La science, la cité - Mot-clé - vulgarisation
"La science, la cité" par Enro, alias Antoine Blanchard
2022-01-02T10:30:39+01:00
Antoine Blanchard
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Dotclear
Quels sont les effets de la médiation scientifique en général, et de l'art-science en particulier ?
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2014-03-22T22:56:00+01:00
2014-04-09T22:56:39+02:00
Antoine Blanchard
Général
communication scientifiqueculture scientifiquepolitiquevulgarisation
<p>Pas plus tard que mardi dernier, je discutais avec trois étudiants du <a href="http://www.u-bordeaux3.fr/fr/formations/offre_de_formation/MLMD/SCINFO/msh-21.html">master bordelais de médiation scientifique</a>. Ils s'étonnaient du nombre relativement élevé de formations universitaires (ou écoles de journalisme) en médiation-communication des sciences, pour un domaine qui n'est finalement qu'un microcosme ou presque. Ce fut l'occasion de leur sortir la fameuse hypothèse de Joëlle Le Marec, qui continue de "fonctionner" 5 ans plus tard. Lors d'une <a href="http://www.ens-lyon.fr/asso/groupe-seminaires/seminaires/voirsem.php?id=jlemarec">conférence donnée à l'ENS Lyon</a>, elle proposait l'idée que le développement des actions de culture scientifique avait moins fait pour le développement des filières scientifiques que pour celui… des filières de médiation scientifique. Qu'on pense aussi à tous les scientifiques arrivés jusqu'en licence ou en master et qui bifurquent vers les formations puis les métiers de la communication scientifique (si je me fie aux CV de candidats stagiaires reçus chez Deuxième labo, par exemple). Et on peut sans doute les comprendre vu l'état anémique des carrière scientifiques à l'université française, là où la médiation scientifique a le vent en poupe. Ainsi, la justification de "lutter contre la désaffection des étudiants pour les sciences" par la culture scientifique ne serait qu'un alibi ?</p>
<p>C'est l'une des deux ambiguïtés (pour ne pas dire plus) du discours institutionnel sur la culture scientifique, technique et industriel (CSTI) dont je parle dans une <a href="http://www.deuxieme-labo.fr/article/evaluer-la-csti-note-biblio/">note bibliographique publiée sur le blog de Deuxième labo</a>. La seconde ambiguïté, puisque la question vous brûle les lèvres, concerne la cible véritable de la vulgarisation : Baudoin Jurdant défend depuis longtemps l'hypothèse selon laquelle la CSTI remplirait une fonction d'oralisation de la science profitant avant tout au scientifique qui vulgarise, plutôt qu'au public qu'il est censé informer. En effet, combien de fois avons-nous entendu <q>je vulgarise pour mieux comprendre ce que je fais</q> ? Voici une autre position à contre-courant de la "pensée unique" sur la CSTI. Et, sans prétendre me mesurer à ces iconoclastes, <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2010/07/07/431-a-quoi-sert-la-vulgarisation">j'avais décrit de mon côté</a> l'idée d'une vulgarisation visant simplement à engager la conversation et créer du lien social, autour des sujets rassembleurs, étonnants… que sont les sujets scientifiques. Une hypothèse, écrivais-je, qui <q>joue beaucoup moins sur les cordes sensibles des financeurs et institutionnels de la recherche…</q>.</p>
<p>D'où l'intérêt, finalement, de mieux comprendre les effets des actions et politiques publiques de CSTI, pour passer des objectifs imaginés aux accomplissements réels. C'est l'objet de cette <a href="http://www.deuxieme-labo.fr/article/evaluer-la-csti-note-biblio/">petite note bibliographique</a>. J'y défends le principe d'une évaluation sérieuse de la CSTI, qui est étonnamment très très rare. En insistant sur <a href="http://www.deuxieme-labo.fr/article/evaluer-la-csti-note-biblio/#comment-58959">la nuance introduite par Pascal Lapointe en commentaire</a> : il ne sert à rien de mesurer la "culture scientifique" hors de tout contexte en interrogeant à intervalles réguliers un panel de citoyens sur quelques connaissances scientifiques, comme le fait par exemple l'Eurobaromètre. C'est au mieux inutile (les scores <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2006/01/03/1-pourquoi">n'ayant pas bougé entre 1992 et 2001</a>, comme sous l'effet d'un fond culturel à grande inertie) et au pire contre-productif (car on s'imagine qu'être cultivé scientifiquement, c'est savoir que la Terre tourne autour du soleil). Par contre, un questionnaire adapté à l'activité de CST auquel le public vient de participer est tout à fait pertinent pour comprendre les effets de cette activité.</p>
<p>Je citerai un très bon exemple tiré de l'ouvrage de 2013 dirigé par Masseran et Chavot, <a href="http://lectures.revues.org/13109">dont j'ai donné un compte-rendu par ailleurs</a> : il s'agit d'une étude de Joanne Clavel sur la réception par le public d'un spectacle de danse à contenu scientifique. Elle part du postulat selon lequel <q>la dimension esthétique et sensible apporte une autre forme de communication</q>, l'art proposant en particulier <q>une quasi absence de contrôle du sens vis-à-vis du destinataire</q>. Ce qui nous emmène dans une <em>terra incognita</em> par rapport aux pratiques classiques de vulgarisation. D'où l'importance de se demander ce que le public fait du spectacle auquel il assiste, et comment il en construit le sens.</p>
<p>Sans entrer dans le détail, Joanne montre que le prospectus "scientifique" qui accompagne le spectacle est finalement très peu lu. Les spectateurs sont surpris par le spectacle de danse qui se déroule dans les allées de la ménagerie du Jardin des plantes et s'arrêtent pour y assister. Une fois leur intérêt enclenché, ils comprennent ce qu'ils voient (plus de 80% des spectateurs ont reconnu une interprétation d'oiseaux), et ressenti des émotions assez fortes (note moyenne de 3,5 sur une échelle allant de -5 à 5). Il s'agit clairement d'une approche alternative à la transmission de connaissances : <q>la médiation par la danse renvoie ici aux dimensions esthétiques et éthiques de la biologie de la conservation et pas uniquement à sa dimension cognitive classique</q>. Mais les résultats de l'évaluation montrent bien que cette approche donne des résultats.</p>
<p>Cette recherche n'est pas anodine. D'une part, elle aide les professionnels de la médiation à comprendre le statut des spectacles art-science : <q>toucher le spectateur par l'enchantement du monde qu'elle propose</q> ? Fournir un marchepied à la vulgarisation classique ? Renvoyer à d'autres dimensions de la science comme l'éthique ? D'autre part, elle concerne aussi les décideurs qui élaborent les politiques de culture scientifique. En effet, la médiation des sciences par l'art ("art-science") a le vent en poupe, et s'institutionnalise de plus en plus. Ainsi, la région Île-de-France précisait dans son <a href="http://www.iledefrance.fr/soutien-promotion-culture-scientifique-citoyenne" hreflang="fr">appel à projets 2014 de soutien à la promotion de la culture scientifique</a> que, pour être éligibles, les actions à dimension artistique <q>auront comme objectifs premiers la culture scientifique et devront également être accompagnés par une médiation scientifique ou une mise en débat</q>. Or si 77 % des spectateurs ne lisent pas le prospectus scientifique, et que le dispositif transmet bien des connaissances transformées en émotion et en expérience, on peut se demander au nom de quoi il faudrait l'enrober de ceci ou cela…</p>
Hommage à Moebius
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2012-03-10T18:49:50+00:00
2012-03-10T18:51:26+00:00
Antoine Blanchard
Général
artculture scientifiquephysiquevulgarisation
À l'occasion du décès de Jean Giraud, alias Mbius, je republie ce billet de janvier 2011 qui revenait sur ses rapports avec la science et la vulgarisation. Mbius a fait rêver de nombreux enfants et adultes, qui se sentent tous un peu orphelins ce soir ! Jean, au revoir et surtout merci :-) <p>L'artiste génial Mbius (alias Jean Giraud) expose en ce moment et jusqu'au 13 mars 2011 à la <a href="http://fondation.cartier.com/">Fondation Cartier pour l'art contemporain</a> (Paris). Je n'ai pas vu l'exposition, intitulée "Mbius-Transe-Forme", mais on m'a offert son catalogue (aux éditions Actes Sud) qui est superbe à tous points de vue ! Une douzaine de pages sont signées <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Cassé">Michel Cassé</a>, directeur de recherche au CEA et chercheur associé à l'Institut d'astrophysique de Paris. En prélude à un entretien avec Mbius, Michel Cassé avance qu'en matière d'ésotérisme, "la science contemporaine ne craint personne (
) comme en témoigne cette livraison de juin 2010 d'<a href="http://fr.arxiv.org/">arXiv</a>, le serveur internet de la physique de pointe, section 'Relativité générale et cosmologie quantique'" :</p>
<blockquote><p>Title: <em><strong>Brans-Dicke Wormhole Revisited -- II</strong></em><br />
Authors: Ramil Izmailov, Amrita Bhattacharya and Kamal K. Nandi</p>
<p>Title: <strong><em>Dirac's scalar field as dark energy within the frameworks of conformal theory of gravitation in Weyl-Cartan space</em></strong><br />
Authors: Olga V. Babourova, Boris N. Frolov and Roman S. Kostkin</p>
<p>Title: <strong><em>cuInspiral: prototype gravitational waves detection pipeline fully coded on GPU using CUDA</em></strong><br />
Authors: Leone B. Bosi</p>
<p>Title: <strong><em>Unusual Thermodynamics on the Fuzzy 2-Sphere</em></strong><br />
Authors: Sanatan Digal, Pramod Padmanabhan</p>
<p>Title: <em><strong>Effects of inhomogeneities on apparent cosmological observables: "fake'' evolving dark energy</strong></em><br />
Authors: Antonio Enea Romano, Misao Sasaki, Alexei A. Starobinsky</p>
<p>Title: <em><strong>Quantization of horizon areas of the Kerr black hole</strong></em><br />
Authors: Yongjoon Kwon, Soonkeon Nam</p>
<p>Title: <em><strong>Cascading Gravity is Ghost Free</strong></em><br />
Authors: Claudia de Rham, Justin Khoury, Andrew J. Tolley</p></blockquote>
<p>C'est vrai qu'il y a de l'exotisme dans cet inventaire à la Prévert. Quand les physiciens reçoivent chaque matin dans leur boîte mail la liste des nouvelles publications de leur domaine recensées par arXiv, nul doute qu'ils y voient autre chose. Le Dictionnaire de l'Académie <a href="http://www.cnrtl.fr/definition/academie8/ésotérisme">définit l'ésotérisme</a> comme une "doctrine professée à l'intérieur de l'École et réservée à un certain nombre d'adeptes". Les physiciens sont peut-être des adeptes, et leurs "élucubrations" nous sont inaccessibles comme les théories des alchimistes étaient dites "<a href="http://www.cnrtl.fr/definition/academie8/hermétique">hermétiques</a>"
Mbius le dit à sa façon :</p>
<blockquote>C'est quand même un langage et une description qui ne peuvent être perçus que si on a été initié aux mathématiques à un haut niveau. C'est une cosmologie mathématique, numérique. Ça me rappelle un peu l'Égypte ancienne où il y avait plusieurs façons de décrypter le langage : celle des prêtres, celle des politiques et celle du peuple. C'est le même alphabet mais qui coexistait en trois langues. Ceux qui étaient au-dessus pouvaient comprendre les deux autres, mais ceux du bas ne pouvaient pas comprendre ceux du dessus
</blockquote>
<p>Peut-on, néanmoins, rendre accessibles ces savoirs ? Vaste question, qui agite les neurones de tous les penseurs de la vulgarisation depuis de nombreux siècles. À défaut, on peut aussi les rendre sensibles, les amener à un autre niveau de matérialité ou de pensée qui soit partageable. Michel Cassé avance que les illustrations et les bande-dessinées de Mbius sont de cet ordre-là :</p>
<blockquote>Généreux, surabondant est le vide quantique, il est si peuplé de particules virtuelles qu'on s'étonne d'y voir à travers. Qui chantera les métamorphoses de ce haut vide, sinon Mbius, réserve d'espace, généreux comme le temps ?</blockquote>
<p>Ou encore :</p>
<blockquote>La mécanique quantique est la mécanique de l'incertitude, de la déviation, de la transgression, celle de Mbius, par excellence.</blockquote>
<p>Tout ceci est fort intéressant, surtout rehaussé des uvres du sieur Giraud. Malheureusement, l'argumentation de Michel Cassé est souvent très absconse, succombant à son tour à un ésotérisme post-moderne qui tombe à plat. Mbius me paraît plus raisonnable et intéressant à la fois (il parle d'expérience) :</p>
<blockquote>Au-delà de l'aspect utilitaire [raconter des histoires], je me pose les questions, mais je manque d'outils pour aller jusqu'au bout de la réflexion. Ce qui est formidable quand je te rencontre et que je rencontre le monde de la physique, c'est que je m'aperçois qu'il y a des similitudes et des rencontres avec mon intuition, ma dérive poétique
</blockquote>
<p>Comment ne pas penser, à cette lecture, aux brèves rencontres <a href="http://www.cognition.ens.fr/traces/images/downloads/dp_science_pas%20_art.pdf">que nous vante Jean-Marc Lévy Leblond</a>, "où telle uvre dart entre en résonance momentanée avec tel travail de science, sans pour autant que se confondent les cheminements de lartiste et du scientifique" ?</p>
Où se cache l'ésotérisme
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2011-01-21T19:11:19+00:00
2011-01-21T19:35:00+00:00
Antoine Blanchard
Général
artculture scientifiquephysiquevulgarisation
<p>L'artiste génial Mbius (alias Jean Giraud) expose en ce moment et jusqu'au 13 mars 2011 à la <a href="http://fondation.cartier.com/">Fondation Cartier pour l'art contemporain</a> (Paris). Je n'ai pas vu l'exposition, intitulée "Mbius-Transe-Forme", mais on m'a offert son catalogue (aux éditions Actes Sud) qui est superbe à tous points de vue ! Une douzaine de pages sont signées <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Cassé">Michel Cassé</a>, directeur de recherche au CEA et chercheur associé à l'Institut d'astrophysique de Paris. En prélude à un entretien avec Mbius, Michel Cassé avance qu'en matière d'ésotérisme, "la science contemporaine ne craint personne (
) comme en témoigne cette livraison de juin 2010 d'<a href="http://fr.arxiv.org/">arXiv</a>, le serveur internet de la physique de pointe, section 'Relativité générale et cosmologie quantique'" :</p>
<blockquote><p>Title: <em><strong>Brans-Dicke Wormhole Revisited -- II</strong></em><br />
Authors: Ramil Izmailov, Amrita Bhattacharya and Kamal K. Nandi</p>
<p>Title: <strong><em>Dirac's scalar field as dark energy within the frameworks of conformal theory of gravitation in Weyl-Cartan space</em></strong><br />
Authors: Olga V. Babourova, Boris N. Frolov and Roman S. Kostkin</p>
<p>Title: <strong><em>cuInspiral: prototype gravitational waves detection pipeline fully coded on GPU using CUDA</em></strong><br />
Authors: Leone B. Bosi</p>
<p>Title: <strong><em>Unusual Thermodynamics on the Fuzzy 2-Sphere</em></strong><br />
Authors: Sanatan Digal, Pramod Padmanabhan</p>
<p>Title: <em><strong>Effects of inhomogeneities on apparent cosmological observables: "fake'' evolving dark energy</strong></em><br />
Authors: Antonio Enea Romano, Misao Sasaki, Alexei A. Starobinsky</p>
<p>Title: <em><strong>Quantization of horizon areas of the Kerr black hole</strong></em><br />
Authors: Yongjoon Kwon, Soonkeon Nam</p>
<p>Title: <em><strong>Cascading Gravity is Ghost Free</strong></em><br />
Authors: Claudia de Rham, Justin Khoury, Andrew J. Tolley</p></blockquote>
<p>C'est vrai qu'il y a de l'exotisme dans cet inventaire à la Prévert. Quand les physiciens reçoivent chaque matin dans leur boîte mail la liste des nouvelles publications de leur domaine recensées par arXiv, nul doute qu'ils y voient autre chose. Le Dictionnaire de l'Académie <a href="http://www.cnrtl.fr/definition/academie8/ésotérisme">définit l'ésotérisme</a> comme une "doctrine professée à l'intérieur de l'École et réservée à un certain nombre d'adeptes". Les physiciens sont peut-être des adeptes, et leurs "élucubrations" nous sont inaccessibles comme les théories des alchimistes étaient dites "<a href="http://www.cnrtl.fr/definition/academie8/hermétique">hermétiques</a>"
Mbius le dit à sa façon :</p>
<blockquote>C'est quand même un langage et une description qui ne peuvent être perçus que si on a été initié aux mathématiques à un haut niveau. C'est une cosmologie mathématique, numérique. Ça me rappelle un peu l'Égypte ancienne où il y avait plusieurs façons de décrypter le langage : celle des prêtres, celle des politiques et celle du peuple. C'est le même alphabet mais qui coexistait en trois langues. Ceux qui étaient au-dessus pouvaient comprendre les deux autres, mais ceux du bas ne pouvaient pas comprendre ceux du dessus
</blockquote>
<p>Peut-on, néanmoins, rendre accessibles ces savoirs ? Vaste question, qui agite les neurones de tous les penseurs de la vulgarisation depuis de nombreux siècles. À défaut, on peut aussi les rendre sensibles, les amener à un autre niveau de matérialité ou de pensée qui soit partageable. Michel Cassé avance que les illustrations et les bande-dessinées de Mbius sont de cet ordre-là :</p>
<blockquote>Généreux, surabondant est le vide quantique, il est si peuplé de particules virtuelles qu'on s'étonne d'y voir à travers. Qui chantera les métamorphoses de ce haut vide, sinon Mbius, réserve d'espace, généreux comme le temps ?</blockquote>
<p>Ou encore :</p>
<blockquote>La mécanique quantique est la mécanique de l'incertitude, de la déviation, de la transgression, celle de Mbius, par excellence.</blockquote>
<p>Tout ceci est fort intéressant, surtout rehaussé des uvres du sieur Giraud. Malheureusement, l'argumentation de Michel Cassé est souvent très absconse, succombant à son tour à un ésotérisme post-moderne qui tombe à plat. Mbius me paraît plus raisonnable et intéressant à la fois (il parle d'expérience) :</p>
<blockquote>Au-delà de l'aspect utilitaire [raconter des histoires], je me pose les questions, mais je manque d'outils pour aller jusqu'au bout de la réflexion. Ce qui est formidable quand je te rencontre et que je rencontre le monde de la physique, c'est que je m'aperçois qu'il y a des similitudes et des rencontres avec mon intuition, ma dérive poétique
</blockquote>
<p>Comment ne pas penser, à cette lecture, aux brèves rencontres <a href="http://www.cognition.ens.fr/traces/images/downloads/dp_science_pas%20_art.pdf">que nous vante Jean-Marc Lévy Leblond</a>, "où telle uvre dart entre en résonance momentanée avec tel travail de science, sans pour autant que se confondent les cheminements de lartiste et du scientifique" ?</p>
<p>>> Billet initialement publié <a href="http://enro.artsciencefactory.fr/">sur mon blog ArtScienceFactory</a></p>
Manifeste pour une médiation scientifique auto-critique, responsable et émancipatrice
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2010-07-12T20:04:23+00:00
2010-07-14T12:11:25+00:00
Antoine Blanchard
Général
culture scientifiquevulgarisation
<p>J'y faisais allusion dans <a href="http://enroweb.com/blogsciences/index.php?2010/07/07/431-a-quoi-sert-la-vulgarisation">mon dernier billet</a>, il vient de sortir : le <a href="http://revoluscience.eu">manifeste Révoluscience pour une médiation scientifique auto-critique, responsable et émancipatrice</a>.</p>
<p><strong>Retour sur la genèse</strong></p>
<p>Révoluscience, c'est un collectif qui s'est saisi de la question de la médiation scientifique à l'occasion du colloque Pari d'avenir en 2008 (<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2008/07/22/307-colloque-pari-d-avenir-2008-live-blogging-sur-trois-jours">souvenez-vous...</a>). L'idée était d'échanger autour des objectifs et des pratiques de la culture scientifique, avec des participants les plus hétérogènes possibles (chercheurs, médiateurs, étudiants, institutionnels). Le <a href="http://www.scribd.com/doc/4065312/Programme-colloque">programme du colloque</a> est d'ailleurs toujours en ligne... Après coup, <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2008/08/10/311-retour-sur-le-colloque-pari-d-avenir-pourquoi-changer-les-pratiques-de-la-culture-scientifique">voici ce que j'écrivais</a> sur cette réflexion/rencontre inédite :</p>
<blockquote><p>La chose qui m'a le plus frappé, c'est à quel point les présupposés même du débat ne sont pas forcément partagés. Valoriser la culture scientifique ? Oui, tout le monde est d'accord. Mais renégocier ce que cela signifie ? Pas facile. En particulier, certaines personnes sont ancrées dans des pratiques depuis plusieurs années, ou sont des scientifiques elles-même, et ont donc du mal à envisager les choses sous un angle nouveau. C'était bien là, pourtant, l'enjeu du colloque : produire suffisamment de réflexion pour donner matière à un manifeste à venir "pour une révision des objectifs et des pratiques de la culture scientifique". Avec une difficulté supplémentaire qui est que finalement, la diversité est un facteur crucial. Faut-il vraiment vouloir limiter le partage de la culture scientifique à un ou deux objectifs prioritaires et à un ou deux types de pratiques bien identifiés ? Difficile de répondre... Néanmoins, il était salutaire de se poser ces questions.</p></blockquote>
<p><strong>Le manifeste...</strong></p>
<p>...sera dévoilé par morceaux, tous les lundis jusqu'au 9 août. Je proposerai probablement ma sélection de "morceaux choisis" une fois la publication complète. En attendant, vous pouvez déjà consulter le <a href="http://revoluscience.eu/?cat=9">chapitre sur les objectifs et pratiques de la médiation scientifique</a>. Viendront ensuite :</p>
<ul>
<li>Rapport aux publics</li>
<li>Quelle science ?</li>
<li>Nature et progrès</li>
<li>Réflexivité et responsabilité</li>
</ul>
<p><strong>Et maintenant ?</strong></p>
<p>J'espère d'abord que ce manifeste attirera l'attention et sera au moins lu, voire discuté. Une déclinaison du manifeste est d'ailleurs <a href="http://revoluscience.eu/manifeste/">disponible sous Commentpress</a> afin que chaque paragraphe puisse être discuté et amendé collectivement. Il <a href="http://revoluscience.eu/?page_id=459">pourra servir</a> à fédérer une communauté, à proposer une boîte à outils pour inciter à penser la science… et pour la communiquer, et enfin renouveler les pratiques. Cette action a surtout été pensée pour contribuer à changer des choses sur le terrain et à dépasser certaines habitudes de médiation issues de la "tradition", et probablement jamais remises en question. On verra si ces objectifs sont remplis ! Accessoirement, il est prévu également un ouvrage aux Éditions du Cavalier Bleu (<em>Idées reçues sur la science</em>), à paraître début 2011, qui a été rédigé de manière concomitante à ce travail de réflexion.</p>
<p><strong>MàJ 14/07</strong> : <a href="http://www.facebook.com/event.php?eid=109975719054988">un atelier</a> sera organisé du 21 au 24 juillet, dans le cadre du festival Paris-Montagne, pour discuter le manifeste. N'hésitez pas à y participer !</p>
À quoi sert la vulgarisation ?
