Nanotechnologies, qui croire ?
22
mar.
2008
"Internet actu" publie ses articles sous licence Creative Commons, ce qui permet de les reproduire et de les diffuser largement. Ce que je fais ici avec un article de Jean-Marc Manach qui revient sur de récentes enquêtes d'opinion sur les nanotechnologies (mes commentaires sont en notes de bas de page).
Seul un tiers (29,5%) des Américains considéreraient les nanotechnologies comme moralement acceptables
, contre 54,1% des Anglais, 62,7% des Allemands et 72,1% des Français. Cette forte suspicion du public américain n’aurait rien à voir avec l’inculture d’un côté de l’Atlantique par rapport à l'autre, dans la mesure où les interrogés se déclarent tous plutôt bien informés de ce que sont les nanotechnologies, et de ses avantages potentiels.
Le problème serait en fait lié à l’importance prise par la religion aux Etats-Unis où, contrairement aux Européens, plus laïcs, de nombreux croyants voient dans les nanos une façon de jouer à Dieu
, comme le signale EurActiv.[1] Etonnament (sic), alors qu'elles pourraient être tout aussi moralement condamnable, les Américains n'en soutiennent pas moins les OGM, au contraire des Européens.[2]
L'étude, basée sur un échantillon de 1015 Américains à qui avaient été posées certaines des questions d'un Eurobaromètre sur l’attitude des Européens au regard des biotechnologies datant de 2006, a été rendue publique lors de la réunion annuelle, le 15 février 2008, de l’Association américaine pour l’avancée de la science (American Association for the Advancement of Science, AAAS). Etonnament (sic), l’Eurobaromètre révélait pourtant que 81% des Américains et 76% des Européens approuvaient les recherches en matière de nanotechnologies (contre respectivement 61% et 41% pour ce qui est des OGM). Contradiction des études ?[3]
Dietram Scheufele, responsable de cette enquête, est professeur de journalisme à l'université de Wisconsin-Madison, et coresponsable du groupe de recherche sur l’opinion publique et les valeurs du Centre pour la nanotechnologie dans la société de l'université d’Etat d’Arizona.
En novembre dernier, il avait relevé que les scientifiques experts en nanotechnologies étaient plus optimistes, mais aussi plus inquiets, que le grand public des perspectives ouvertes par leurs recherches. Alors que 15% du public s'inquiétait des risques de pollution, le pourcentage de scientifiques était de 20%. Pour ce qui est des conséquences sanitaires, le ratio était respectivement de 20 et 30%. A contrario, le grand public craignait plus que les scientifiques des risques d’atteinte à la vie privée.
Publiée dans Nature, l’étude relevait à la foi le peu de prise de conscience du grand public, mais aussi l’absence de débats autour de ces questions, l’isolement des scientifiques, et l’absence d’études sérieuses sur les risques posés par les nanos.
En décembre 2007, l’éditorialiste de Nature Nanotechnology plaidait d’ailleurs pour un renforcement des collaborations avec les sciences sociales, afin d’éviter que les "filtres" politiques ou religieux ne viennent trop interférer dans la vision que se font les gens des nanotechnologies. Force est de constater que c’est encore loin d’être le cas.
Pour en savoir plus, on se reportera opportunément à la NanoEthicsBank, qui recense à ce jour 685 publications ayant trait aux implications sociales et éthiques, aux perceptions et à l’acceptabilité des nanotechnologies, aux efforts de régulation et de promotion des "meilleures pratiques" en la matière.
Notes
[1] Tom Roud a montré, sur la base d'un article du Monde, que cette causalité était largement hasardeuse. Seulement elle provient ici d'un chercheur, Dietram Scheufele, dont on peut imaginer qu'il parle du haut de son expertise et que son expérience lui fait dire ce qui est vraisemblable et ce qui ne l'est pas. Comme ces chercheurs en biologie des plantes qui ont tout de suite nié l'hérédite non-mendélienne du mutant ''hothead'' simplement sur la foi de leurs présomptions. Notons quand même qu'une publication est sur les rails : Brossard D., Scheufele D. A., Kim E. & Lewenstein B. V., "Religiosity as a perceptual filter: Examining processes of opinion formation about nanotechnology", Public Understanding of Science.
[2] Mmm, pas si sûr. Comme l'ont montré les sociologues Pierre-Benoît Joly et Claire Marris, on ne peut pas dire que les Américains ont accepté les OGM dans le sens où ils sont ne sont pas clairement identifiés et étiquetés, au sens propre comme au figuré, et donc n'existent pas en tant que catégorie
[3] Il faudrait comparer les méthodes de sondage : la question semble différente mais on trouve la même chose si on prend des questions équivalentes (Eurobaromètre p. 83). L'acceptation morale des nanotechnologies par les Européens se situe à 7,07 sur une échelle de 0 à 10 et pour les Américains à 7,08. Mais surtout, un sondage a été mené en 2005 et l'autre en 2007. Peut-on envisager que l'opinion s'est renversée en l'espace de deux ans ?
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Commentaires
Ta note 1 laisse à penser qu'une parole d'expert (comme pour la météo) est suffisante en soi !
et c'est bien dommage...
Tout l'intérêt de la recherche est en effet de séparer le vrai du vraisemblable et d'avoir la possibilité (même si c'est difficile) de dire à un prix Nobel qu'il se trompe.
blop > Désolé si j'ai pu laisser penser ça. Je réagissais simplement au fait que les discussions chez Tom Roud (et ailleurs) mettaient en cause un journaliste réalisant des corrélations un peu hasardeuses dans le cadre d'un court article qu'on pouvait croire bâclé. En fait, il s'avère que celui-ci a repris les conclusions d'un chercheur. Sa parole n'est pas d'or et tu sais que je ne porte pas particulièrement les experts dans mon cœur mais savoir qu'il y a un spécialiste et une publication derrière conduit, il me semble, à plus de mesure. En attendant de lire plus précisément, dans l'article à paraître, quels sont ses arguments et de voir s'ils tiennent la route…
Hello Je ne sais pas ce qu'il y aura dans le papier, mais j'avais été frappé par l'absence de données sur les corrélations individuelles dans les slides présentés par le chercheur même, ce qui m'avait rendu un peu dubitatif sur la force des conclusions (qui semble plutôt avoir une formation de journaliste, signalons-le) .
Tom > Mea culpa, je n'avais qu'un vague souvenir de ton billet et je ne me rappelais plus que tu avais consulté les propres diapos de Scheufele. Je crois que c'est surtout sur le site du Monde que les commentaires étaient lapidaires. Bref, comme tu le dis, reste à consulter le papier quand il sera publié. Il va de soi que je suivrai cela avec intérêt (la revue Public Understanding of Science est une des revues phares en matière d'étude des relations science-société et je consulte systématiquement ses sommaires).
Sans grand rapport, mais à lire absolument: http://www.rue89.com/2008/03/22/et-un-puissant-createur-sinvite-dans-une-revue-scientifique
A noter: la revue Proteomics a quand même plus de 5 de facteur d'impact, ce qui laisse rêveur sur la signification du facteur d'impact des revues sur les technologies à la mode.