La science, la cité

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Histoire de blogs : vol 447 pour Paris

Ma chronique blogs ne sera pas reconduite à la rentrée, et j'ai donc livré en ce mois de juin un dernier volume consacré à l'accident du vol Rio-Paris. Cela ne m'empêchera peut-être pas de continuer la série sur le blog (en podcast ?), ou ailleurs si d'autres chaînes sont intéressées.

Cet accident nous a tous frappés, et il a particulièrement inspiré les blogueurs de science avec énormément de billets publiés sur le sujet. Pour ma part, je dois avouer que je n'ai presque suivi le déroulement de l'enquête que sur les blogs, où les hypothèses des enquêteurs étaient présentées au fur et à mesure avec très souvent des explications qu'on ne trouvait pas ailleurs. C'est un peu ce déroulement que l'on va retracer maintenant.

Première réaction : les probabilités de catastrophes aériennes

On est le 1er juin, jour de l'accident, et le blogueur Tom Roud repense à ce que l'on entend souvent, que l'avion est le moyen de transport le plus sûr au monde, et au lieu de le répéter bêtement il se plonge dans les chiffres et nous aide à y voir plus clair. Il montre qu'il s'agit d'un calcul rapide (un voyageur sur 10 millions meurt dans un accident d'avion), qui est correct, mais qui cache de grosses disparités. Puisque ça dépend notamment à quelle fréquence vous voyagez et par quel moyen de transport : si vous prenez l'avion toute les semaines et jamais la voiture, alors l'avion devient le mode de transport le moins sûr pour vous ! On touche là non seulement au mode de calcul des probabilités, qui peuvent être absolues ou conditionnelles, mais aussi à notre perception du risque. Ainsi, après le 11 septembre 2001, les Américains ont troqué l'avion pour la voiture et il y a eu une surmortalité sur les routes (1000 morts de plus en 3 mois). Donc de nombreux Américains qui pensait échapper au terrorisme sont morts d'avoir pris leur voiture. Bref, ces chiffres sont à manier avec précaution, tout comme les conséquences que nous en tirons…

Hypothèse 1 : la foudre

Si vous vous souvenez, la première hypothèse qui a été proposée concernait la foudre, puisque l'avion aurait disparu dans la zone du Pot au noir, connue pour ses turbulences. Le 2 juin, donc, le blog "En quête de sciences" nous parle de cette piste mais la présente comme très peu vraisemblable, vu qu'un avion est foudroyé en moyenne toutes les mille heures de vol. Et de nous expliquer que la carlingue joue le rôle d'une cage de Faraday, ce qui en principe la protège.

Interlude : à la recherche des boîtes noires

Pendant ce temps, on se lance à la recherche des fameuses boîtes noires, ces enregistreurs de vol, et le blog Xenius nous explique le 3 juin que tout va être fait pour les retrouver. Comme elles se sont abîmées dans l'océan, probablement à plus de 4.000 mètres de profondeur, la France envoie ses submersibles uniques au monde, qui peuvent aller jusqu'à 6.000 mètres avec trois personnes à leur bord. Il s'agit, vous l'aurez reconnu, du Nautile, crée en 1984 déjà par l'IFREMER.

Mais une question se pose quand même. Pourquoi ne prévoit-on pas que les boîtes noires puissent flotter en cas d'accident ? C'est un un lecteur qui pose la question, et d'autres vont y répondre en expliquant que ces enegistreurs de vol sont pris dans la carlingue et ne peuvent pas se détacher.

Interlude (suite) : des boîtes noires qui flottent

Le lendemain, sur le même blog, on trouve un billet qui raconte que justement, certaines entreprises développe une boîte noire éjectable qui est en est encore à l'étude de faisabilité. L'invention est pour l'instant américaine et l'Europe, qui semble se rendre compte de l'utilité potentielle de cette invention, va sans doute lui succéder !

Je pourrais continuer encore longtemps comme ça, avec par exemple l'hypothèse suivante évoquée par les enquêteurs qui a mis en cause les sondes de Pitot. Est-ce que vous savez ce que c'est ? Eh bien les journalistes non plus, qui se sont rués sur Wikipédia et ont parfois mal traduit le terme (MàJ : David Monniaux a retiré son billet du blog). Tom Roud, encore lui, se souvient de ses travaux dirigés de mécanique des fluides et nous explique tout ça… Etc. etc.