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2010-07-07T14:00:32+00:00
2010-07-14T17:08:05+00:00
Antoine Blanchard
Général
relations science-sociétévulgarisation
<p>J'avais envie de ce billet depuis longtemps, et ce sont deux événements récents qui l'ont mis en branle. D'abord, le <a href="http://vulgaristom.blogspot.com/2010/06/quels-enjeux-partie-1.html">billet du blog "Vulgaris"</a> qui se demande s'il faut continuer à vouloir susciter des vocations scientifiques, et <a href="http://www.r-d.paris-montagne.org/index.php/2010/07/06/doit-on-continuer-a-vouloir-susciter-des-vocations-scientifiques/">la réponse</a> (outrée) de Chloé. Ensuite, c'est le lancement prochain d'un manifeste pour une médiation scientifique auto-critique, responsable et émancipatrice — dont on reparlera très vite.</p>
<p>À quoi sert la vulgarisation, donc. Vous savez déjà que je ne suis pas dupe, et que l'industrie de la vulgarisation scientifique <a href="http://www.leprisme.eu/blog/?p=317">profite surtout à elle-même</a>. Je rejoins également Marine <a href="http://vulgaristom.blogspot.com/2010/06/quels-enjeux-partie-1.html?showComment=1278357943627#c4852305595971098084">quand elle affirme</a> qu'au final <q>tout ça, n’est souvent qu’une vaste entreprise de légitimation (sincère) de la science et de la recherche par les acteurs de la science et de la recherche</q>. Mais il reste des bonnes raisons de vouloir vulgariser<sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2010/07/07/431-a-quoi-sert-la-vulgarisation#pnote-431-1" id="rev-pnote-431-1">1</a>]</sup>, et le pluriel est important puisque ces raisons séparent souvent des associations qui semblent pourtant sorties du même moule de "la science pour tous".</p>
<p> </p>
<p><strong>Vulgariser pour "participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent"</strong></p>
<p>Ce n'est pas moi qui le dit mais la Déclaration universelle des droits de l'homme, dans son <a href="http://www.un.org/fr/documents/udhr/#a27">article 27</a> : <q>Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent</q>. C'est très beau, ça a pu inspirer dans les années d'après-guerre mais j'ignore si des initiatives de vulgarisation continuent à s'en revendiquer. Au-delà de l'idée d'égal accès à un progrès matériel et à ses bienfaits (médecine, informatique…), j'interprète cette injonction de manière large : les scientifiques changent le monde, et ils doivent expliquer (à tout le monde !) comment ils le changent !</p>
<p> </p>
<p><strong>Vulgariser pour former des futurs scientifiques</strong></p>
<p>Quoiqu'en dise Chloé, l'argument de la désaffection des filières est l'un des plus fréquemment retenus pour justifier les initiatives de vulgarisation scientifique, qu'elles soient formelles (la main à la pâte) ou informelles (festivals de science, productions audiovisuelles, musées et centres de science…). Si l'on touche plus de jeunes, alors on repeuplera les laboratoires, les centres d'ingénierie et les départements de R&D — pour le plus grand bonheur des scientifiques du pays, de leurs associations professionnelles et du PIB. Ca marche… <a href="http://ec.europa.eu/research/research-eu/special_education/01/article_edu07_fr.html">mais pas partout</a> :</p>
<blockquote><p>la volonté de devenir scientifique ou ingénieur dans les pays plus pauvres peut s'interpréter du fait de leur moindre développement socio-économique. Beaucoup d'entre eux se situent au niveau auquel se trouvait l'Europe après la Seconde guerre mondiale. Il s'agissait alors de reconstruire. Les ingénieurs et les scientifiques étaient des héros. Leur aura poussait les enfants vers les études scientifiques et techniques. Je pense qu'aujourd'hui les pays les moins avancés se trouvent dans une situation comparable.</p>
<p>Il faut admettre que plus un pays est développé, moins ses étudiants souhaitent devenir scientifiques ou ingénieurs. Ces disciplines ne leur apparaissent pas suffisamment importantes et significatives. Elles semblent "hors du coup" et obsolètes. Mais il est intéressant de noter que des domaines mieux cotés – comme la biologie, la médecine et les études de vétérinaire, les sciences de l'environnement – ne souffrent pas du même manque d'étudiants. Pour ces jeunes, travailler sur des défis dans les domaines de la santé ou de l'écologie a plus de sens que de se plonger dans la physique, les maths ou la technologie.</p></blockquote>
<p> </p>
<p><strong>Vulgariser pour former des citoyens éclairés et critiques</strong></p>
<p>La place de la science dans notre société fait des connaissances scientifiques le bagage indispensable de tout futur citoyen, à la fois en terme de connaissances et de méthodes ou valeurs. Sauf que cela peut être lu dans les deux sens : en général, les gouvernants estiment qu'un peuple mieux informé prendra de meilleures décisions (c'est-à-dire celles que lui-même défend). Si on explique largement les nanos, alors on aura les citoyens derrière nous. Sauf que <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2006/11/10/53-de-la-co-construction-des-savoirs">ça ne marche pas comme ça</a>… À l'inverse, il peut s'agir d'une vraie volonté d'<em>empowerment</em> des citoyens, et de les former pour les faire participer aux choix scientifiques et techniques. Tout est question de démarche, de processus, et de contenu…</p>
<p> </p>
<p><strong>Vulgariser pour engager la conversation</strong></p>
<p>Et si finalement la vulgarisation n'était qu'un prétexte à faire des activités, rencontrer du monde, échanger autour de questions et préoccupations communes — et finalement à créer du lien social ? C'est une hypothèse forte, que j'assume de plus en plus. J'ai cru comprendre que ce fut un temps l'ambition du festival Paris-Montagne, mais il <a href="http://infusoir.hypotheses.org/32">se recentre aujourd'hui</a> sur l'idée de <q>faire passer les valeurs positives portées par la science</q>. Cet objectif de "conversation" est important, et sans doute plus universel que les autres, mais il joue beaucoup moins sur les cordes sensibles des financeurs et institutionnels de la recherche
Alors forcément il disparaît des objectifs affichés de la CST, et c'est bien dommage ! :(</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2010/07/07/431-a-quoi-sert-la-vulgarisation#rev-pnote-431-1" id="pnote-431-1">1</a>] J'utilise ici le terme "vulgarisation", moins glamour que "médiation" ou "communication", parce que c'est surtout ce courant "classique" qui m'intéresse.</p></div>
L'histoire de la penicilline selon la BBC
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2009-08-04T12:02:57+00:00
2009-08-04T15:29:07+00:00
Antoine Blanchard
Général
culture scientifiquehistoirevulgarisation
<p>La <em>BBC 4</em> diffusait la semaine dernière <em><a href="http://www.bbc.co.uk/iplayer/episode/b00ly0t1/Breaking_the_Mould_The_Story_of_Penicillin/" hreflang="en">Breaking the Mould</a></em>, un docu-fiction sur la naissance de la pénicilline entre les mains de… Florey et Chain ! Première surprise pour certains qui associent indéfectiblement pénicilline et Fleming. Mais pas pour les lecteurs du Bacterioblog qui se souviennent de l'<a href="http://bacterioblog.over-blog.com/article-10513113.html">excellent billet de Benjamin</a> il y a deux ans, ni pour ceux qui savent que le <a href="http://nobelprize.org/nobel_prizes/medicine/laureates/1945/" hreflang="en">prix Nobel de physiologie/médecine 1945</a> est allé aux trois hommes.</p>
<p class="center"><a href="http://www.flickr.com/photos/enro/142203932/" title=" "><img src="http://farm1.static.flickr.com/46/142203932_94decd94e7_m.jpg" alt=" " style="border: solid 1px #999; padding:6px;"></a></p>
<p>Il y aurait beaucoup à dire sur cette création originale, et je renvoie les lecteurs vers la <a href="http://www.lablit.com/article/532" hreflang="en">critique de Jennifer Rohn</a> sur le site <em>Lablit</em>. On y trouve en tous cas beaucoup de choses intéressantes : la distinction entre le chercheur de paillasse (Ernst Boris Chain), obsédé par sa quête et prêt à sacrifier beaucoup de choses pour son travail, et l'administrateur (Howard Walter Florey, seulement 8 ans plus agé) qui trouve les financements, recrute et rassemble les expertises dont a besoin le laboratoire, s'assure les soutiens politiques ou industriels. Ou échoue à se les allier, puisque l'industrie pharmaceutique dispose des sulfamides, qui seront les médicaments les plus vendus dans les années 1950, et que l'idée de produire des antibiotiques par fermentation lui est étrangère. La "culture chimique" de l'entreprise pharmaceutique va la tenir éloignée des antibiotiques, dont vont s'emparer des industriels de l'agro-alimentaires et autres spécialistes de la fermentation comme Pfizer<sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/08/04/407-l-histoire-de-la-penicilline-selon-la-bbc#pnote-407-1" id="rev-pnote-407-1">1</a>]</sup>. On constate aussi la faible place des femmes, on assiste aux débats sur les brevets (faut-il ou non breveter la péniciline ? Et si on ne le fait pas et que les Américains le font, est-ce que le Royaume-Uni sera privé d'une découverte aussi cruciale ?).</p>
<p>Ce qui m'a le plus intéressé, c'est la mise en image de ce que raconte Wei Chen dans son livre <em>Comment Fleming n'a pas inventé la pénicilline</em> (qui a pour titre original <em>The laboratory as business, Sir Almroth Wright's vaccine programme and the construction of penicillin</em>) : cette idée que la pénicilline de Fleming n'est pas la même pénicilline que celle de Florey et Chain : onze années ont passé, la Seconde guerre mondiale est là et la guérison des sépticémies, gangrènes et autres infections bactériennes est un aimant puissant. La pénicilline de Florey et Chain est construite comme un agent thérapeutique alors que celle de Fleming était un outil de laboratoire.</p>
<p>Dans cette narration très britannique, quelques libertés sont prises avec l'histoire. Est passé sous silence le rôle de René Dubos, dont Bruno Latour écrit<sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/08/04/407-l-histoire-de-la-penicilline-selon-la-bbc#pnote-407-2" id="rev-pnote-407-2">2</a>]</sup> que <q>par l'un des plus curieux cas de rétrodécouverte de l'histoire des sciences, il oblige Florey à s'intéresser enfin à cette moisissure que Fleming déclarait sans intérêt et dont l'effet ressemble grandement à la thyrothricine que lui, Dubos, vient de découvrir</q> (mais peut-être que cette version est teintée d'un autre nationalisme, français cette fois). Le film nous montre juste Chain lisant l'article de Fleming (le véritable, ça m'a ému de voir de la littérature scientifique en gros plan à la télé !) et creusant la piste de cette substance que Fleming n'avait pas réussi à faire produire en quantités suffisantes et à isoler. Quant à l'arrivisme de Fleming à la fin du film, qui vient récolter les lauriers du travail ingrat effectué par d'autres simplement parce qu'il actionne quelques leviers au sein du gouvernement, il est un peu forcé. Mais il a le mérite de montrer que la paternité d'une découverte est toute relative
aujourd'hui encore, la pénicilline reste associée au seul nom de Fleming !</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/08/04/407-l-histoire-de-la-penicilline-selon-la-bbc#rev-pnote-407-1" id="pnote-407-1">1</a>] Le film ne montre pas cette toile de fond, c'est mon travail au sein du <a href="http://www-ulpmed.u-strasbg.fr/ulpmed/dhvs/spip/article.php3?id_article=65">séminaire "Innovations médicales et thérapeutiques"</a> qui me l'a enseignée.<br />
[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/08/04/407-l-histoire-de-la-penicilline-selon-la-bbc#rev-pnote-407-2" id="pnote-407-2">2</a>] Préface à R. Dubos, ''Louis Pasteur : franc-tireur de la science'', La Découverte.</p></div>
Passée la porte du laboratoire (2)
urn:md5:1bd5afddfceae6cdbf2af302563c5d56
2009-07-23T09:08:30+00:00
2009-07-23T09:28:42+00:00
Antoine Blanchard
Général
culture scientifiquelivrevulgarisation
<p>Lewis Wolpert écrivait en 1992 que <q>le seul moyen de comprendre ce qu'est la science est sûrement de faire de la recherche</q><sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/07/23/405-passee-la-porte-du-laboratoire-2#pnote-405-1" id="rev-pnote-405-1">1</a>]</sup>, et on pourrait dire la même chose pour ce qui est de comprendre comment un chercheur voit le monde. Évidemment, c'est difficilement envisageable pour tout un chacun et nous voilà condamnés à projeter sur la <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2008/06/27/295-des-eleves-et-des-chercheurs">figure du chercheur</a> nos fantasmes les plus anciens : savant fou, professeur Nimbus etc.</p>
<p>Enfin, c'était vrai avant <a href="http://dps.plants.ox.ac.uk/plants/Staff/NicholasHarberd.aspx">Nicholas Harberd</a>. Ce biologiste des plantes renommé de l'Université d'Oxford a tenu un journal de bord durant l'année 2004, pour à la fois suivre le développement d'un plant sauvage d'Arabette des dames (cette plante-modèle que la plupart des biologistes ne connaissent qu'au laboratoire, j'ai nommé <em>Arabidopsis thaliana</em>) et nous offrir une tranche de sa vie et de ses réflexions de chercheur. Les objectifs qu'il avait en tête en commençant étaient ceux-là : montrer que l'esprit scientifique procède en sautant d'une chose à l'autre au lieu d'être platement logique et canalisé, <q>étudier une petite plante et sa place dans le monde</q> pour sortir sa science du laboratoire et la mettre à l'épreuve de la réalité. Puis après le mois de juillet, un autre objectif apparaît : <q>tenter de fusionner les esprits</q>, de partager avec le plus grand nombre la vision touffue, colorée et riche du monde que lui offrent ses yeux de chercheur.</p>
<p>Avec ce constat, cette frustration qu'il fait le 3 mars, après un résultat expérimental enthousiasmant :</p>
<blockquote><p>Comment communiquer cet enthousiasme ? Les raisons qui les sous-tendent, le contexte, sont cruciaux. Pourtant il est difficile de dépeindre fidèlement la profondeur et la résonance du contexte, car la langue avec laquelle ce tableau est peint n'est pas commune. C'est le problème de la spécialisation. Elle nous divise. Nous sommes séparés en cellules individuelles qui parlent du monde dans des langues différentes. Et bien que nous luttons pour comprendre notre monde, nous échouons à en former une vision collective.</p></blockquote>
<p class="center"><a href="http://www.flickr.com/photos/enro/3683997591/" title=" "><img src="http://farm3.static.flickr.com/2532/3683997591_1e54420861_m.jpg" alt=" " style="border: solid 1px #999; padding:6px;"></a></p>
<p>Le résultat, <em>Seed to Seed</em>, est un des plus beaux livres de science qu'il m'ait été offert de lire. Harberd montre que derrière la technicité du travail de chercheur et des expériences de laboratoire (dont son équipe se charge le plus souvent) il y a très souvent un style scientifique, un questionnement singulier. Lorsque Harberd commence son journal, son travail scientifique est presqu'au point mort et il patauge avec une série de problématiques qui semblent mener nulle part. Il lui manque une vision d'ensemble, un cadre permettant de comprendre ce que dit la famille de protéines DELLA qu'il étudie. La réponse viendra en deux temps : d'abord en prenant du recul par rapport à son sujet de recherche, en essayant de changer de perspective, de s'élever. Il va alors faire une hypothèse biologique contre-intuitive, selon laquelle la croissance de la plante est réprimée par défaut, l'hormone giberelline étant indispensable pour activer la cascade de réactions qui donnera à la plante sa taille normale. Puis en posant la question "pourquoi ?" plutôt que "comment ?", que les biologistes posent rarement et qui change radicalement son cadre de pensée, avec un succès qui se révèle à la fin du livre.</p>
<p>En nous montrant comment cette nouvelle façon de pensée lui vient, il évite l'imposition par en haut de phénomènes abstraits et nous les rend concrets. D'ailleurs, c'est parce qu'on a assisté à cette genèse que l'on est si touché à la fin du parcours. Sortis de leur contexte, les paragraphes qui expliquent que les DELLA servent d'interface entre le monde intérieur et le monde extérieur de la plante nous laisseraient de marbre. Harberd lui-même s'étonne que ce qui semble si simple, si clair, ait mis autant de temps à prendre forme dans son esprit — et on réalise notre chance d'avoir été témoins de ce processus laborieux, un cheminement de la pensée qui restera un événement unique dans l'histoire du monde. Par le truchement du journal de bord, c'est bien une vérité sans artifice qu'offre Harberd. Le développement de ses réflexions au cours du livre semble presque trop beau pour être vrai mais il faut faire confiance à son honnêteté. Et probablement que le fait même d'avoir tenu ce journal lui a permis d'accoucher plus facilement de ses pensées, et de les faire rentrer en l'espace d'une année.</p>
<p>Les imbrications entre les différents niveaux de lecture qu'il propose (la vie de la plante et de la campagne environnante, son travail de biologiste et ses réflexions sur l'activité du chercheur) forment le gros de l'intérêt du livre et ce va-et-vient lui permet des analogies qui tombent toujours juste. C'est ainsi par exemple qu'il contraste l'archipelisation des sciences (spécialisation à outrance) avec la communauté des cellules dans un organisme. Ou que l'observation de la forme changeante des nuages l'interroge sur le fait qu'on ignore la forme que prend la protéine GAI dans les cellules. Ou encore qu'une sensation nouvelle au bord de la mer lui fait dire que <q>c'est cela la science : la perception de choses auparavant inconnues ou imperceptibles</q>.</p>
