La science, la cité

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Mot-clé : médecine

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Le cerveau et ses mises en scène

On compare souvent notre cerveau à  un ordinateur constate le magazine La Recherche en ouverture de son dossier "Spécial cerveau" (n° 410, juillet-août 2007). Mais voilà , un journaliste du temps de Descartes aurait pu écrire : On compare souvent notre cerveau à  une clepsydre. Et un journaliste du temps de Platon écrire : On compare souvent notre cerveau à  une tablette de cire vierge. C'est ce que met en évidence J. David Bolter dans son livre Turing's Man (University of North Carolina Press, 1984) : à  chaque époque, le cerveau a été comparé à  la technologie la plus avancée, représenté tour à  tour par un dispositif d'écriture, une prouesse mécanique et horlogère ou un outil de calcul.

Plus près de nous, Igor Babou a enquêté pour sa thèse sur les représentations du cerveau à  la télévision : il en a tiré un livre, Le cerveau vu par la télévision. Un article disponible sur Internet nous donne un aperçu de ses thèses... Pour lui, étudier la manière dont les médias et les chercheurs ont vulgarisé le cerveau revient à  décrire les interactions entre des processus historiques, sociaux et communicationnels de construction des discours à  propos de sciences. Aini, il constate que la mise en scène du cerveau par la télé évolue entre les années 1975-1982, 1987 et 1994.

Comme l'illustre le schéma ci-dessus, le discours scientifique et le discours télévisuel (médiatique) ont une légitimité qui évolue, au sein même de la télé (en bas du schéma). Ce qui correspond à  divers modalités d'énonciation (en haut du schéma). Ainsi, entre 1975 et 1979, la télévision se déplace dans les lieux de science, fait longuement s'exprimer les chercheurs, les expériences sont exposées en détail : la médiation télévisuelle s'efface devant les contenus scientifiques considérés comme un spectacle suffisant et légitime. Au début des années 1980, le discours télévisuel et la médiation s'impose : le journaliste est valorisé (ce qui correspond également à  une évolution sociologique de son champ professionnel) et reformule la parole du scientifique, la parole profane est convoquée (micro-trottoirs etc.). Les adresses verbales aident à  faire exister le téléspectateur en tant que tel. En 1987, la télévision apparaît encore plus en position dominante et prend plus radicalement ses distances avec les scientifiques : ils sont exclus de l'image et les lieux scientifiques ne sont plus filmés. Le discours de la télévision est alors celui de l'évidence naturelle (...) et le savoir scientifique est présenté comme si les faits parlaient d'eux-mêmes. Cette évolution est sans doute liée à  une perte de légitimité de la science dans la sphère publique, la télé s'érigeant à  la place comme détenteur d'un savoir indépendant. En 1994, la science revient sur le devant de la scène car elle a plus de choses à  montrer : elle ne produit plus seulement un discours mais des images (IRM, scanners etc.) et des vidéos (tests de comportement ou de psychologie) qui s'introduisent naturellement dans la médiation télévisuelle. Celle-ci se met donc à  citer abondamment toute sorte de matériel audiovisuel : c'est l'ère de l'autoréférence. Dans le même temps, les scientifiques à  qui l'on donne la parole (sur le plateau et non plus dans leur laboratoire) sont confrontés à  des profanes : ils ne sont pas mis en scène seuls, leur parole ne fait sens que confrontée au vécu de chacun.

Mais le cerveau est-il un objet particulier pour la vulgarisation ? Ou bien est-il traité comme le seraient les OGM, l'eau ou l'exploration spatiale ? Etonnamment, il apparaît que l'exposition de 2002 à  la Cité des sciences privilégie le registre des émotions et du sujet individuel, comme le montre son découpage thématique : "Ce qui agit en moi", "Ce que je ressens", "Ce que je sais", "Ce que je pense" et "Ce que je suis". Le volume sonore de l'exposition rend les conversations presque impossibles et de nombreux dispositifs muséographiques sont prévus pour une seule personne. L'exposition met donc l'individu face à  lui-même, dans une ambiance d'immersion sensorielle. Bref, tout se passe comme si la scénographie prenait appui sur certains acquis des neurosciences concernant le rôle de l'émotion dans le raisonnement, mais sans intégrer l'émotion au raisonnement. Et comme si l'artiste prenait le pas sur le politique ou le scientifique...

Mais nous refermons déjà  le numéro de La Recherche, en lisant sur la quatrième de couverture (une publicité pour le neurodon) :

Investissez dans l'ordinateur le plus précieux au monde : le cerveau.

S'il fallait enfoncer le clou...