Conclusion

Ce que l'on constate, c'est que les médias ont dû s'escrimer à tenter d'informer malgré le peu d'éléments dont ils disposaient. Les blogs, eux, ont pu couvrir l'événement à leur façon, en apportant des compléments scientifiques ou techniques…

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RPIST, Twitter et tutti quanti

Je serai mardi à Nancy pour les Rencontre des professionnels de l'information scientifique et technique, et c'est la première fois que j'aurai l'occasion de présenter le C@fé des sciences à un public de documentalistes et apparentés. Un public qui se met à découvrir et apprécier notre communauté (de l'ENSSIB qui nous cite dans sa brochure REPERE aux bibliothèques du Centre d'économie de la Sorbonne et de l'université d'Angers qui parlent de nous sur leur blog en passant par des documentalistes ou formateurs de l'université de Bretagne occidentale et de Centrale Lyon qui "favoritent"[1] une présentation antérieure sur les blogs de science ou encore des centres de documentation qui nous incluent dans leur portail Netvibes), et j'en suis ravi — j'espère donc quand même apporter quelque chose de plus à cette occasion ! Mes diapositives sont déjà en ligne sur le blog de l'association.

Le temps passé à cette nouvelle présentation m'a manqué pour écrire sur ce blog mais j'ai une série intéressante (que dis-je, passionante !) dans les tiroirs, restez donc branché. D'autre part, je suis devenu accro à Twitter donc n'hésitez pas à m'y suivre pour bénéficier d'informations et ressources en temps réel.

Je signale par ailleurs que j'ai commis un billet chez nos voisins de la Planète à idées, où j'évoque brièvement la manière dont le blog commence à structurer ma pensée. J'espère que Twitter ne va pas à son tour structurer ma pensée, car là je risque de sombrer dans l'épilepsie !

Enfin, je serai demain (samedi) après-midi au Forum Science, recherche et société organisé par Le Monde et La Recherche (avec une accréditation presse, merci aux organisateurs !) — si vous me croisez avec mon badge du C@fé des sciences, n'hésitez pas à entamer la discussion !

Notes

[1] C'est vrai ça, comment on dit en français ?

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Qu'est-ce qu'un chercheur-blogueur ? (2)

Après que Bourdieu et d'autres intellectuels ont pointé du doigt les limites de la médiation par les médias, on pourrait s'étonner que les chercheurs ne bloguent pas en plus grand nombre. Évidemment, les vieilles habitudes de la profession et les contraintes de son champ (captivité des résultats, paternité stricte des idées, seuils minimaux de scientificité…) y font encore obstacle mais il y a quelques "success stories" qui nous rendent optimiste. Comme le soulignait André Gunthert en conclusion du Grand Débat EHESS sur la médiatisation du mouvement universitaire : désormais, le chercheur peut changer lui-même son image auprès du grand public et intervenir au long cours pour regagner une voix qui porte. A. Gunthert lui-même, Olivier Ertzscheid, Baptiste Coulmont figurent dans ce panthéon des chercheurs-qui-montrent-ce-que-chercher-veut-dire, mais il ne faudrait pas oublier le sociologue des médias Cyril Lemieux qui blogua pendant la campagne présidentielle 2007 et dont je fus parmi les nombreux lecteurs à regretter l'arrêt. C'est à lui que les sociologues Éric Dagiral et Sylvain Parasie consacrent un article à paraître dans la revue Terrains & Travaux, et je les remercie de m'en avoir envoyé le texte en avant-première.

Leur but, c'est de comparer ce que Cyril Lemieux et les internautes firent de son blog avec ce que l'on considère souvent comme les autouts du blog sur les médias classiques : coût d'entrée plus faible, diversification des contenus, plus grande liberté formelle et meilleure interaction avec le public. Avec l'intérêt supplémentaire que Lemieux est spécialiste des médias et appartient à l'école de la "sociologie de la critique".

Les intentions du blog

D'abord, C. Lemieux explique très clairement (dès son premier billet) qu'il ne veut pas tenir un blog d'opinion et donc parler à la première personne, ce en quoi il s'écarte du blog comme "carnet intime". À la place, il propose des "discours d'inspiration sociologique", quitte à décevoir la rédaction du Monde.fr qui attend un rythme de publication "à l'Assouline" avec des billets rapprochés pouvant être très courts. Le temps de son blog est plutôt celui de l'analyse.

