J'ai (enfin) vu aujourd'hui l'adaptation cinématographique de J'irai cracher sur vos tombes, ce livre noir écrit par Boris Vian sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, comme un défi et en réponse àun pari : écrire un best-seller en quelques jours. On se souvient du scandale qui avait surgit lors de la publication, contribuant au succès commercial du livre, àla plus grand joie de Jean-Jacques Pauvert (l'éditeur, habitué des scandales). Boris Vian était lui plus contrarié par cet accueil, en partie parce que les critiques n'avaient pas su voir le second degré dont il avait usé : adoption d'un pseudonyme pour faire plus Américain, titre excessivement provocateur... Cependant, il a quand même récidivé sous ce même pseudonyme àtrois reprises quelques années plus tard, pour Les morts ont tous la même peau, Elles se rendent pas compte et Et on tuera tous les affreux. Ces trois livres possèdent un degré supplémentaire de fantaisie et d'humour qui les rend moins scandaleux.

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Qu'en est-il du film de Michel Gast (1959, avec Christian Marquand et Antonella Lualdi) ? Il est tout aussi sulfureux, et met mal àl'aise. Les questions qui avaient été soulevées par Vian durant l'écriture du livre, en août 1946 (le racisme, la vengeance, le meurtre) restent toujours autant dérangeantes. Il est intéressant de voir que le scénario est très fidèle au livre. Le travail d'adaptation avait été ressenti comme une épreuve par Vian, qui ne voulait pas de ce film, et avait essayé àsa manière de lui mettre des bâtons dans les roues (pour plus de détails, voir l'indispensable Dossier de l'affaire "J'irai cracher sur vos tombes", de Noël Arnaud). Si bien que, comme indiqué au générique, le scénario a ensuite été retravaillé, notamment par Michel Gast.
Surtout, l'atmosphère américaine est particulièrement bien rendue, ce qui est appréciable pour un film français. La musique jazzy d'Alain Goraguer, très différente de ce qu'il a composé pour La planète sauvage (René Laloux, 1973), se rapproche beaucoup de ses arrangements des chansons de Vian (justement) et de Gainsbourg (ainsi, un thème récurrent dans le film m'a beaucoup fait penser àl'air de Black trombone).
Enfin, le rideau ne pouvait tomber àla fin de la séance sans que j'aie une pensée émue pour Boris Vian, qui mourut précisément lors de la projection du film en avant-première. Cette adaptation, qu'il ne voulait pas, lui aura décidément mené la vie dure... jusqu'au bout...