqu'il a été proposé par l'historien des sciences Ernst Peter Fischer en 2006, dans un article intitulé "Fremde Federn. Im Gegenteil" publié dans le journal allemand <em>Die Welt</em>. Mais il ne vérifie par le principe d'Arnold, selon lequel il aurait dû s'appeller "théorème de Fischer".</p>
<p>En fait, le nom du théorème est une allusion à la <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Symphonie_n%C2%B0_0_d%27Anton_Bruckner">Symphonie n° 0 en ré mineur</a> d'Anton Bruckner : cette oeuvre de jeunesse, composée en 1869, est en fait la troisième symphonie du compositeur mais il ne l'avait pas numérotée, d'où le numéro 0 qu'on lui attribua après sa mort. Elle s'appelle <em>Die Nullte</em> en allemand, <em>The Zeroth</em> en anglais et <em>Zéroïème</em> en français... d'où ma traduction.</p>
<p>En tous cas, si vous avez d'autres exemples historiques vérifiant le zéroïème théorème... les commentaires vous sont ouverts !</p>
Relativité : les preuves étaient fausses ?
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2008-07-05T08:25:17+00:00
2008-07-05T08:28:10+00:00
Antoine Blanchard
Général
histoirephysiqueépistémologie
<p>J'ai appris il y a quelques jours (merci Louis) que le magazine <em><a href="http://www.cieletespace.fr/">Ciel & espace</a></em> avait publié dans son numéro de mai un article intituté "Relativité : les preuves étaient fausses". Un titre choc pour un contenu relatif à la fameuse <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Tests_exp%C3%A9rimentaux_de_la_relativit%C3%A9_g%C3%A9n%C3%A9rale#R.C3.A9sultats_exp.C3.A9rimentaux_d.27Eddington_.281919.29">preuve expérimentale de la relativité obtenue par Eddington en 1919</a>. Or mes lecteurs avaient eu droit à cette histoire exemplaire trois mois auparavant, au détour d'un <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2008/02/01/253-controverses-et-experimentation#c10951">commentaire sur ce blog</a>. La voici à nouveau, avec un <em>bonus track</em> (voir à la fin pour ceux qui connaîtraient l'histoire par cœur).</p>
<p>Dans leur livre indispensable intitulé <em>Tout ce que vous devriez savoir sur la science</em><sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2008/07/05/299-relativite-les-preuves-etaient-fausses#pnote-299-1" id="rev-pnote-299-1">1</a>]</sup>, les historiens des sciences Collins et Pinch consacrent quinze pages à la campagne de mesures d'Eddington cherchant à démontrer expérimentalement la théorie de la relativité. D'après les auteurs, l'effet du champ gravitationnel était prédit par Newton comme par Einstein, mais pas dans les mêmes proportions (la relativité générale d'Einstein prédisait une déviation deux fois plus grande des rayons lumineux). Ne restait donc qu'à la mesurer.</p>
<p>Eddington doit comparer la position habituelle des étoiles (photographie prise de nuit) avec leur position visible quand elles frôlent le soleil (photographie prise pendant une éclipse solaire), avec une différence attendue qui a l'ordre de grandeur du diamètre d'une pièce de 50 centimes vue à deux kilomètres ! Les contingences climatiques, le fait que l'éclipse est visible depuis l'hémisphère sud et nécessite le transport de télescopes légers donc moins puissants et nécessitant un temps de pose plus long, la différence de température entre le jour et la nuit qui modifie la distance focale des télescopes… compliquent le tout.</p>
<p>L'expédition se compose de deux équipes, l'une partant à Sobral (Brésil), l'autre (dirigée par Eddington lui-même) partant pour l'île de Principe (au large des côtes africaines). L'équipe de Sobral est équipée d'un téléscope astrographique qui donnera dix-huit plaques photographiques et d'un télescope de dix centimètres qui donnera huit plaques assombries par les nuages. L'équipe de Principe obtint seize plaques avec son instrument astrographique, dont seules deux sont utilisables. Les dix-huit plaques donnent une valeur de la déviation égale à 0,86 secondes d'arc (la marge d'erreur de cet instrument n'a pas été communiquée), comparable à la prédiction newtonienne de 0,84. Les huit plaques (les meilleurs, malgré la mise au point imparfaite) donnent une valeur située entre 1,86 et 2,1 secondes, supérieure à l'estimation d'Einstein qui était de 1,7 seconde. Enfin, bien que les plaques de Principe soit les plus mauvaise de toutes, Eddington les fit parler en posant une valeur de la déviation a priori et obtient un résultat compris entre 1,31 et 1,91 seconde. Malgré ces résultats incertains, loin d'être éclatants, l'astronome annonce le 6 novembre 1919 que les observations confirment la théorie d'Einstein.</p>