Fidèle à leur "inspiration sociologique", ses billets ne sont pas ceux d'un expert qui assènerait des vérités objectives et marquerait une démarcation avec le profane. À la place, C. Lemieux souhaite conserver le caractère discutable des arguments sociologiques qu'il exposera, afin qu'ils ne soient pas reçus comme des arguments d'autorité et qu'une porte soit laissée ouverte aux réfutations éventuelles. Pour autant, face à des lecteurs principalement non-sociologues, il ne prétend pas ouvrir un espace de discussion sociologique, mais bien plutôt un entre-deux :

L'objectif que C. Lemieux assigne à son blog s'identifie donc à une forme originale de vulgarisation. Il s'agit de proposer à l'internaute d'entrer dans un mode de discussion qui s'apparente, sans s'y confondre, à une discussion scientifique : Parce qu'en fait qu'est-ce que ça veut dire vulgariser ? Ce n'est pas vulgariser des connaissances, c'est vulgariser un mode de connaissance, c'est permettre aux gens de rentrer dans ce régime de discussion scientifique.

Évidemment, une telle posture est plus facilement tenable en SHS qu'en sciences dures et de la nature. Mais il est intéressant de l'avoir en tête.

La réalité du terrain

Avec un nombre de commentaires par billet dépassant régulièrement la trentaine, on peut considérer que C. Lemieux a rempli sa mission. Mais ce ne fut pas sans difficultés : le public ne s'est attaché à son contenu qu'une fois trouvée "sa" forme argumentative, après une petite dizaine de billets. En effet, il a d'abord tendance à écrire comme un chercheur et à soupoudrer les références à la campagne présidentielle comme de simples illustrations d'une parole académique — même si l'iconographie, elles, est plutôt décalée et hétéroclite.

Ensuite, il trouve son ton et l'actualité de la campagne devient le véritable moteur de l'écriture. La formule gagnante est celle-ci : mettre en scène un événement de la campagne ou un fait en apparence très éloigné de la sociologie et l'éclairer par une explication sociologique tirée d’un auteur particulier avant de conclure sur une petite leçon sociologique, exprimée sans autres références théoriques ou concepts supplémentaires. Forme qui lui permet de respecter son pacte de départ en offrant une dose de discutablité sans soumettre l'ensemble de son propos au relativisme des opinions, et à offrir une vitrine des sciences sociales s'appuyant sur de très nombreux auteurs plutôt qu'une pensée académique très spécialisée et territoriale.

Ce travail devient aussi un exercice nouveau pour le blogueur, qui se met à suivre les actualités complètement différemment pour saisir au bond l'idée ou le fait qui inspirera son prochain billet.

Les lecteurs, eux, réagissent plutôt favorablement. C. Lemieux s'efforce d'intervenir le moins possible pour offrir l'espace des commentaires aux internautes et ne pas s'imposer comme expert. À plusieurs reprises, des conversations naissent entre lecteurs qui peuvent même dériver par rapport au billet initial. Peu importe, ce qui compte c'est que les gens s'emparent de la discussion et l'amènent là où cela les intéresse. Les commentaires viennent le plus souvent critiquer ou contester ce qui se dit, mais plus d'un quart relèvent de la discussion et l'analyse… pas toujours dans le sens que l'on attend : C. Lemieux reçoit pour moitié des compliments et des remerciements, bien plus que de critiques, alors que celles-ci fusent entre commentateurs !

En guise de bilan

Alors, où se place Cyril Lemieux dans la typologie proposée par les auteurs :

  • expert (celui dont la parole est objective et politiquement neutre)
  • engagé (celui dont les engagements politiques et moraux s'inscrivent dans la continuité de ses recherches)
  • vulgarisateur (celui qui se fait pédagogue)
  • grand intellectuel (une figure rare incarnée par exemple par Pierre Bourdieu)
  • ou promeneur (celui qui rend compte sur un mode subjectif de son activité et du monde de la recherche) ?

Les auteurs ne répondent pas, sans doute parce que pour eux C. Lemieux ouvre une nouvelle voie, celle d'une "sociologie publique" qui va contre l'injonction souvent adressée au sociologue d'incarner le rôle d'expert du social. Cette forme d'intervention, qui ne s'appuie pas sur la revendication d'une autorité scientifique qui irait de soi, mais sur la mise en œuvre et la mise en discussion d'une compétence proprement sociologique qu'est la capacité à mettre en relation des faits et des interprétations de sciences sociales, semble être faite pour la blogosphère. Elle continue à s'y retrouver dans les blogs de Denis Colombi ou de François Briatte et Joël Gombin — et pour C. Lemieux, elle s'incarne dans la chronique qu'il tient aujourd'hui sur France Culture.

