La science, la cité

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Top 9 des romans à teneur scientifique lus en 2019

J’ai lu très exactement 22 romans en 2019, deux de plus qu’en 2018 ! De tous ces romans, goût personnel oblige, un nombre non négligeable est à consonance scientifique. Voici une sélection personnelle de ceux dont je recommande la lecture (et, pour mémoire, les listes de 2014, 2015, 2016, 2017 et 2018) :

N° 8 : Galatea 2.2 de Richard Powers, 1995

Mon premier Richard Powers, l’auteur dont les romans abondent de réflexions sur la science et que Bruno Latour et Daniel Dennett adorent, m’est malheureusement tombé des mains. Les ingrédients avaient tout pour me plaire : un écrivain en résidence dans une université, un chercheur qui développe une intelligence artificielle… mais le style très recherché en VO a eu raison de moi.

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N° 7 : Dracula de Bram Stoker, 1897

Ce roman ultra-classique met en scène plusieurs personnages qui luttent contre le comte Dracula. Parmi eux, le Dr Seward et le Pr. Van Helsing ont recours à un mélange entre le savoir traditionnel des chasseurs de vampires, et la méthode médicale basée sur la symptomatologie et le raisonnement déductif.

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N° 6 : Project Unison: Mirador de la Memoria d’Ewa Miendlarzewska, 2018

Ce livre m’a été recommandée par une collègue de l’auteure, laquelle est chercheuse en neurosciences à l’université de Genève. Dans le genre de la neuroscience-fiction, ce premier roman met la barre très haut avec de vrais morceaux de science (comment se fabrique un souvenir, comment donner une personnalité à une IA, quelles hormones influent sur notre comportement…), un catalogue très fourni de trouvailles technologiques (un robot compagnon domestique, une machine pour oublier, le projet Unison du titre qui relie plusieurs consciences et télécharge leurs souvenirs dans le cloud…), et une narration non linéaire. Non traduit en français.

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N° 5 : Pfitz d’Andrew Crumey, 1995

Un Prince cherche l’immortalité en inventant des villes imaginaires, qu’il fait cartographier au millimètre par une administration rigoureuse : Service de la Cartographie, Service Biographique, Service des Belles-lettres… L’occasion de quelques considérations sur le travail du cartographe, l’accomplissement d’un rêve impossible : rendre le monde sur le papier.

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N° 4 : La Tristesse des éléphants de Jodi Picoult, 2014

Serenity, Jenna, et Virgil sont lancés à la recherche d’Alice, une ethologue spécialiste du comportement de deuil des éléphants, et s’est enfuie sans laisser d’adresse. La narration alterne entre leurs différents points de vue et les chapitres vus par Alice sont extrêmement documentés, relatant la vie facinante des éléphants en Afrique et dans une réserve aux États-Unis. On n’a qu’une envie après avoir refermé le livre : passer plus de temps avec ces pachydermes et découvrir ce qu’ils ont à nous dire !

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N° 3 : Botaniste de Marc Jeanson et Charlotte Fauve, 2019

C’est le livre scientifique dont tout le monde a parlé cette année. En tête de gondole : Marc Jeanson, devenu à 32 ans le responsable des collections de l’herbier national au Muséum national d’Histoire Naturelle à Paris (et accessoirement membre de ma promo à l’Agro Paris). Avec l’ingénieure et journaliste Charlotte Fauve, il rend un hommage (richement illustré d’anecdotes d’histoire des sciences) à ses prédécesseurs illustres et défend le métier de botaniste, l’importance de conserver nos herbiers, et d’étudier la flore en même temps que l’Homme modifie son environnement.

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N° 2 : Histoire du lion Personne de Stéphane Audeguy, 2016

Ce court roman de 160 pages suit le périple du lion Personne, abandonné par sa mère dans la savane et récupéré par un jeune garçon sénégalais, jusqu’à la Ménagerie du Jardin des plantes. Histoire vraie ou inventée ? À vrai dire peu importe tant on se laisse porter par une langue riche et érudite, un texte “à hauteur d’animal”, et l’authenticité des savants Buffon ou Bernardin de Saint-Pierre tels qu’ils apparaissent dans le roman.