<p>Dans les débats qui suivirent, Eddington affirma qu'il ne se reposait que sur les deux plaques obtenues par lui à Principe, qu'il avait fait parler en fonction des prédictions d'Einstein, en affirmant que les plaques de Sobral étaient entachées d'erreur systématique — dont il ne fournit jamais une preuve convaincante. Les auteurs insistent sur le fait que confirmer les prédiction d'une théorie n'est pas équivalent à confirmer la théorie et remarquent surtout que <q>rien de décisif ne ressortait des observations elles-mêmes jusqu'à ce qu'Eddington, l'astronome royal et le reste de la communauté scientifique aient arrêté a posteriori la signification que l'on devait donner aux observations</q>…</p>
<p><strong><em>Bonus track</em></strong> : Après avoir pris connaissance de cette histoire, plusieurs attitudes sont possibles. Soit on considère que la science est ainsi faite qu'elle procède parfois (toujours ?) par intuitions et tâtonnements plutôt que par expériences cruciales, les résultats étant souvent (toujours ?) dans une zone floue, avec une série de systèmes de mise au point imparfaits plutôt qu'un unique système parfait. Soit on considère que la science est la méthode logique par excellence, telle qu'on l'a appris à l'école, auquel cas Eddington s'est égaré et son résultat est un exemple de mauvaise science, voire de fraude. Je penche pour la première solution, comme les auteurs et un paquet d'historiens et de sociologues des sciences. Mais l'auteur de l'article de <em>Ciel et espace</em> est un astrophysicien professionnel et loin d'adopter une méthode post-bachelardienne, il se figure que la vérité du passé peut se juger à la lumière de la vérité du présent<sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2008/07/05/299-relativite-les-preuves-etaient-fausses#pnote-299-2" id="rev-pnote-299-2">2</a>]</sup>. Que croyez-vous qu'il advint ? Il <a href="http://www.cieletespace.fr/evenement/relativit-les-preuves-taient-fausses">pencha pour la deuxième solution</a>, avec force superlatifs : <q>manipulations peu avouables</q>, <q>fraudes caractérisées</q>… Et ainsi fut préservée pour l'éternité la gloire immaculée de la Science.</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2008/07/05/299-relativite-les-preuves-etaient-fausses#rev-pnote-299-1" id="pnote-299-1">1</a>] Collins H. et T. Pinch (2001) [1993], <em>Tout ce que vous devriez savoir sur la science</em>, Le Seuil coll. "Points sciences"</p>
<p>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2008/07/05/299-relativite-les-preuves-etaient-fausses#rev-pnote-299-2" id="pnote-299-2">2</a>] C'est-à -dire qu'avec nos connaissances actuelles (sur le comportement du matériel d'astronomie, les erreurs dont peuvent être entachées une observation etc.) qui nous donnent un avantage sur les acteurs de l'époque, il se permet de juger ce que ceux-ci auraient dû faire ou ne pas faire et leur reproche par conséquent d'avoir mal travaillé. C'était évidemment beaucoup moins facile à dire en 1919, où la balance ne penchait ni d'un côté ni de l'autre et où il fallait faire naître des conclusions à partir d'alignements de chiffres ! Et cela ne nous aide pas nécessairement à comprendre la science d'aujourd'hui (à part pour recommander de ne pas rejeter des observations sans bonne raison, mais il faudrait n'avoir jamais mis les pieds dans un labo pour croire que de telles préconisations sont réalistes).</p></div>
L'histoire des sciences, une arme dans la bataille du CNRS
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2008-06-11T08:29:51+00:00
2008-06-11T08:38:56+00:00
Antoine Blanchard
Général
CNRShistoirepolitique
<p>En octobre 2007, Bertrand Monthubert, président du mouvement "Sauvons la recherche", <a href="http://listes.univ-rennes1.fr/wws/arc/theuth/2007-10/msg00143.html">lançait cet étrange cri d'alarme</a> sur une liste de diffusion des historiens des sciences :</p>
<blockquote><p>Nous souhaiterions recueillir des textes, de préférence brefs, de personnalités scientifiques ou littéraires de toutes les époques soulignant l'importance de l'autonomie des savants, et en particulier de ne pas les soumettre à une vision de leur activité exclusivement à court terme et finalisée.</p></blockquote>
<p>Vous aurez saisi le contexte : il s'agissait d'appuyer les revendications du mouvement (contre, je cite, les <q>multiples atteintes portées à l'autonomie de l'enseignement et la recherche dont sont porteuses la réforme des universités (LRU) et celle du CNRS</q>) par les sages paroles de doctes personnalités historiques. En effet, outre le terrain habituel de l'argumentation logique, les appels à l'argument d'autorité font toujours leur petit effet dans un débat !</p>
