Je viens de recevoir la note d'un travail que j'ai effectué en décembre dernier, portant sur la controverse de la pollution génétique de maïs sauvage par du maïs OGM au Mexique. La note n'est pas mauvaise donc je vous livre ici ce devoir.

Article sur la controverse Quist et Chapela

L'article de Quist et Chapela relatant la découverte de ce premier cas d'introgression et publié dans Nature fut violemment attaqué, critiqué et eux-mêmes furent pris à  partie. Les dégâts de cette immense controverse se font encore ressentir cinq ans après et elle fut sans doute un tournant pour les politiques de recherche, l'expertise et la constitution du débat public sur les OGM. Qu'apprend-on dans mon "article" ?

  • Que l'enjeu de la controverse et les positions se déplacent au fur et à  mesure qu'elle avance : les généticiens qui rejetaient l'article en bloc finissent par rejeter certains de ces arguments (les épisodes multiples d'introgression, puis l'interprétation du danger pour la flore sauvage) ;
  • les cultures épistémologiques font que Quist et Chapela, à  la fois écologues et généticiens, sont mal compris — sauf de ceux qui considèrent aussi les populations végétales en interaction avec les communautés paysannes ; cette position les isole en même temps qu'elle les rend forts puisque pas attaquables avec des arguments habituels, situés à  un autre niveau ("votre PCR a été mal faite", "vous êtes de mauvais expérimentateurs" etc.) ;
  • que la science emprunte toutes les arènes (médiatiques, politique, juridique) pour avancer, et qu'elle s'y fabrique autant qu'elle se fabrique dans son arène d'origine ;
  • que les asymétries sont fortes entre les partisans du courant majoritaires, que l'on peut difficilement accuser d'attaches idéologiques alors qu'ils n'en manquent pas, et les défenseurs de Quist et Chapela apparentés aux mouvements écologistes ;
  • que les mots sont peut-être plus importants que les "faits", en témoigne l'essor de l'expression "pollution génétique".

Quelques précisions sur la méthode : les études de controverse sont courantes en sociologie des sciences (un séminaire y est consacré à  l'Université Louis-Pasteur, un cours à  l'Ecole des mines et à  l'Université d'Edinburgh etc.). En effet, étudier une controverse permet de faire ressortir les stratégies des chercheurs, leur rhétorique et la manière dont ils administrent la preuve, bref leur "cuisine" qui est beaucoup moins visible lorsque la science suit son cours "normal". Quand la controverse est socio-technique (i.e. elle implique un public non-scientifique), comme dans le cas présent, cela permet aussi de comprendre et comparer des acteurs hétérogènes. Mon parti pris de méthode est celui de la sociologie de Latour, qui place les acteurs humains et non-humains au même niveau (d'où le titre de ce billet), les suit dans leur action et interprète leurs forces et faiblesses en terme de réseau, où chaque réseau se constitue par la traduction d'intérêts entre acteurs différents…

En conclusion, je retiendrai qu'il faut se méfier des discours simplificateurs des scientifiques façon Paul Reiter (de l'Institut Pasteur), qui fustige les militants et les associations engagées sur le terrain des technosciences :

[Leurs] idées sont souvent renforcées par des références à  des articles scientifiques revus par les pairs qui sembleraient appuyer leurs déclarations, sans se soucier de savoir si ces articles sont largement approuvés par la communauté scientifique elle-même. Quant aux scientifiques qui contestent ces alarmistes, les médias leur donnent rarement une place prépondérante et ils sont souvent taxés de « scepticisme ».

Cela ne veut pas dire grand chose de parler d'articles largement approuvés par la communauté scientifique elle-même. La communauté scientifique n'est pas une et indivisible, elle est aussi traversée par des tensions et peut évoluer dans ses conceptions. Le cas de Quist et Chapela le montre bien : si l'on a pu à  l'époque contester les associations qui s'appuyaient sur leur article, il faut reconnaître qu'agir ainsi a reconfiguré en retour le champ scientifique. Et qu'en parallèle, les débats ont changé de nature et ce sont déplacé. Il n'y a pas l'obscurantisme face à  la raison, mais bien des différences de rationalité, où chacun voit une autre partie de l'éléphant...