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Qu'est-ce qu'un chercheur-blogueur ? (1)

Le numéro 10 du magazine de vulgarisation étudiante et apéritive Plume! vient de paraître, sur le thème de la culture et médiation scientifiques. On peut y trouver un article par ma pomme, que je vous invite à lire ici-même. L'article s'appuie sur ce que je connais le mieux (les blogs de sciences dures et de la nature qui font la part belle à la médiation scientifique) mais je promets d'aborder les blogs de SHS dans le prochain billet.

Le chercheur-blogueur ne court pas (encore) les rues, et encore moins le chercheur dont le blog mêle recherche en train de se faire, communication vers le grand public et réflexion sur l'activité scientifique… bref, un blog de science. Néanmoins, une longue fréquentation des blogs de science nous fait sentir, derrière la face virtuelle du blog, l'émergence d'un nouvel être hybride. C'est le portrait de ce chercheur-blogueur que nous allons tenter ici, en risquant quelques généralités que l'on n'espère pas trop vaines.

Le chercheur sans trompe l'œil

Quand il blogue, le chercheur échappe aux mythes de la science livresque et froide pour se risquer à livrer en public la science en train de se faire, que Bruno Latour nomme la science chaude. Plutôt que de cacher les coulisses, les enjeux et les controverses de la recherche, il parle alors à la première personne. Exercice difficile pour des chercheurs habitués à gérer un contexte de production et des forces contingentes en privé avant de tout camoufler, dans les arènes publiques, du voile pudique de l'universel. Pourtant, Bruno Latour offre plusieurs raisons d'espérer. Pour lui, l'idéologie scientifique qui cache les coulisses et offre au public un déroulement théorique sans personnage ni histoire (…) n'est pas celle des savants, mais plutôt celle que les philosophes veulent leur imposer[1]. Montrer la science chaude est donc plus conforme à leur épistémologie naturelle mais aussi plus motivant pour eux : pour les scientifiques une telle entreprise apparaît bien plus vivante, bien plus intéressante, bien plus proche de leur métier et de leur génie particulier que l'empoisonnante et répétitive corvée qui consiste à frapper le pauvre dêmos indiscipliné avec le gros bâton des "lois impersonnelles".[2]

En effet, le chercheur s'intéresse précisément à ce qui n'est pas encore un fait ; la source de son intérêt, de sa passion, c'est le tri entre ce qui sera jugé scientifiquement valable et ce qui ne le sera pas[3]. Alors, pourquoi vouloir sans arrêt intéresser le public aux faits, alors que pas un seul scientifique ne s'y intéresse ? Le chercheur-blogueur se met à nu et sans fard, il peut partager plus intelligemment ce qui rend la science et son contenu si riches et si intéressants.

Le chercheur comme guide

Historiquement, l'auteur fut d'abord celui qui "varie" sur les textes précédents au Moyen Âge, puis le créateur de contenu original avec l'avènement du droit d'auteur au XVIIIe siècle, et enfin l’auteur du blog qui tient parfois davantage du commentateur ou compilateur. Les blogs de science n'échappent pas à cette règle et le chercheur-blogueur tend à devenir un guide, dont l'autorité intellectuelle n'est plus liée à sa connaissance brute mais à son réseau social et à sa capacité à naviguer entre les savoirs et les mettre en perspective. C'est ainsi que sur le Bactérioblog, on trouvait en février 2008 un billet sur le tabagisme passif et le risque d'infarctus. Or son auteur est doctorant en bactériologie et rien ne le rapproche a priori de la tabacologie, si ce n'est sa capacité à s'orienter dans la littérature spécialisée et à rapprocher des faits pour en tirer des conclusions relativement solides. En écrivant ce billet, il s'engageait dans la controverse sur la diminution des infarctus du myocarde un mois après l'interdiction de fumer dans les lieux de convivialité et s'érigeait comme un guide sérieux sur le sujet.

Le chercheur comme raconteur d'histoire

Le chercheur qui vulgarise peut adopter deux postures différentes, rarement plus. Ou bien il est professoral, et va s'ériger en redresseur de torts, ou bien il se fait conteur et va se mettre au service des histoires de science pullulant dans sa discipline, son institut ou son laboratoire. Cette seconde figure est de plus en plus prisée par ces documentaires scientifiques qui se débarrassent des éléments de contexte (titres, affiliation institutionnelle et domaine de recherche) pour mettre en scène une parole et une voix (voir par exemple le film "1+1, une histoire naturelle du sexe" de Pierre Morize), mais aussi par des émissions de radio comme "Savanturiers" ou "Kriss Crumble" sur France inter.

