Le dessein intelligent enfin scientifique ?
8
mai
2007
Jusqu'à présent, le dessein intelligent (intelligent design, sorte de créationnisme 2.0) se présentait sous la forme d'un paquet d'arguments et de raisonnements, jetés à la tête de l'évolutionniste critique. Ces arguments, on les trouvait dans des brochures, sur des sites Internet et dans des livres de "vulgarisation" destinés au grand public. Depuis peu, quelques tentatives s'efforcent de donner du caractère scientifique au canon du dessein intelligent, par exemple grâce à un livre de cours qui se veut structuré et synthétique : L'Atlas de la création, dont Benjamin nous a déjà parlé. Mais il restait la question de la recherche "en train de se faire" : quid des modes de communication des créationnistes travaillant dans des instituts comme le Discovery Institute ou l'Institute for Creation Research ? Ces chercheurs allaient jusqu'à se plaindre dans Nature de ne pas pouvoir y publier !
Ceci est terminé. Via Improbable Research, on apprend qu'une revue consacrée aux recherches créationnistes vient d'être créée : l'International Journal for Creation Research. Et il s'agit bien d'une revue où les articles sont évalués par des pairs (peer review)[1].
Alors quoi, en se mettant enfin au diapason de la science, le créationnisme deviendrait scientifique ? Ca dépend de ce que l'on entend par "scientifique"… Bruno Latour, dans le texte "Vous avez dit "scientifique" ?" publié en septembre 2000 dans La Recherche[2], distingue trois sens de ce mot :
- une forme de discours qui permet de renvoyer dans les cordes la sagesse populaire et les rumeurs oiseuses, parce qu'
il n'y a plus à discuter
; des entités nouvelles dont on n'avait jusqu'ici jamais entendu parlé, (…) à l'intérieur de communautés scientifiques originales
. Au lieu de clore une discussion, ces entités-là rendent les interlocuteurs perplexes ;- un énoncé renforcé par une grande quantité de chiffres, données, de preuves.
Alors que le premier sens renvoie plutôt à l'indiscutable et que le second porte sur la nouveauté et la perplexité qu'elle engendre, ce troisième sens porte sur ce que l'on pourrait appeler la logistique.
C'est cette "logistique" que vient de s'offrir le créationnisme à travers l'indispensable revue avec comité de lecture. Désormais, il pourra se vanter de manipuler des chiffres et de s'appuyer sur des citations en bonnes et dues formes, il pourra se vanter de créer des entités nouvelles comme la baraminologie — mais pas forcément de fabriquer des discours suffisamment solides pour pouvoir être assénés à un dîner. Il lui manque encore ce premier sens du mot "scientifique", lequel est qualifié par Bruno Latour de sens de l'épistémologie politique
.
Un peu comme si on fondait aujourd'hui une branche de la chimie sur l'existence du phlogistique (comme avant Lavoisier) ou du mercure philosophal (comme dans l'uchronie de Gregory Keyes). Après tout, il pourrait y avoir des gens pour financer, ça marcherait bien (en cercle fermé) et on garderait la face… Mais in fine, on demande bien à la science de créer des entités qui ne peuvent plus être retournées ou contournées, ou alors de se contenter d'être philosophie ou métaphysique. Parions que le dessein intelligent risque de finir ainsi, lui qui n'hésite pas à considérer que quand nous n'avons pas d'explication naturelle à un fait de la nature, nous devrions le dire au lieu d'en chercher absolument !
Notes
[1] Même si elle précise dans ses instructions aux rapporteurs (p. 10) : Nous devons nous servir de balances justes, de poids justes (Lévitique 19:36) car nous avons aussi un Evaluateur au Ciel (Ephésiens 6:9, Colossiens 3:24 et 4:1).
[2] Et repris dans les Chroniques d'un amateur de sciences, Ecole des mines de Paris, 2006.
Commentaires
Donc, l'objectif, c'est de devenir une science en agissant comme une science, c'est ça?
Je me pose quand même une question: à l'intention de qui publient t-ils ce journal?
Parce que quand je lis ca
, je me dis que tout le monde va partir en courant, sauf… ceux qui y croient!Est-ce pour se rassurer, ou est-ce qu'ils attendent vraiment des souscriptions institutionnelles?
Timothée > L'objectif de qui ? Des créationnistes, oui, sans doute, mais je crois qu'ils revendiquent d'être une science depuis le début. Désormais, ils commencent à le devenir vis-à -vis des autres ! Quant aux lecteurs potentiellement intéressés, il ne faut pas (à mon avis) sous-estimer la force de frappe d'une revue, qui s'étend bien au-delà des abonnés institutionnels...
Est-ce qu'ils projettent d'appliquer le modèle open-access?
Ca ne pourrait que leur apporter un lectorat…
Timothée > Il semble que non, mais on pourrait effectivement le leur suggérer !
Il y a un autre gros problème : comment vont-ils se mettre d'accord entre toutes les chapelles ? Bon an mal an, la science avance et progresse. Mais depuis l'intelligent desgin soft jusqu'aux ultra-religieux hard core qui pensent que la Terre a été créée il y a 4000 ans, il y a tout un continuume de zozos qui campent sur leurs positions et ont des avis et théories contradictoires entre elles.
Ils feront des éditoriaux et des tribunes libres, j'imagine…
Je vais suivre ca de plus ou moins près, ca me questionne…
Une analyse assez pertinente pour comprendre pourquoi le créationnisme trouve un plus grand écho chez les protestants et musulmans que chez les catholiques ou les juifs http://www.historia-nostra.com/index.php?option=com_content&task=view&id=610&Itemid=60