Sociologie de la traduction ou de l'acteur-réseau
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Genèse et principes généraux
Le premier courant [actuel de la sociologie des sciences], présenté aujourd’hui comme dominant (Callon, 1995 ; Jasanoff, 1995) est celui de la sociologie des réseaux sociotechniques. À l’analyse de la « science déjà faite », cette approche privilégie l’analyse de la « science en train de se faire » (Latour, 1989 ; Callon, 1989). Par cette formule, elle cherche à construire un récit moins lisse, où l’activité scientifique résulte d’un processus de construction aussi bien social que technique, où les scientifiques sont plongés dans des controverses, où ils fonctionnent en collectif et doivent composer avec des instruments et des objets techniques qui échappent aux scripts imaginés par leurs concepteurs et dont les variations redessinent, à leur tour, de nouvelles connexions. À la froideur de la science déjà là, ces sociologues substituent un processus incertain et chaotique fait d’allers et retours permanents, où la diffusion de telle ou telle théorie dépend moins de ses qualités intrinsèques que des capacités des scientifiques à opérer des traductions pour enrôler des alliés, et, ce faisant, à étendre leurs réseaux et à clore les controverses (Latour, 1989). Cette approche a suscité une vague de travaux plus attentifs au déploiement de l’activité scientifique et technique, mais l’insistance portée à la description fine et systématique du déploiement des réseaux sociotechniques s’effectue, selon nous, au détriment d’une analyse contingente et historique des formes d’action collective où s’exerce l’activité des scientifiques. Comme le remarque Nicolas Dodier (Dodier, 1997), la théorie des réseaux sociotechniques considère qu’il n’est nul besoin, pour expliquer les interactions sociales, de recourir à la notion de société ou d’ordre social ; il suffit, pour cela, de suivre le déploiement des réseaux opéré autour des objets techniques ou scientifiques. Cette posture théorique évite la collection d’études de cas grâce à une standardisation poussée d’un langage à visée descriptive. Mais cette standardisation a sa contrepartie : les spécificités sociohistoriques de chaque récit tendent alors à être gommées au profit de la mise en exergue des notions universelles de la description (traduction, intéressement, enrôlement, inscription). Plus fondamentalement, on peut s’interroger sur la place de ce langage au sein d’une théorie plus large de l’action collective (Hatchuel, 2001a), notamment sur la manière dont il rend compte des modes de connaître, d’apprendre ou de juger des acteurs. (Aggeri, Franck & Hatchuel, Armand, Ordres socio-économiques et polarisation de la recherche dans l'agriculture : pour une critique des rapports science/société, in 45 Sociologie du travail, 1, 113-133 (2003))
The founding fathers of bibliometrics (De Solla Price, 1963; Garfield, 1967; Nalimov, 1969) on the one hand, and historians and sociologists of science on the other (from Merton to the relativist school), have emphasized the network based organisation of the scientific community. The former introduced the idea of networks of articles and authors based on bibliographical references (citations) as the central pillar of a dynamic study of science. In the wake of this, the collaborative relationships between authors have inspired a vast literature, starting from
DeB. Beaver & Rosen (1978) or Frame & Carpenter (1979). The French relativist school following Bloor (1976) began by concentrating on actors and lexical signals (Callon et al., 1986) before promoting a general actor-network theory. The basic triangle of actors/ contents/ articles and associated networks allows for an in-depth quantitative description of scientific phenomena, a large part of the relevant information being electronically available in bibliographic databases. (
Zitt, Michel & Bassecoulard, Elise,
S&T networks and bibliometrics: The case of international scientific collaboration,
4th Congress on Proximity Economics: Proximity, Networks and Co-ordination,
Marseille, France,
2004)
According to this model, the work of scientists consists of the enrolment and juxtaposition of heterogeneous elements — rats, test-tubes, colleagues, journal articles, grants, papers at scientific conferences, and so on — which need continual management. Scientists' work is the simultaneous reconstruction of social contexts of which they form a part — labs simultaneously rebuild and link the social and natural contexts upon which they act. Examining inscriptions is a major approach to ANT. The other is to "follow the actor", via interviews and ethnographic research. Inscriptions include journal articles, conference papers, presentations, grant proposals, and patents. Incriptions are the major product of scientific work (Callon et al., 1986; Latour, Bruno & Woolgar, Steve, La vie de laboratoire : la production des faits scientifiques, La Découverte, Paris, 1988). Chapter 5 includes a description of co-word analaysis, which was originally developed for analyzing inscriptions. (Chen, Chaomei, Mapping Scientific Frontiers: The Quest for Knowledge Visualization, Springer, London, 2003 pp. 32-33)
Caractéristiques
Giovanni Busino,
Sociologie des sciences et des techniques, PUF coll. Que sais-je ?, 1998 :
Les approches du "programme fort" ont été radicalisées par les travaux de l'"Actant Network School" et de l'"Acteur-réseau", selon lesquels aucune distinction, soit-elle analytique ou épistémologique, n'est possible entre les catégories d'objets et les facteurs constitutifs de l'activité scientifique : "technical, social, political and economic factors are inextricably bound together". (...) (p. 45)
Ainsi, dans
La vie de laboratoire, Latour et Wolgar décrivent "les tâtonnements, les hésitations, les parades ainsi que les tactiques et les stratégies des chercheurs de l'équipe de Roger Guillemin". Ces chercheurs "doivent s'acquitter d'une seule tâche : fabriquer les faits et les rendre crédibles malgré la résistance et l'opposition des chercheurs des laboratoires rivaux et concurrents."