<p>Sur le moment, j'ai surtout perçu l'ironie de cet appel (on refuse la vision à court terme et finalisée de la recherche mais on ne se prive pas de réutiliser quelques citations hors contexte conformes à une unique lecture, à court terme et finalisée). Puis récemment, je suis tombé sur un <a href="http://www.cnrs.fr/cnrs2020/IMG/pdf/Instituts_nationaux.pdf" hreflang="pdf">texte d'avril 2008</a> signé de Denis Guthleben, du <a href="http://www.cnrs.fr/ComiHistoCNRS/">Comité pour l’histoire du CNRS</a>. Consacré à l'histoire des Instituts nationaux au CNRS, il se réclame d'une remise en perspective, afin d’éclairer le débat que la lettre de mission de Valérie Pécresse à la présidente du CNRS a fait naître au sein de la communauté scientifique. Objectif louable. Mais on ne peut s'empêcher d'y voir une réponse du berger à la bergère…</p>
<p>Car à la lecture, ce texte fait bien passer la pilule de la <a href="http://alasource.aliceblogs.fr/blog/_archives/2008/5/22/3705431.html">division du CNRS en institut disciplinaires</a>. On y apprend par exemple qu'au sein du Comité des douze sages créé en 1958 par le Général de Gaulle, le chimiste <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Sadron">Charles Sadron</a> proposait déjà de fédérer les grandes disciplines scientifiques présentes au CNRS (on ne parle pas encore de départements, ni de directions scientifiques puisque celles-ci ne voient le jour qu’en 1966) dans une douzaine d’instituts nationaux, devant fonctionner comme des <q>usines de recherche</q> ; jusqu'à ce que le Premier ministre Michel Debré s'exprime contre cette proposition. En 1966, la réforme du système de recherche prévoit la possibilité d'instituts nationaux, soutenue par deux membres du Comité des douze sages qui souhaitent regrouper les moyens de gestion (en particulier la construction des gros instruments) en astronomie et en physique nucléaire ; mieux que le CNRS, de tels instituts devraient permettre une planification des besoins de la discipline avec un affichage clair, <q>afin que les directeurs d’organismes et le gouvernement y comprennent quelque chose</q>. Ainsi, l'INAG (astronomie et géophysique) voit le jour en 1967, et l'IN2P3 suit en 1971, avec un peu de retard dû à la ferme opposition du CEA, portée jusqu’au sein du conseil d’administration du CNRS par le haut-commissaire à l'énergie atomique Francis Perrin. Ces avatars de la <em>big science</em> des années 1960 vont ensuite évoluer, l'INAG élargissant par exemple en 1985 son champ à l'ensemble des sciences de l'Univers en devenant l'INSU. En 1975, alors que le CNRS est incité à investir dans la recherche dans les énergies alternatives, le solaire divise les partisans d'un institut national et les partisans d'un programme interdisciplinaire de recherche (PIR). Les premiers mettent en avant la solidité et la visibilité de la structure, les seconds les avantages de la souplesse. Ils vont l'emporter et le programme interdisciplinaire de recherche pour le développement de l’énergie solaire (PIRDES) ne va pas moins gérer de grands instruments comme le four solaire d’Odeillo. Formule qui sera largement exploitée ensuite, au dépens de celle des instituts nationaux : en 1985, le CNRS compte huit PIR, tandis qu’aucun autre institut national n’a vu le jour. Cette année là , justement, le ministre de la Recherche et de la technologie <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Hubert_Curien">Hubert Curien</a> fait un discours sur la <q>restructuration</q> du CNRS et affiche sa volonté de passer à <q>un nouveau mode d’organisation du milieu scientifique</q>. Le ministre ne parle pas d’une organisation en instituts mais de réseaux qui y ressemblent beaucoup :
regroupement de laboratoires autour d’une <q>tête de réseau</q>, intégration des grands équipements, gestion plus autonome que celle des départements scientifiques etc. ; le directeur général du CNRS n'est pas contre mais le projet est tué dans l’œuf après les élections législatives de 1986.</p>
<p>Bref, une seule conclusion s'impose après ce survol historique :</p>
<blockquote><p>La feuille de route de février 2008 s’inscrit ainsi dans le fil d’une réflexion engagée il y a exactement 50 ans et qui, depuis lors, a animé régulièrement l’histoire du CNRS.</p></blockquote>
Nouvelles du front (11)
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2008-05-19T06:42:32+00:00
2008-05-19T10:33:17+00:00
Antoine Blanchard
Général
créationnismefraudehistoire
<p>Du 26 mars au 18 avril, toute l'actualité du côté obscur de la recherche médicale (conflits d'intérêt, fraude…) est résumée dans <a href="http://blogue.sciencepresse.info/economie/item/564">un billet</a> du <a href="http://blogue.sciencepresse.info/economie/">nouveau blog</a> de "Science ! On blogue" consacré au business de la science.</p>