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Publier des résultats négatifs, mode d'emploi

La question des résultats négatifs est une question délicate en science. Quand on n'obtient pas le résultat qu'on attendait, faut-il en déduire quelque chose ? Faut-il le publier ? Jusqu'il y a quelques années, de tels résultats intéressaient peu et étaient difficilement publiables. De fait, écrivais-je il y a un an, le mode de communication de la science n'est pas neutre. Mais parce que les résultats négatifs sont aussi des résultats, parce qu'ils permettent d'abandonner des hypothèses erronées, d'ouvrir de nouveaux champs inattendus et d'éviter de réinventer la roue carrée, un mouvement est né pour en promouvoir la publication. De nouvelles revues électroniques se sont créées pour faciliter la diffusion de résultats négatifs, dans tous les domaines :

Dans ce dernier domaine justement, les résultats négatifs paraissent parfois dans des journaux plus ordinaires, comme BMC Genetics. C'est le cas de ces deux articles du groupe de John Todd, de l'université de Cambridge, rapportant l'absence d'association entre le polymorphisme de différents gènes et le diabète de type 1. Pourquoi ces articles là  et pas d'autres ?

Le blog "The Contingency Table" nous donne trois raisons :

  • les résultats présentés sont fiables. Il arrive souvent que l'absence d'association soit obtenue avec une faible confiance statistique, or le groupe de John Todd peaufine toujours l'analyse statistique et possède assez de moyens pour financer des études suffisamment larges pour détecter les effets qu'ils attendent. Ainsi, dans le premier article, ils testent l'association pour 3523 cas, 3817 témoins et 725 familles. D'où un résultat assez convaincant que les SNPs testés ne jouent pas de rôle dans le diabète pour leur échantillon ;
  • les expériences sont bien pensées : au lieu de simplement présumer que les SNPs de HapMap représentent toutes les variations possibles, ils ont séquencé les gènes d'un petit échantillon de sujets pour découvrir les SNPs. Et ça a payé : ils ont ainsi découvert 22 polymorphismes récurrents, dont 5 seulement étaient recensés par HapMap ;
  • ils apportent une contribution essentielle à  la recherche biomédicale : puisque HapMap ne contient pas toutes les variations possibles, ils montrent qu'il est nécessaire de diversifier les sources d'information dans les études de polymorphisme et d'association.

Vous savez donc ce qu'il vous reste à  faire pour publier des résultats négatifs dans la littérature non-spécialisée !

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Nouvelles du front (4)

Je dois reconnaître que j'ai tardé à  écrire ce volume 4, d'où un sommaire très riche !

En janvier dernier, un article publié dans PLoS Medicine analysait 2856 évaluations (reviews) pour la revue Annals of Emergency Medicine, signées par 306 rapporteurs (reviewers) expérimentés. D'où il apparaît que le seul indicateur significativement corrélé à  un rapport de lecture de qualité est le fait d'avoir été formé il y a moins de 10 ans ou de travailler dans un hôpital universitaire. D'autres travaux avaient fait ressortir l'impact positif sur l'évaluation d'une formation en épidémiologie ou statistique ou avaient souligné que l'effet de la formation est faible et à  court-terme. Quand en plus on sait que le peer-review est souvent impuissant à  détecter la fraude ou les erreurs, le comité de rédaction de PLoS Medicine se permet de poser la question qui dérange : pourquoi s'embêter finalement avec le peer-review ? Les réponses ne manquent évidemment pas, ici comme chez eux !

Le 4 février, une dépêche de l'Agence Reuters faisait l'apologie d'un nouvel espoir de médicament contre le cancer. Katherine Schaefer aurait découvert par hasard qu'un régulateur de PPAR-gamma avait tué ses cultures de cellules tumorales. "On tient sans doute un nouveau médicament contre le cancer", pensa-t-elle alors... dès 2005 ! Rien de très nouveau, affirme le blog Spoonful of medicine. Alors pourquoi ressortir cette histoire aujourd'hui, et quel rapport avec les thématiques de ce blog ? Eh bien, il semble que c'est une attachée de presse zélée de l'université de K. Schaefer, qui a remis cette histoire au goût du jour saisissant l'occasion d'un nouvel article publié, et utilisant l'emballage attrayant de la "découverte par hasard". Or même cet excellent guide d'écriture d'un communiqué de presse scientifique passe sous silence la règle n° 1 : n'écrire un communiqué qu'à  bon escient, quand quelque chose de véritablement nouveau est publié, et sans sur-vendre !

Le 1er mars, le Journal of Clinical Investigation présentait sa nouvelle politique vis-à -vis des conflits d'intérêts. En soulignant bien qu'admettre un conflit d'intérêt potentiel ne signifie pas nécessairement qu'un auteur ou un résultat n'est plus crédible ; cela permet plutôt au lecteur d'interpréter les motivations et contributions d'un auteur ou d'une source de financement donnés à  la lumière de ces potentiels conflits.

Bibliothèque du MIT ©© nic221

Le 27 mars, un article signé par le comité de rédaction de PLoS Medicine revenait sur la pratique des revues systématiques (systematic reviews ou SR) de la littérature bio-médicale. A la différences des méta-analyses, il ne s'agit pas forcément de passer un ensemble de résultats à  la moulinette statistique mais de présenter de manière synthétique et critique l'ensemble des travaux relatifs à  une question bien précise. 2500 de ces revues systématiques sont désormais publiées par an, dont certaines qui sont de mauvaise qualité ou pas à  jour peuvent tromper, et la publication sélective de SR qui sont connotées politiquement — ou la non-publication de celles qui ont des résultats dérangeants — peuvent menacer leur crédibilité. D'où ces recommandations valables pour PLoS Medicine comme pour PLoS ONE.

