La science, la cité

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Mot-clé : psychologie

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Des titres qui en disent long... ou pas !

Pour entamer une série de billets sur les articles scientifiques et leur "écologie", arrêtons-nous un instant sur les différents types de titres que l'on peut rencontrer en science (particulièrement en sciences sociales). Et ce grâce à ... un article de James Hartley, "There is more to the title than meets the eye: Exploring the possibilities" (Journal of Technical Writing & Communication, 2007, 37(1): 95-101).

Hartley distingue douze types de titres :

  1. les titres qui annoncent le sujet général (par exemple : "Designing instructional and informational text" ou "On writing scientific articles in English"), acceptés quand l'auteur est reconnu mais pas pour des débutants, qui doivent être plus marquants et informatifs
  2. les titres qui font suivre un intitulé général d'indications spécifiques (ex. : "Pre-writing: The relation between thinking and feeling" ou "The role of values in educational research: The case for reflexivity") — notez l'usage fréquent des deux points
  3. les titres qui indiquent l'hypothèse par défaut, à  tester (ex. : "Is academic writing masculine?" ou "What is evidence-based practice – and do we want it too?"), la réponse étant parfois suggérée par la formulation particulière de la question
  4. les titres qui indiquent que la réponse à  une question va être révélée (ex. : "Abstracts, introductions and discussions: How far do they differ in style?" ou "Current findings from research on structured abstracts"), beaucoup plus fréquents en sciences humaines qu'en sciences dures
  5. les titres qui indiquent le sens de l'argument de l'auteur (ex. : "The lost art of conversation" ou "Plus ça change… Gender preferences for academic disciplines")
  6. les titres qui mettent l'accent sur la méthode utilisée (ex. : "Reading and writing book reviews across the disciplines: A survey of authors" ou "Is judging text on screen different from judging text in print? A naturalistic e-mail study"), surtout rencontrés dans la littérature médicale
  7. les titres qui suggèrent des lignes de conduite ou des comparaisons (ex. : "Seven types of ambiguity" ou "Eighty ways of improving instructional text")
  8. les titres qui interpellent par l'utilisation d'ouverture intriguantes ou directes (ex. : "‘Do you ride an elephant’ and ‘never tell them you’re German’: The experiences of British Asian, black and overseas student teachers in the UK" ou "Making a difference: An exploration of leadership roles in sixth form colleges")
  9. les titres qui interpellent par l'utilisation d'allitérations (ex. : "Legal ease and ‘legalese’" ou "Referees are not always right: The case of the 3-D graph")
  10. les titres qui interpellent par l'utilisation d'allusions littéraire ou bibliques (ex. : "Low! They came to pass. The motivations of failing students" ou "Shadows of the Past in International Cooperation: Collaboration Profiles of the top five Producers of Science"), que les étudiants ou jeunes chercheurs doivent utiliser avec précautions
  11. les titres qui interpellent par l'utilisation de jeux de mots (ex. : "Now take this PIL (Patient Information Leaflet)" ou "Don't throw the baby out with the bath school!")
  12. les titres qui mystifient (ex. : "Outside the whale" ou "Is October Brown Chinese?"), à  éviter car difficiles à  comprendre pour ceux qui ne partagent pas la même langue ou culture[1].

A vous de faire rentrer votre prochain article dans cette typologie ou à  essayer d'y ranger les articles qui vous passeront bientôt sous la main... C'est aussi un bon outil pour améliorer ses titres en tirant profit des commentaires joints. Ou comment transformer un énoncé vague de type 1, "Parenting styles and academic", en énoncé explicite de type 3 : "Do differences in early parenting styles affect the academic achievement of men and women undergraduates?"

Notes

[1] La preuve, les références de ces exemples nous échappent totalement !

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L'écriture scientifique de Pierre-Gilles de Gennes

L'immense chercheur et prix Nobel Pierre-Gilles de Gennes nous a quittés le 18 mai dernier. Après la biographie toute officielle que vous pouvez lire sur Le Monde et les quelques souvenirs personnels partagés par Tom Roud et Matthieu, je voudrais m'attarder sur un aspect moins connu de de Gennes : son écriture. Celle-ci a été longuement étudiée par Anouk Barberousse[1], travail qui a été le prétexte à  une table-ronde à  l'ENS en 2003 avec Etienne Guyon et de Gennes lui-même (de la 16e à  la 30e minute). Guyon souligne la qualité dans l'expression, dans la calligraphie, dans le soin du mot juste (surtout les néologismes) de son ancien professeur. Il souligne aussi l'usage particulier des tableaux noirs que P.-G. de Gennes, très grand, remplissait entièrement bien qu'ils occupent des murs entiers dans son bureau — se refusant à  utiliser des projecteurs et des transparents préparés à  l'avance, même dans ses plus récentes conférences.