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N° 1 : Le Météorologue d’Olivier Rolin, 2014

Tombé par hasard sur l’histoire d’Alexeï Féodossiévitch Vangengheim, Olivier Rolin nous amène sur les pas de ce météorologue sacrifié par le régime stalinien et exécuté sur dénonciation calomnieuse. Avec celui qui représentait l’URSS à la Commission internationale sur les nuages, participait à des congrès pansoviétiques sur la formation des brouillards, avait créé en 1930 le Bureau du tempsle socialisme s’édifiait dans le ciel aussi. Un roman puissant et passionnant.

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Le Latour nouveau est arrivé

Quand nous avons laissé Bruno Latour la dernière fois, il nous incitait à “changer de société, refaire de la sociologie” (un mauvais livre selon les sociologues de ma connaissance), remettait au goût du jour l’anthropologie économique de Gabriel Tarde, s’intéressait au “culte moderne des dieux faitiches“… Surtout, il se retrouvait à la tête de la direction scientifique de Sciences Po Paris, où il a introduit les humanités digitales (avec le Médialab), les humanités scientifiques, la cartographie de controverses, les arts politiques (création de SPEAP - Sciences Po Expérimentation en Arts et Politique) etc. Il y publiait aussi un livre sur les humanités scientifiques (que je n’ai pas lu). Mais voilà que récemment, après la mort de Richard Descoings, il démissionnait de son poste de directeur scientifique pour se concentrer, comprenait-on, sur son “enquête sur les modes d’existence” qui avait obtenue l’une des plus prestigieuses bourses de recherche en Europe : l’ERC “Ideas”.

Le résultat, c’est un ouvrage massif (presque 500 pages, dans un format intransportable) paru à la rentrée aux éditions La Découverte : Enquête sur les modes d’existence : une anthropologie des Modernes. Selon l’auteur, cet ouvrage résume une enquête poursuivie avec une obstination certaine depuis un quart de siècle. Mais loin de redire ce qu’il a déjà dit, il le fait avec une acuité nouvelle et en proposant une méthode qui généralise son travail le plus célèbre sur la théorie de l’acteur-réseau.

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Quand nous avons laissé Bruno Latour la dernière fois, donc, il nous expliquait qu’il faut suivre le réseau des acteurs (humaines et non-humains) pour comprendre comment un fait scientifique en vient à exister, puis à persister, et à faire parler de lui. Changement climatique, perturbateurs endocriniens, boson de Higgs… les exemples ne manquent pas. Sa théorie dite ANT (actor-network theory) avait même fait ses preuves pour étudier le Conseil d’état, la religion etc. Mais quelque chose ne tournait pas rond. D’une part, on se retrouvait à décrire des situations et des domaines manifestement différents avec toujours les mêmes termes (“réseau”, “acteur”, “enrôlement”, “épreuve”…). D’autre part, on était accusés de relativisme et de faire de la science une construction comme les autres. Ce sont ces travers, dont Latour avait bien conscience, qu’il tente de corriger dans son nouveau livre.

Là, il explique avoir manqué de diplomatie : nous n’avons pas su bien parler à ces personnes des choses qui leur importaient. Alors qu’ils insistaient pour distinguer ce qui relève du droit ici et de la science là, nous ne faisions qu’y voir des réseaux. Comme le réseau est continu et ne permet pas de tracer les limites d’un domaine donné (la science se mêle au droit qui se mêle à la politique…), nous avons été conduits à ignorer ces domaines distincts et les valeurs qu’ils projettent. Pourtant, à défaut de frontière entre un domaine et l’extérieur, il est possible de tracer une “limite interne” pour dire qu’il y a, dans ce réseau entremêlé, quelque chose de spécifiquement juridique, ou scientifique, ou religieux. Ainsi, dans le réseau qui part de la science, quelque chose se maintient malgré les passages de la culture de la levure à la photo, puis au tableau de chiffres, au diagramme, à l’équation, à la légende, au titre, au résumé et à l’article. Ce quelque chose, c’est la preuve de l’existence d’un phénomène. Dans le réseau du droit, c’est le moyen qui permet de relier la plainte plus ou moins inarticulée, la requête en bonne et due forme, les arguments des parties et le jugement. Et dans la religion, le mouvement particulier qui relie l’invention du christianisme par saint Paul, le renouvellement monastique de saint François les dernières encycliques et la Réforme est la prédication (et c’est à l’aune de la fidélité à l’esprit de la prédication et non pas de la fidélité à la tradition que l’on jugera une innovation religieuse). Grâce au moyen de droit, à la preuve scientifique et à la prédication religieuse, nous pouvons continuer de suivre la multiplicité indéfinie des réseaux mais en qualifiant les manières, chaque fois distinctes, qu’ils ont de s’étendre.

