Depuis le mois de janvier, le biologiste des plantes Olivier Voinnet est dans la tourmente. Sur le site de commentaires par les pairs post-publication PubPeer, ce sont près de 40 articles étalés sur plus de 15 ans qui sont pointés du doigt. En cause, des données qui semblent trafiquées, notamment des figures de résultats expérimentaux qui semblent avoir été montées de toutes pièces sous Photoshop. Alors, fraude ou négligence ?

Nous étions encore à nous interroger quand, le 1er avril, une chercheuse du même domaine témoignait sur le site PubPeer des aléas d’un article d’Olivier Voinnet dont elle s’est retrouvée rapporteuse à trois reprises (deux fois l’article fut refusé, pour être accepté la troisième fois). Elle raconte ainsi que les auteurs ont fait dire différentes choses aux mêmes figures, jetant le trouble sur l’authenticité de leur travail et leur intégrité. Et le 7 avril, Vicky Vance rendait public son rapport de relectrice de l’époque.

Le 9 avril, le CNRS (qui emploie Olivier Voinnet, où il est Directeur de recherche 1e classe) et l’ETH de Zürich (où il est détaché et dirige une équipe d’une trentaine de personnes) annonçaient installer chacun une commission d’enquête composée d’experts indépendants afin de faire toute la lumière sur ces accusations. Il suffit donc désormais d’attendre leur rapport ?

Ce n’est malheureusement pas si simple, et il y a plusieurs raisons d’être inquiet.

D’une part, alors que le CNRS et l’ETH verrouillaient la communication de crise et interdisaient aux protagonistes de communiquer pendant le travail des commissions d’experts, ces deux institutions ne purent s’empêcher d’aller au-delà du factuel dans leur communiqué de presse, pour exprimer leur avis sur les reproches formulés à l’encontre d’Olivier Voinnet :

Indépendamment des travaux de cette commission, le CNRS constate à ce stade que les mises en cause publiques ont porté sur la présentation de certaines figures, mais qu’à sa connaissance, aucune déclaration n’a remis en cause les résultats généraux obtenus par Olivier Voinnet et ses collaborateurs sur le rôle des petits ARN dans la régulation de l’expression des gènes et la réponse antivirale, résultats par ailleurs confirmés à plusieurs reprises, sur le même matériel ou sur d’autres, par différents groupes à travers le monde.

These allegations have come as a surprise to the Executive Board at ETH Zurich. Olivier Voinnet is a scientist whose outstanding research findings have been confirmed repeatedly by other research groups, says Günther (le Vice-président de l’ETH en charge de la recherche et des relations institutionnelles).

Or, comme leur a répondu Vicky Vance dans une lettre ouverte publiée dimanche 12 avril :

I have read that the posts showing fabrication of data in the figures of many of Prof. Voinnet’s articles were viewed by some people as having little importance. The rationale being provided is that the results are still valid because other labs have been able to show the same results. That is NOT completely true. The practice of fabrication of data by the Voinnet lab has had serious negative impact on the field of RNA silencing. Many investigators are, in fact, not able to repeat some aspects of his reported results or have conflicting data. However, once results are published in high impact journals by a powerful and important senior investigator such as Prof. Voinnet, there is little chance to get funding to pursue conflicting data and further experimental approaches are stalled.

Pour reprendre la formule des sociologues David Pontille et Didier Torny, if the absence of reproducibility is often considered a clue to falsification, the opposite is not necessarily true. C’est-à-dire que contrairement aux rayons N et à la mémoire de l’eau qui se sont dégonflés dès le pot aux roses découvert, le domaine des ARN interférents ouvert par Voinnet subsistera après lui. Mais dans quel état ? Le tri entre les résultats valables et les résultats non valables sera considérable, et on réalisera quel coup a été porté contre l’avancée des connaissances et l’éthique scientifique. À cet égard, l’attitude déculpabilisante des tutelles est irresponsable et inadmissible.

D’autre part, la France a un lourd passif en matière de gestion de la fraude scientifique. Revenons un peu en arrière : en septembre 1998, l’éditorial de Science et Vie titré Fraude scientifique : l’exception française regrettait que

il n’existe en France aucune déontologie scientifique. Nulle protection n’est offerte aux dénonciateurs, qui honorent la science en proclamant la vérité au risque de briser leur carrière. Il est temps de s’attaquer sérieusement au mal. Hélas, quand on lit le communiqué de l’Inserm, qui indique que, à sa connaissance, aucune mauvaise conduite scientifique de l’unité 391 n’a pu être démontrée, on n’a pas l’impression d’en prendre le chemin…

Ce qui valait l’ire de l’éditorialiste était l’affaire Bihain, du nom de ce chercheur Inserm bardé de contrats industriels qui annonça avoir découvert un gène de l’obésité susceptible de donner naissance à des traitements révolutionnaires… jusqu’à ce que des soupçons de fraude émergent. Le traitement de l’affaire aussi bien par l’Inserm que par le Ministère fut lamentable (comme en témoigne le résumé qu’en fit Nature) et si bien minoré qu’aujourd’hui cet épisode a été oublié (contrairement à la mémoire de l’eau, qui est pourtant plus vieille de 10 ans) et brille par son absence sur la page Wikipédia dudit Bernard Bihain.

Dix ans plus tard, la France faisait encore figure de mauvais élève dans la lutte contre la fraude scientifique, ce qui n’augure pas de bonnes choses pour l’affaire Voinnet. Mais certains observateurs (je protège mes sources !) estiment que ce scandale qui éclabousse un chercheur médaillé d’argent du CNRS, sans doute le premier grand scandale scientifique de l’histoire du CNRS, ne pourra pas être étouffé comme le fut l’affaire Bihain.