Ce travail de construction est foncièrement agoniste, c'est une entreprise conflictuelle : le conflit conditionne, en effet, l'argumentation et la matérialisation des faits en réalités extérieures, antécédentes aux activités de recherche.
Michel Callon ajoute des éclaircissements dans l'introduction au volume La science et ses réseaux. Genèse et circulation des faits scientifiques (1989), en expliquant clairement qu'un fait scientifique n'est ni un constat, ni un témoignage, c'est une construction, élaborée et diffusée dans un certain espace, celui du laboratoire et de ses réseaux d'irrigation. "Les deux propriétés qui caractérisent le fait scientifique — la capacité de résister à la critique et la faculté d'intéresser d'autres acteurs (collègues, utilisateurs) — ne lui appartiennent pas en propre : elles lui sont attribuées par les réseaux négociés et mobilisés pour le construire et pour lui fournir un espace de circulation". Déconstruire le fait revient à reconstituer le mode de production du laboratoire et à mettre en évidence les réseaux dans lesquels il est situé. Un fait scientifique n'est jamais le résultat d'une décision rationnelle, émanant d'un esprit libre et sans attaches partisanes. Produit d'un ou plusieurs réseaux sociotechniques, il est impur par nature, composé d'éléments hétérogènes et construit de bric et de broc. En mettant ensemble les facteurs scientifiques et extra-scientifiques, les idéologies, les intrigues académiques et les éléments macro-institutionnels, la construction de la connaissance scientifique est réduite au "processus par lequel les scientifiques donnent un sens à leurs observations". Ainsi elle n'est rien d'autre qu'une activité sociale. Si correspondance il y a entre la nature et la théorie, elle est due, selon Latour, au fait que : "(…) la chose et l'énoncé correspondent pour la simple raison qu'ils ont la même origine. Leur séparation n'est que l'étape finale du processus de leur construction". (p. 46)
L'activité scientifique est donc faite de constructions et de la défense de points de vue qui sont parfois transformés en objets stabilisés grâce à 6 étapes :
- la construction
- le caractère agoniste du champ scientifique (discussions, confrontations etc. qui opèrent sur les énoncés)
- la matérialisation ou réification du fait scientifique (un fait stabilisé devient savoir-faire tacite, machine, inscripteur etc.)
- la crédibilité (capital symbolique de prestige et de crédit mais aussi rétribution matérielle type bourses ou postes), qui fournit à l'observateur une vision homogène en brouillant les divisions entre facteurs économiques, épistémologiques et sociologiques
- les circonstances (la science est entièrement le produit des circonstances)
- le rapport du signal au bruit (comme pour un marché, toute diminution du bruit de l'opération d'un acteur élève la capacité d'un autre acteur de faire décroître le bruit ailleurs).
Pestre, Dominique,
Pour une histoire sociale et culturelle des sciences. Nouvelles définitions, nouveaux objets, nouvelles pratiques, in
50 Annales. Histoire, Sciences Sociales,
3,
487--522 (
1995),
http://www.persee.fr/showArticle.do?urn=ahess_0395-2649_1995_num_50_3_279379 :
Ce qui caractérise cette approche est d'abord la volonté de comprendre l'efficacité de la science en action, de comprendre comment des pratiques de laboratoires en viennent à peser sur le monde et à le transformer. Elle se définit aussi par le refus d'admettre qu'on puisse se limiter à l'univers des savants pour comprendre les sciences et leur dynamique, qu'on puisse se contenter des microanalyses de controverses. Non satisfait par la prétention sociologique à expliquer un savoir (scientifique) par un contexte (social), Latour "sort" du laboratoire et cherche à comprendre comment le complexe (techno-)scientifique et le corps social se (re)définissent et se (re)construisent simultanément. Ce n'est plus localement, dans le seul cadre des laboratoires, qu'est cherché le secret des savoirs et de leur validation, mais dans les reprises et traductions qui opèrent dans l'ensemble du corps social.