Ce mode d’association spécifique à chaque domaine, c’est ce que Latour appelle la passe. Le Droit n’est pas fait en juridique, mais “du juridique” y circule ; la Science n’est pas faite en science, mais “du scientifique” y circule pourtant. La passe est ce qui permet de sauter de transformation en transformation pour conserver semblable un élément qui (…) donne prise sur un autre, jusque-là distant. C’est aussi le critère à l’aune duquel on jugera le “dire vrai” et le “dire faux” dans chaque domaine. Les erreurs de méthode, les erreurs de droit, les hérésies et les impiétés font obstacle respectivement à l’extension de la science, au passage du droit et à l’expansion du religieux. Dit autrement, il y aurait une erreur à prétendre juger de la véridiction religieuse selon les modes entièrement distincts du juridique et du scientifique. Et pourtant… c’est peut-être l’un des drames de la Modernité, auquel s’attaque Latour dans son ouvrage, que d’avoir voulu traiter toute activité humaine comme connaissance objective, en oubliant la pluralité des clefs d’interprétation. Si le droit est resté solide face à ces attaques (on n’ose pas dire du droit qu’il est irrationnel mais plutôt formel, arbitraire, froid, tatillon…), l’institution religieuse, elle, en a sérieusement pâti.

Je vous laisse méditer là-dessus, j’ai 350 pages du livre à finir…

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Est-ce la méthode scientifique qui guide le travail du chercheur ?

J'ai écrit avec quelques camarades du groupe Traces un livre collectif intitulé Les scientifiques jouent-ils aux dés ?, à paraître aux éditions du Cavalier Bleu. Son principe : analyser nombre d’idées reçues sur la science et sur ceux qui la font, en mobilisant les travaux de l'histoire, sociologie et philosophie des sciences. L'ouvrage a été dirigé par Bastien Lelu et Richard-Emmanuel Eastes, et préfacé par Dominique Pestre. Mélodie a déjà publié ses textes sur la vulgarisation et le progrès et après celui sur l'expertise, voici le chapitre sur la méthode scientifique (co-écrit avec Bastien) (version des auteurs, différente de la version finalement publiée).

Le chercheur est-il méthodique ?

Au cinéma, la découverte scientifique est souvent présentée à la façon d'une enquête policière. Une question remplace le crime, des expériences remplacent les indices et les témoins, le coupable devient l’inconnu ou une maladie à combattre. Le chercheur mène l’enquête, investigateur entièrement dévolu à sa cause, dont la passion confine parfois à l’acharnement. Méthodique, il avance par étapes, vient à bout des questions qui s’enchaînent et lève peu à peu le voile de l’ignorance qui recouvre la réalité. Cette vision de la science suppose une méthode implacable de raisonnement et d'élimination des fausses pistes. Le héros scientifique qui triomphe a toutes les qualités morales du "bon" : honnête, méticuleux, il est mû par le seul désir d’accéder à la vérité.