<p>L. Wolpert avait bien théorisé à quel point la nature de la science n'est pas naturelle, mais contre-intuitive. Et il proposait que <q>l'éducation aux sciences devrait reconnaître plus explicitement combien la pensée scientifique est différente du "sens commun"</q>. Avec Nicholas Harberd, on est en plein dedans, et c'est une belle réussite.</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/07/23/405-passee-la-porte-du-laboratoire-2#rev-pnote-405-1" id="pnote-405-1">1</a>] L. Wolpert (1992), <em>The unnatural nature of science</em>, Londres: Faber and Faber</p></div>
Passée la porte du laboratoire (1)
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2009-07-14T15:40:43+00:00
2009-07-14T16:40:41+00:00
Antoine Blanchard
Général
culture scientifiquerelations science-sociétévulgarisation
<p><a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2008/05/31/261-comment-montrer-la-science-en-train-de-se-faire">Montrer la science en train de se faire</a>, <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2009/02/23/373-chercher-toujours">nous plonger dans une recherche en cours</a>, certes, mais pour quoi faire ? Dans mes billets précédents, je suis peut-être passé un peu rapidement sur cette question en esquissant trois fonctions principales. Approfondissons-les maintenant.</p>
<p class="center"><a href="http://www.flickr.com/photos/enro/3356226767/" title=" "><img src="http://farm4.static.flickr.com/3419/3356226767_9ed7efb615_m.jpg" alt=" " style="border: solid 1px #999; padding:6px;"></a></p>
<p>Dévoiler le fonctionnement collectif de la science, cela permet de comprendre comment des connaissances se construisent et ce qu'une connaissance scientifique possède de plus (ou de moins) qu'une autre. Mais cela permet aussi d'équiper le citoyen avec les outils qui lui permettront de décrypter le fonctionnement du GIEC, l'expertise sur les OGM ou la main mise des labos pharmaceutiques sur certains pans de la littérature scientifique. D'ordinaire, quand on veut améliorer l'alphabétisation scientifique et technique ("science literacy") du grand public, c'est soit en lui <a href="http://scienceblog.free.fr/?p=15">inculquant plus de connaissances brutes</a>, soit en lui enseignant les bases de la "méthode scientifique" (OHERIC : observations, hypothèses, expérience…). Or cette approche a des lacunes (dont <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2008/02/17/260-science-chaude-et-education-a-la-citoyennete">on avait déjà discuté</a>), qui peuvent être comblés de cette façon. Le principe, c'est de passer du "public understanding of science" au "public understanding of research" pour donner au citoyen une "méta-compréhension" des mécanismes et le rendre capable de se débrouiller dans n'importe quelle situation<sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/07/14/380-passee-la-porte-du-laboratoire-1#pnote-380-1" id="rev-pnote-380-1">1</a>]</sup>.</p>
<p>Révéler le fonctionnement intime de la recherche permet d'humaniser la figure du chercheur vis-à-vis du grand public. Le risque en faisant cela, c'est de trop le singulariser, d'en faire un esprit à part. Pour l'éviter, on peut mettre le lecteur ou le spectateur dans la peau du chercheur, par exemple dans le cadre d'un jeu de rôle (une piste sur laquelle <a href="http://www.deuxieme-labo.fr/blog/comment-se-monte-un-atelier-de-science-pour-le-jeune-public/">je me penche actuellement</a>) — abolissant quelque peu les barrières qui peuvent se créer, à défaut de prouver que n'importe qui peut se réincarner en chercheur. Dans le même ordre d'idée, cela permet de couper court aux fantasmes sur le métier de chercheur et d'éviter cette douloureuse phase où le doctorant, se lançant dans une carrière scientifique, réalise qu'<q>à l'opposé de toutes les images d'Épinal, qui montrent la recherche scientifique comme un archétype de travail méthodique, conquête systématique et contrôlée de l'inconnu, c'est l'errance et la contingence qui y sont la règle</q><sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/07/14/380-passee-la-porte-du-laboratoire-1#pnote-380-2" id="rev-pnote-380-2">2</a>]</sup>. Et de montrer que dans le cerveau du chercheur, c'est souvent la <a href="http://joyeuserrance.wordpress.com/2009/07/09/nuit-noire-ciel-etoile/">science de nuit</a> qui domine.</p>
<p>Partager une vision singulière du monde, celle du chercheur. Ce programme est ambitieux, et pour tout dire assez flou. Mais il va de soi que le métier de chercheur n'est pas celui de guichetier ou de plombier. En tentant de faire bouger la <q>frontière entre ce qu'on connaît et un peu d'inconnu</q> (comme l'explique Stéphane Douady dans le film "Cherche toujours"), le chercheur possède une part d'ombre, de doute, et verse d'un côté que peu de gens ont l'occasion de côtoyer. Parce qu'il maîtrise un sujet sur le bout des doigts, il s'abstrait malgré lui de l'expérience quotidienne de la nature et voit avec d'autres yeux le monde qui nous entoure. En état permanent d'éveil et de curiosité par rapport à ce monde, il laisse parler <q>l'imaginaire qu'il a en lui</q> (comme l'explique Manuel Théry dans le film "La vie après la mort d'Henrietta Lacks"). En ce sens, le chercheur est très proche de l'artiste, dont la vision du monde est également singulière. Mais le chercheur a une responsabilité supplémentaire, celle de nous faire entrer dans le monde qu'il participe à construire et de nous en révéler la trame.</p>
<p>Dans les prochains billets, nous verrons quelques exemples représentatifs de ces deux dernières approches, qui sont les plus nouvelles pour moi.</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/07/14/380-passee-la-porte-du-laboratoire-1#rev-pnote-380-1" id="pnote-380-1">1</a>] Steven Shapin (1992), "Why the public ought to understand science-in-the-making", <em>Public Understanding of Science</em>, 1(1): 27-30.</p>
<p>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/07/14/380-passee-la-porte-du-laboratoire-1#rev-pnote-380-2" id="pnote-380-2">2</a>] Jean-Marc Lévy-Leblond (2003), "Le chercheur, le crack et le cancre", in <em>Impasciences</em>, Paris : Le Seuil, pp. 2324.</p></div>
Qu'est-ce qu'un chercheur-blogueur ? (2)
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2009-06-02T09:26:22+00:00
2009-06-02T10:25:40+00:00
Antoine Blanchard
Général
blogvulgarisation
<p>Après que Bourdieu et d'autres intellectuels ont pointé du doigt les limites de la médiation par les médias, on pourrait s'étonner que les chercheurs ne bloguent pas en plus grand nombre. Évidemment, les vieilles habitudes de la profession et les <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2009/05/28/397-qu-est-ce-qu-un-chercheur-blogueur#c19941">contraintes de son champ</a> (captivité des résultats, paternité stricte des idées, seuils minimaux de scientificité…) y font encore obstacle mais il y a quelques "success stories" qui nous rendent optimiste. Comme le soulignait André Gunthert en conclusion du <a href="http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2009/05/10/988-la-mediatisation-du-mouvement-universitaire">Grand Débat EHESS sur la médiatisation du mouvement universitaire</a> : désormais, le chercheur peut changer lui-même son image auprès du grand public et intervenir au long cours pour regagner une voix qui porte. <a href="http://www.arhv.lhivic.org/">A. Gunthert lui-même</a>, <a href="http://affordance.info/">Olivier Ertzscheid</a>, <a href="http://coulmont.com/blog/">Baptiste Coulmont</a> figurent dans ce panthéon des chercheurs-qui-montrent-ce-que-chercher-veut-dire, mais il ne faudrait pas oublier le sociologue des médias Cyril Lemieux qui <a href="http://medias.blog.lemonde.fr">blogua pendant la campagne présidentielle 2007</a> et dont je fus parmi les nombreux lecteurs à <a href="http://medias.blog.lemonde.fr/2007/05/08/la-fin-de-l’histoire/#comment-878">regretter l'arrêt</a>. C'est à lui que les sociologues Éric Dagiral et Sylvain Parasie consacrent un <a href="http://www.citeulike.org/user/Enro/article/4649287">article à paraître</a> dans la revue <em>Terrains & Travaux</em>, et je les remercie de m'en avoir envoyé le texte en avant-première.</p>
<p>Leur but, c'est de comparer ce que Cyril Lemieux et les internautes firent de son blog avec ce que l'on considère souvent comme les autouts du blog sur les médias classiques : coût d'entrée plus faible, diversification des contenus, plus grande liberté formelle et meilleure interaction avec le public. Avec l'intérêt supplémentaire que Lemieux est spécialiste des médias et appartient à l'école de la "sociologie de la critique".</p>
<p><strong>Les intentions du blog</strong></p>
<p>D'abord, C. Lemieux explique très clairement (dès son premier billet) qu'il ne veut pas tenir un blog d'opinion et donc parler à la première personne, ce en quoi il s'écarte du blog comme "carnet intime". À la place, il propose des "discours d'inspiration sociologique", quitte à décevoir la rédaction du Monde.fr qui attend un rythme de publication "à l'Assouline" avec des billets rapprochés pouvant être très courts. Le temps de son blog est plutôt celui de l'analyse.</p>
<p>Fidèle à leur "inspiration sociologique", ses billets ne sont pas ceux d'un expert qui assènerait des vérités objectives et marquerait une démarcation avec le profane. À la place, C. Lemieux <q>souhaite conserver le caractère discutable des arguments sociologiques qu'il exposera</q>, afin qu'ils ne soient pas reçus comme des arguments d'autorité et qu'une porte soit laissée <q>ouverte aux réfutations éventuelles</q>. Pour autant, face à des lecteurs principalement non-sociologues, il ne prétend pas ouvrir un espace de discussion sociologique, mais bien plutôt un entre-deux :</p>
<blockquote><p>L'objectif que C. Lemieux assigne à son blog s'identifie donc à une forme originale de vulgarisation. Il s'agit de proposer à l'internaute d'entrer dans un mode de discussion qui s'apparente, sans s'y confondre, à une discussion scientifique : <q>Parce qu'en fait qu'est-ce que ça veut dire vulgariser ? Ce n'est pas vulgariser des connaissances, c'est vulgariser un mode de connaissance, c'est permettre aux gens de rentrer dans ce régime de discussion scientifique</q>.</p></blockquote>
<p>Évidemment, une telle posture est plus facilement tenable en <acronym title="sciences humaines et sociales">SHS</acronym> qu'en sciences dures et de la nature. Mais il est intéressant de l'avoir en tête.</p>
<p><strong>La réalité du terrain</strong></p>
<p>Avec un nombre de commentaires par billet dépassant régulièrement la trentaine, on peut considérer que C. Lemieux a rempli sa mission. Mais ce ne fut pas sans difficultés : le public ne s'est attaché à son contenu qu'une fois trouvée "sa" forme argumentative, après une petite dizaine de billets. En effet, il a d'abord tendance à écrire comme un chercheur et à soupoudrer les références à la campagne présidentielle comme de simples illustrations d'une parole académique — même si l'iconographie, elles, est plutôt décalée et hétéroclite.</p>
<p>Ensuite, il trouve son ton et l'actualité de la campagne devient le véritable moteur de l'écriture. La formule gagnante est celle-ci : mettre en scène un événement de la campagne ou un fait en apparence très éloigné de la sociologie et l'éclairer par une explication sociologique tirée d’un auteur particulier avant de conclure <q>sur une petite leçon sociologique, exprimée sans autres références théoriques ou concepts supplémentaires</q>. Forme qui lui permet de respecter son pacte de départ en offrant <q>une dose de discutablité sans soumettre l'ensemble de son propos au relativisme des opinions</q>, et à offrir une vitrine des sciences sociales s'appuyant sur de très nombreux auteurs plutôt qu'une pensée académique très spécialisée et territoriale.</p>
<p>Ce travail devient aussi un exercice nouveau pour le blogueur, qui se met à suivre les actualités complètement différemment pour saisir au bond l'idée ou le fait qui inspirera son prochain billet.</p>
<p>Les lecteurs, eux, réagissent plutôt favorablement. C. Lemieux s'efforce d'intervenir le moins possible pour offrir l'espace des commentaires aux internautes et ne pas s'imposer comme expert. À plusieurs reprises, des conversations naissent entre lecteurs qui peuvent même dériver par rapport au billet initial. Peu importe, ce qui compte c'est que <q>les gens s'emparent de la discussion et l'amènent là où cela les intéresse</q>. Les commentaires viennent le plus souvent critiquer ou contester ce qui se dit, mais plus d'un quart relèvent de la discussion et l'analyse… pas toujours dans le sens que l'on attend : <q>C. Lemieux reçoit pour moitié des compliments et des remerciements, bien plus que de critiques</q>, alors que celles-ci fusent entre commentateurs !</p>
<p><strong>En guise de bilan</strong></p>
<p>Alors, où se place Cyril Lemieux dans la typologie proposée par les auteurs :</p>
<ul>
<li>expert (celui dont la parole est objective et politiquement neutre)</li>
<li>engagé (celui dont les engagements politiques et moraux s'inscrivent dans la continuité de ses recherches)</li>
<li>vulgarisateur (celui qui se fait pédagogue)</li>
<li>grand intellectuel (une figure rare incarnée par exemple par Pierre Bourdieu)</li>
<li>ou promeneur (celui qui rend compte sur un mode subjectif de son activité et du monde de la recherche) ?</li>
</ul>
<p>Les auteurs ne répondent pas, sans doute parce que pour eux C. Lemieux ouvre une nouvelle voie, celle d'une "sociologie publique" <q>qui va contre l'injonction souvent adressée au sociologue d'incarner le rôle d'expert du social</q>. Cette forme d'intervention, <q>qui ne s'appuie pas sur la revendication d'une autorité scientifique qui irait de soi, mais sur la mise en œuvre et la mise en discussion d'une compétence proprement sociologique</q> qu'est la <q>capacité à mettre en relation des faits et des interprétations de sciences sociales</q>, semble être faite pour la blogosphère. Elle continue à s'y retrouver dans les blogs de <a href="http://uneheuredepeine.blogspot.com/">Denis Colombi</a> ou de <a href="http://politbistro.hypotheses.org/">François Briatte et Joël Gombin</a> — et pour C. Lemieux, elle s'incarne dans la chronique qu'il tient aujourd'hui sur France Culture.</p>
Qu'est-ce qu'un chercheur-blogueur ? (1)
urn:md5:df61e42001b53d14c220177827f9d83a
2009-05-28T07:21:25+00:00
2009-05-28T10:21:12+00:00
Antoine Blanchard
Général
blogvulgarisation
<p><em>Le numéro 10 du magazine de vulgarisation étudiante et apéritive </em>Plume!<em> <a href="http://www.laplume.info/2009/05/plume-10-dispo/">vient de paraître</a>, sur le thème de la culture et médiation scientifiques. On peut y trouver un article par ma pomme, que je vous invite à lire ici-même. L'article s'appuie sur ce que je connais le mieux (les blogs de sciences dures et de la nature qui font la part belle à la médiation scientifique) mais je promets d'aborder les blogs de <acronym title="sciences humaines et sociales">SHS</acronym> dans le prochain billet.</em></p>
<p>Le chercheur-blogueur ne court pas (encore) les rues, et encore moins le chercheur dont le blog mêle recherche en train de se faire, communication vers le grand public et réflexion sur l'activité scientifique… bref, un <a href="http://www.internetactu.net/2008/10/29/ce-que-le-blog-apporte-a-la-science/">blog de science</a>. Néanmoins, une longue fréquentation des blogs de science nous fait sentir, derrière la face virtuelle du blog, l'émergence d'un nouvel être hybride. C'est le portrait de ce chercheur-blogueur que nous allons tenter ici, en risquant quelques généralités que l'on n'espère pas trop vaines.</p>
<p><strong>Le chercheur sans trompe l'œil</strong></p>
<p>Quand il blogue, le chercheur échappe aux mythes de la science livresque et froide pour se risquer à livrer en public la science en train de se faire, que Bruno Latour nomme la science chaude. Plutôt que de cacher les coulisses, les enjeux et les controverses de la recherche, il parle alors à la première personne. Exercice difficile pour des chercheurs habitués à gérer un contexte de production et des forces contingentes en privé avant de tout camoufler, dans les arènes publiques, du voile pudique de l'universel. Pourtant, Bruno Latour offre plusieurs raisons d'espérer. Pour lui, l'idéologie scientifique <q>qui cache les coulisses et offre au public un déroulement théorique sans personnage ni histoire (…) n'est pas celle des savants, mais plutôt celle que les philosophes veulent leur imposer</q><sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/05/28/397-qu-est-ce-qu-un-chercheur-blogueur#pnote-397-1" id="rev-pnote-397-1">1</a>]</sup>. Montrer la science chaude est donc plus conforme à leur épistémologie naturelle mais aussi plus motivant pour eux : <q>pour les scientifiques une telle entreprise apparaît bien plus vivante, bien plus intéressante, bien plus proche de leur métier et de leur génie particulier que l'empoisonnante et répétitive corvée qui consiste à frapper le pauvre dêmos indiscipliné avec le gros bâton des "lois impersonnelles".</q><sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/05/28/397-qu-est-ce-qu-un-chercheur-blogueur#pnote-397-2" id="rev-pnote-397-2">2</a>]</sup></p>