<p>Le 1er avril, le blog des livres apparenté au magazine <em>La Recherche</em> nous offrait <a href="http://larecherche.typepad.fr/le_blog_des_livres/2008/04/une-ptition-pou.html">un poisson d'avril de taille</a> !</p>
<p>Quelques jours plus tard, une pétition (sérieuse cette fois-ci) <a href="http://larecherche.typepad.fr/le_blog_des_livres/2008/04/cnrs-lhonneur-p.html">était évoquée</a> pour protester contre les prémices d'un recrutement inique au sein de la section 35 du CNRS ("Philosophie, histoire de la pensée, sciences des textes, théorie et histoire des littératures et des arts").</p>
<p>La semaine du 21 avril, le Texas <a href="http://www.nature.com/news/2008/080430//full/453015e.html" hreflang="en">rejetait la demande</a> de l<em>'Institute for Creation Research</em> qui souhaitait être autorisé à délivrer un Master ès sciences.</p>
<p>Enfin arrivait mai et ses commémorations quarantenaires. Sur la liste de diffusion "Theuth", l'historien des sciences <a href="http://msh.revues.org/personne.html?type=auteur&id=1476">Pierre Crépel</a> nous gratifiait d'un <a href="http://listes.univ-rennes1.fr/wws/arc/theuth/2008-05/msg00079.html">texte très circonstancié</a> sur D'Alembert en mai 68. Qu'il me permette de recopier ici de larges extraits pour le plaisir :</p>
<blockquote><p>En mai 68, la correspondance Voltaire - D'Alembert comprend deux lettres du premier et trois du second. La grande affaire du moment est pour eux le voyage du marquis de Mora (dont D'Alembert ignore évidemment qu'il est l'amant de Mlle de Lespinasse) et de son ami le duc de Villahermosa. Dès le 5 avril, le savant encyclopédiste recommande au patriarche de Ferney ce "jeune Espagnol de grande naissance et de plus grand mérite, fils de l'ambassadeur d'Espagne à la cour de France, et gendre du comte d'Aranda, qui a chassé les jésuites d'Espagne".</p></blockquote>
<blockquote><p>En 68, D'Alembert habite depuis trois ans chez Julie de Lespinasse rue Saint-Dominique, il se déplace rarement à plus de trois cents mètres de Saint-Germain-des-Prés ou de la rue Saint-Honoré. Il se lève plutôt de bonne heure, du moins pour un intellectuel parisien, il travaille le matin, on dîne alors vers deux heures. Après dîner, il va quatre fois par semaine au Louvre, où siègent les académies, jamais à la Sorbonne. En fin d'après-midi, ou plus tôt quand il n'y a pas d'académie, il rend des visites ou fréquente les salons. Il va au spectacle le soir, mais sans exagération, et se couche assez tôt.</p></blockquote>
<blockquote><p>Mais où est donc passé de Gaulle? A Colombey ? A Baden-Baden ? Certains prétendaient aussi l'avoir vu à Alger en 58. Légendes. Rien de tout cela. De Gaulle est resté au Havre en mai 68. Il est né à Attigny en Champagne (aujourd'hui département des Ardennes). En 58, il est aide-pilote sur le vaisseau le Capricieux au cours de sa campagne à Luisbourg, comme le montre un certificat du 7 avril 63. De 64 à 72, il est professeur de navigation au Havre, comme en témoigne le certificat du lieutenant-général de l'amirauté du Havre du 18 décembre 72. De Gaulle est surtout célèbre pour diverses inventions (loch, boussole, compas azimutal ...) intéressant la Marine. On peut suivre ses travaux dans les archives de la Marine (cote G 99 des Archives nationales) et de l'Académie des sciences, dont il devient correspondant en 82. D'Alembert a pu constater tout cela de près, notamment lors du premier voyage de De Gaulle à Paris en juillet 77, puis du second en décembre 78 - janvier 79. Il est donc clair que D'Alembert a rencontré De Gaulle à l'Académie des sciences, non pas en mai 68 mais dix ans plus tard. Il serait temps que les historiens cessent de raconter n'importe quoi.</p></blockquote>
<p>Le 9 mai, Harun Yahya, auteur de l<em>'Atlas de la création</em> <a href="http://bacterioblog.over-blog.com/article-5577658.html">envoyé en 2007 aux enseignants français</a>, <a href="http://www.lemonde.fr/archives/article/2008/05/13/le-leader-d-un-mouvement-creationniste-turc-condamne-a-trois-ans-de-prison-ferme_1044252_0.html">était condamné à trois ans de prison ferme</a> en Turquie pour "création d'une organisation illégale" et "enrichissement personnel".</p>
<p>Le 15 mai, <em>Nature</em> <a href="http://www.nature.com/news/2008/080514/full/453275a.html" hreflang="en">racontait sur quatre pages</a> l'histoire d'une publication, suivie d'une tentative infructueuse de réplication puis d'une rétraction, d'une accusation de fraude et du succès d'une autre équipe sur le même sujet. àa se lit comme un roman qui se déroulerait dans l'univers de l'enzymologie mais le chercheur qui a passé sept mois et dépensé en vain des dizaines de milliers de dollars ne rit pas, non plus que la doctorante accusée à tort de fraude par son ancien directeur de thèse.</p>