À l'école, on tente alors d'inculquer aux élèves les fondements de cette « méthode scientifique », qui verrait systématiquement les hypothèses succéder aux observations, les expériences adéquates menant ensuite à la conclusion, celle-ci s'imposant d'elle-même pourvu que l'élève-apprenti ait bien fait son travail. Pourtant, et l'on pourrait s'en étonner, la démarche suivie par un chercheur dans son laboratoire ne suit en rien cette progression linéaire, aussi fictive qu'idéalisée. Elle est plutôt faite de tâtonnements, de retours en arrière, de hasards et de conclusions hâtives avant d'en arriver aux « bons » résultats.

Étudiant des biologistes au travail dans les années 1980, Bruno Latour et Steve Woolgar ont ainsi assisté à des raisonnements impropres ("La bombésine se comporte parfois comme la neurotensine ; la neurotensine fait décroître la température ; donc la bombésine fait décroître la température") qui suffisent pourtant "à lancer une recherche qui devait conduire à des résultats salués comme une contribution exceptionnelle". Et ces anthropologues et sociologues des sciences de conclure à propos des procédures utilisées par les scientifiques : "si elles sont logiques, elles sont stériles ; si elles sont fructueuses, elles sont logiquement incorrectes".

Enfin, on peut mentionner le fait que parler d'une seule méthode scientifique, qui serait universelle, ne tient pas longtemps lorsque l'on prend conscience de l'infinie diversité des pratiques. Diversité d'une discipline à l'autre, tout d'abord, le travail du généticien n'ayant pas grand chose de commun avec celui du climatologue qui utilise des modèles numériques pour appréhender les phénomènes ou de l'archéologue qui ne peut pas mener d'expériences sur le passé. Diversité géographique ensuite, les variations observées d'un pays à l'autre ou même d'un laboratoire à l'autre permettant d'ailleurs à la recherche de ne pas s'enliser trop longtemps si un choix de méthode s'avère contre-productif. Diversité, enfin, au cours du temps, les pratiques de ce début de XXIe siècle n'ayant plus grand chose de commun avec celles qui avaient cours ne serait-ce qu'il y a cinquante ans.

D'où vient l'impression de méthode ?

Si le sentiment qu'il existe une « méthode scientifique » est cependant si fort, c'est peut-être que les écrits des scientifiques eux-mêmes l'alimentent. En effet, pour que son travail soit considéré comme valable, tout scientifique se doit de le publier, c'est à dire le mettre en forme, à la fois pour qu'il soit compréhensible par ses pairs (collègues) et pour qu'il puisse être mis en rapport avec leurs propres travaux. Ceci demande un processus d'écriture spécifique qui passe par une reconstruction totale du travail dont il rend compte. Oubliées, les erreurs successives ! Mis de côté, les choix faits au petit bonheur ! Sans oublier les hypothèses, formulées bien souvent après que les résultats les aient suggérées…

Ces reconstructions parsèment l’histoire des sciences et ont entretenu l’idée d’une méthode scientifique gravée dans le marbre. Prenons l’exemple de Gregor Mendel, ce moine glorifié comme le scientifique idéal aux vertus monastiques, cherchant la vérité et non la gloire. On raconte qu’il a mis en évidence les lois de l’hérédité grâce à un travail méticuleux sur de longues années, croisant des centaines de lignées de pois, comptant et recomptant des milliers de grains. Pour obtenir ces résultats qui sont encore considérés comme valides aujourd’hui, il aurait compté la répartition des formes après chaque croisement entre parents différents, obtenant le ratio “magique” de 9:3:3:1 dans la génération-fille. En réalité, il ne conçut pas un protocole expérimental parfait dès le départ puisque des vingt-deux caractères qu'il a étudiées, seuls sept ont été réellement exploitées (pois lisse ou ridé, plante haute ou naine, gousse enflée ou flétrie…), les autres donnant des résultats soit inexploitables soit incohérents avec le reste. Il s’y cachait d’autres phénomènes liés à la transmission des caractères entre générations, écartés à l’époque et compris seulement plus tard !