La question n'est alors plus tant de savoir comment les propositions des scientifiques deviennent épistémologiquement vraies (ceci est le programme "classique"), ni de repérer comment leur légitimité est négociée dans la communauté savante (ce pourrait être une définition du programme "controverse"), mais de décrire comment des énoncés, à travers des objets et des pratiques, s'imposent dans la compétition pour la survie (sociale et cognitive). La science étant un dispositif qui produit et invente un ordre — et non un dispositif qui "dévoile" l'ordre caché de la nature — il est maladroit de "décontextualiser" ses énoncés. Toujours liés à des porteurs, ceux-ci n'ont pas d'existence indépendante. Pris, traduits, en permanence adaptés et transformés par ceux qui en font usage, ils restent à jamais spécifiés et non passibles d'un tribunal universel (le contexte de justification). Fruits de conjonctures aux composantes très diverses, ils peuvent être victorieux ici, transformés là — et décrits comme toujours identiques à eux-mêmes. A chaque fois, un nouvel agencement indissociablement social et cognitif est réalisé, un agencement toujours en passe d'être déplacé. En bref, Latour propose d'abandonner les schémas explicatifs classiques (le cognitif s'explique par le social, par exemple) et offre un système d'emblée dynamique, sans hiérarchie a priori (le social se reconstruit en permanence). Pour faire apparaître ce mouvement d'ensemble, il suit souvent la trajectoire d'acteurs privilégiés, acteurs essayant de convaincre-intéresser-contraindre les autres à accepter leurs histoires. Dans ces études, la dimension spatiale de l'intéressement remplace souvent avantageusement les lectures temporelles plus habituelles.
Dominique Pestre,
Introduction aux Science Studies, La Découverte, coll. "Repères", 2006 :
Les travaux des années 1980 de Latour et Callon cherchent donc d'abord à comprendre l'efficacité des sciences (une efficacité qui se juge aussi hors de l'univers des communautés savantes), à saisir comment des pratiques de laboratoire en viennent à devenir des vérités socialement acceptées, comment elles en viennent à faire advenir un nouveau monde (un monde plein de microbes par exemple), à peser sur lui et à le transformer. Ce n'est plus seulement localement, dans le seul cadre des laboratoires et des univers scientifiques, qu'est cherché le secret des savoirs (de leur fabrication comme de leur acceptation), mais dans les reprises et traductions multiples qu'opère le corps social. L'idée n'est pas simplement que la science se diffuse et qu'elle compte par "ses applications" ; elle est que la science elle-même, ses résultats comme ses valeurs, deviennent socialement valides et pertinents au long de chaînes de réappropriations toujours infidèles, d'intéressements toujours partiels mais qui impliquent des acteurs quasi infinis en nombre. Dans ce processus, et ceci est un point nodal, le social lui-même, ses manières de se comprendre comme ses modes d'action, sont eux-mêmes redéfinis. En bref, l'important est de saisir cette dynamique, cette coproduction, cette cotransformation du social et du scientifique - et ne pas se limiter au découpage que proposent les scientifiques eux-mêmes et qui font de la science une chose limitée au laboratoire alors qu'elle s'affine et se construit aussi "en plein air" (Callon), en interaction avec d'autres acteurs.