<p>Le monde idéal serait-il un monde sans chercheurs ? Peut-être, puisqu'un monde sans chercheurs est un monde où la souffrance humaine, inexistante, n'a pas besoin d'<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2008/04/07/265-que-disent-les-chercheurs-des-retombees-sociales-ou-politiques-de-leurs-travaux">être réduite</a>. C'est ce qu'insinue une <a href="http://www.dailymotion.com/video/x53aw5_lali-le-cancer-karaoke_creation">campagne contre le cancer</a>, avec laquelle on peut ne pas être d'accord. (<a href="http://www.hyperbate.com/dernier/?p=100">via Jean-No</a>)</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/lepaysdelali2.jpg" alt="" /></p>
Comment le retard vient aux Français
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2008-04-15T06:54:34+00:00
2008-04-17T20:19:59+00:00
Antoine Blanchard
Général
histoirestatistiquesévaluation de la recherche
<p><q>La France est en retard sur les Etats-Unis</q>, <q>il faut combler le retard de notre recherche</q>, <q>nous avons pris du retard</q> : voilà ce que les déclinologues répètent de façon tellement récurrente qu'on pourrait s'étonner, au moment où nous entrons dans le XXIe siècle, que la France ne soit pas déjà larguée par le reste de l'Occident. En fait, cette rhétorique n'est pas innée mais largement produite selon des normes et des contextes particuliers comme le montre Julie Bouchard dans <a href="http://grit-transversales.org/article.php3?id_article=256">un livre qui vient de paraître</a> et un article pour <em>Futuribles</em> <a href="http://juliebouchard.online.fr/articles-pdf/2007-bouchard-retard.pdf">disponible sur son site internet</a> (sur lequel je vais m'appuyer dans ce billet).</p>
<p>Julie Bouchard constate d'abord que la rhétorique du retard est indissociable de l'idéologie du progrès, depuis le XVIIIe siècle déjà . Ainsi de Claude Bernard, faisant la promotion de sa nouvelle médecine expérimentale : <q>Je leur montre la voie nouvelle et je leur dis : suivez-là , car sans cela vous serez en retard</q>. Le retard est alors conçu <q>comme une atteinte à la science elle-même, comme une anomalie dans le fonctionnement régulier de la science</q> et devient inadmissible dans la mesure où la dynamique du progrès n'est pas qu'interne à la science mais soutenue <q>à la fois par les scientifiques et par la société qui lie pour partie et implicitement les progrès autonomes de la science au progrès de la société toute entière que ce soit en termes de bonheur, de richesse, de santé publique, etc.</q></p>
<p>Mais le retard peut également se voir comme une traduction du fait que si la science avance, elle ne le fait pas indépendamment d'autres disciplines scientifiques ou d'autres aspects de la société. On lit par exemple dans le troisième rapport du Commissariat général du Plan (1958-1961) que <q>les progrès de la recherche médicale sont liés à ceux de la biologie, de la physique, de la chimie, de l'électronique, etc.</q> Et les responsables du Plan de noter dans l'exercice suivant (1962-1965) que <q>tout retard constaté dans une branche doit rapidement être comblé, si l'on ne veut pas tôt ou tard gêner la progression de l'ensemble</q>. Cette interdépendance, on peut la voir comme <q>un attribut de la modernité scientifique</q>. Et puisque la science doit bénéficier à la société, on trouve dans la même série de rapports ce type d'arguments : <q>Il s'agit de rattraper ce retard, de combler des lacunes et, d'une façon générale, de donner à la science française les moyens intellectuels et matériels nécessaires pour lui permettre de faire face à ses responsabilités envers l'économie et la défense nationale.</q></p>
<p>Etrangement, le retard <em>temporel</em> est souvent fondé sur une comparaison <em>géographique</em>, étant entendu <q>qu'un écart négatif observé entre régions ou nations doit être atténué</q>. Cette évidence ne va pas plus de soi quand on regarde les précédentes acceptions de la notion de retard, absolument pas fondées sur la comparaison entre nations. Il semble qu'on peut la faire remonter à Jean Monnet et les années 1945, sachant qu'elle prendra son essor dans les années 1960 en même temps que la pratique de la comparaison internationale dans le champ politique ou des sciences sociales. C'est aussi la période où l'Union soviétique n'est plus l'horizon de la France, remplacé par les Etats-Unis, qui deviennent le principal indicateur du retard de la France. <q>Le thème du "science gap" relève alors d'un argumentaire magnétisé, d'un côté, par le "dynamisme" américain érigé en "exemple" et, d'un autre côté, par la "menace" de la "colonisation économique" de l'Europe par l'Amérique.</q> C'est aussi le moment où le recours aux statistiques internationales sur la recherche et la technologie, comme celles de l'OCDE, devient systématique : l'argument du retard peut désormais se chiffrer, comme ici :</p>