Un travail collectif

L'exemple de Mendel nous enseigne également que la communauté scientifique procède à des ajustements et des réinterprétations constantes des conclusions de chacun : des deux "lois de Mendel" bien connues des biologistes, une seule était présente dans sa publication de 1866, et ce sont des biologistes modernes qui ont interprété les résultats de Mendel comme montrant à la fois la ségrégation des caractères et leur assortiment indépendant dans les gamètes. En 1900, travaillant avec d’autres concepts et d'autres outils, trois chercheurs ont retrouvé indépendamment les uns des autres des résultats équivalents — plusieurs décennies après que Mendel et ses travaux furent tombés dans l'oubli. Malgré l’individualité de chaque scientifique, les interprétations dont il se permet et la diversité des approches possibles, un fond commun rend donc possible la constitution d’un corpus solide de connaissances.

Le travail de publication et de transmission des résultats est vital pour la communauté scientifique, c'est-à-dire en fait pour chacun des chercheurs qui, pris individuellement ou même au niveau de leurs laboratoires, ont besoin des résultats des autres pour pouvoir continuer à avancer. Les pairs représentent tout à la fois la base de travaux antérieurs sur laquelle un scientifique fonde son travail, et l'instance de jugement qui valide (ou non) ses propres résultats avant leur publication dans des revues académiques (un processus que l'on nomme le "peer review", ou "relecture par les pairs"). Cette interaction mutuelle entre l'individuel et le collectif passe par une mise en forme idéalisée du travail que l'on confond trop souvent avec la méthode qu'aurait suivi le scientifique. C'est bien de la dimension collective de l'entreprise scientifique qu'il s'agit.

On peut remarquer que le développement des sciences dans le monde antique, la "révolution scientifique" du XVIIe siècle en Europe ainsi que l'accélération et la professionnalisation du travail scientifique au XXe siècle tiennent pour partie aux avancées fulgurantes des dispositifs de transmission des connaissances — l'écriture d'abord, puis l'imprimerie et enfin les technologies de l'information et de la communication. Si ces deux progrès sont intimement liés, c'est bien parce que pour exister, le savoir scientifique doit être formalisé, transcrit puis diffusé au corps des scientifiques et de la société. Si l'idée de "génie individuel" en sort un peu écorné, nous gagnons dans la dimension collective de la science sa valeur et sa robustesse. Ce que soulignait Anatole France en écrivant dans sa nouvelle "Balthasar" (1889) que "la science est infaillible ; mais les savants se trompent toujours".

Bibliographie

  • Douglas Allchin (2003), "Scientific myth-conceptions", Science Education 87(3), 329-351.
  • Ron Curtis (1994), "Narrative form and normative force: Baconian story-telling in popular science", Social Studies of Science 24(3), 419-461.
  • Pierre Laszlo (1999), La Découverte scientifique, Paris : Presses universitaires de France.
  • Bruno Latour et Steve Woolgar (1988), La Vie de laboratoire. La Production des faits scientifiques, Paris : La Découverte.
  • Robert K. Merton (1973), The Sociology of Science, Chicago : University of Chicago Press.
  • Hans Reichenbach (1953), The Rise of Scientific Discovery, Los Angeles : University of California Press.
  • Isabelle Stengers et Bernadette Bensaude-Vincent (2003), 100 mots pour commencer à penser les sciences, Paris : Les empêcheurs de penser en rond. Voir en particulier le chapitre Méthode.
  • René Taton (1955), Causalités et accidents de la découverte scientifique. Illustration de quelques étapes caractéristiques de l'évolution des sciences, Paris : Masson.

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À lire ailleurs : Callon et Latour, nouvelle étude sur les blogs de sciences

Mes frappes bloguesques sont de moins en moins chirurgicales et s'éparpillent de plus en plus autour du présent blog, qui reste malgré tout mon centre de gravité. Ainsi, j'ai publié cette semaine deux billets que je vous invite à lire ailleurs :

  • sur le blog collectif du Pris(m)e de tête, je propose une introduction à la théorie de l'acteur-réseau de Latour et Callon, pour tous ceux qui en ont encore une idée assez floue ou ne voient pas trop quel fut leur apport spécifique par rapport à d'autres sociologues des sciences. J'aime beaucoup le titre de ce billet, et je remercie la blogueuse en chef Marine de l'avoir trouvé : "Un monde de réseaux"

Bonnes lectures !