Les blogs n'échappent pas à la règle et certains internautes vont favoriser les blogs redresseurs de torts pour affûter leur lame critique et argumentative tandis que d'autres vont préférer un raconteur d'histoire, qui sait mettre en scène son travail et ses savoirs pour donner du plaisir à ses lecteurs. Il n'en reste pas moins que le blog offre un espace de liberté à ces chercheurs-conteurs d'une nouvelle ère, et que le public des internautes sait les accueillir et les encourager[4].

Le chercheur comme discutant

La pratique de la "disputatio" est une des plus anciennes traditions de la scolastique mais la prédominance de l'écrit scientifique comme forme de communication a fait passer au second plan les qualités argumentatives et d'engagement des chercheurs. En particulier, souligne Marie-Claude Roland, depuis que le discours scientifique s'est accommodé d'un "prêt-à-écrire" qui a peu à peu fourni aux chercheurs un ersatz, sous forme de "prêt-à-penser", les privant du goût d'argumenter, de débattre et de s'engager dans des controverses. Résultat : on se retrouve souvent, lors de la Fête de la science ou des bars des sciences, avec des chercheurs qui sont à l'aise dans le monologue mais butent dès qu'il s'agit d'engager la conversation et de communiquer (au sens premier du terme) avec le public. Le blog, parce qu'il accueille les commentaires des lecteurs et favorise l'échange à plusieurs voix, permet de retrouver esprit critique, capacité à formuler et manier des concepts, à défendre ses idées et à se relier à la société qui sont en effet très difficiles à acquérir et à développer dans l'environnement de recherche actuel. Songeons d'ailleurs que les blogs à succès sont souvent ceux où s'échangent de vrais arguments et où le maître des lieux sait se faire aussi bien attaquant que défenseur, opposant ou avocat du diable.

Le chercheur comme être réflexif

Le chercheur est souvent un être schizophrène. Il publie ses résultats scientifiques dans des revues à comité de lecture et réserve ses réflexions sur l'activité scientifique pour les discussions de la pause café ou la liste de diffusion de son institut. Ces deux sphères sont très peu perméables et hormis quelques publications grand public comme "Nature" ou les éditoriaux des revues, les canaux de publication formels sont rarement des espaces réflexifs. Au contraire, le chercheur-blogueur est encouragé à mêler ces aspects pour ne plus séparer artificiellement ce qui le pousse à chercher et le résultat de ces recherches. Ne serait-ce que parce que son public n'est plus segmenté et que sur Internet, tout le monde peut vous lire.

Réconcilié avec lui-même et avec le grand public, le chercheur-blogueur serait-il l'avenir du chercheur ? Nous le croyons, nous l'espérons, et nous l'encourageons !

Notes

[1] Bruno Latour et Paolo Fabbri (1977), "La rhétorique de la science : pouvoir et devoir dans un article de science exacte", Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 13, pp. 81-95

[2] Bruno Latour (2007), L'espoir de Pandore. Pour une version réaliste de l'activité scientifique, La Découverte, p. 278

[3] Bruno Latour, Le Métier de chercheur, regard d'un anthropologue, INRA éditions, coll. "Sciences en questions", 2001, p. 45

[4] Quelques exemples de blogs de raconteurs d'histoire, dont aucun n'est chercheur assez étrangement : Le webinet des curiosités, L'ameublement du cerveau, Tube à essai

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Histoire de blogs : un blog qui naît...

Après avoir corrigé le vilain problème qui défigurait mon blog, je peux me remettre àbloguer — ouf ! Même si je n'ai pas tout àfait été inactif pendant ce temps... Et on reprend donc avec cette chronique pour la Radio suisse romande qui date d'avril, déjà !