<blockquote><p>On peut avoir une idée de cette insuffisance de la recherche forestière en France en comparant les moyens qui lui étaient affectés en 1957 par différents pays. USA, 1 chercheur pour 250 000 ha de forêts exploitables ; Suisse, 1 chercheur pour 100 000 ha de forêts exploitables (…). Il est donc nécessaire de réorganiser et de développer au cours des années qui viennent la recherche forestière, afin de rattraper, dans la mesure du possible, le retard qui vient d'être constaté.</p></blockquote>
<p>Un dernier type de retard est celui de la règle politico-administrative, <q>conçu comme un écart négatif entre la réalité et les objectifs fixés dans un cadre administratif ou managérial</q>, qui monte en puissance depuis la construction de l'Espace européen de la recherche. Il en va ainsi du retard pris par le Ve Plan, dont la dénonciation est aussi celle des carences gouvernementales, ou du retard pris sur l'agenda de Lisbonne autour duquel se cristallisa en partie le mouvement "Sauvons la recherche".</p>
<p>Finalement, ce n'est pas <em>malgré</em> le retard mais <em>avec</em> lui que se construit le progrès scientifique et technique en France. L'argument se retrouve en effet à l'origine de certaines politiques de la recherche en France, car la rhétorique du retard <q>consiste non seulement à énoncer, mais aussi à dénoncer un état de fait pour justifier un ensemble d'actions, de décisions, de revendications.</q> Et pour cela, c'est bien à quatre "régimes de normativité" qu'elle emprunte cahin-caha : celui du progrès de la science, celui de l'interdépendance, celui de la comparaison géographique et celui du management.</p>
Nouvelles du front (7)
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2007-09-01T08:52:02+00:00
2007-10-02T12:28:02+00:00
Antoine Blanchard
Général
histoirepolitiqueéthique
<p>Ce blog fait sa rentrée, et on démarre en revenant sur ce qui s'est passé cet été sur le front de la "science en action". Un été pas triste, comme vous allez le voir !</p>
<p>Entre les 4 et 28 juin, le personnel de la Cité des sciences et de l'industrie <a href="http://sudculturecsi.org/greve-2007-06.htm">faisait grève</a> pour protester contre la politique des salaires et la gestion des carrières par la direction. Comme attendu, les visites estivales du site <a href="http://menilmontant.noosblog.fr/mon_weblog/2007/06/grve_la_cit_des.html">ont été hautement perturbées</a>, ainsi qu'<a href="http://ohlavache.hautetfort.com/archive/2007/06/12/le-mauvais-oeil-est-sur-moi.html">en témoigne cette blogueuse</a>…</p>
<p>Michelle Bergadaà proposait en juillet son <a href="http://larsg.over-blog.com/article-11377435.html">jeu de l'été</a> : comment deux articles parus en 2006 dans le <em>Journal of Business Research</em> et le <em>Journal of Social Sciences</em> se sont-ils retrouvés avec 50 lignes en commun ? L'occasion de découvrir l'initiative "<a href="http://responsable.unige.ch/">Responsable</a>" de l'université de Genève, qui travaille à un meilleure prise de conscience du plagiat en science et propose quelques solutions à l'échelle des mémoires et thèses.</p>
<p>Le numéro d'août de <em>Pour la science</em> publiait un article de <a href="http://web.mit.edu/dikaiser/www/">David Kaiser</a> sur l'histoire de la cosmologie primordiale. On y lisait notamment un paragraphe sur la carrière d'Anthony Zee (je souligne) :</p>
<blockquote><p>En 1974, A. Zee, alors en année sabbatique à Paris, tomba sur des articles de théoriciens européens qui utilisaient des outils de la physique des particules pour tenter d’éclairer certaines questions cosmologiques. <strong>Cette rencontre fortuite ranima son intérêt pour la gravitation et, de retour aux Etats-Unis, à nouveau au contact de J. Wheeler, il réorienta ses recherches vers la cosmologie primordiale, et publia un article avec le physicien français Bernard Julia sur les dyons</strong>, des objets prédits dans les théories de grande unification et susceptibles d’apparaître dans l’Univers primordial.</p></blockquote>
<p>Or <em>Pour la science</em> est la version française de <em>Scientific American</em>. Et comme <a href="http://jeanzin.fr/index.php?2007/08/01/105-newsletter-08-07#revue1">le remarque</a> Jean Zin, on trouvait dans l'<a href="http://www.sciamdigital.com/index.cfm?fa=Products.ViewIssuePreview&ARTICLEID_CHAR=773D29CB-2B35-221B-6185392C752F1086" hreflang="en">article original</a> (je souligne) :</p>