Quelques notions
Traduction
Le travail de "traduction" aboutit ainsi à la coordination d'actions et à la mise en relation de situations et de mondes que les sociologues ont un peu trop souvent tendance à penser comme irrémédiablement séparés. Il n'y a plus d'un côté la science et de l'autre la société, d'un côté la nature et de l'autre le social ; il y a un réseau d'acteurs-actions-situations-mondes (Courtial, 1994). Ce réseau est le produit du travail des acteurs eux-mêmes, un produit instable, évolutif, dont la compréhension ne nécessite pas que le sociologue fasse intervenir des "acteurs immuables" humains (classes, sujet…) ou non humains (gravitation, libido, progrès…) : il suffit d'être attentif au constant travail de réticulation auquel les acteurs se livrent sur d'autres acteurs, qu'ils soient humains ou non. Le caractère instable, contingent et réversible des produits de ce travail interdit toute ambitions d'établir des lois générales. Ici, la socialité des contenus et des pratiques scientifiques n'est saisissable qu'à partir d'entreprises de modélisation faible étroitement dépendantes de la description. Le repérage des connexions établies par les acteurs entre des entités, des arguments et des situations fait pièce à l'explication ou à la compréhension telles que les sociologues l'entendent classiquement. (Terry Shinn et Pascal Ragouet, Controverses sur la science, Raisons d'agir, 2005, pp. 99-100)
La notion de traduction ici impliquée est due à M. Callon qui, dans son premier texte consacré à cette notion, nomme "opération de traduction" celle qui consiste à transformer un énoncé problématique particulier dans le langage d'un autre énoncé particulier. "L'opération de traduction est du type : pour résoudre le problème A il est nécessaire d'apporter une solution au problème B, car la résolution du problème A suppose que soient levées telles et telles difficultés liées pour telles et telles raisons à la résolution du problème B." (M. Callon [1976, p. 123]). Le réseau de telles traductions est "un système de relations entre des énoncés problématiques qui relèvent indifféremment de la sphère sociale de la production scientifique, de la technologie ou de la consommation" (Ibid.). Ce réseau inclut par exemple les énoncés suivants, tirés d'une recherche alors en cours sur le véhicule électrique : i) comment éliminer les ennuis de circulation au centre des villes? ii) comment utiliser moins de pétrole? iii) comment obtenir une réaction satisfaisante du méthanol sur tel type d'électrode, à telle température? iv) comment caractériser les mécanismes physiques qui expliquent l'action de tel catalyseur placé dans telle situation expérimentale? (Ibid.). L'ensemble des problèmes de différentes natures posés par une expertise donnée constitue ainsi ce que M. Callon appelle un corps d'énoncés conjoints, où "chacun des éléments [des problèmes] se trouve dans une relation de traduction réciproque avec au moins un autre élément [un autre problème] du corps." (Ibid., p. 127). Introduite initialement pour rendre compte des échanges de biens symboliques entre système scientifico-technique et système économique, cette notion de traduction a ensuite été généralisée et elle est devenue d'usage courant en sociologie des sciences. Dans ce domaine, elle revêt aujourd'hui deux significations essentielles : "a) elle établit une équivalence toujours contestable entre des problèmes formulés par plusieurs acteurs dans des répertoires différents [...]; b) en mettant en équivalence ces [...] problèmes, l'opération de traduction identifie et définit les différents acteurs humains et non humains concernés par la formulation de ces problèmes et par leur résolution." (M. Callon & J. Law, "La protohistoire d'un laboratoire", in M. Callon (dir.),
La science et ses réseaux. Genèse et circulation des faits scientifiques, La Découverte, 1988, p. 81, n. 17). (
Ancori, Bernard, Expertise universitaire et plate-formes cognitives, in
Ancori, Bernard & Cohendet, P. (ed.),
Economies fondées sur la connaissance et nouveaux espaces d'expertise. La place et le rôle de l'Université, Université Louis Pasteur, 2003,
http://irist.u-strasbg.fr/media/Expertise.pdf , p. 211)
M. Callon et J. Law, "La protohistoire d'un laboratoire", in M. Callon (dir.),
La science et ses réseaux. Genèse et circulation des faits scientifiques, La Découverte, 1988, p. 66-116 (p. 81, n. 17) :
Rappelons les deux significations essentielles de la notion de traduction qui est maintenant d'usage courant en sociologie des sciences : a) elle établit une équivalence toujours contestable entre des problèmes formulés par plusieurs acteurs dans des répertoires différents : pour sauver le stock de coquilles Saint-Jacques de la baie de Saint-Brieuc, (pb n° 1 socio-économique), il faut étudier les mécanismes de la fixation des naissains (pb n° 1 scientifico-technique) ; b) en mettant en équivalence ces deux problèmes, l'opération de traduction identifie et définit les différents acteurs humains et non humains concernés par la formulation de ces problèmes et per leur résolution : l'affirmation précédente décrit un monde où sont mis en scène des marins pêcheurs qui entendent poursuivre leur lucratives activités, des consommateurs dont les appétits demeureront longtemps insatisfaits et… des coquilles consentant à se laisser embarquer dans une entreprise de domestication. Pour une présentation systématique de la sociologie de la traduction, voir M. Callon (1986), "Éléments pour une sociologie de la traduction", L'Année sociologique, Paris PUG, p. 169-208.
Latour, Bruno,
Pasteur : guerre et paix des microbes,
La Découverte,
1e édition, 1984 ed.,
2001 p. 25 :
Dans un premier temps, traduction signifie dérive, trahison, ambiguïté. On signifie ainsi que l'on part d'une non-équivalence entre des intérêts ou des jeux de langages et que le but de la traduction sera de rendre deux propositions équivalentes. Dans un dexième temps, le terme de traduction peut prendre une signification stratégique. Il définit une place-forte établie de telle que façon que, quoi que fassent les gens et où qu'ils aillent, ils doivent passer par la position du concurrent et l'aider à renforcer ses propres intérêts. Dans un troisième temps, on peut enfin le comprendre au sens linguistique, selon lequel une version du jeu de langage traduit tous les autres, les remplaçant toutes par "quel que soit votre souhait, ceci est ce que vous voulez vraiment dire."