Une des hypothèses de départ de ce travail est que dans le domaine étudié, celui des films de polymères, comme tout au long de sa carrière, de Gennes publie surtout des articles courts destinés à  être examinés et publiés dans les délais les plus brefs. Ce qui correspond à  son habitude de lancer des propositions nouvelles assez peu détaillées, rapidement mises en forme (format de publication dit Rapid Notes ou Letters), dont il attend que ses pairs les développent théoriquement et les testent expérimentalement. Tiraillé ainsi entre la faconde de celui qui introduit de nouveaux concepts et la concision, entre l'implicite et l'explicite, de Gennes a dû développer un style qui lui est propre.

Quel est ce style ? De Gennes ne cite que les travaux qui se rattachent précisément à  la théorie qu'il élabore, et occulte sans pitié les résultats expérimentaux qui ne lui paraissent pas fiables. Dès l'introduction, il souligne les avantages de son modèle par rapport aux modèles existants — et en souligne les lacunes en conclusion. Dans le développement, il utilise toutes les ressources du langage pour paraître limpide, en français comme en anglais (ses concepts de "reptation", "brosse" ont fait florès, d'autres émergent comme "régime sandwich" ou "peau"). Des résultats intermédiaires sont passés sous silence[2]. Les figures, notamment celle ci-dessous, sont au centre de l'article et du texte ; le sens de certains symboles utilisés ne peut même être saisi qu'au prix d'un traitement complexe de la figure et de son rapport avec le texte. Et avec les multiples renvois, rien ne coule de source dans le développement ! Dans la conclusion, il fait appel non seulement aux connaissances partagées avec ses pairs mais aussi aux jugements et évaluations implicites des théories en jeu.

Quel cheminement lui permet d'y parvenir ? Dans le cas présent, de Gennes réagissait à  un poster présenté lors d'un colloque en septembre 1999. Ce poster présente un résultat qualifié de surprenant : une discontinuité. De Gennes y voit un sacré mystère de la nature qu'il s'attache à  résoudre. Dès la fin du mois, il fait circuler un premier brouillon de son modèle, et demande aux auteurs du poster de réagir :

When you read the note, you may well conclude that it is nonsense: then drop it. If not, would you be interested in making the comparison? We could then publish together an augmented version.

Résultat : deux articles publiés en 2000 dans The European Physical Journal E et les Comptes-rendus de l'Académie des sciences de Paris, de respectivement 3 et 8 pages (c'est peu !). Pourquoi pas dans des revues plus prestigieuses ? Parce que celles-ci son souvent américaines et que de Gennes souhaite contribuer à  l'excellence des revues européennes dans ce domaine, ce qu'un jeune chercheur peut moins facilement se permettre !

Dans ce même numéro de la revue Genesis, un commentaire d'Etienne Guyon revient sur l'importance des images chez Pierre-Gilles de Gennes : prompt à  faire des schémas et des figures, il passe aussi son temps libre à  peindre. Et ses sujets d'étude se prêtent tous à  des visualisations directes, de taille macroscopique (la turbulence, les milieux granulaires, les systèmes moléculaires organisés comme les cristaux liquides etc.) !

Notes

[1] Anouk Barberousse, "Dessiner, calculer, transmettre : écriture et création scientifique chez Pierre-Gilles de Gennes", Genesis, n° 20, 2003, pp. 145-162 (preprint).

[2] Il peut ainsi exceller dans son aptitude, au dire de ses collaborateurs, à  saisir l'essentiel d'un phénomène et à  en isoler les effets importants.

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De la diffusion des légendes scientifiques

Après avoir constaté qu'un fait scientifique se construit autant au laboratoire que dans sa présentation au monde, intéressons-nous à  ce qui permet sa diffusion. Fabrice donnait comme exemple l'évolution de la théorie de l'effet Mozart, selon laquelle l'écoute de musique classique (en particulier Mozart) augmente l'intelligence, et mentionnait le travail de Adrian Bangerter et Chip Heath ("The Mozart effect: Tracking the evolution of a scientific legend", British Journal of Social Psychology, 43, 605-623, 2004). Leur but est d'utiliser l'effet Mozart comme exemple de légende scientifique afin de tester l'hypothèse que de telles croyances partagées ou représentations se propagent parce qu'elles répondent aux besoins ou préoccupations de groupes sociaux. Notre intention est plutôt d'utiliser cette étude de cas pour mettre en place et illustrer des concepts[1] — comme avec le gène de l'homosexualité dans le billet précédent. D'autres exemples de légendes scientifiques incluent les six degrés de séparation entre chaque individu, les centaines de mots que les Esquimaux ont pour désigner la neige ou les 10 % de notre cerveau que nous utilisons. Mais contentons nous de l'effet Mozart ! ;-)

Tout démarre avec un article publié en 1993 dans la revue Nature montrant que des étudiants en université à  qui on fait écouter une sonate de Mozart pendant 10 minutes réussissent mieux ensuite à  un test d'intelligence spatiale que ceux qui sont restés en silence ou ont écoutés des instructions de relaxation. Divers travaux ont suivi (notamment sur des rats soumis à  du Mozart avant d'effectuer le test du labyrinthe !) avant une méta-analyse montrant en 1999 que cet "effet Mozart" est négligeable quantitativement. Mais la rumeur était lancée et prit notamment une ampleur considérable aux Etats-Unis, où plusieurs Etats ont adopté des lois favorisant la distribution de CD de musique classique aux femmes enceintes !