<blockquote><p>He rented an appartment from a French physicist while on sabbatical in Paris in 1974, and in his borrowed quarters he stumbled on a stack of papers by European theorists that tried to use ideas from particle theory to explain various cosmological features (such as why the observable universe contains more matter than antimatter). <strong>Although he found the particular ideas in the papers unconvincing, the chance encounter reignited Zee’s earlier interest in gravitation.</strong> Returning from his sabbatical and back in touch with Wheeler, Zee began to redirect his research interest toward particle cosmology.</p></blockquote>
<p>Bref, pour la circonstance, le traducteur a supprimé la critique des travaux européens et a ajouté la mention du physicien français <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Bernard_Julia">Bernard Julia</a>... Même l'histoire des sciences "universelles" et "objectives" doit parfois ménager les susceptibilités nationales !</p>
<p>Le 3 août, <em>Le Monde</em> <a href="http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3244,36-941524,0.html">rapportait</a> les <a href="http://dx.doi.org/10.1016/j.stem.2007.07.001" hreflang="en">conclusions des chercheurs</a> qui ont cherché à comprendre la manière dont le professeur Hwang <a href="http://www.inserm-actualites.com/fileadmin/user_upload/197/fichiers/CBE11Hwang.pdf" hreflang="PDF">avait pu frauder</a>. Le journaliste Jean-Yves Nau commence son article par : <q>L'une des plus belles et des plus tristes affaires de fraude scientifique dans le monde de la biologie cellulaire vient, peut-être, de trouver son épilogue.</q> Il faudra qu'on m'explique en quoi cette affaire, marquée par de graves manquements éthiques (2 061 ovules ont été obtenus de 129 femmes, les laborantines de Hwang ayant contribué sous la pression et des étudiantes en échange de 1 500 dollars), peut être qualifiée de <q>belle</q>… Sinon, deux remarques sur l'article des chercheurs américains, canadiens et japonais : il paraît dans le premier numéro d'une revue spécialisée dans la recherche sur les cellules souches, <em>Cell Stem Cell</em> (un nom un peu absurde qui s'explique par son affiliation à la fameuse revue <em>Cell</em>) et il réussit l'exploit de ne jamais <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2007/06/04/173-les-citations-en-science">citer</a> l'article original de Hwang <em>et al.</em>, ce qui s'explique par le fait qu'il ait été <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2007/04/26/154-retractation-des-articles-et-des-hommes">rétracté</a> mais rend l'article assez bancal !</p>
<p>Entre le 8 août, jour de sa parution en ligne, et le 20 août, où correction fut faite après que j'ai gentiment écrit au comité de rédaction <em>Nature Biotechnology</em>, <a href="http://www.nature.com/nbt/journal/v25/n8/box/nbt0807-874_audecl.html" hreflang="en">cette déclaration d'intérêts financiers</a> était vide. Assez ennuyeux quand, en fait, le chercheur incriminé possède un brevet sur la technologie dont il fait l'éloge dans son article !</p>
<p><a href="http://megamachine.free.fr/?p=116">Pour Guy Morant</a>, le mois d'août était aussi celui où <em>Science & vie</em> recouvrait <q>sa dignité de vulgarisateur officiel de la pensée matérialiste</q> après avoir <q>frôlé l’excommunication par les brights français, suite à la parution de son numéro spécial sur les miracles (n°236)</q> !</p>
<p class="center"><a href="http://www.flickr.com/photos/ponsfrilus/503101583/" title=""><img src="http://farm1.static.flickr.com/232/503101583_1d88d8a9a9_m_d.jpg" alt="" style="border: solid 1px #999; padding:6px;"></a> <small>©© Ponsfrilus</small></p>
<p>Et aujourd'hui, Bruno Latour <a href="http://richard-descoings.net/index.php?2007/07/31/111-bruno-latour-devient-directeur-adjoint-directeur-scientifique-de-sciences-po">devient officiellement</a> le directeur scientifique et directeur adjoint de Sciences Po. Pour mes lecteurs les moins au fait, Latour n'est pas qu'un monument de la sociologie des sciences puisque ses derniers travaux interrogent notre attitude soit-disant moderne vis-à -vis de la séparation entre nature et culture, la place des objets ("non-humains") dans le monde ou l’ensemble des conditions ("<a href="http://www.cso.edu/fiche_rencontre.asp?renc_id=91">l'atmosphère</a>") qui rendent vivables les formes institutionnelles de la démocratie. Je suis curieux de voir comment il va infléchir la politique scientifique de Sciences Po et comment, après avoir formé de nombreux responsables industriels à l'Ecole des mines, il va laisser son empreinte sur l'univers politique français (et pourquoi pas pousser ses étudiants à créer un <a href="http://chicheweb.org/article.php3?id_article=206">parlement des choses</a>).</p>
Amnésie de la science mais pas des scientifiques !