Le même jour, GlaxoSmithKline était jugé coupable de manquements au Fair Trading Act néo-zélandais et condamné à  payer une amende de 217 500 $. Pourquoi ? Parce que les affirmations de GSK sur le contenu en vitamine C de sa boisson Ribena étaient erronées, comme l'ont montré... deux collégiennes de 14 ans ! A l'occasion de travaux pratiques sur la vitamine C, elles avaient constaté que les 7 mg / 100 mL prétendus par la publicité étaient indétectables. Un bel exemple de science amateur ou science populaire. (via le blog Improbable Research)

Enfin, un article du numéro du 29 mars de Nature creusait en détail la question de la réplication des résultats, en particulier dans le domaine des cellules souches. Où il apparaît que, à  l'image de travaux publiés en 1999 et en 2002 dont les résultats n'ont jamais pu être reproduits et qui font encore débat, c'est tout le domaine des cellules souches qui est sur la sellette. Parce qu'il est très "chaud" (enjeux économiques), sous haute-surveillance (enjeux éthiques et politiques) et fait appel à  du matériel très délicat à  manipuler, il semble en effet plus exposé que les autres. Et dans ces conditions, la fraude n'est jamais loin... Une bonne raison pour redoubler de prudence dans la couverture médiatique de ce type de travaux !

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Nouvelles du front (3)

Les eaux troubles de la science ne connaissent aucun repos, et ce blog continue de s'en faire le témoin dans la mesure du possible. Cette livraison est entièrement due à  PLoS Medecine, qui confirme son statut de "Monde Diplo de la médecine" (©© François).

On commence avec un article publié le 9 janvier dernier, décortiquant 111 études et tests cliniques publiés entre 1999 et 2003 et portant sur des sodas, jus de fruits et lait. 22 % d'entre eux étaient financés entièrement par l'industrie et 32 % en partie par l'industrie et en partie par le secteur public. Les auteurs ont trouvé une corrélation entre des conclusions positives et un financement privé (p = 0.037). Pour le sous-ensemble des articles de type recherche clinique ("interventional studies"), aucune étude financée entièrement par l'industrie ne rapportait des résultats défavorables aux commanditaires contre 37 % des études financées uniquement sur fonds publics (p = 0.009). Résultat qui transpose à  l'industrie agro-alimentaire ce que l'on savait déjà  à  propos de l'industrie pharmaceutique…

 Instituto de Fisiologàƒ­a Celular (Bartok Industries II), UNAM.©© Gazapo Feral

Le numéro du 27 février propose deux articles qui font suite, comme le souligne le communiqué de presse de PLoS, à  un article très remarqué publié en 2005 — où John P. A. Ioannidis développait l'idée que la plupart des résultats de recherche sont faux. Heureusement, le premier de ces deux nouveaux papiers montre statistiquement que la réplication des résultats rend plus probable la véracité des résultats. Rassurant, mais reste peut-être à  favoriser la publication de résultats répliqués dans les revues scientifiques, qui ne le font pas toujours… Le second article approche le problème différemment en calculant la probabilité de véracité à  partir de laquelle les résultats de recherche sont acceptable par la société. Cela parce que selon les auteurs, il est impossible d'obtenir une vérité absolue en recherche et donc la société doit décider quand des résultats imparfaits deviennent acceptables. Cette probabilité dépend des bénéfices espérés et des inconvénients éventuels du résultat en question, ainsi que du "regret acceptable" c'est-à -dire notre tolérance à  accepter des résultats qui sont en fait faux (sorte d'erreur de type II).

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Education scientifique et illetrisme médical

Cervantes a récemment blogué de manière intelligente en réaction à  un article en accès libre du New England Journal of Medicine. Quand celui-ci met l'accent sur l'illetrisme qui touche 14 % des américains et les empêche de lire les posologies des médicaments, Cervantes préfère s'attarder sur les adultes qui savent très bien lire mais éprouvent des difficultés pour comprendre les explications de leur médecin et finalement, les principes biologiques qui sous-tendent tout traitement.

Dans ses recherches, le blogueur a rencontré des douzaines de séropositifs qui ne comprenaient pas les notions de charge virale ou de résistance aux médicaments, croyant que cette dernière expression désignait la résistance du corps et non celle des virus. Sur 60 personnes interrogées, une seule a pu expliquer que les résistances apparaissent par processus d'évolution darwinienne. Or cette information est cruciale quand il s'agit de comprendre son traitement et ses implications sur le comportement en matière d'hygiène, de sexualité. Souvent, les médecins sont donc condamnés à  utiliser des métaphores militaires: les virus sont les "ennemis" et les médicaments les "soldats". Des métaphores bien trompeuses et plutôt méprisantes...

On rejoint là  une de mes préoccupations, l'éducation à  la science. Le présent exemple (et les exemples frappants comme celui-ci ne courent pas les rues !) montre bien que cette culture prend une importance croissante et que le niveau moyen des connaissances scienitfiques devrait s'en ressentir. A méditer...

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