Le 7 novembre prochain se tiendra une journée d'étude qui ne peut que nous interpeller, consacrée à  la "Science et Démocratie: Savoirs distribués et Pouvoirs". Organisée par le Centre Alexandre Koyré à  Paris (détails et informations pratiques), sous la direction scientifique de Sezin Topçu[1], elle va s'intéresser aux formes nouvelles des savoirs distribués, qui sont des types de

savoirs n’ayant rien à  envier aux meilleurs savoirs scientifiques : par exemple de savoirs épidémiologiques (sur les maladies rares); de savoirs et savoir-faire techniques de première importance (en radio dans les années 1930, dans les logiciels aujourd’hui) ; ou encore de savoirs qui tiennent leur puissance du fait d’aborder des questions que les sciences réductionnistes et centralisées ne peuvent que voir mal : la variété écologique, biologique ou humaine ; la complexité des interactions locales ; l’identification de nouveaux risques par les ‘victimes’, des menaces pesant sur les personnes, les biens ou l’environnement (...).

Plus intéressant pour nous, elle va aussi se pencher sur

la question des catégories, du basculement des catégories qui organisent notre appréhension des choses aujourd’hui. « Public », « profane », « société civile », « responsabilité », « gouvernance », « démocratie participative », « transparence » ... — autant de termes et d’expressions qui ont émergé dans les dernières décennies et se sont mis à  structurer l’espace politique et social, à  le transformer, à  le ‘performer’ de façon neuve. La variété de leurs usages témoigne de la place que ces catégories ont acquise, aussi bien dans le champ de l’étude des sciences et le domaine STS que dans les sphères politiques, industrielles, institutionnelles ou médiatiques. Ces catégories, construites dans des circonstances spécifiques à  travers des processus politiques et cognitifs complexes qui restent à  analyser, sont souvent employées aujourd'hui comme des évidences. Elle légitiment certains modes d’action, certains groupes et enjeux, et en rendent invisibles d’autres. La polysémie est ici souvent centrale : on parle ainsi parfois indifféremment de public, de citoyen, de profane, de société civile, voire de client ou de consommateur.

Les questions qui nous intéresseront dans cette troisième session sont : comment, où, à  travers quels acteurs, ont émergé, se sont mises en place, se sont vus réappropriées puis devenir hégémoniques un certain nombre de manières de décrire et de concevoir le monde de la science et du social, la nature et le politique? Quelles autres catégories ont disparues dans ce processus, quels cadrages ont perdu leur pertinence, quelles questions ont perdu leur légitimité – et quels groupes en ont souffert? Est-il possible de repérer l'émergence de ces catégories dans le milieu académique mais aussi dans les sphères politiques, industrielles ou médiatiques ? (...) Quelles tensions émergent de leurs usages multiples, et quelles tensions suscitent-elles dans le corps social ? Y-a-t-il des domaines technico-scientifiques (nucléaire, biotechnologies, médicine ...) où leur émergence ou resurgissement ont été primordiales, généalogiquement décisifs ? Le but est d’analyser des situations dans lesquelles certaines de ces catégories se sont construites (et reconstruites), de rendre compte des conditions de production, des formes de justifications, des relations de pouvoir, des perceptions et des systèmes de valeurs auxquelles elles font référence – et finalement de leur victoire.

Chouette programme !! :-)

Notes

[1] Sezin Topçu qui va d'ailleurs publier prochainement un article qui promet d'être intéressant dans le vol. 14 n° 3 de la revue Natures Sciences Sociétés : "Nucléaire : de l'engagement « savant » aux contre-expertises associatives".