La science, la cité

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Mot-clé : réchauffement climatique

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L'évaluation et la gestion du risque climatique, parent pauvre du GIEC

Dans le dernier numéro de sa feuille de choux (décembre 2010), la British Science Association consacre un intéressant article au travail du GIEC. Vous vous souvenez qu'en mars dernier, le Secrétaire Général des Nations Unies et le Président du GIEC ont chargé le Conseil Inter-Académique (qui rassemble l’ensemble de l’expertise et de l’expérience d’Académies nationales des sciences de toutes les régions du monde) d'étudier le GIEC et de recommander des façons de renforcer les processus et les procédures qui serviront à la préparation de ses futures évaluations. Dans ce rapport publié en août, il est dit notamment que toute action basée sur des preuves scientifiques implique forcément une estimation du risque et une procédure de gestion du risque. Pourtant, ce point n'est pas plus développé.

Dans son article, donc, Jay Gulledge (directeur du Science and Impacts Program au Pew Center on Global Climate Change), écologue de formation et spécialiste des échanges gazeux entre le sol et l'atmosphère, regrette que le GIEC ait tant contribué à montrer depuis deux décennies que le climat est en train de changer à cause de l'action de l'homme, tout en laissant les décideurs dépourvus d'outils pratiques pour faire face à l'immense question de politiques publiques qui s'ensuit. Depuis son premier rapport publié en 1990, le GIEC semble considérer que les politiques publiques découleraient naturellement de la résolution des incertitudes scientifiques. S'il y a une "valeur" propre au GIEC et aux climatologues, comme se le demandaient ICE, Benoît Urgelli et Gayané Adourian et dans une discussion sur le Pris(m)e de tête, c'est probablement celle-là.

Or, pour réduire l'incertitude on doit poser de nouvelles questions, et cela augmente bien souvent l'incertitude ! De plus, la structuration du GIEC en groupes de travail a conduit à séparer les sciences de la nature des sciences sociales, au détriment de l'interdisciplinarité voulue pour une bonne estimation du risque. Ainsi, les économistes ont longtemps estimé les coûts du changement climatique en utilisant les températures moyennes que leurs fournissaient les modèles du climat futur. Or ce sont bien souvent les températures et événements climatiques extrêmes qui détruisent les cultures ou bloquent un pays ! Les moyennes sont peu utiles à l'estimation du risque, et privent les décideurs d'outils pratiques pour gérer le risque et l'adaptation au climat de demain.

Certes, les choses commencent à changer lentement et dans son rapport de 2007, le GIEC reconnaissait que répondre au changement climatique implique un processus itératif de gestion du risque qui inclut à la fois l'adaptation et l'atténuation, et qui prend en compte les dégâts du changement climatique, les cobénéfices, la durabilité, l'équité et les comportements face au risque. Mais en pratique l'interdisciplinarité n'est pas organisée et reste sous-financée. Je signale d'ailleurs aux lecteurs intéressés que le dernier numéro de la revue Natures Sciences Sociétés est consacré à l'adaptation aux changements climatiques...

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Le changement climatique ne fait plus vendre

En marge de la conférence sur le climat de Poznan (Pologne), Maxwell Boykoff et Maria Mansfield (Université d'Oxford) ont présenté le résultat d'une étude de la couverture médiatique du climat depuis 2004 dans 50 journaux de 20 pays (via Dot Earth).

Leur diagnostic est sans appel : la bulle a éclaté et on n'est plus du tout dans la configuration qui prévalait il y a quelques mois et années :

Pour Ulf von Rauchhaupt, journaliste scientifique à  la Frankfurter Allgemeine Zeitung et blogueur, on peut interpréter cette nouvelle de plusieurs façons :

  • du côté positif : les sceptiques ne pourront plus dire que le réchauffement est une mode qui vise à  survendre sa recherche et obtenir en retour plus d'attention et de moyens ;
  • du côté négatif : on pourrait reprocher aux médias de ne plus jouer leur rôle et de ne pas endosser la responsabilité qui est la leur ; mais que celui qui n'a pas zappé l'énième reportage ou article sur le réchauffement leur jette la première pierre. En fait, il faudrait que le réchauffement s'accélère toujours plus ou qu'il s'arrête soudainement pour attirer de nouveau l'attention.