Un blog qui naît, c'est fragile, ça n'a encore ni identité bien définie ni lectorat important. On ne sait pas encore si c'est une future perle du net ou un blog de plus, s'il va avoir un rythme de publication effréné ou planplan. Ca laisse du temps pour le blogueur novice de prendre ses marques, de s'installer, de découvrir ce qu'il peut faire avec ce nouvel outil. Mais rapidement, avec le pouvoir de la toile, ce sont quelques visiteurs solitaires qui arrivent, puis une poignée, puis éventuellement des bus entiers ! C'est de ces blogs dont j'ai eu envie de vous parler aujourd'hui, ceux que j'ai vu éclore ces derniers temps. Une parenthèse avant : j'ai hésité longuement avant de vous livrer ces adresses et gêner éventuellement ces blogueurs débutants, donc je vous demande, si vous allez leur rendre visite, de le faire avec encore la plus grande attention et le plus grand respect

Il y a ceux qui sont encore en train d'être couvés, comme le "Prisme de tête" : la revue "Prisme àidées" est une revue étudiante qui va bientôt sortir son deuxième numéro et qui explore des thématiques scientifiques àcoups d'articles d'actualité, d'entretiens, d'analyses de fond etc. Avec ce blog, ils veulent prolonger cette expérience et se concentrer sur ce que les sciences humaines et sociales disent des sciences. Le lancement ne devrait plus tarder, on l'attend avec impatience ! (MàJ : ça y est, c'est lancé !)

Il y a les blogs de lecteurs : c'est un commentateur inconnu qui d'un coup s'ouvre un peu plus et prend la plume àson tour. Par exemple, kâla, c'est son pseudonyme, lance discrètement son blog intitulé "La science et mes questions existentielles" (MàJ : le blog a été vidé de son contenu !). Elle annonce en sous titre qu'elle "ne cherche ni àconvaincre ni àimposer ses idées mais àcomprendre", et espère échanger avec les internautes. Et kâla de démarrer très modestement avec un billet intitulé "Bienvenue dans mon univers" où elle explique être "un fœtus né après bien des grands chercheurs, penseurs, philosophes", dont elle reprend un peu la prose. Ainsi, on peut lire quelques passages du globe-trotteur Bernard Cloutier, qui a visité plus de 200 pays et écrit avec une certaine sagesse : J'en suis venu àpenser qu'il vaut mieux vivre avec des questions sans réponses que de remplir le vide avec des spéculations de valeur douteuse. Je ne connais toujours pas le but ultime de l'univers et j'en suis venu a douter qu'il en ait un. J'ai aussi appris àaccepter que je ne connais rien avec certitude.. C'est intéressant, on sent la blogueuse un peu timide, comme un baigneur qui commencerait par tremper ses orteils pour prendre la température de l'eau.

À l'inverse, il y a les blogs qui savent ce qu'ils veulent et qui démarrent sur les chapeaux de roue. C'est le cas du blog "Philosophie du temps" qui est tenu par un étudiant en philosophie de l'université de Rennes qui mêle ses centres d'intérêt (physique, métaphysique, philosophie) autour de la notion de temps. Ce blog a ouvert le 11 mars, il compte déjà6 billets et on le voit bien parti pour continuer comme cela… ne lui manquent plus que des discussions passionnées en commentaire, qui viendront probablement avec le temps.

Il y a les blogs d'amis dont on a commencé àentendre parler il y a plusieurs mois et qui finissent par voir le jour, comme la Planète des idées, le blog d'un collectif qui se présente sous la forme d'une très mignonne jeune fille, appelée Ève Haut-Lu (un nom qui n'est pas issu du hasard ;-) On lit qu'Ève est une idéenne, c'est àdire une habitante de la planète des idées sur laquelle les idées sont reines, les être pensants n'existent que pour les développer, les faire évoluer, les propager ; ces habitants sont éduqués pour apprendre àcréer (…) et développer les plus prometteuses de ces idées ; et un des buts d'Ève, c'est de rapprocher les terriens et les idéens. Bref, tout cela pour vous dire que ce blog est un blog d'idées sur les idées, sur la dynamique et l'évolution des idées, depuis l'écriture jusqu'au web en passant par l'imprimerie, et comment on dissémine et creuse le idées dans l'éducation et la recherche.

Il y a les nouveaux blogs de blogueurs expérimentés, qui récidivent. C'est le cas d'Happybene qui possède un blog personnel depuis 2005 et qui a décidé d'ouvrir un autre espace pour raconter son expérience de jeune chercheuse : "Lumière... et ombre !". Je conseille fortement ce blog, qui décrit une recherche quasiment au jour le jour, avec une écriture de qualité et sans trop nous encombrer de précisions scientifiques. Ce qui compte plutôt, ce sont les affres du chercheur, ses hauts et ses bas et ce qui lui passe par la tête, surtout quand comme cette blogueuse on étudie les cycles jour-nuit des plantes.

 ©© Happybene

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