<p>En effet, le chercheur <q>s'intéresse précisément à ce qui n'est pas encore un fait</q> ; <q>la source de son intérêt, de sa passion, c'est le tri entre ce qui sera jugé scientifiquement valable et ce qui ne le sera pas</q><sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/05/28/397-qu-est-ce-qu-un-chercheur-blogueur#pnote-397-3" id="rev-pnote-397-3">3</a>]</sup>. Alors, pourquoi vouloir sans arrêt <q>intéresser le public aux faits, alors que pas un seul scientifique ne s'y intéresse ?</q> Le chercheur-blogueur se met à nu et sans fard, il peut partager plus intelligemment ce qui rend la science et son contenu si riches et si intéressants.</p>
<p><strong>Le chercheur comme guide</strong></p>
<p><a href="http://w3appli.u-strasbg.fr/canalc2/video.asp?idvideo=5775">Historiquement</a>, l'auteur fut d'abord celui qui "varie" sur les textes précédents au Moyen Âge, puis le créateur de contenu original avec l'avènement du droit d'auteur au XVIIIe siècle, et enfin l’auteur du blog qui tient parfois davantage du commentateur ou compilateur. Les blogs de science n'échappent pas à cette règle et le chercheur-blogueur tend à devenir un guide, dont l'autorité intellectuelle n'est plus liée à sa connaissance brute mais à son réseau social et à sa capacité à naviguer entre les savoirs et les mettre en perspective. C'est ainsi que sur le Bactérioblog, on trouvait en février 2008 un <a href="http://bacterioblog.over-blog.com/article-17031092.html">billet sur le tabagisme passif et le risque d'infarctus</a>. Or son auteur est doctorant en bactériologie et rien ne le rapproche a priori de la tabacologie, si ce n'est sa capacité à s'orienter dans la littérature spécialisée et à rapprocher des faits pour en tirer des conclusions relativement solides. En écrivant ce billet, il s'engageait dans la controverse sur la diminution des infarctus du myocarde un mois après l'interdiction de fumer dans les lieux de convivialité et s'érigeait comme un guide sérieux sur le sujet.</p>
<p><strong>Le chercheur comme raconteur d'histoire</strong></p>
<p>Le chercheur qui vulgarise peut adopter deux postures différentes, rarement plus. Ou bien il est professoral, et va s'ériger en redresseur de torts, ou bien il se fait conteur et va se mettre au service des histoires de science pullulant dans sa discipline, son institut ou son laboratoire. Cette seconde figure est de plus en plus prisée par ces documentaires scientifiques qui se débarrassent des éléments de contexte (titres, affiliation institutionnelle et domaine de recherche) pour mettre en scène une parole et une voix (voir par exemple le film "1+1, une histoire naturelle du sexe" de Pierre Morize), mais aussi par des émissions de radio comme "Savanturiers" ou "Kriss Crumble" sur France inter.</p>
<p>Les blogs n'échappent pas à la règle et certains internautes vont favoriser les blogs redresseurs de torts pour affûter leur lame critique et argumentative tandis que d'autres vont préférer un raconteur d'histoire, qui sait mettre en scène son travail et ses savoirs pour donner du plaisir à ses lecteurs. Il n'en reste pas moins que le blog offre un espace de liberté à ces chercheurs-conteurs d'une nouvelle ère, et que le public des internautes sait les accueillir et les encourager<sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/05/28/397-qu-est-ce-qu-un-chercheur-blogueur#pnote-397-4" id="rev-pnote-397-4">4</a>]</sup>.</p>
<p><strong>Le chercheur comme discutant</strong></p>
<p>La pratique de la "disputatio" est une des plus anciennes traditions de la scolastique mais la prédominance de l'écrit scientifique comme forme de communication a fait passer au second plan les qualités argumentatives et d'engagement des chercheurs. En particulier, <a href="http://ec.europa.eu/research/research-eu/53/opinion_fr.html">souligne Marie-Claude Roland</a>, depuis que <q>le discours scientifique s'est accommodé d'un "prêt-à-écrire" qui a peu à peu fourni aux chercheurs un ersatz, sous forme de "prêt-à-penser", les privant du goût d'argumenter, de débattre et de s'engager dans des controverses.</q> Résultat : on se retrouve souvent, lors de la Fête de la science ou des bars des sciences, avec des chercheurs qui sont à l'aise dans le monologue mais butent dès qu'il s'agit d'engager la conversation et de communiquer (au sens premier du terme) avec le public. Le blog, parce qu'il accueille les commentaires des lecteurs et favorise l'échange à plusieurs voix, permet de retrouver <q>esprit critique, capacité à formuler et manier des concepts, à défendre ses idées et à se relier à la société <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/05/28/qui">qui</a> sont en effet très difficiles à acquérir et à développer dans l'environnement de recherche actuel</q>. Songeons d'ailleurs que les blogs à succès sont souvent ceux où s'échangent de vrais arguments et où le maître des lieux sait se faire aussi bien attaquant que défenseur, opposant ou avocat du diable.</p>
<p><strong>Le chercheur comme être réflexif</strong></p>
<p>Le chercheur est souvent un être schizophrène. Il publie ses résultats scientifiques dans des revues à comité de lecture et réserve ses réflexions sur l'activité scientifique pour les discussions de la pause café ou la liste de diffusion de son institut. Ces deux sphères sont très peu perméables et hormis quelques publications grand public comme "Nature" ou les éditoriaux des revues, les canaux de publication formels sont rarement des espaces réflexifs. Au contraire, le chercheur-blogueur est encouragé à mêler ces aspects pour ne plus séparer artificiellement ce qui le pousse à chercher et le résultat de ces recherches. Ne serait-ce que parce que son public n'est plus segmenté et que sur Internet, tout le monde peut vous lire.</p>
<p>Réconcilié avec lui-même et avec le grand public, le chercheur-blogueur serait-il l'avenir du chercheur ? Nous le croyons, nous l'espérons, et nous l'encourageons !</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/05/28/397-qu-est-ce-qu-un-chercheur-blogueur#rev-pnote-397-1" id="pnote-397-1">1</a>] Bruno Latour et Paolo Fabbri (1977), "La rhétorique de la science : pouvoir et devoir dans un article de science exacte", <em>Actes de la recherche en sciences sociales</em>, vol. 13, pp. 81-95</p>
<p>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/05/28/397-qu-est-ce-qu-un-chercheur-blogueur#rev-pnote-397-2" id="pnote-397-2">2</a>] Bruno Latour (2007), <em>L'espoir de Pandore. Pour une version réaliste de l'activité scientifique</em>, La Découverte, p. 278</p>
<p>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/05/28/397-qu-est-ce-qu-un-chercheur-blogueur#rev-pnote-397-3" id="pnote-397-3">3</a>] Bruno Latour, <em>Le Métier de chercheur, regard d'un anthropologue</em>, INRA éditions, coll. "Sciences en questions", 2001, p. 45</p>
<p>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/05/28/397-qu-est-ce-qu-un-chercheur-blogueur#rev-pnote-397-4" id="pnote-397-4">4</a>] Quelques exemples de blogs de raconteurs d'histoire, dont aucun n'est chercheur assez étrangement : <a href="http://webinet.blogspot.com">Le webinet des curiosités</a>, <a href="http://dvanw.blogspot.com">L'ameublement du cerveau</a>, <a href="http://tubeaessai.blogs.nouvelobs.com/">Tube à essai</a></p></div>
Chronique britannique 5 : festival de science
urn:md5:0362b144a257c417d039feeaf082b054
2009-05-09T13:51:51+00:00
2009-05-09T14:52:26+00:00
Antoine Blanchard
Général
conférenceRoyal SocietyRoyaume-Univulgarisation
<p>Edimbourg ne compte même pas 500.000 habitants mais possède quatre universités, une large frange d'étudiants et plus de diplômés d'université par habitant que n'importe quelle autre ville européenne (<a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Edimbourg#D.C3.A9mographie">d'après Wikipédia</a>). Ce n'est donc pas étonnant que la ville organise chaque année au mois d'avril le plus vieux festival de science au monde et le plus grand d'Europe. Malheureusement pour moi j'étais en déplacement les week-ends en question et j'ai dû me contenter d'un programme serré pendant la semaine, mais ô combien satisfaisant.</p>
<p>D'abord, j'ai participé àune visite guidée de l'herbier du <em>Royal Botanic Garden of Edinburgh</em>. Je suis un grand amateur des collections en général et de la botanique en particulier, imaginez donc mon admiration face aux <a href="http://www.flickr.com/photos/enro/3441175891/">rangées d'armoires plus hautes que moi</a>. Le clou du spectacle ? Ce spécimen de séneçon ramené par Charles Darwin de son voyage sur le Beagle, qui a longtemps dormi àGlasgow avant d'être transféré àEdinburgh avec le reste des collections.</p>
<p class="center"><a href="http://www.flickr.com/photos/enro/3441990304/" title="Spécimen de séneçon (nommé ultérieurement Senecio darwinii) ramené du Chili par Charles Darwin, àl'occasion de son voyage sur le Beagle. Il fut envoyé àWilliam Jackson Hooker de l'herbier de Glasgow (le père d'un ami fidèle de Darwin) et prêté définitivement àEdinburgh, en même temps que toute la collection de Glasgow, en 1965."><img src="http://farm4.static.flickr.com/3588/3441990304_8f51d86440_m.jpg" alt="Spécimen de séneçon (nommé ultérieurement Senecio darwinii) ramené du Chili par Charles Darwin, àl'occasion de son voyage sur le Beagle. Il fut envoyé àWilliam Jackson Hooker de l'herbier de Glasgow (le père d'un ami fidèle de Darwin) et prêté définitivement àEdinburgh, en même temps que toute la collection de Glasgow, en 1965." style="border: solid 1px #999; padding:6px;"></a></p>
<p>Ensuite, j'ai assisté àune <a href="http://www.sciencefestival.co.uk/Events/Talking-Science/Thinking-like-a-vegetable-How-plants-decide-what-to-do" hreflang="en">conférence d'Ottoline Leyser</a>, membre de la Royal Society et professeur àl'Université de York, sur le thème des hormones végétales. Avec un vrai talent de raconteuse, elle a tenté de nous faire "penser comme un légume", avec toutes les incongruïtés que cela comprend pour nous humains : les sensations sont différentes mais également la manière d'y répondre et de s'adapter àson milieu. Où il apparaît que les plantes ne sont pas ces êtres figés qu'il paraît, mais fortes de nombreuses ressources.</p>
<p>Enfin, quelle autre ville permet en l'espace d'une heure et demi de voir la maison depuis laquelle Walter Scott se rendait àl'école, la maison où vécut Arthur Conan Doyle quand il étudiait la médecine, l'école de médecine que fréquenta Charles Darwin et une <a href="http://www.geos.ed.ac.uk/undergraduate/field/holyrood/huttonsloc.html" hreflang="en">formation géologique</a> qui inspira <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/James_Hutton">James Hutton</a>, le père de la géologie moderne ? Aucune, c'est pour cela que je ne pouvais passer àcôté d'une <a href="http://www.sciencefestival.co.uk/Events/Around-the-City/Hidden-Edinburgh" hreflang="en">visite guidée àla découverte d'Edimbourg secrète</a>. Et puisque c'est l'<a href="http://darwin2009.blog.lemonde.fr/">année Darwin</a>, j'ai été heureux d'apprendre que l'homme avait certes abandonné la carrière médicale qui s'ouvrait àlui (il ne supportait pas la vue du sang) mais qu'àEdimbourg, il rencontra <a href="http://en.wikipedia.org/wiki/John_Edmonstone" hreflang="en">John Edmondstone</a> qui allait le marquer àvie et qu'il <a href="http://en.wikipedia.org/wiki/Charles_Darwin%27s_education#Lamarckian_anatomy" hreflang="en">discuta longuement avec Robert Edmond Grant</a>, làencore avec le résultat que l'on sait !</p>
Chronique britannique 2 : la science à la télévision
urn:md5:8f08ad261b12646aae9b6b7488413869
2009-03-19T08:59:39+00:00
2009-03-19T10:12:34+00:00
Antoine Blanchard
Général
BBCRoyaume-Univulgarisation
<p>Samedi 7 février, 20h00, je zappe à la télévision en quête d'un film à regarder en ce début de soirée et je tombe sur un <a href="http://www.bbc.co.uk/programmes/b00hd5mf" hreflang="en">documentaire</a> du grand vulgarisateur <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/David_Attenborough">David Attenborough</a>, racontant pour le grand public les tenants et les aboutissants de la théorie de l'évolution.</p>
<p>Dimanche 15 février à 11h50, je zappe à nouveau et je tombe sur l'<a href="http://www.bbc.co.uk/programmes/b00hkblr" hreflang="en">émission cinéma de Jonathan Ross</a>, qui raconte le tournage en cours du téléfilm <em>Creation</em> produit par la BBC. Dans le rôle du grand Charles, Paul Bettany, et dans celui de Mme Darwin... sa femme à la ville, Jennifer Connelly. Du beau monde pour une production à suivre !</p>
<p>Dimanche 15 mars, 18h45, je zappe toujours et je tombe sur un documentaire parlant de Thomas Huxley (le "bulldog de Darwin") et montrant comment la fertilisation croisée de deux plants engendre une progéniture plus robuste et fertile qu'une auto-pollinisation. Il s'agit d'un épisode de la série <em>Jimmy Doherty in Darwin's garden</em>, <a href="http://www.open2.net/darwin/darwinsgarden/index.html">co-produite</a> par la BBC et l<em>'Open University</em>, <a href="http://www.telegraph.co.uk/culture/tvandradio/4786755/Interview-Jimmy-Doherty-on-Darwins-Garden.html" hreflang="en">qui se propose</a> de <q>marcher sur les pas de Darwin</q>.</p>
<p>Mardi 17 mars, l'heure de se mettre à table, en passant d'un chaîne à l'autre je tombe sur un <a href="http://www.bbc.co.uk/programmes/b00j6r1b" hreflang="en">numéro de la série documentaire</a> "Darwin's Dangerous Idea" consacré aux usages politiques de la théorie darwinienne. Le titre de la série est un hommage à <a href="http://en.wikipedia.org/wiki/Darwin%27s_Dangerous_Idea" hreflang="en">Daniel Dennett</a> mais elle est présentée par <a href="http://en.wikipedia.org/wiki/Andrew_Marr" hreflang="en">Andrew Marr</a>, un Ecossais !</p>
<p>Et ce n'est pas tout, de nombreuses autres émissions et reportages <a href="http://www.bbc.co.uk/darwin/" hreflang="en">sont prévus</a> dans les semaines et mois à venir. Certes, nous sommes l'année Darwin et le cher homme était anglais. Mais ça n'explique pas tout, car la science abonde à la télévision britannique de toutes façons ! On ne s'étonnera alors pas que je me sente si bien ici mais on risque de ne pas me croire si j'affirme que finalement, je ne regarde presque pas la télévision !</p>
Dans le cerveau d'un chercheur
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2009-02-23T11:29:59+00:00
2009-02-23T12:43:16+00:00
Antoine Blanchard
Général
culture scientifiquesociologie des sciencesvulgarisation
<p>Encore et toujours, je me demande comment montrer la science telle qu'elle se fait. Là où je l'avais laissée, <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2008/05/31/261-comment-montrer-la-science-en-train-de-se-faire">ma réflexion</a> consistait à dire que montrer la science en train de se faire, en chair et en os (c'est-à -dire dans un musée, un cours ou un atelier), ne peut se faire qu'au niveau macroscopique (celui des institutions, de la communauté des scientifiques, des pratiques de recherche…) plutôt que dans le cadre restreint d'un laboratoire ou d'une expérience particuliers, qui ne sont que des reconstructions faussées ou trompeuses. Concernant les documentaires filmés, la chose était entendue : si le chercheur met en scène son savoir à travers quelques coulisses comme son laboratoire, son équipe, son terrain expérimental ou ses bailleurs de fonds pour mieux nous expliquer ce qui en sort et les connaissances qu'il en tire, alors nous sommes en présence d'une science déjà faite, tandis que la science en train de se faire mettrait en avant l'incertitude intrinsèque au travail scientifique, la contingence de la construction des savoirs et les traductions permettant d'enrôler des alliés pour clore les controverses. J'esquissais d'autre part une <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2009/02/21/296-science-en-train-de-se-faire-ou-science-inachevee">distinction entre la science en train de se faire et la science inachevée</a>.</p>
<p><a href="http://www.tvsciences.com/web/canal/1/theme/38/vod/192/index.html">En regardant</a> "La vie après la mort d'Henrietta Lacks" (une allusion à la lignée cellulaire Hela utilisée dans les laboratoires du monde entier), ces lignes se sont un peu déplacées : un film documentaire peut aussi témoigner d'une recherche en cours s'il nous met face à un bout de recherche, sans début ni commencement, sans "problématique initiale" et "éclaircissement final". Ou sinon, on frôle la reconstruction <em>a posteriori</em> et le jugement de l'histoire : même si la captation a été faite sur le moment, le montage du film est nécessairement biaisé par cette apparente linéarité et le réalisateur échappe difficilement au confortable <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2007/11/14/202-comment-raconter-la-science-aux-enfants">synopsis baconien</a> qui lui est offert.</p>
<p>C'est précisément ce que réussit ce film, qui donne à voir un jeune chercheur en proie aux affres de ses expériences de culture cellulaire et qui met en scène ses pensées, sa méthode de travail et sa vision du monde par des analogies muettes très bien faites (structure d'un bâtiment, comportement d'une foule, mouvements lors d'une nuit de sommeil, changement de la lumière d'un paysage au cours de la journée…). En quelques mots bien sentis, le personnage du film nous fait aussi toucher du doigt la substance du travail du chercheur :</p>
<blockquote><p>En permanence le chercheur il doute, de ce qu'il voit, de son interprétation, et ses doutes sont alimentés par ses observations. Et il y a une interaction permantente entre le réel qu'il observe et l'imaginaire qu'il a en lui.</p></blockquote>
<p>Au final, on saisit tout juste sur quoi porte son sujet de recherche (la division et <q>les efforts mécaniques de la cellule</q>) et surtout, on ignore sa problématique scientifique exacte et son cheminement intellectuel. Seule une mention écrite à la fin du film vient nous rappeler quels sont les enjeux :</p>