Comme souvent, il est difficile de faire la part des causes et des conséquences dans ce phénomène : baisse de l'intérêt du public, essouflement des négociations internationales, retour à  une situation de "science normale", situation économique actuelle devenue beaucoup plus pressante..., tous ces facteurs se mêlent pour peindre ce nouveau tableau. Mais surtout, nul ne sait comment cela va évoluer et l'effet que cela aura sur les perspectives climatiques. La Terre est déjà  un système complexe, et c'est une science de l'hyper-complexe qu'il faudrait pour traiter du système {Terre + société}.

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FAQ sur le prix Nobel de la paix 2007

Une petite foire aux questions sur le modèle de celle de Tom Roud.

Alors c'est le GIEC qui a eu le prix Nobel de la paix ?

Oui, et il le partage avec Al Gore pour leurs efforts dans la construction et la dissémination des connaissances concernant le réchauffement climatique d'origine humaine, et pour poser les fondations des mesures qui sont nécessaires pour le contrecarrer.

Le prix Nobel de la paix à  une institution scientifique… c’est pas un peu fort de café ?

Pourquoi pas. La réchauffement climatique est effectivement un enjeu planétaire et le consensus scientifique construit par le GIEC aura permis d'attirer l'attention des autorités sur ce point. Cependant, bien qu'il s'en défende, le GIEC fait de la politique. Il construit une réalité, il fabrique un discours performatif, il brandit la menace d'un futur sombre. En cela, le prix Nobel prend tout son sens. Pour ses adversaires aussi, d'ailleurs...

Et pourquoi ne pas lui décerner le prix Nobel de physique ?

Parce que la science sur laquelle se base le GIEC n'est pas révolutionnaire en soi, c'est la mise en commun des moyens et des résultats qui l'est. Et la poursuite d'un but inamovible : faire la lumière sur les fondements scientifiques des risques liés au changement climatique d’origine humaine, les conséquences possibles de ce changement et les éventuelles stratégies d’adaptation et d’atténuation. Et puis a-t-on déjà  vu un groupe qui n’a pas pour mandat d’entreprendre des travaux de recherche obtenir un prix Nobel de physique ?

Mais finalement, il va à  qui ce prix ?

C'est une bonne question ! Le GIEC se définissant comme une agora qui n'emploie elle-même qu'une poignée de secrétaires, c'est chacune des parties prenantes qui va se sentir probablement gratifié et la communauté des climatologues qui va en ressortir grandie. Mais c'est aussi un prix qui va faire du bien aux fondateurs du GIEC : l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Mais avant ça, c'est une victoire de ceux qui ont cru dans la science du climat, de ces physiciens ou météorologistes qui se sont réunis dès 1873 au sein de l'Organisation météorologique internationale pour travailler ensemble. Et c'est aussi une reconnaissance de la science mondialisée, cette science capable de mesurer des variables à  un instant donné sur chaque point du globe, cette science capable d'échanger des données en temps record, cette science capable d'établir des normes et des procédures standardisées, cette science capable de reconnaître ses pairs d'où qu'ils viennent, bref cette science capable de nous faire saisir le globe dans sa totalité.

Et les écolos ?

Ils se félicitent déjà  du prix...

Mais le GIEC est amené à  disparaître, non ?

Une fois que le problème du réchauffement sera réglé ou que le consensus ne sera plus nécessaire ? Oui, ou même avant si l'on en croit le vice-président du groupe de travail n° 2 : The IPCC has done its job, now the future is in your hands.

Et pourquoi maintenant ?

On peut sans conteste y voir un signal fort avant la session de novembre du GIEC organisée à  Valence (Espagne), qui devrait déboucher sur le rapport "final" (Assessment Report 4) faisant suite à  celui de 2001. Lequel aura un poids d'autant plus fort lors de la conférences des Nations unies sur le réchauffement climatique à  Bali en décembre.

Et les dissidents ?

à‡a risque de devenir dur pour les critiques du GIEC de se faire entendre. On touche difficilement à  un prix Nobel de la paix ! Heureusement qu'il restera la sociologie des sciences pour se livrer à  une critique et un décortiquage subtils...

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Ça chauffe pour le consensus