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2006-12-13T06:37:09+00:00
2006-12-13T06:39:41+00:00
Antoine Blanchard
Science
histoireépistémologie
<p>Comme le répète inlassablement J.-M. Lévy-Leblond, la science n'a pas de mémoire :</p>
<blockquote><p>L'oubli est constitutif de la science. Impossible pour elle de garder la mémoire de toutes ses erreurs, la trace de toutes ses errances. La prétention à dire le vrai force à oublier le faux. La positivité de la science l'oblige à nier son passé. (...) C'est Whitehead qui affirmait : "Une science qui hésite à oublier ses fondateurs est condamnée à la stagnation", faisant ainsi du reniement un véritable programme épistémologique, de l'amnésie un critère de scientificité. (...) Aussi il ne faut pas s'étonner que les scientifiques méconnaissent l'histoire de leur discipline. Il est inutile d'avoir lu Galilée, Newton ou même Einstein pour être physicien, Claude Bernard, Pasteur ou Morgan pour être biologiste, Lavoisier, Van't Hoff ou Grignard pour être chimiste. ("Un savoir sans mémoire" in <em>La Pierre de touche</em>, Folio essais, 1996)</p></blockquote>
<p>Cela tient à sa nature prospective (tournée vers l'avenir) et le fait que son socle de connaissance se réévalue en permanence à la lumière des nouvelles découvertes (passant ainsi à la trappe ses errements et impasses, reformulant les formules de Galilée et Newton…). Plus pragmatiquement, imaginez si un étudiant en biologie devait apprendre toute la biologie depuis Pasteur... et imaginez son petit-fils qui devrait apprendre beaucoup plus encore vu l'explosion des connaissances, ce serait rapidement impossible. C'est ainsi que les connaissances s'intègrent les uns aux autres et si on donne le nom d'un scientifique à sa formule ou son unité de mesure, c'est plus par "rite propitiatoire" (Lévy-Leblond, <em>ibidem</em>) que comme source d'inspiration active et de référence féconde.</p>
<p>De fait, les courbes de citation des articles scientifiques s'effondrent rapidement après quelques années : l'<a href="http://biblio-fr.info.unicaen.fr/bnum/jelec/Solaris/d02/2polanco3.html#RTFToC27">indice de Price</a>, ou proportion de références faites dans les cinq années après publication, varie ainsi entre 60 et 70% pour la physique et la biochimie et entre 40 et 50% pour les sciences sociales (qui ont plus de mémoire, donc). C'est nécessaire pour ne pas être submergé par le volume de connaissance produit chaque année mais parfois malheureux pour des découvertes oubliées et redécouvertes, comme celle de Mendel (on appelle ces articles "ressuscités" des <em><a href="http://tomroud.blogspot.com/2006/10/citations-une-approche-physique.html">sleeping beauties</a></em>).</p>
<p>Or si on ne peut qu'encourager les chercheurs à s'intéresser à l'histoire de leur discipline et à <a href="http://www.le-doc.info/index.php/2006/12/10/76-la-nature-de-darwin-est-elle-muette">se plonger dans ses textes fondateurs</a>, on devrait les obliger à connaître l'histoire de leurs institutions. Comment défendre, <a href="http://sciencescitoyennes.org/article.php3?id_article=123">comme le fait "Sauvons la recherche"</a>, la capacité d'intervention des EPIC et des EPST si l'on ne sait pas d'où vient le CNRS ?</p>
<p>Justement, dimanche dernier a été <a href="http://histoire-cnrs.revues.org/">mise en ligne</a> la <em>Revue pour l'histoire du CNRS</em>, avec un accès libre au texte intégral de certains articles et un <em>moving wall</em> de 2 ans. Exemples de thèmes abordés : "<a href="http://histoire-cnrs.revues.org/document538.html">L’Institut de biologie physico-chimique</a>", "<a href="http://histoire-cnrs.revues.org/document539.html">Un demi-siècle de génétique de la levure au CNRS</a>" ou encore "<a href="http://histoire-cnrs.revues.org/document543.html">Les sciences sociales en France : développement et turbulences dans les années 1970</a>". Plus aucune excuse, donc, pour que les scientifiques ignorent leur histoire, à défaut que la science connaisse la sienne.</p>