<blockquote><p>Un an plus tard, Manuel et son équipe parviennent à définir les lois qui régissent la division cellulaire. Leurs résultats sont publiés dans la revue "Nature Cell Biology".</p></blockquote>
<p>On n'est pas dans la "science en train de se faire" façon Bruno Latour, qui vise à <q>comprendre l'efficacité des sciences (une efficacité qui se juge aussi hors de l'univers des communautés savantes), à saisir comment des pratiques de laboratoire en viennent à devenir des vérités socialement acceptées, comment elles en viennent à faire advenir un nouveau monde (un monde plein de microbes par exemple), à peser sur lui et à le transformer</q> (Dominique Pestre, <em>Introduction aux Science studies</em>, Paris : La Découverte, coll. "Repères", 2006, p. 46).}} Point de leçon de sociologie des sciences ici, surtout un témoignage ethnologique : comme un documentariste animalier filmerait un lion dans la savane, Mathieu Thery filme son frère doctorant en continu et nous montre ici une alternance de moments forts (lorsque le problème des cultures cellulaires devient critique et que seule compte sa résolution) ou faibles (la descente dans la pièce blanche où se font les expériences) de son travail/vie. C'est pour quoi je préfère le terme de "recherche en cours", que j'opposerai désormais aux notions de "science en train de se faire" et de "scinece inachevée".</p>
<p>A la suite de ce court-métrage réussi, le mouvement "Sauvons la recherche" est venu chercher Mathias Thery pour pousser l'expérience un peu plus loin et réaliser un long-métrage montrant le chercheur au travail. Il a fixé son choix sur Stéphane Douady, dont le sujet de recherche a l'avantage d'être extrêmement porteur pour un cinéaste et son public : le chant des dunes. Le résultat, "Cherche toujours", <a href="http://www.vousnousils.fr/blog/index.php?2008/11/14/178-cherche-toujours-ou-le-quotidien-de-quatre-jeunes-physiciens-un-peu-farfelus">a été encensé</a> après être passé sur Arte et <a href="http://universitesenlutte.wordpress.com/2009/02/22/cherche-toujours-pourquoi-un-chercheur-cherche-t-il/">sera montré</a> mercredi 25 février à 13h à l'amphithéâtre de l'EHESS, 105 Bd Raspail (entrée libre et gratuite). Laquelle projection sera suivie d'une discussion en présence de Mathias Thery, Stéphane Douady et quelques autres.</p>
<p>Ces deux films présentent la particularité d'être agrémentés d'interludes et de visions poétiques, qui viennent compléter le témoignage brut sur le travail du chercheur et illustrent, à mon avis, combien il façonne son rapport au monde et aux autres. Sans ces passages, le film donnerait à voir quelque chose mais manquerait de sens. Grâce à eux, il nous est donné de véritablement rentrer dans le cerveau d'un chercheur, le temps d'un bout de ses recherches. Renvoyant ainsi dans les cordes ceux pour qui <q>ça ne présente strictement aucun intérêt de montrer un chercheur au travail et ça n'intéresse personne</q>.</p>
Science en train de se faire ou science inachevée ?
urn:md5:5eef5c38dded56d2883ab252c00ff8b9
2009-02-21T17:59:23+00:00
2009-02-21T18:38:47+00:00
Antoine Blanchard
Général
culture scientifiquesociologie des sciencesvulgarisation
<p>Lorsque j'ai publié en mai un <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2008/05/31/261-comment-montrer-la-science-en-train-de-se-faire">embryon d'article</a> s'interrogeant sur comment montrer la science en train de se faire, j'avais une idée très claire mais finalement lacunaire de cette problématique. Heureusement, <a href="http://www.merzagora.net/">Matteo Merzagora</a> déposa un commentaire avec des suggestions de lecture concernant la muséologie. Comme je le racontais dans ma <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2008/12/04/359-ce-que-le-blog-apporte-a-la-recherche">présentation à la soirée "Science 2.0"</a>, j'ai suivi ces recommandations, j'ai pu amender l'article en conséquence ainsi qu'à la lumière des discussions avec les autres commentateurs, et le soumettre à la revue <em>Alliage</em>.</p>
<p>Une nuance qui m'avait ainsi échappée et dont j'ai pu prendre connaissance dans ces références concerne la notion de science en train de se faire. En effet, la muséologie l'a abordée d'une autre façon que la sociologie des sciences et s'est demandée ce qu'on cherchait à montrer par là exactement. S'agit-il de mettre l'accent sur les moyens par lesquels des conclusions scientifiques ont été obtenues plutôt que sur le contenu de ces conclusions ou bien s'agit-il de raconter la science chaude, sur laquelle les chercheurs n'ont pas fini de statuer et qui éveille un intérêt légitime au sein du grand public ? Dans le premier cas, John Durant<sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/02/21/296-science-en-train-de-se-faire-ou-science-inachevee#pnote-296-1" id="rev-pnote-296-1">1</a>]</sup> parle de science en train de se faire (<em>science in the making</em>) et dans le second de science inachevée (<em>unfinished science</em>).</p>
<p>Ainsi, quand <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2008/05/31/261-comment-montrer-la-science-en-train-de-se-faire#c11218">EL mentionne</a> le téléfilm de la BBC <em>Life Story</em> retraçant la découverte de la structure de l'ADN, lequel <q>met parfaitement à jour les incertitudes de cette science en train de se faire</q> malgré que l'on en connaisse le dénouement, c'est bien à la science en train de se faire qu'il pense. Quand Jean-Marc Lévy-Leblond<sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/02/21/296-science-en-train-de-se-faire-ou-science-inachevee#pnote-296-2" id="rev-pnote-296-2">2</a>]</sup> explique qu'<q>à l'opposé de toutes les images d'Epinal, qui montrent la recherche scientifique comme un archétype de travail méthodique, conquête systématique et contrôlée de l'inconnu, c'est l'errance et la contingence qui y sont la règle</q>, c'est aussi de la science en train se de se faire qu'il parle.</p>
<p>Par contre, quand l'exposition "Passive smoking" présentée de janvier à mars 1993 au <em>London Science Museum</em> propose force description de la controverse scientifique autour du tabagisme passif, du poids des lobbies, de l'enjeux économique ainsi que des publications scientifiques existantes (toutes disponibles pour les visiteurs à la bibliothèque du musée), elle montre une science encore inachevée.</p>
<p>Cette seconde approche a l'avantage d'échapper au piège de l'histoire jugée au regard des connaissances d'aujourd'hui, laquelle <q>aide rarement à comprendre, à saisir les difficultés et les jugements qui président au travail scientifique, à donner sens aux choix de la science au moment où elle est en train de se faire</q><sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/02/21/296-science-en-train-de-se-faire-ou-science-inachevee#pnote-296-3" id="rev-pnote-296-3">3</a>]</sup>. A la place, elle propose une incertitude radicale qui <q>force l'attention des gens sur les processus de production des connaissances scientifiques</q> et met les chercheurs et les citoyens sur un même pied d'égalité face à l'incertitude, pour <q>ne leur laisser d'autre choix que d'explorer les divers points de vue offerts et ensuite de se faire un avis sur la question du mieux possible</q><sup>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/02/21/296-science-en-train-de-se-faire-ou-science-inachevee#pnote-296-4" id="rev-pnote-296-4">4</a>]</sup>. Et comme elle aborde souvent des problématiques pertinentes par rapport à l'actualité, elle contribue à l'appropriation ou la critique citoyenne de ses retombées futures.</p>
<p>Voici comment, à la suite d'une excursion au sein d'une discipline peu familière, on peut appréhender une distinction utile et souvent occultée — laquelle devrait resservir encore souvent !</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/02/21/296-science-en-train-de-se-faire-ou-science-inachevee#rev-pnote-296-1" id="pnote-296-1">1</a>] John Durant (2004), "The challenge and the opportunity of presenting "unfinished science"", in David Chittenden, Graham Farmelo et Bruce V. Lewenstein (dir.), <em>Creating Connections: Museums and the Public Understanding of Current Research</em>, Walnut Creek : Altamira Press, pp. 4760</p>
<p>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/02/21/296-science-en-train-de-se-faire-ou-science-inachevee#rev-pnote-296-2" id="pnote-296-2">2</a>] Jean-Marc Lévy-Leblond (2003) [2000], "Le chercheur, le crack et le cancre", in Jean-Marc Lévy-Leblond, <em>Impasciences</em>, Paris : Le Seuil, pp. 2324</p>
<p>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/02/21/296-science-en-train-de-se-faire-ou-science-inachevee#rev-pnote-296-3" id="pnote-296-3">3</a>] Dominique Pestre (2006), <em>Introduction aux Science studies</em>, Paris : La Découverte, coll. "Repères", p. 40</p>
<p>[<a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2009/02/21/296-science-en-train-de-se-faire-ou-science-inachevee#rev-pnote-296-4" id="pnote-296-4">4</a>] John Durant (2004), "The challenge and the opportunity of presenting "unfinished science"", in David Chittenden, Graham Farmelo et Bruce V. Lewenstein (dir.), <em>Creating Connections: Museums and the Public Understanding of Current Research</em>, Walnut Creek : Altamira Press, pp. 4760</p></div>
Lecture hivernale : le "Bestiaire amazonien" de François Feer
urn:md5:b055aa5e1ab0f66f8485bed9dd7ee787
2009-01-16T00:23:47+00:00
2010-01-24T13:16:25+00:00
Antoine Blanchard
Général
biodiversitélivrevulgarisation
<p>Paru en octobre dernier <a href="http://www.ledilettante.com/fiche-livre.asp?Clef=1053">chez Le Dilettante</a>, le <em>Bestiaire amazonien</em> de François Feer est un livre inclassable, à la fois roman (illustré), recueil poétique et monographie. Cette galerie de portraits animaliers mérite son nom de bestiaire amazonien, mais offre bien plus : l'auteur nous fait entendre le son du singe hurleur (ou <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Alouate">alouate</a>), sentir l'odeur alliacée du <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Didelphis_marsupialis">pian</a> et le frôlement du <a href="http://en.wikipedia.org/wiki/Carollia_perspicillata" hreflang="en">fer de lance à lunettes</a> (une chauve-souris)… Son ton poétique et tendre l'éloigne d'une <em>Encyclopédie du savoir relatif et absolu</em> façon Bernard Werber et le rapproche d'un <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Conrad_Gessner">Conrad Gessner</a> et son <em>Historia animalium</em>. L'auteur, incontestablement, possède une vraie voix :</p>
<blockquote><p>L'alouate est un singe dit "hurleur" comme la mouette est rieuse et le canard laqué. Hurler est sa vocation, sa vocalise première, une seconde nature, un cri primal, un sacerdoce incontournable, une mission sacrée. Les hurleurs hurlent, les vaches ruminent, les poules pondent et les moines font du fromage, c'est comme ça et personne ne peut rien contre. (p. 22)</p></blockquote>
<p class="center"><a href="http://www.flickr.com/photos/enro/3159849996/" title=" "><img src="http://farm4.static.flickr.com/3085/3159849996_e3a7bd9cca_m.jpg" alt=" " style="border: solid 1px #999; padding:6px;"></a></p>
<p>François Feer écrit avec verve et met les images au service des concepts. Il présente des savoirs zoologiques et éthologiques établis mais nous fait aussi toucher du doigts des discussions de biologiste plus profondes, mentionne Freud (<q>l'inventeur de la psychanalyse</q>) et Darwin (<q>l'inventeur de l'évolution</q>) dans la même phrase, accumule les références à Claude Lévi-Strauss, Alexander von Humboldt et le comte de Buffon et se paye quelques institutions du monde scientifique :</p>
<blockquote><p>Le nombril ne sert à rien, comme l'appendice, les dents de sagesse ou l'Académie des sciences. (p. 48)</p></blockquote>
<blockquote><p>Comme dans l'équipage d'un navire de commerce, une hiérarchie basée sur l'âge et l'expérience en mer s'établit naturellement [chez <em>Homo sapiens explorans</em>]. Les vieux loups de mer transmettent à la jeune garde les récits de leurs exploits ainsi que la saga des ancêtres, ce dont bien sûr ils se foutent complètement. (p. 184)</p></blockquote>
<blockquote><p>A peine né, l'explorans fermente dans la matrice chaude et humide de la forêt ; il commence à échafauder des théories sur le pourquoi et le comment des choses. Il le fait avec d'autant plus d'aisance que les données restent rares et qu'il n'y a pas grand monde pour aller vérifier. (p. 187)</p></blockquote>
<p>On sent le scientifique incongru, mélange entre Jean-Henri Fabre (pour la marginalité des sujets de recherche) et Boby Lapointe (pour le côté scientifique et poète). <a href="http://www.mabiodiv.cnrs.fr/RubriquesEnFrancais/FichiersIndividuelles/Feer.html">Chercheur au <acronym title="Centre national de la recherche scientifique">CNRS</acronym> et Muséum national d'histoire naturelle</a>, nul doute qu'il sort ici des sentiers arides de la <a href="http://www.mabiodiv.cnrs.fr/FichiersHtmlPdf/PublicationsIndexees/PublicationsIndividuelles/Feer.htm">publication académique</a> pour se faire plaisir et retrouver cet émerveillement qui caractérise tout chercheur.</p>
<p>Tout est parfaitement exact (pour autant que j'aie pu en juger), hormis une erreur malencontreuse (<q>dessin intelligent</q> au lieu de <q>dessein intelligent</q>). Le lecteur peut donc enrichir ses connaissances sur la faune amazonienne, tout en s'offrant un bon plaisir de lecture rehaussé par les illustrations évocatrices de Dupuy-Berberian, auteurs de bande dessinée <a href="http://www.bdangouleme.com/">fêtés à Angoulême</a> à la fin du mois et habitués des éditions "Le Dilettante".</p>
Lecture hivernale : Terry Pratchett
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2008-12-24T12:37:25+00:00
2008-12-24T12:37:37+00:00
Antoine Blanchard
Général
livrevulgarisation
<p>Les <em>geeks</em>, mais aussi les amateurs de romans humoristiques, connaissent bien les <em>Annales du Disque-monde</em>, la série de Terry Pratchett qui est best-seller au Royaume-Uni. Terry Pratchett n'a pas spécialement de formation scientfique (il a été publicitaire au début de sa carrière) mais les allusions scientifiques abondent dans ses livres, avec toujours une fraîcheur bienvenue. Exemple dans cet extrait de dialogue tiré du <em>Dernier continent</em> (p. 174 de l'édition Pocket) :</p>
<blockquote><p>— Pardon ? Est-ce que j'ai bien compris ? Vous êtes un dieu de l'évolution ? fit Cogite.<br />
— Euh… c'est mal ? s'inquiéta le dieu.<br />
— Mais elle s'exerce depuis une éternité, monsieur !<br />
— Ah bon ? Mais j'ai commencé il y a quelques années seulement ! Vous voulez dire que quelqu'un d'autre s'en occupe ?<br />
— Je le crains, monsieur, fit Cogite. On élève des chiens pour la férocité, des chevaux pour la vitesse et… ben, même mon oncle fait des prodiges avec ses noix, monsieur…<br />
— Et tout le monde sait qu'une rivière et un pont, ça s'croise aussi, ahaha, dit Ridculle.<br />
— Ah oui ? fit sérieusement le dieu de l'évolution. J'aurais cru que ça ne donnerait rien d'autre que du bois tout mouillé. Oh la la.</p></blockquote>
<p>Ridculle et Cogite, ces savants un peu maladroits, sont en fait des mages de l'Université de l'invisible, celle qui établit les règles de fonctionnement de l'étrange Disque-monde (quand elle ne les dérègle pas). Lesquelles lois, a pensé Pratchett, mériteraient un livre à part. Il s'est alors rapproché des fameux scientifiques Ian Stewart et Jack Cohen pour écrire un livre original dans sa forme et son contenu, intitulé <em>La Science du Disque-monde</em> : un chapitre sur deux relate les aventures des mages de l'Université de l'invisible et leur tentative de créer un univers à partir de rien, et un chapitre sur deux approfondit les pistes ainsi évoquées pour nous offrir une meilleure compréhension de l'univers qui est le nôtre.</p>
<p>J'ai mis ce livre sur ma liste de lecture en même temps que <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2008/09/03/312-lecture-1">celui de Bill Bryson</a>, et ce n'est pas pour rien : tous deux sont des sommes abordables sur l'état des connaissances, et de très bons <em>vademecums</em> de culture scientifique. Mais il y a des différences flagrantes (au-delà de l'omniprésence du Disque-monde, qui risque d'ennuyer les novices de cette oeuvre littéraire) : là où Bill Bryson raffole des petites histoires et des vies épicées des découvertes et scientifiques, Terry Pratchett et ses collaborateurs versent plus dans la philosophie... et l'humour anglais. Ainsi, les deux livres s'ouvrent sur l'origine de l'univers, le big bang et le reste. Mais quand Bill Bryson tente de décrire l'événement colossal que cela représente et la difficulté à en saisir la substance (que signifie exactement un univers en expansion ? "Dans quoi" est-il en expansion ?), nos auteurs dissertent sur ce qu'est un commencement et si l'univers n'est pas un processus plutôt qu'une entité.</p>
<p>Quelques passages de <em>La Science du Disque-monde</em> m'ont spécialement marqué, comme l'excellente présentation du débat sur la nature du notre compréhension du monde (<a href="http://julien.dutant.free.fr/L6PH003U_2005/L6PH003U_TD_1_cours.pdf">réalisme vs. idéalisme</a>), cette définition de la science comme méthode qui <q>ne cherche pas à construire un ensemble de "faits" connus</q> mais <q>consiste à poser des interrogations gênantes et à les soumettre à l'épreuve de la réalité, évitant ainsi la propension de l'homme à croire ce qui lui fait du bien</q> ou cette réflexion sur notre propension à remarquer des coïncidences et à y voir des signes là où il n'y a que biais de "déclaration sélective". On trouve aussi quelques bonnes tranches de logique à l'anglaise :</p>