L'article de 1993 est cité cette même année par les journaux américains autant de fois que les autres articles importants de Nature mais est cité 11,4 fois plus entre 1993 et 2002 ! Bref, démarrage lent ("intérêt transitoire") mais présence régulière ensuite ("intérêt stable") — en fait à  chaque événement public ayant trait directement ou non à  l'effet Mozart (parution de livre de psychologie sur l'importance du développement lors de la petit enfance etc.). Avec une phase de déclin après 1999, sans doute à  la suite du discrédit scientifique porté sur l'hypothèse…

Mais est-ce que la diffusion réussie de l'effet Mozart dans la population est liée à  des préoccupations particulières ? Incontestablement oui, le développement lors de la petite enfance et la performance intellectuelle étant des thèmes sensibles en Occident, et particulièrement aux Etats-Unis. Les auteurs prouvent, données à  l'appui, que les Etats où l'anxiété vis-à -vis de l'éducation des enfants est réputée la plus grande sont ceux où les médias font le plus de place à  l'effet Mozart.

Enfin, les auteurs se sont penchés sur les transformations de l'effet Mozart au cours de sa diffusion dans la population. Comme la mémétique le prédit, remplacer des étudiants de la fac par des enfants voire des nouveaux-nés est une mutation du mème qui lui permet d'être mieux adapté à  son environnement (car il se renforce avec le mythe du déterminisme infantile et les préoccupations sur le développement des jeunes enfants). Sa diffusion s'amplifie alors dans la presse, où il est plus facilement repris (voir figure ci-dessous, qui montre comment la version mutée du mème se fixe dans la population ; les données étant exprimées en pourcentage du total d'articles, on ne voit pas comment cette fixation coïncide avec l'augmentation du nombre d'articles consacrés à  l'effet Mozart, mais vous pouvez me croire…).

Bref, grâce à  une belle étude de cas qui présente plusieurs traits habituellement épars, les auteurs valident empiriquement au moins trois hypothèses théoriques (deux phases d'intérêt médiatique, congruence avec l'anxiété sociale et mutation favorisant la diffusion). Et nous donnent une belle illustration de ce que peut être la diffusion d'un légende scientifique, c'est-à -dire d'un fait scientifique intégrant la culture populaire

Notes

[1] Les concepts en question sont issus des recherches en psychologie sociale et s'articulent selon les résultats (surtout théoriques, un peu empiriques) suivants : la diffusion des idées remplit un rôle psychologique ou social ; les idées se propagent mieux quand elles sont bien adaptées à  leur environnement (mémétique) ; dans le cas des concepts scientifiques, leur transformation en représentations sociales permet d'affronter des résultats contre-intuitifs voire perturbants.

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Psychologie des sciences

Je découvre aujourd'hui une nouvelle "discipline" d'étude des sciences : la psychologie des sciences, qui est une psychologie appliquée à  l'esprit scientifique ; le but que se donne ses praticiens est de connaître la pensée et le comportement scientifique. "Scientifique" est pris ici dans un sens restreint ("propre à  des chercheurs, ingénieurs ou scientifiques professionnels") mais aussi dans le sens large désignant toute personne investie dans une construction théorique, apprenant des concepts scientifiques ou mathématiques, construisant des modèles, testant des hypothèses, tenant des raisonnements scientifiques, solutionnant des problèmes, créant des technologies etc. Les techniques employées vont des techniques psycho-historiques à  la psychologie descriptive, expérimentale, observatrice etc. De quoi donner du grain à  moudre aux rédacteurs d'AlphaPsy, donc !

Si j'ai eu vent de ce mouvement c'est à  cause de la création récente de la Société internationale pour la psychologie des sciences et technologies. Dans l'édito, son président revendique plus largement

la promotion de l'application de la psychologie à  une compréhension sociale et éducative de la pensée et du comportement scientifique et technologique, comme la reconnaissance et le recrutement des talents scientifiques. Les psychologues des sciences connaissent désormais beaucoup trop la nature de la pensée et du raisonnement scientifique, les origines de la construction des théories, la nature de la personnalité, du talent et de la créativité scientifique pour qu'il n'y ait pas de place pour identifier et se rassembler avec des chercheurs comme soi.

Je pense alors aux cas fameux de raisonnement scientifique étonnant (Kékulé qui rêve d'Ouroboros dans son sommeil, Poincaré qui a une vision en montant dans un train — "Au moment où je mettais le pied sur le marchepied, l’idée me vint, sans que rien dans mes pensées antérieures parut m’y avoir preparé" —, Planck qui découvre sa formule fondatrice de la physique quantique grâce à  une analogie avec la thermodynamique et la formule de Boltzmann…) et me dis qu'il doit en effet y avoir beaucoup de choses à  découvrir dans ce domaine. Mais l'accusation de relativisme guette (explication dans le prochain billet, ça c'est du teasing !)...

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