Cas d'écoles
Laboratoire
John Law, "Le laboratoire et ses réseaux", in M. Callon (dir.),
La science et ses réseaux. Genèse et circulation des faits scientifiques, La Découverte, 1988, p. 117-148 :
De même qu'il est important pour un scientifique de s'assurer une réponse satisfaisante et fiable de la part de la Compagnie du gaz ou des gestionnaires de l'animalerie, de même il est vital d'obtenir l'accord et le soutien de tous ces personnages extérieurs. L'avenir du laboratoire en tant que site de recherche repose sur sa capacité d'enrôler ce type de personnalités extérieures. Si cela ne amrche pas, alors il n'y aura plus de publications, il n'y aura plus d'invitations aux colloques, ni de crédits. Il est donc réellement indispensable que le scientifique-entrepreneur puisse intégrer, à l'intérieur du réseau de son propre laboratoire, de telles personnalités qui sont pourtant extérieures au laboratoire. Les limites de celui-ci ne s'arrêtent pas à la porte d'entrée. […] C'est ainsi que les scientifiques, en construisant leurs laboratoires, mettent en place des réalités qui ne sont pas seulement scientifiques mais également sociales : les deux processus sont tout à fait inséparables et le tissu est sans couture. (p. 144)
Michel Callon, "Introduction", in M. Callon (dir.),
La science et ses réseaux. Genèse et circulation des faits scientifiques, La Découverte, 1988, p. 7-33 :
Pour chacune de ces catégories, il est utile de distinguer entre ce que nous proposons d'appeler le laboratoire restreint et le laboratoire étendu. La force de travail du laboratoire ne se limite pas aux seuls chercheurs et techniciens qui se trouvent sur la liste de ses effectifs. Elle inclut également tous les interlocuteurs et partenaires plus ou moins rapprochés des membres du laboratoire et qui, bien qu'ils ne participent pas directement à son activité, jouent un rôle souvent important dans la définition du contenu des recherches, dans l'orientation des programmes, voire dans l'évaluation des résultats. Il s'agit notamment de tous ceux qui, issus de l'industrie, de l'administration, voire d'autres laboratoires, de l'université ou même dy grand public (fondations…), participent aux activités du laboratoire, soit formellement à travers des structures d'orientation ou de coordination, soit informellement par le biais des collèges invisibles, des groupes de travail ou des contacts individuels. Ce cercle de partenaires et d'interlocuteurs constitue ce que l'on pourrait appeler le laboratoire étendu par opposition au laboratoire restreint qui rassemble ses seuls membres officiels. Ajoutons que cette extension vaut non seulement pour les personnels, mais également pour les documents écrits, les instruments et les crédits, c'est-à-dire pour les différentes catégories précédemment distinguées. (p. 13)
Critiques
Bonneuil, Christophe & Joly, Pierre-Benoît & Marris, Claire,
Disentrenching experiment: the construction of GM-crop field trials as a social problem in France, in
Science, Technology, & Human Values (
2007) :
Actor Network Theory (ANT) developed by Callon and Latour has the advantage of not considering public debate to be a clash of pre-existing and unchanging values and interests: the state of society (how are interests, discourses and identities distributed?), like that of knowledge (which are the hypotheses and uncertainties that warrant research or not?), is constructed along with the innovation trajectory during the controversy (Rip 1986; Callon et al. 2001; Limoges et al. 1993). Unfortunately, ANT's implicit conception of the public sphere lacks differentiation. The concepts of translation, alignment and hybrid forums seem to transcend and reduce to next to nothing other types of arrangements and social relations (power, institutions and organizations, arenas, sectors, etc.). The actors are analyzed so close-up that only those that express themselves in the protagonists' radius of action are considered. The result is narratives in which a few scientific heroes, endowed with demiurgic omnipotence, triumph by changing the world (Latour 1983). (...) ANT sticks too closely to the innovators' actions and worldviews and thus precludes an understanding of the trajectory of public controversies which are far more polycentric than those of techno-scientific innovations. Zooming in on scientists as they go about enrolling the other actors that they encounter on their socio-technical trajectory can impede our understanding of the role of broader elements structuring the public sphere in the dynamics of socio-technical controversies (Joly et al. 2000).