<blockquote><p>A première vue, tout oppose mages et scientifiques. Assurément, un groupe de gens bizarrement vêtus, vivant dans leur propre réalité, parlant un lagage spécialisé et dont les déclarations entre régulièrement en contradiction flagrante avec le bon sens n'a strictement rien à voir avec un groupe de gens bizarrement vêtus, vivant dans leur propre réalité, parlant un langage spécialisé et… euh… (p. 11)</p></blockquote>
<blockquote><p>Parfois, la meilleure des réponses est une question plus intéressante encore. (p. 15)</p></blockquote>
<p>On peut regretter par contre au moins une erreur ou imprécision (peut-être due à la traduction), à savoir l'utilisation de la notation °K pour le Kelvin (au lieu de K, <a href="http://science-for-everyone.over-blog.com/article-2255908.html">comme l'explique bien Benjamin Bradu</a>). Dommage aussi que les auteurs, 140 pages après s'être épanché sur le <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Principe_anthropique">principe anthropique</a>, écrivent (p. 483) : <q>A de nombreux titres, il est stupéfiant que la vie terrestre ait résisté si longtemps à tout ce que l'univers lui a lancé à la figure.</q></p>
<p>Au final, le livre de Terry Pratchett et ses acolytes est un un outil pratique grâce à son index et un plaisir de lecture qui ravira encore plus les initiés du Disque-monde (une population quand même relativement large, qui va <a href="http://tomroud.com/2007/06/19/de-final-fantasy-jusqua-einstein-un-peu-de-geometrie/">de Tom Roud</a> <a href="http://animation.ircube.org/interviews/index.php/penelope-bagieu-alias-penelope-jolicoeur/">à Pénélope Jolicoeur</a>). Et un bon cadeau de Noà«l, même si le livre de Bill Bryson le surpasse selon moi…</p>
Ce que le blog apporte à la recherche
urn:md5:f5e760a6fe853389b7efb435dbe04f07
2008-12-04T13:19:51+00:00
2008-12-04T14:33:54+00:00
Antoine Blanchard
Général
blogconférencevulgarisation
<p>Jeudi soir avait lieu la soirée "Science 2.0" organisée par l'association <a href="http://association.cafe-sciences.org">C@fetiers des sciences</a>. Je tiens à remercier ceux qui nous ont rejoint pour la soirée : lecteurs de ce blog et d'autres, blogueurs du <a href="http://www.cafe-sciences.org">C@fé des sciences</a>, membres de l'association, membres d'associations amies comme <a href="http://www.laplume.info">Plume !</a> ou <a href="http://www.paris-montagne.org">Paris Montagne</a>, journalistes et acteurs de la science en tous genres. Quelques photos sont à retrouver sur la <a href="http://www.facebook.com/pages/Cfe-des-sciences/25187416603">page Facebook du C@fé des sciences</a>.</p>
<p class="center"><a href="http://www.flickr.com/photos/enro/3079526056/" title=" Organisà©e par l'association C@fetiers des sciences, au Centre de recherches interdisciplinaires<br /><br />Photo : Emmanuel"><img src="http://farm4.static.flickr.com/3276/3079526056_4594e56dce_m.jpg" alt=" Organisà©e par l'association C@fetiers des sciences, au Centre de recherches interdisciplinaires<br /><br />Photo : Emmanuel" style="border: solid 1px #999; padding:6px;"></a></p>
<p>Je remercie également les intervenants : François Taddéi qui nous a offert de nombreuses pistes de réflexion sur l'histoire du transfert d'information, les révolutions majeures qu'ont été Internet ou le livre et la pratique scientifique du futur (avec notamment l'<a href="http://dx.doi.org/10.1038/nature0223" hreflang="en">idée des scientifiques robots</a>) et Gloria Origgi qui nous a expliqué comment le <a href="http://wiki.liquidpub.org/" hreflang="en">projet Liquid Publication</a> vise à "casser" l'article scientifique, en dissociant la fonction de communication scientifique de celle de l'évaluation, et nous a conduit à travers quelques expériences dans le domaine de la philosophie avec son site <a href="http://www.interdisciplines.org/" hreflang="en">Interdisciplines</a>.</p>
<p>Pour ma part, j'ai pris un parti très pragmatique pour montrer ce que le blog peut apporter à la recherche, à travers une galerie d'exemples et quelques recommandations. Malgré un titre très similaire, il ne s'agit pas d'une redite de l'<a href="http://www.internetactu.net/2008/10/29/ce-que-le-blog-apporte-a-la-science/">article écrit pour InternetActu</a> (le titre me plaisait bien — je le dis d'autant plus facilement que ce n'est pas moi qui l'ai trouvé —, je me suis donc permis de le recycler) mais un extrait d'un <a href="http://www.slideshare.net/Enro/why-you-scientists-should-be-blogging-presentation/" hreflang="en">diaporama plus long</a> destiné à présenter les blogs de science aux chercheurs. A noter que la technique m'a trahi et que j'ai été bien heureux d'avoir justement cette présentation en ligne sur Slideshare… <q>science 2.0 rules!</q></p> <p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.001-001.png" alt="" /></p>
<p>Si j'ai eu envie de m'attarder sur cet aspect particulier de la science 2.0, c'est suite à un <a href="http://scienceblogs.com/principles/2008/10/why_doesnt_blogging_generate_m.php" hreflang="en">billet que Chad Orzel</a> publiait en octobre dernier, où il tentait de répondre à la question : <q>Le blog a-t-il généré plus de science ?</q></p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.002-001.png" alt="" /></p>
<p>Or la discussion tournait essentiellement autour de la recherche en collaboration, facilitée par le réseautage et l'interactivité du blog, alors qu'à mon sens, la contribution du blog à la recherche va plus loin que cela. C'est ce que je vais tenter de montrer maintenant. Sauf que la notion de "recherche" est vaste et complexe, et qu'on a vite fait de s'y perdre. Je vais donc m'appuyer sur les travaux de sociologues des sciences qui ont tenté de décrire et caractériser cette bestiole, en particulier Philippe Larédo et Michel Callon à l'Ecole des mines.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.003-002.png" alt="" /></p>
<p>Après avoir reconnu que la recherche se divise en 5 pôles, ils ont proposé l'image d'une rose des vents pour la décrire, dont nous allons suivre les branches une par une. La première de ces branches concerne la production de connaissances certifiées, lesquelles viennent parfois se matérialiser dans de nouveaux instruments utiles à la recherche. Cette production passe évidemment par les institutions de recherche et par la communauté des chercheurs, qu'on appelle les "pairs". Alors, qu'est-ce que le blog apporte à cette activité ?</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.004-001.png" alt="" /></p>
<p>Voici un article scientifique tout ce qu'il y a de plus banal, illustrant justement le processus de production de connaissances certifiées, soumises au jugement des pairs. <a href="http://www.plantcell.org/cgi/content/full/17/11/2856" hreflang="en">Cet article</a> propose une hypothèse alternative au phénomène d'hérédité non mendélienne observé, de façon tout à fait inattendue, <a href="http://dx.doi.org/10.1038/nature03380" hreflang="en">chez une plante modèle</a>. Il a été publié en novembre 2005 dans la revue <em>Plant Cell</em>.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.005-001.png" alt="" /></p>
<p>Mais on pouvait prendre connaissance de ce morceau de recherche plus de six mois auparavant, en mars 2005, <a href="http://www.dererumnatura.us/archives/2005/03/existance_of_rn.html" hreflang="en">sur le blog de Reed Cartwright</a>. Comme de nombreux blogueurs, ce doctorant avait pris connaissance du résultat et de tout le bruit qui fut fait autour, puis avait réagit sur son blog en proposant sa vision des choses et en critiquant la revue <em>Nature</em> pour avoir survendu ce résultat. Et l'histoire aurait pu s'arrêter là : notre blogueur a fait connaître au monde entier son point de vue et passe à autre chose.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.006-001.png" alt="" /></p>
<p>Sauf que, et c'est ce que Reed Cartwright explique dans <a href="http://dererumnatura.us/archives/2005/11/blog_about_hoth.html" hreflang="en">ce billet</a>, le chercheur Luca Comai a eu exactement la même idée et l'a soumise à la revue <em>Plant Cell</em>. Il fait une recherche Google par acquit de conscience et s'aperçoit qu'il a été scoopé par notre blogueur ! Plusieurs options s'offrent à lui et il choisit la plus généreuse et honnête, en offrant à Reed Cartwright de devenir co-auteur de l'article. Celui-ci accepte, tout heureux d'avoir obtenu un premier article scientifique aussi facilement ! Ce que montre cette histoire, c'est comment les frontières se brouillent entre billet de blog et article académique, mais surtout comment le blog accélère la recherche en s'affranchissant du délai nécessaire pour écrire, soumettre et publier un article académique. L'histoire suivante, <a href="http://alasource.aliceblogs.fr/blog/_archives/2008/7/17/3797041.html">empruntée au blog "A la source"</a>, le montre encore mieux.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.007-001.png" alt="" /></p>
<p>Tout démarre quand Xian-Jin Li publie sur le site de pré-publications arXiv une <a href="http://arxiv.org/abs/0807.0090v1" hreflang="en">preuve de la mythique hypothèse de Riemann</a>. Nous sommes alors le 1er juillet 2008.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.008.png" alt="" /></p>
<p>Le lendemain, un lecteur du fameux blog du mathématicien et médaille Fields Terence Tao <a href="http://terrytao.wordpress.com/2008/02/07/structure-and-randomness-in-the-prime-numbers/#comment-30708" hreflang="en">laisse un commentaire</a> pour signaler cette pré-publications et indiquer que ce n'est pas un canular, l'auteur semblant sérieux. Un jour plus tard, le 3 juillet, Terence Tao répond en expliquant qu'il y a une erreur dans l'équation (6.9) de la page 20 et que la démonstration ne tient pas.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.009.png" alt="" /></p>
<p>Entre temps, <a href="http://noncommutativegeometry.blogspot.com/2008/06/fun-day-two.html?showComment=1215053400000#c7113256183353024311" hreflang="en">un autre commentaire</a> est déposé chez Alain Connes, fameux mathématicien et médaille Fields, pour attirer l'attention des lecteurs vers la pré-publication de Xian-Jin Lin. Alain Connes répond dans la foulée et souligne une incohérence à la page 31. Nous sommes alors le 3 juillet.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.010-004.png" alt="" /></p>
<p>Le 6 juillet, Xian-Jin Lin <a href="http://arxiv.org/abs/0807.0090" hreflang="en">retire la quatrième version de son article</a>, qu'il avait amendé entre temps, à cause d'une erreur à la page 29. En l'espace de quelques jours, ce travail aura donc été porté à la connaissance de la communauté scientifique, analysé, modifié et définitivement traité. La recherche peut poursuivre sa route, l'intégralité de ces échanges restant disponible grâce aux rétroliens qui permettent de retrouver les blogs qui ont discuté la pré-publication.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.011-001.png" alt="" /></p>
<p>Dans un autre genre, le laboratoire de Jean-Claude Bradley à l'université Drexel (Etats-Unis) <a href="http://usefulchem.blogspot.com/" hreflang="en">tient un blog</a> sur lequel il publie le résultat de ses expériences de chimie de synthèse, qu'elles aient fonctionné ou non. Ce travail est mis intégralement à disposition de la communauté, sous une licence libre qui autorise qu'il soit repris et réutilisé, le but étant d'empêcher le dépôt de brevets et de mutualiser les efforts pour obtenir une substance anti-paludique. Ici, le blog s'insère en fait dans un ensemble plus vaste (<a href="http://usefulchem.wikispaces.com/" hreflang="en">wiki</a>, <a href="http://www.jove.com/index/details.stp?ID=942" hreflang="en">expériences filmées</a>…) qui correspond à cette "science 2.0" à la fois ouverte, en ligne et participative.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.012-001.png" alt="" /></p>
<p>L'exemple suivant est un exemple que je connais bien puisqu'il est tiré de mon propre blog. En mai dernier, je publiais le <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2008/05/31/261-comment-montrer-la-science-en-train-de-se-faire">fruit d'une réflexion en cours</a>, dont j'annonçais que j'espérais la conduire jusqu'à la publication d'un article et que j'incitais à commenter et discuter largement. La réflexion en question portait sur les façons de montrer la science "en train de se faire", avec sa part humaine et chaude, plutôt que la science "déjà faite" comme un savoir livresque. J'approchais cette thématique avec un regard très sociologique et les discussions en commentaires furent très riches.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.013-002.png" alt="" /></p>
<p>Mais surtout, le <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2008/05/31/261-comment-montrer-la-science-en-train-de-se-faire#c11235">commentaire de Matteo Merzagora</a> souligna avec raison que mon point de vue emprunté à la sociologie des sciences me faisait occulter toute la littérature de la muséologie. Et moi de reconnaître que je suis pas du tout familier avec cette recherche mais de plonger aussitôt dans les références indiquées et d'enrichir l'article en conséquence. Depuis, il a été soumis à la revue <em>Alliage</em> et je dois au blog d'avoir pu croiser les regards disciplinaires et d'améliorer substantiellement une ébauche d'article pour en faire un travail publiable en l'état (je l'espère).</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.014-001.png" alt="" /></p>
<p>Avec <a href="http://friendfeed.com/">Friendfeed</a>, nous sommes à l'étape qui suit le blog, celle du <em>micro-blogging</em> (qui permet de publier des réflexions condensées) mais surtout du <em>lifestreaming</em> (qui regroupe l'ensemble des flux composant son moi numérique : signets, photos, blogs, commentaires etc.). Un peu comme sur Facebook, on choisit de s'abonner à certains profils en particulier et réciproquement, on peut savoir qui nous "suit", renforçant ainsi le sentiment de communauté. Friendfeed est notamment <a href="http://friendfeed.com/rooms/the-life-scientists" hreflang="en">peuplé de biologistes 2.0</a>, une communauté très vivante qui interagit d'une façon probablement inédite. Ici, on voit le biochimiste <a href="http://blog.openwetware.org/scienceintheopen/" hreflang="en">Cameron Neylon</a> passer un appel à collaboration en comptant sur le <em>crowdsourcing</em> pour lui fournir une réponse : il aurait besoin de modéliser le canal potassium MthK mais n'a pas l'expertise en interne, et offre en échange une co-signature sur l'article qui résulterait de cette collaboration. Un spécialiste de modélisation a effectivement répondu et <a href="http://chemtools.chem.soton.ac.uk/projects/blog/blogs.php/bit_id/7735" hreflang="en">le travail a été mené</a>…</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.015-001.png" alt="" /></p>
<p>Finalement, le blog permet de faire comme à chaque congrès scientifique, mais à une échelle planétaire et de façon continue : réseauter. Prendre des nouvelles des uns et des autres, savoir comment avance le travail d'un ancien collègue, sentir les nouveaux sujets à la mode, afin de pouvoir choisir son projet sujet de recherche ou sa prochaine collaboration en toute connaissance de cause. Ici, il s'agit en l'occurrence d'une <a href="http://www.flickr.com/photos/dullhunk/2816284089/">photographie</a> prise lors du congrès <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2008/08/29/315-science-blogging-2008-en-direct">Science Blogging 2008</a>. Ironiquement, un des murs de la <em>Royal Institution</em> londonienne qui l'accueillait affichait cette citation d'Earl Wilson : <q>La pause café pourrait bien être le meilleur système de communication que la science se soit trouvée</q>. Or le blog, parce qu'il permet aussi de lancer des idées et de discuter sur un mode plus informel, pourrait bien devenir la pause café du XXIe siècle !</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.016-002.png" alt="" /></p>
<p>Une dimension importante de la recherche est celle de la formation, qui permet d'incorporer les savoirs et compétences développées au laboratoire dans le corps social. Même question : comment le blog peut-il être utile de ce point de vue ?</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.017-001.png" alt="" /></p>
<p>Voici un <a href="http://oecoursiut.wordpress.com/">exemple de blog</a> qui accompagne un module de cours, en l'occurrence à l'IUT de La Roche sur Yon. Ce "carnet pédagogique", pour reprendre le terme de l'auteur, prolonge le cours en mettant à disposition des étudiants polycopiés, exercices, liens vers des ressources complémentaires constamment mis à jour et autorise des échanges autour de certains points qui nécessiteraient discussion. Le tout à la face du monde, afin d'en faire profiter d'autres et éventuellement d'enrichir la réflexion pédagogique.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.018-001.png" alt="" /></p>