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L'histoire de la penicilline selon la BBC

La BBC 4 diffusait la semaine dernière Breaking the Mould, un docu-fiction sur la naissance de la pénicilline entre les mains de… Florey et Chain ! Première surprise pour certains qui associent indéfectiblement pénicilline et Fleming. Mais pas pour les lecteurs du Bacterioblog qui se souviennent de l'excellent billet de Benjamin il y a deux ans, ni pour ceux qui savent que le prix Nobel de physiologie/médecine 1945 est allé aux trois hommes.

Il y aurait beaucoup à dire sur cette création originale, et je renvoie les lecteurs vers la critique de Jennifer Rohn sur le site Lablit. On y trouve en tous cas beaucoup de choses intéressantes : la distinction entre le chercheur de paillasse (Ernst Boris Chain), obsédé par sa quête et prêt à sacrifier beaucoup de choses pour son travail, et l'administrateur (Howard Walter Florey, seulement 8 ans plus agé) qui trouve les financements, recrute et rassemble les expertises dont a besoin le laboratoire, s'assure les soutiens politiques ou industriels. Ou échoue à se les allier, puisque l'industrie pharmaceutique dispose des sulfamides, qui seront les médicaments les plus vendus dans les années 1950, et que l'idée de produire des antibiotiques par fermentation lui est étrangère. La "culture chimique" de l'entreprise pharmaceutique va la tenir éloignée des antibiotiques, dont vont s'emparer des industriels de l'agro-alimentaires et autres spécialistes de la fermentation comme Pfizer[1]. On constate aussi la faible place des femmes, on assiste aux débats sur les brevets (faut-il ou non breveter la péniciline ? Et si on ne le fait pas et que les Américains le font, est-ce que le Royaume-Uni sera privé d'une découverte aussi cruciale ?).

Ce qui m'a le plus intéressé, c'est la mise en image de ce que raconte Wei Chen dans son livre Comment Fleming n'a pas inventé la pénicilline (qui a pour titre original The laboratory as business, Sir Almroth Wright's vaccine programme and the construction of penicillin) : cette idée que la pénicilline de Fleming n'est pas la même pénicilline que celle de Florey et Chain : onze années ont passé, la Seconde guerre mondiale est là et la guérison des sépticémies, gangrènes et autres infections bactériennes est un aimant puissant. La pénicilline de Florey et Chain est construite comme un agent thérapeutique alors que celle de Fleming était un outil de laboratoire.

Dans cette narration très britannique, quelques libertés sont prises avec l'histoire. Est passé sous silence le rôle de René Dubos, dont Bruno Latour écrit[2] que par l'un des plus curieux cas de rétrodécouverte de l'histoire des sciences, il oblige Florey à s'intéresser enfin à cette moisissure que Fleming déclarait sans intérêt et dont l'effet ressemble grandement à la thyrothricine que lui, Dubos, vient de découvrir (mais peut-être que cette version est teintée d'un autre nationalisme, français cette fois). Le film nous montre juste Chain lisant l'article de Fleming (le véritable, ça m'a ému de voir de la littérature scientifique en gros plan à la télé !) et creusant la piste de cette substance que Fleming n'avait pas réussi à faire produire en quantités suffisantes et à isoler. Quant à l'arrivisme de Fleming à la fin du film, qui vient récolter les lauriers du travail ingrat effectué par d'autres simplement parce qu'il actionne quelques leviers au sein du gouvernement, il est un peu forcé. Mais il a le mérite de montrer que la paternité d'une découverte est toute relative… aujourd'hui encore, la pénicilline reste associée au seul nom de Fleming !

Notes

[1] Le film ne montre pas cette toile de fond, c'est mon travail au sein du séminaire "Innovations médicales et thérapeutiques" qui me l'a enseignée.
[2] Préface à R. Dubos, ''Louis Pasteur : franc-tireur de la science'', La Découverte.

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