J’ai l’impression que la question du consensus en science, et particulièrement concernant le réchauffement climatique, est sur la sellette. Depuis Naomi Oreskes en 2004, on avait acquis la certitude que 75 % des 928 articles peer-reviewed consacrés à  l’évolution du climat abondent explicitement ou implicitement en faveur de l’origine anthropique du réchauffement climatique, aucun n’osant s’y opposer, les autres étant des articles neutres consacrés aux paléo-climats. C’était un beau consensus. Mais voilà  que des travaux ont ensuite proposé d’autres chiffres : selon Benny Paiser, seuls 335 articles sur 1117 (30 %) acceptent explicitement ou implicitement le consensus, les autres étant neutres exceptés 34 (3 %) qui rejettent explicitement le consensus. Selon Klaus-Martin Schulte, seuls 38 sur 528 articles récents consacrés au réchauffement climatique (7 %) acceptent explicitement le consensus ; on atteint 45 % si l’on inclut les acceptations implicites, soit une minorité, 48 % des articles étant neutres et refusant de se positionner pour ou contre le consensus. Oreskes a rapidement réagi en répondant à  Schulte… Dennis Bray et Hans von Storch ont eux effectué un sondage auprès de 550 spécialistes des sciences du climat d’au moins cinq pays qui montre que les positions ont évolué entre 1996 et 2003, mais sans consensus pour autant (Figure 30).

Mais au-delà  de cette question binaire (les hommes sont-ils responsables du réchauffement climatique ?), le consensus, comme le diable, se cache dans les détails. Notamment dans les résumés aux décideurs du GIEC qui sont des concentrés de consensus, chaque mot étant pesé avant d’être approuvé. Selon l’opinion d’experts internationaux s’exprimant dans le numéro du 14 septembre de Science, cette méthode a permis de mettre en lumière les résultats attendus du réchauffement, qui ont pu ensuite s’ancrer dans la tête des décideurs grâce aux estimations chiffrées. En effet, depuis une première étude publiée en 1979 et jusqu’en 2001, les scientifiques ont systématiquement avancé la fourchette d’une augmentation de température de 1,5 à  4,5 °C (cf. Reiner Grundmann (2006), “Ozone and Climate: Scientific Consensus and Leadership”, Science, Technology & Human Values, vol. 31, n° 1, pp. 73-101). Mais maintenant que la crédibilité générale des travaux sur le réchauffement climatique a été établie, il serait aussi bon de faire comprendre aux décideurs les éventualités plus extrêmes qui ont pu être occultées ou minimisées par le consensus. Le consensus a donc d’abord été utile, avant d’être dépassé par la complexité de la situation, à  la fois sur les plans scientifique et politico-économique. C’est bien ce que remarquait une étude sociologique des travaux du GIEC : ils sont inévitablement une sélection et une synthèse de la gamme d’intérêts nationaux divergents où les pays [insulaires du Pacifiques] plaident pour l’introduction d’une rhétorique du risque, les pays producteurs de pétrole plaident pour la mention répétée des incertitudes scientifiques et celle de gaz autres que le CO2 ; les pays en développement veulent mentionner le poids des émissions passées, les pays du Nord insistent sur les émissions futures… Les auteurs de l’article proposent aussi que les membres du GIEC sollicitent des rapporteurs extérieurs qui pourraient critiquer leurs procédures et leurs rapports, en pointant notamment du doigts les disparités entre les rapports des quatre groupes de travail qui le constituent. Une évaluation du risque plus robuste pourrait aussi venir d’une meilleure transparence sur ce qui a été débattu et quels points n’ont pas été inclus dans les rapports, par manque d’accord. Ceci afin que les experts ne s’enferrent pas dans une confiance en eux abusive.

Est-ce à  dire, comme miniTAX sur le forum Futura-Sciences, que l’on doit se méfier comme de la peste des consensus en science ? En tous cas, il est possible que le consensus technico-économico-politique se construise malgré l’absence de consensus scientifique a priori. Je l’avais montré avec l’exemple du trou dans la couche d’ozone, où l’incertitude scientifique qui régnait en 1987 ne fut réglée que par une rétroaction positive entre des tendances scientifique, politique, diplomatique et technologique convergentes. Ou comment l’existence de désaccords entre scientifiques n’empêche pas d’agir, de la même façon que le principe de précaution incite à  agir pour éviter la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques… Si bien que l’incertitude, plus que le consensus, est souvent un moteur pour l’action ! En fait, le consensus peut même être contre-productif : en faisant porter la responsabilité de la décision aux scientifiques (les politiques n’étant plus là  que pour signer l’accord qui s’impose de lui-même), il leur donne un poids trop grand, dont peuvent profiter ensuite ceux dont l’intérêt consiste à  temporiser (le sénat américain sous Bush père et fils) ou à  contre-attaquer (Exxon), en proposant sans cesse plus d’études voire des résultats contradictoires.