<p>Cet exemple n'a pas été pris au hasard. Derrière cette expérience éducative, on retrouve le chercheur en sciences de l'information Olivier Ertzcheid. Sur son <a href="http://affordance.info">blog "Affordance.info"</a>, il s'engage beaucoup en faveur d'une pénétration plus importante des blogs dans le milieu académique, et livre quelques réflexions dans le même sens. Ainsi, il <a href="http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2008/04/les-universitai.html">rapporte dans ce billet</a> les propos d'Henry Jenkins au MIT, qui a quelques années de recul de plus que nous sur le sujet. Ce que constate Jenkins, c'est que les étudiants (stagiaires, doctorants…) qui rejoignent les laboratoires du MIT ont une vision de plus en plus fine des activités du laboratoire : en plus d'avoir lu ses publications scientifiques et de connaître son <em>curriculum</em>, ils savent sur quels sujets de recherche le laboratoire est engagé, comment le travail s'organise… Bref, <q>autant de temps gagné pour l'intégration dans un programme de recherche et l'avancée dudit programme</q>.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.019-002.png" alt="" /></p>
<p>La recherche est fortement liée à l'innovation, qui constitue sa dimension proprement économique. Cela inclut l'entrepreunariat, le transfert de technologies, la R&D, la compétition sur un marché… Un monde que l'on penserait à l'opposé du blog !</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.020.png" alt="" /></p>
<p>Et pourtant… Une recherche Google avec des mots clés très techniques <a href="http://www.google.com/search?q=réduction+bruit+vibrations">comme "réduction bruit vibrations"</a> donne, chose étonnante, <a href="http://bruit-vibrations.blogspot.com/">un blog</a> comme premier résultat.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.021-001.png" alt="" /></p>
<p>Il s'agit en l'occurrence du blog d'un jeune ingénieur d'étude en mécanique, qui offre <q>références bibliographiques, outils théoriques, approches méthodologiques et solutions techniques pour la réduction du bruit et des vibrations mécaniques</q>. Le contenu est très professionnel et l'abondance de mots clés ("vibration", "résonance", "énergie", "bruit", "automobile", "matériau", "viscosité", "fréquence", "onde", "frottement"…) fait qu'il est très bien indexé par Google, d'autant plus qu'il est hébergé par la propre plateforme de blogs du moteur. Ainsi, notre jeune ingénieur possède une visibilité excessivement accrue sur Internet, <a href="http://www.fondazioneadrianolivetti.it/sito%20engl/Origgi.pdf" hreflang="en">ce qui en fait une autorité de fait</a> et un probable contact pour tout industriel qui s'intéresserait à ce sujet.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.022-001.png" alt="" /></p>
<p>Je ne suis pas le premier à souligner cet avantage. Samuel Bouchard, qui s'intéresse à la technologie et à l'entrepreunariat, <a href="http://www.lablogatoire.com/2008/09/08/utiliser-le-web-pour-promouvoir-ses-recherches/">s'est aperçu</a> que son diaporama de thèse sur les robots conduits par câble (<em>cable-driven robots</em>) ressortait deuxième sur Google après une recherche sur ces mots-clés. Là encore, même principe : en mettant son travail en ligne et en laissant à Slideshare le soin d'optimiser l'indexation par les moteurs de recherche, Samuel Bouchard établit son autorité sur ce sujet de recherche et s'accapare la visibilité vis-à -vis d'interlocuteurs éventuels.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.023-002.png" alt="" /></p>
<p>Indissociable de la recherche, et pendant de la sphère économique, on trouve les biens collectifs et les pouvoirs publics. Comment le blog peut-il contribuer à cette dimension de la recherche ?</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.024-001.png" alt="" /></p>
<p>Un exemple avec ce <a href="http://www.bethlem.info/">blog consacré aux myopathies de Bethlem et Ullrich</a>. Mis en place par une association de patients et de familles de patients, il permet de s'informer sur ces maladies. Ainsi, un billet récent interrogeait Paolo Bernardi, spécialiste du mécanisme moléculaire conduisant à la mort musculaire dans ces myopathies. Grâce aux commentaires, on peut imaginer que le blog permette d'aller plus loin, en faisant interagir médecins, chercheurs et patients et en devenant une véritable plateforme d'échange</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.025-001.png" alt="" /></p>
<p>Le projet d'Institut des épilepsies de l'enfant et de l'adolescent (IDEE), lui, s'inscrit avant tout dans le monde réel et vise à fédérer médecins, chercheurs, entreprises et patients pour faire reculer cette maladie. En amont de cet institut souhaité dans un futur proche, <a href="http://www.blog-idee.org/">un blog</a> sert évidemment à communiquer mais permet aussi à ces participants hétérogènes d'interagir dans un espace neutre et accessible à tous.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.026-002.png" alt="" /></p>
<p>Enfin, la dernière dimension de la recherche est celle de l'expertise et de la vulgarisation dans l'espace public, qui passent par les médias mais aussi les musées, les associations, les instances de débat public etc. C'est évidemment l'apport le plus évident du blog, mais sa contribution réelle n'est pas forcément bien connue comme nous allons le voir tout de suite.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.027-002.png" alt="" /></p>
<p>Les formes traditionnelles de vulgarisation (émissions de télé, musées, Fête de la science…) s'adressent à un public curieux et varié, mais les enquêtes montrent qu'il est très stéréotypé : beaucoup de catégories socio-professionnelles supérieures, des scolaires et des plus de quarante ans. A l'inverse, le blog est accessible à tous (internautes) et même une personne récalcitrante et absolument pas au fait des blogs de science peut y atterrir à la suite d'une recherche sur Google. Ainsi, la fameuse blogueuse américaine <a href="http://scienceblogs.com/grrlscientist/" hreflang="en">GrrlScientist</a> <a href="http://www.underthemicroscope.com/index.php?option=com_content&task=view&id=87&Itemid=54" hreflang="en">raconte dans cet article</a> que deux tiers de ses visiteurs ont une affiliation gouvernementale ou académique (sites en .edu ou .gov) mais qu'elle reçoit aussi des sénateurs, des éditeurs scientifiques, des juristes, des financiers, des adolescents et des grands-parents, ainsi qu'une classe entière qui lit son blog de façon régulière.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.028-001.png" alt="" /></p>
<p>Regardons un peu comment la science s'en sort dans les médias. Selon une <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?post/2008/12/04/www.belspo.be/belspo/home/publ/pub_ostc/Journ/rappULg_fr.pdf">étude belge</a>, la part de la science dans les journaux va de presque 20% à moins de 5%. C'est très hétérogène mais malgré la performance du <em>Vif/L'Express</em>, on peut probablement faire beaucoup mieux.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.029-001.png" alt="" /></p>
<p>Quant au contenu de cette couverture médiatique, il est fait pour près de la moitié de médecine, le reste se partageant équitablement entre la science et la technologie. Celui qui ne s'intéresse pas du tout aux nouvelles médicales est donc écarté par 50% de ce contenu scientifique ! Ainsi, non seulement il y a de la place pour parler de plus de science, mais il y en a aussi pour parler de la science autrement, en variant le contenu et explorant des voies de traverse. Le blog, comme outil de publication non <em>mainstream</em>, s'y prête à merveille.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.030-001.png" alt="" /></p>
<p>Selon un <a href="http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/ebs/ebs_282_fr.pdf">sondage Eurobaromètre de décembre 2007</a>, 52% des sondés préfèrent que les chercheurs eux-mêmes, plutôt que des journalistes, leur présentent les informations scientifiques. Le blog, qui est justement une tribune au service du chercheur, peut remplir cette fonction et répondre à une forte demande. En tous cas, il y a là une opportunité pour les chercheurs qu'il serait dommage de ne pas saisir !</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.031-001.png" alt="" /></p>
<p>Une autre caractéristique du discours scientifique sur les blogs est qu'il est ouvert à la contestation et la discussion, bien loin du modèle traditionnel descendant (<em>top-down</em>) où la parole de l'expert est à prendre telle quelle et où elle n'engage aucune discussion. Je montre notamment dans mes <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?tag/rsr">chroniques pour la Radio suisse romande</a> (<a href="http://www.rsr.ch/la-1ere/impatience">émission "Impatience"</a>) quelles formes cela prend concrètement et le sujet est loin d'être épuisé. C'est d'ailleurs pour mettre en avant le blog comme conversation que notre association C@fetiers des sciences a choisi cette illustration pour la couverture de <a href="http://association.cafe-sciences.org/public/CDS_-_plaquette.pdf">sa plaquette</a> : elle illustre la diversité des sujets et des points de vue qui sont échangés, avec en ligne de mire le plaisir et la curiosité.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.032-001.png" alt="" /></p>
<p>Et puis le blog a des effets collatéraux, entraînant souvent le blogueur dans un cercle vertueux : plus il blogue plus il devient visible et sollicité mais aussi plus sa plume s'affûte et plus il est pertinent et lu. Baptiste Coulmont, maître de conférence en sociologie à l'université Paris 8, raconte ainsi dans <a href="http://www.amue.fr/systeme-dinformation/metier/articles/article/blogs-et-enseignement-superieur/">un article de l'AMUE</a> comment il est passé sur France 3 et a été invité à un colloque sur Singapour en remplaçant au pied levé un intervenant parce que <a href="http://coulmont.com/blog/">son blog</a> lui donne une bonne visibilité sur Internet. Mais la difficulté consiste souvent à obtenir la visibilité initiale qui permet ensuite d'être sur la bonne pente, plutôt que de rester dans sa niche en touchant un nombre toujours plus restreint de visiteurs.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.033-001.png" alt="" /></p>
<p>La recherche a trouvé une solution à cette difficulté : il suffit de se présenter aux grandes messes qui attirent l'ensemble des chercheurs de sa communauté, pour y présenter ses résultats. Lors de ce qui est sans doute le <a href="http://web.me.com/pablo.achard/Labo/Blog/Entries/2008/3/23_Cartographie_des_neurosciences_II.html">plus grand congrès de ce type</a> (en sciences cognitives), on voit sur la photo comment ceux qui présentent des posters et leur public sont concentrés au même endroit au même moment, ce qui est idéal pour toucher le plus de monde possible.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.034-001.png" alt="" /></p>
<p>Et puis la fin du congrès arrive, les chercheurs rangent leurs posters dans leurs tubes…</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.035-001.png" alt="" /></p>
<p>…et une fois retournés à leur laboratoire, ils les affichent dans le couloir. Où ils seront vus par une poignée de personnes chaque semaine, des visiteurs du laboratoire déjà au courant de ses activités mais pas un public large et non intéressé <em>a priori</em>. De la même façon, un chercheur ou un laboratoire qui veut ouvrir un blog peut le faire sur le site web de son département ou institution mais il ne touchera sans doute qu'un public déjà au courant du laboratoire et ne se fera pas connaître au-delà . A l'inverse, s'il s'installe directement là où sont les lecteurs, c'est-à -dire une plateforme spécialisée ou un portail qui rassemble un grand nombre de visiteurs, il a toutes les chances de se faire remarquer comme son poster à un congrès.</p>
<p class="center"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/science_2.0/Conference%20AG.036.png" alt="" /></p>
<p>C'est pour cela que le <a href="http://www.cafe-sciences.org">C@fé des sciences</a> existe : pour augmenter la visibilité des blogs de science et valoriser l'effort des blogueurs, dans leur intérêt mais aussi celle des internautes, journalistes scientifiques, tutelles etc. Pour le moment, le C@fé des sciences s'organise comme sur la capture d'écran ci-dessus :</p>
<ul>
<li>la colonne centrale agrège en temps réel les billets publiés sur les blogs des membres et permet d'y accéder d'un clic en cliquant sur le titre</li>
<li>la colonne de gauche offre une tribune à la communauté du C@fé des sciences pour du contenu inédit mais aussi à des chercheurs sans blogs qui voudraient se livrer à l'exercice et partager leur réflexion ou leur travail l'instant d'un billet</li>
<li>la colonne de droite propose diverses catégories et liens, en particulier la section "Conversations en cours" qui agrège cette fois-ci les derniers commentaires publiés sur les blogs des membres, pour savoir où est-ce que ça réagit et discute le plus.</li>
</ul>
<p>Et à terme, nous avons pour ambition de devenir un hébergeur de blogs spécialisés dans les sciences dures, sorte de pendant à la plateforme <a href="http://hypotheses.org">Hypothèses.org</a>... Si ce projet vous plaît, vous pouvez le soutenir en en parlant autour de vous, en <a href="http://association.cafe-sciences.org/pages/Adhesion-en-ligne">rejoignant l'association pour 2009</a>, en <a href="http://www.facebook.com/pages/Cfe-des-sciences/25187416603">devenant fan du C@fé des sciences sur Facebook</a>, en <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2007/01/09/98-un-badge-pour-soutenir-le-cfe-des-sciences">affichant notre badge sur votre site ou blog</a> et en nous faisant connaître tout mécène qui serait intéressé par notre projet !</p>
Les chercheurs font aussi leur cinéma
urn:md5:88f69f7c9891e773fbc528d46dd57491
2008-11-13T06:53:26+00:00
2008-11-13T12:25:57+00:00
Antoine Blanchard
Général
festivalfilmvulgarisation
<p>Après une <a href="http://www.le-doc.info/2007/11/26/274-les-chercheurs-font-leur-cinema">première édition en 2007</a>, le festival francilien « Les chercheurs font leur cinéma » <a href="http://festivalcmv.free.fr/accueil.html">revient plus que jamais en forme</a>, du 14 au 29 novembre. Comme son nom l'indique, ce festival laisse pour une fois la parole aux chercheurs et à leurs courts-métrages. A en croire la bande annonce ci-dessous, l'ambiance est bonne enfant et Ronan James, qui fait partie du comité d'organisation, a gentiment accepté de se livrer au jeu de l'entretien. Je le remercie.</p>
<div><p class="center"><object width="480" height="381"><param name="movie" value="http://www.dailymotion.com/swf/k4MC5WeQUweyP6P4QI&related=0&canvas=medium"></param><param name="allowFullScreen" value="true"></param><param name="allowScriptAccess" value="always"></param><embed src="http://www.dailymotion.com/swf/k4MC5WeQUweyP6P4QI&related=0&canvas=medium" type="application/x-shockwave-flash" width="480" height="381" allowFullScreen="true" allowScriptAccess="always"></embed></object><br /><b><a href="http://www.dailymotion.com/video/x78x18_festival-les-chercheurs-font-leur-c_shortfilms">Festival "Les chercheurs font leur cinéma" Bande annonce</a></b><br /><i>envoyé par <a href="http://www.dailymotion.com/FestivalCMV">FestivalCMV</a></i></p></div>
<p><strong>Ronan, tu es un <a href="http://www.lmd.ens.fr/james/">jeune scientifique en thèse</a>, tu es bénévole au sein de la <a href="http://www.scienceacademie.org/">Science Académie</a> et de <a href="http://www.doc-up.info/">Doc Up</a>. Pourquoi as-tu choisi de t’engager aussi dans l’équipe du festival « Les chercheurs font leur cinéma » ?</strong></p>
<p>Je suis arrivé en 2007 en tant que réalisateur pour la première édition du festival. Après avoir travaillé au Palais de la découverte pendant ma thèse, j’ai tout de suite été séduit par l’idée du festival. Expliquer un concept scientifique en 5 mn en utilisant en même temps le son, l’image et le texte, c’était complètement nouveau pour moi !</p>
<p>La première édition a été une vraie réussite, tant pour les réalisateurs que les organisateurs. Tous partis à l’inconnu dans ce projet un an auparavant, lors de la cérémonie de clôture à la Cité des sciences et de l’industrie, il y avait une vraie complicité entre nous. Je crois que j’ai pas réussi à partir… Avec l’envie de découvrir ce qui se passait de l’autre côté du festival, il m’en fallait beaucoup plus pour rejoindre l’organisation de la deuxième édition !</p>
<p class="center"><a href="http://festivalcmv.free.fr/accueil.html"><img src="http://www.enroweb.com/blogsciences/images/DocUp.jpg" alt="" /></a></p>
<p><strong>Parles-nous donc un peu de ce festival : comment a-t-il démarré et quel est son but ?</strong></p>
<p>Tout a commencé en 1999 avec l’association ADocs, l’association des doctorants de l’Université de la Rochelle. Partant du constat que la recherche scientifique reste trop souvent méconnue de l’ensemble de la population, ADocs a imaginé une manifestation tournée vers le grand public permettant d’expliquer les problématiques de recherche hors de l’enceinte de l’Université. Des films de 5 minutes réalisés par de jeunes scientifiques en thèse qui ont pour but de mieux faire connaître les enjeux de leurs recherches, l'intérêt de leur démarche scientifique, et la passion qu'ils ont de leur métier… la première édition du festival de « Très Courts Métrages de Vulgarisation Scientifique » était née. En 2007, Rennes (Nicomaque) et Paris (Doc Up’) se sont à leur tour lancées dans l’aventure. « Les chercheurs font leur cinéma », c’est la version francilienne du projet !</p>
<p>A Doc Up’, ce qui nous a particulièrement motivés, c’est la conviction forte que les jeunes chercheurs peuvent être des acteurs clés pour créer des ponts entre la science telle qu'elle se fait et les citoyens telle qu'ils la vivent. Ainsi, le festival a pris la forme de projections-débats pour favoriser une vraie rencontre entre le public et les chercheurs qui ont réalisé ces films. Ces échanges sont l’occasion pour le public de découvrir une science en mouvement à travers le quotidien des chercheurs mais aussi de clarifier des problématiques scientifiques qui sont au centre de nos choix de société (modifications génétiques du vivant, avancées en neurosciences, changements climatiques,…).</p>
<p>Une autre particularité de ce festival est son implication au sein des lycées. A travers les dix projections que nous organisons pendant ce festival, sept d’entres-elles sont dédiées aux lycéens (dont 5 dans les lycées eux-mêmes). On vient là pour leur montrer des démarches scientifiques originales et dissiper quelques clichés. Ils croient trop souvent que la science s’arrête aux équations dans les bouquins... Lors des débats nous essayons de leur communiquer la curiosité et a créativité dont doit faire preuve dans notre métier. Et puis, il y a toujours les questions classiques : "C'est quoi une thèse ?", "Et à quoi ça sert ?", "Mais vous faites quoi, en fait ?",…</p>
<p><strong>Quelles sont les principales différences avec la première édition de l'an dernier, comment le festival a-t-il évolué ?</strong></p>
<p>Pour la première édition on avait limité l'appel à projet aux doctorants de l'Université Paris 6, et donc restreint les sujets aux sciences exactes. Malgré cette contrainte il y a avait déjà une grande diversité dans les sujets traités. Le public a clairement plébiscité cet aspect comme un des points forts du festival. Pour continuer à répondre à cette attente lors la seconde édition, nous avons décidé d'étendre l'appel à participation à l'ensemble des écoles doctorales d'Ile-de-France, quelles que soient leurs disciplines.</p>
<p>Nous avons aussi réfléchi au moyen d'aider nos jeunes chercheurs à réaliser leurs films. Nous leur avons ainsi proposer de suivre une formation de trois jours pour s'initier au travail de la vidéo (écriture, réalisation, tournage et montage). Avec un taux de participation à ce stage supérieur à 50%, et au vue de la qualité de réalisation des films de cette année, on est plutôt satisfait de l'avoir fait !</p>
<p>Pour cette deuxième édition, nous avons souhaité soutenir nos efforts pour mettre en avant les films lors des projections grand public. Avec un festival en pleine Fête de la Science, nous sommes très heureux de participer à l'ouverture nationale de la Fête de la Science au Grand Palais (14 novembre) pour la <a href="http://www.villeeuropeennedessciences.com/">Ville Européenne des Sciences</a>, et d'être présent tout au long de la semaine au sein de l'Université Pierre-et-Marie-Curie avec trois projections au Réfectoire des Cordeliers et à Jussieu (les <a href="http://festivalcmv.free.fr/calendrier.html">19, 21 et 22 novembre</a>).</p>
<p>Enfin, comme tout projet qui grandit, nous avons continué à consolider nos acquis et développer de nouvelles voies pour se faire connaître. Avec une forte présence sur le web (films en streaming, relais sur de nombreux sites dédiés à la vulgarisation,…), la bande-annonce du festival que nous avons mis en ligne sur Dailymotion est consultée constamment. On espère que ça va continuer !</p>
<p><strong>Il y a de plus en plus de festivals de cinéma scientifique organisés en France (Pariscience à … Paris, Cinémascience à Bordeaux), mais la plupart des films qui y sont projetés sont l'œuvre de documentaristes ou de cinéastes. Comment définirais-tu la « touche du chercheur » dans les films que vous allez diffuser cette année ?</strong></p>
<p>Je ne sais pas si c'est aussi simple… Je crois que le format qu'on leur donne y fait beaucoup aussi. Les documentaires scientifiques de 5 mn, c'est pas encore très répandu ! Pour avoir parlé avec pas mal de réalisateurs, cette contrainte est énorme et elle les oblige a trouver des ressorts qui ne peuvent pas être ceux que l'on voit dans les documentaires de 52 mn. Ca va très vite et il faut expliquer des concepts a priori pas super simples… alors souvent l'idée c'est de jouer sur la complicité (discussion avec un ami, humour, clichés,…). La touche du chercheur, c'est surtout l'originalité de très courts-métrages associés à la diversité des sujets de thèse ! En général, je crois que les spectateurs trouvent que ça apporte une certaine fraîcheur au domaine…</p>
<p>Sur le fond, la différence avec certains documentaires, c'est qu'il n'y a pas d'intermédiaires. Tout ce qui est dit est censé être une information maîtrisée et amène le spectateur sur un domaine bien précis. Finalement, peut-être que le plus important, c'est qu'on n’est pas là que pour parler de l'actualité de la recherche française mais aussi pour montrer que pour nous il y a un vrai plaisir à y travailler !</p>
<p><strong>En discutant avec les chercheurs qui se sont lancés dans l'aventure, qu'as-tu appris sur ce que ça leur a apporté ?</strong></p>
<p>Resituer son travail dans un cadre plus général, apprendre à expliquer son sujet de recherche en quelques minutes, échanger et savoir répondre à des questions inattendues... Ils en ressortent avec un recul sur le sujet de thèse qui est indiscutable ! C'est essentiel pour pouvoir mettre son travail en perspectives et renouveler sa pertinence. J'oubliais... une petite expérience dans la vidéo avec un film et des échanges sympas, ça compte aussi ?</p>
<p><strong>On croise les doigts pour que le festival soit un succès et on lui souhaite bonne route... On se quitte sur une anecdote ou une petite histoire liée au festival ?</strong></p>
<p>L'année dernière en tant que réalisateur, j'expliquais le rôle des nuages dans le climat (équilibre entre effet de serre et filtre de la lumière solaire) à Garges-lès-Gonesse dans un lycées du Nord de l'Ile-de-France. Après cette explication, un élève m'a répondu « Ha ouais, mais c'est trop facile monsieur. Pas la peine d'avoir Bac +8 pour comprendre ça ! ». Il m'a fallu quelques minutes quand même, mais je me suis dit après qu'on n’est pas trop loin d'avoir rempli notre contrat.</p>
Lecture estivale : Bill Bryson
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2008-09-03T08:58:04+00:00
2008-09-04T11:05:07+00:00
Antoine Blanchard
Général
livrevulgarisation
<p>Voici un livre qui m'a longtemps fait de l'œil sur les étagères des librairies anglophones (la traduction en français n'étant sortie qu'il y a un an, chez Payot, après quatre années d'attente) : <em>Une histoire de tout ou presque</em>. Et je ne m'y suis pas trompé, non plus que ses millions de lecteurs avant moi, y compris <a href="http://www.bouletcorp.com/blog/index.php?date=20080829">Boulet qui en parlait il y a quelques jours</a> : Bill Bryson raconte avec délectation une histoire (courte) de presque tout, de l'atome à la galaxie en passant par la Terre et ses habitants. Surtout, dans toutes ces histoires qui pourraient paraître réchauffées à un lecteur scientifique, Bryson insuffle de la magie et de la passion. Je crois n'avoir jamais senti d'aussi près l'insaisissable absolu du big bang ou l'irréelle magie des dinosaures, dont on arrive à reconstituer la morphologie et l'habitat à partir de quelques morceaux d'os.</p>
<p>Mais Bryson s'intéresse également aux vies aventureuses des grands savants, ceux de la révolution scientifique comme ceux dont l'Histoire a à peine retenu le nom et qui font le régal du lecteur. Je pense au discret chimiste suédois Karl Scheele, à l'autodidacte James Croll qui fournit la première explication aux âges glaciaires, digne du film "Will Hunting", au malchanceux Gideon Mantell à qui l'on doit la première description d'un dinosaure, à l'insupportable Richard Owen, fameux anatomiste, paléontologue et fondateur du Musée d'histoire naturelle de Londres, qui fit honte au savoir-vivre britannique ou à l'original James Hutton, le fondateur de la géologie dont personne n'a lu les livres tellement ils sont illisibles. J'ai aussi appris les dessous de la décapitation de Lavoisier pendant la Révolution française, savoureux !</p>
<p>L'auteur n'hésite pas non plus, et c'est tant mieux, à donner toute leur place aux questions qui restent sans réponse, lesquelles nous apprennent sans doute plus sur la science et son fonctionnement que ses victoires.</p>
<p>Au fil des 500 pages, il tresse bien une histoire de presque tout, passant avec maestria d'un personnage à un autre et de la géologie à la chimie, sans jamais donner l'impression que c'est artificiel. L'auteur nous gratifie également de quelques citations hilarantes, comme cette réponse d'Enrico Fermi à un étudiant qui lui demandait le nom d'une particule (muon, méson, boson, baryon, tachyon… ?) : "Jeune homme, si je pouvais me souvenir du nom de ces particules, je serais devenu botaniste." Ou cette remarque d'un collègue à qui on annonçait que le physicien Rutherford, connu pour sa voix de stentor, allait participer à une émission de radio transatlantique : "Pourquoi utiliser la radio ?"</p>
<p>Bill Bryson avoue avoir passé trois ans sur ce livre, sur les entretiens avec quelques autorités scientifiques triées sur le volet ainsi que sur sa documentation (on retiendra d'ailleurs l'astucieuse façon de citer ses sources, qui n'entrave en rien la lecture) : on sent tout ce travail mais la mission est plus que remplie ! Un petit bémol toutefois, l'américano-centrisme avec l'attribution de la découverte de Lucy à Donal Johanson uniquement (même si la littérature francophone tombe dans le travers opposé en l'oubliant souvent au profit d'Yves Coppens) et la profusion d'exemples comme le parc national de Yellowstone ou le cratère de Manson dans l'Iowa.</p>
<p>J'avais prévu de mettre ce livre en parallèle avec <em>La Science du Disque-monde</em>, autre ouvrage de vulgarisation au parti pris très différent. Le temps m'a malheureusement manqué pour cumuler les lectures (la faute au jeu "Soul Bubbles" sur DS ?), mais promis, j'en parle sur ce blog dès que c'est fait !</p>
Retour sur le colloque Pari d'avenir : pourquoi changer les pratiques de la culture scientifique ?
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2008-08-10T09:55:29+00:00
2008-08-10T09:58:27+00:00
Antoine Blanchard
Général
colloqueculture scientifiquescience-fictionvulgarisation
<p>Il y a 15 jours, je participais au colloque "Pari d'avenir", qui se penchait cette année sur les objectifs et pratiques de la culture scientifique. Mais cela vous le savez puisque vous m'avez vu <a href="http://www.enroweb.com/blogsciences/index.php?2008/07/22/307-colloque-pari-d-avenir-2008-live-blogging-sur-trois-jours">bloguer en direct cet événement</a> étalé sur trois jours. Laissez-moi donc plutôt exprimer quelques avis <em>a posteriori</em>.</p>
<p>La chose qui m'a le plus frappé, c'est à quel point les présupposés même du débat ne sont pas forcément partagés. Valoriser la culture scientifique ? Oui, tout le monde est d'accord. Mais renégocier ce que cela signifie ? Pas facile. En particulier, certaines personnes sont ancrées dans des pratiques depuis plusieurs années, ou sont des scientifiques elles-même, et ont donc du mal à envisager les choses sous un angle nouveau. C'était bien là , pourtant, l'enjeu du colloque : produire suffisamment de réflexion pour donner matière à un manifeste à venir "pour une révision des objectifs et des pratiques de la culture scientifique". Avec une difficulté supplémentaire qui est que finalement, la diversité est un facteur crucial. Faut-il vraiment voiloir limiter le partage de la culture scientifique à un ou deux objectifs prioritaires et à un ou deux types de pratiques bien identifiés ? Difficile de répondre... Néanmoins, il était salutaire de se poser ces questions.</p>
<p>Laissez-moi donc vous conter une histoire qui vous expliquera pourquoi. Oh, elle n'est pas de moi mais de Pierre Boulle, grand écrivain de science-fiction. Pourquoi lui ? Je confesse vouer une affection particulière <a href="http://www.enroweb.com/passions/litterature/Boulle.html">pour le personnage</a> (avec qui j'ai en commun d'être ingénieur diplômé et avignonnais, ça rapproche !) et pour son oeuvre. Dans son livre intitulé <em>Les Jeux de l'esprit</em> (1971), Boulle imagine ce que Saint-Simon avait proposé un siècle auparavant dans ses <em>Lettres d'un citoyen de Genève</em> (1802) : un monde gouverné par un groupe de savants, le "conseil de Newton", et une humanité vouée à la production et à la science. Chez Boulle, le conseil de Newton a seulement été renommé le Gouvernement scientifique mondial (GSM).</p>
<p>Oh que cela plairait à tous les scientistes d'aujourd'hui ! En effet, écrit Pierre Boulle,</p>
<blockquote><p>les savants étaient arrivés à considérer qu'ils formaient de par le monde la véritable internationale, la seule valable, celle de la connaissance et de l'intelligence. La science était pour eux à la fois l'âme du monde et la seule puissance en mesure de réaliser les grands destins de celui-ci, après l'avoir arraché aux préoccupations triviales et infantiles de politiciens ignares et bavards. Alors, au cours de nombreux entretiens amicaux, presque fraternels, était peu à peu apparue la vision d'un avenir triomphant, d'une planète unie, enfin gouvernée par le savoir et la sagesse.</p></blockquote>
<p>Car une seule chose animait la communauté des savants :</p>
<blockquote><p>l'idéal connaissance était le pôle commun à tous les esprits scientifiques de cette époque. Pour les physiciens, il s'agissait d'une véritable religion ; pour les biologistes, d'une sorte d'éthique, un acte gratuit dont il sentaient confusément la nécessité impérieuse pour échapper au désespoir du néant. Les uns et les autres estimaient que cette connaissance totale ne serait atteinte que par les efforts conjugués de l'humanité toute entière.</p></blockquote>
<p>Or les savants sont partageurs. Comment pourraient-ils garder pour eux un tel idéal de connaissance et de sagesse ? Les voici donc lancés dans un programme de <q>prise de conscience scientifique du monde</q>. Car ils ne veulent plus refaire les mêmes erreurs et tiennent à éviter <q>l'écueil dangereux, autrefois sarcastiquement signalé par les romanciers d'anticipation : le partage de l'humanité en deux classes, les savants et les autres, ceux-ci condamnés aux travaux grossiers et utilitaires, ceux-là enfermés dans une tour d'ivoire, bien trop exiguà« pour permettre l'épanouissement total de l'esprit</q>.</p>
<p>C'est là que Boulle fait une description visionnaire, qui rejoint tellement le rêve de certains vulgarisateurs et popularisateurs des sciences :</p>
<blockquote><p>Un immense réseau de culture scientifique enserrait le monde. Un peu partout, des établissements grandioses s'étaient élevés, avec des amphithéâtres assez nombreux et assez vastes pour que, par un roulemment savamment organisé, la population entière des villes et des campagnes pût y prendre place en une journée, avec des bibliothèques contenant en milliers d'exemplaires tout ce que l'homme devait apprendre pour s'élever l'esprit, depuis les rudiments des sciences jusqu'aux théories les plus modernes et les plus complexes. Ces centres étaient également pourvus d'un nombre considérable de salles d'étude, avec microfilms, appareils de projection, télévision, permettant à chacun de se familiariser avec les aspects infinis de l'Univers. Dans des laboratoires équipés des instruments les plus modernes, tout étudiant pouvait faire des expériences personnelles sur les atomes, provoquer lui-même des désintégrations, suivre le tourbillon magique des particules à travers bêtatrons et cyclotrons, mesurer avec des appareils d'une délicatesse extrême les durées de quelques milliardièmes de seconde séparant la naissance et la mort de certains mésons.</p></blockquote>
<p>Tout va bien dans le meilleur des mondes ? Non, parce que Boulle est un adepte du "renversement ironique", comme le nota si bien Jacques Goimard. Très souvent, il s'est attelé à faire ressortir les paradoxes de l'esprit humain et le côté dérisoire de nos aspirations utopiques. Car rapidement, le GSM ne peut que constater les <q>échecs essuyés en matière d'instruction mondiale</q> :</p>
<blockquote><p>Chaque famille voulait avoir sa maison particulière avec piscine. Cette soif de bien-être, ce désir du monde de s'approprier les acquisitions de la science et de la technique sans en comprendre l'esprit et sans avoir participé à l'effort intellectuel de découverte, ne se limitaient pas aux habitations. (…) Des savants, des cerveaux précieux devaient interrompre ou ralentir leurs travaux de recherche fondamentale, dirigés vers le vrai progrès, pour se mettre au service du monde et satisfaire ses besoins immodérés de confort, de luxe et de raffinement matériels.</p></blockquote>
<p>Eh oui ! La chute est d'autant plus rude que le rêve était grand : rien à faire, l'Homme restera l'être paradoxal qu'il est, autant capable de pensées absolues que de désirs de confort matériel. La conclusion que j'en tire, c'est que le modèle dominant de culture scientifique (en dehors de l'école, donc) est voué à l'échec : il ne sert à rien d'attendre de la population qu'elle connaisse la vitesse de la lumière ou sache observer une particule élémentaire, c'est-à -dire qu'elle soit aussi savante que les savants eux-mêmes. Et les résultats de la sociologie ne disent pas autre chose. Par contre, on peut utiliser la science pour faire rêver, éveiller la curiosité, montrer l'importance de l'esprit critique, passionner, divertir, faire réfléchir… Autant de portes que Pierre Boulle a laissées ouvertes, afin que nous puissions les explorer plus de trente ans après.</p>