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Les leçons du trou de la couche d'ozone

Dans le numéro de juillet-août 2007 de La Recherche (n° 410), la rubrique "Opinion" revient à  Didier Hauglustaine pour un laïus sur le réchauffement climatique. Celui-ci brocarde Claude Allègre, accusé de vouloir discréditer un travail scientifique rigoureux, et donne l'exemple du protocole de Montréal de 1987 interdisant la production de polluants incriminés dans le trou de la couche d'ozone (CFC notamment). Ce résultat, explique-t-il, fut le fruit d'une mobilisation de la communauté scientifique [qui] permit d'établir rapidement une théorie robuste et de mettre en accusation des constituants chlorés — les chlorofluorocarbures ou CFC — rejetés par millions de tonnes par différents usages domestiques et industriels. Pourtant, à  la même époque, des voix s'élevèrent, dénonçant une imposture scientifique. Ces voix discordantes soutenaient par exemple que le trou d'ozone avait toujours existé ou qu'il avait pour origine des variations de la luminosité solaire. Vingt ans plus tard, ces interventions ont sombré dans l'oubli, et l'auteur de réclamer que l'analogie entre le trou d'ozone et le changement climatique soit poussée plus loin afin de pouvoir clamer dans vingt ans que de nouveau, le pire a été évité.

Mais l'essentiel n'est pas là . Il est dans cette remarque comme quoi l'entrée en vigueur du protocole de Montréal ne s'est pas fait sans coût. Rien qu'aux Etats-Unis, cinq mille compagnies réalisant un chiffre d'affaire de près de 30 milliards produisaient ou utilisaient les CFC. La conclusion que chacun tire est qu'un accord sur le changement climatique, malgré son énorme coût pour l'économie mondiale, est possible. Et que la science, universelle et robuste, peut dépasser les intérêts des uns et des autres pour le bien de la planète. Vision bien naïve…

Naïve parce qu'elle met la raison du côté des scientifiques, l'intérêt économique du côté de l'industrie, circulez y'a rien à  voir. Le lecteur curieux trouve une version un peu différente de cet épisode dans la thèse en sciences économiques de Stéphane de Cara (''Dimensions stratégiques des négociations internationales sur le changement climatique", Université de Paris-X, 2001) :

Dans ce cas précis [du protocole de Montréal], plusieurs éléments de nature différente ont convergé pour permettre d’aboutir à  un accord. La pression médiatique et l’urgence de l’action (néanmoins, comme dans le cas de l’effet de serre, les conclusions des études scientifiques sur la question n'étaient pas consensuelles) ont favorisé un processus de décision relativement rapide. Les sources d'émissions étaient relativement contrôlables, bien identifiées et suffisamment localisées. Enfin, des technologies alternatives et abordables étaient disponibles de sorte que l’aboutissement d’une convention restrictive n’entraînait pas un coût important pour les entreprises et était même susceptible de fournir un avantage comparatif aux firmes sises dans les pays signataires. (p. 17)

Eh oui. La vision est déjà  moins naïve et l'on découvre un "objet CFC", érigé en coupable par les scientifiques et défendu a priori par les industriels, qui se retrouve finalement arranger tout le monde. Il fait consensus, quand bien même le trou d'ozone lui-même ne le fait pas. Du coup, la résolution du problème fut facile. Selon le sociologue Daniel Sarewitz[1] (dont j'ai déjà  parlé ailleurs), ceci fait de l'histoire des CFC non pas un exemple de controverse résolue par la science mais de rétroaction positive entre des tendances scientifique, politique, diplomatique et technologique convergentes !

Car l'histoire ne s'arrête pas là  (je cite toujours la thèse de de Cara) :

Pour les deux plus gros producteurs mondiaux –tous deux américains– qu'étaient Du Pont de Nemours et Imperial Chemical Industries (ICI), l’adoption d’un Protocole maximaliste –tant du côté de la production que de la consommation– était susceptible d’asseoir leur pouvoir de marché sur ce secteur. Ces deux producteurs disposaient en effet d’une avance importante en termes de R&D sur la production des substituts aux CFC qui aurait pu leur permettre d'éliminer une concurrence devant faire face à  une réorganisation importante.

Les succès de la science ne se font pas sans l'économie. Et le chercheur, le scientifique, ne joue finalement pas tant à  "faire entendre raison" qu'à  construire des objets politiques avec d'autres acteurs, hétérogènes. Pour citer Bruno Latour[2], un scientifique n'est pas quelqu'un qui fait de la politique avec des moyens politiques ; c'est quelqu'un qui fait de la politique avec d'autres moyens.

Notes

[1] "How science makes environmental controversies worse", Environmental Science & Policy, vol. 7, 2004, p. 397

[2] Le métier de chercheur : regard d'un anthropologue, INRA éditions, 2001, p. 78

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