La science, la cité

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Mot-clé : physique

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Hommage à Moebius

À l'occasion du décès de Jean Giraud, alias Mœbius, je republie ce billet de janvier 2011 qui revenait sur ses rapports avec la science et la vulgarisation. Mœbius a fait rêver de nombreux enfants et adultes, qui se sentent tous un peu orphelins ce soir ! Jean, au revoir et surtout merci :-)

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Stephen Hawking ou les trois corps du roi

Hier, le fameux physicien Stephen Hawking — directeur de la recherche au Centre de cosmologie théorique de l'université de Cambridge, CH, CBE, FRS, FRSA — fêtait ses 70 ans. L'homme a déjà été honoré par la série Simpson, souvenons-nous :

A mon tour de lui dédier un billet inspiré par une réflexion lue il y a quelque temps chez Michael M. J. Fischer[1] et tirée d'Hélène Mialet. Elle voit trois corps chez Hawking :

  1. le corps fragile atteint de sclérose latérale amyotrophique (ou maladie de Charcot), une maladie neurodégénérative qui provoque une atrophie et un tremblement des muscles, sans affecter l'esprit, la personnalité, la mémoire, les sens, la vue… Une pneumonie contractée lors d'une visite au CERN en 1985 l'a forcé à subir une trachéotomie, qui a encore retiré à Hawking le peu de voix qui lui restait. Ce corps biologique est désormais "cyborg" dans le sens où il est pourvu d'un appareillage informatique qui lui permet de s'exprimer grâce à une voix de synthèse
  2. le corps "distribué", fait de l'intelligence et de l'attention du personnel qui s'occupe de lui ou de sa machine, et des étudiants qui font les calculs que lui ne peut plus exécuter
  3. le corps "sacré", le corpus scientifique magistral construit depuis 40 années par Hawking et qu'il laissera derrière lui.

Les historiens utilisent l'expression des "deux corps du roi" pour exprimer le fait qu'à la mort du monarque français, son corps physique est enterré mais son corps mystique, celui qui incarne la souveraineté de la monarchie, est transmis à son successeur : le roi est mort, vive le roi !. On pourrait dire la même chose du troisième, voire du deuxième corps d'Hawking, qui survivront à sa mort.

Mais la question la plus intéressante, celle qui intéresse en tous cas les anthropologues et sociologues du corps, consiste à se demander en quoi chaque corps marque l'autre. A ces questions, on a des rudiments de réponse donnés par le maître lui-même : le fait de prendre beaucoup de temps pour se mettre au lit lui a donné l'occasion de réfléchir aux trous noirs ; il évite les calculs fastidieux en développant ses intuitions et en prenant des raccourcis ; il a choisi la cosmologie car c'est une discipline qui n'exige pas que l'on donne de cours magistraux, un des rares domaines dans lesquels son incapacité de parler n'était pas un sérieux handicap et où la compétition était encore peu ardue. Mais il suffit d'obtenir un entretien avec lui, comme Hélène Mialet, pour s'apercevoir que parler avec Stephen Hawking c’est parler avec l’ordinateur qui donnera une version stéréotypée de sa vie : des bouts entiers de son histoire [il faudrait dire "de sa légende"] sont maintenant rédigés dans son ordinateur, les réponses attendent toutes prêtes qu’on vienne les chercher. Bref, l'autobiographie du savant est désormais presque stabilisée. Ce que nous dit par contre cette expérience, c'est à quel point le Hawking qui ne contrôle plus son premier corps maîtrise ses deuxième et troisième corps, et au-delà même son image, avec reprise incessante des mêmes citations puisqu'il refuse désormais d’accorder toutes interviews écrites.

Si l'imagerie populaire se partage entre l'image d'un homme hors du commun qui a réussi à repousser les limites de son propre corps et celle d'un handicapé favorisé en n'étant plus distrait par les occupations quotidiennes et mondaines que partage la commune humanité pour s'adonner pleinement à la pensée, Stephen Hawking reste un mystère, presqu'aussi insondable qu'un trou noir, et c'est ce qui le rend si fascinant.

Pour en savoir plus, je ne peux que recommander la lecture du livre d'Hélène Mialet à paraitre cette année : Hawking Incorporated !

Notes

[1] Michael M. J. Fischer, "Body Marks (Bestial/Divine/Natural). An essay into the social and biotechnological imaginaries, 1920-2005 and bodies to come", in Ivan Crozier (dir.), A cultural history of the human body in the modern age, Berg, 2010

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Des neutrinos et des twittos

Un twitto, c'est un utilisateur de Twitter. Voici un échantillon de la réception par cette communauté de l'annonce de neutrinos supraluminiques.

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Où se cache l'ésotérisme

L'artiste génial Mœbius (alias Jean Giraud) expose en ce moment et jusqu'au 13 mars 2011 à la Fondation Cartier pour l'art contemporain (Paris). Je n'ai pas vu l'exposition, intitulée "Mœbius-Transe-Forme", mais on m'a offert son catalogue (aux éditions Actes Sud) qui est superbe à tous points de vue ! Une douzaine de pages sont signées Michel Cassé, directeur de recherche au CEA et chercheur associé à l'Institut d'astrophysique de Paris. En prélude à un entretien avec Mœbius, Michel Cassé avance qu'en matière d'ésotérisme, "la science contemporaine ne craint personne (…) comme en témoigne cette livraison de juin 2010 d'arXiv, le serveur internet de la physique de pointe, section 'Relativité générale et cosmologie quantique'" :

Title: Brans-Dicke Wormhole Revisited -- II
Authors: Ramil Izmailov, Amrita Bhattacharya and Kamal K. Nandi

Title: Dirac's scalar field as dark energy within the frameworks of conformal theory of gravitation in Weyl-Cartan space
Authors: Olga V. Babourova, Boris N. Frolov and Roman S. Kostkin

Title: cuInspiral: prototype gravitational waves detection pipeline fully coded on GPU using CUDA
Authors: Leone B. Bosi

Title: Unusual Thermodynamics on the Fuzzy 2-Sphere
Authors: Sanatan Digal, Pramod Padmanabhan

Title: Effects of inhomogeneities on apparent cosmological observables: "fake'' evolving dark energy
Authors: Antonio Enea Romano, Misao Sasaki, Alexei A. Starobinsky

Title: Quantization of horizon areas of the Kerr black hole
Authors: Yongjoon Kwon, Soonkeon Nam

Title: Cascading Gravity is Ghost Free
Authors: Claudia de Rham, Justin Khoury, Andrew J. Tolley

C'est vrai qu'il y a de l'exotisme dans cet inventaire à la Prévert. Quand les physiciens reçoivent chaque matin dans leur boîte mail la liste des nouvelles publications de leur domaine recensées par arXiv, nul doute qu'ils y voient autre chose. Le Dictionnaire de l'Académie définit l'ésotérisme comme une "doctrine professée à l'intérieur de l'École et réservée à un certain nombre d'adeptes". Les physiciens sont peut-être des adeptes, et leurs "élucubrations" nous sont inaccessibles comme les théories des alchimistes étaient dites "hermétiques"… Mœbius le dit à sa façon :

C'est quand même un langage et une description qui ne peuvent être perçus que si on a été initié aux mathématiques à un haut niveau. C'est une cosmologie mathématique, numérique. Ça me rappelle un peu l'Égypte ancienne où il y avait plusieurs façons de décrypter le langage : celle des prêtres, celle des politiques et celle du peuple. C'est le même alphabet mais qui coexistait en trois langues. Ceux qui étaient au-dessus pouvaient comprendre les deux autres, mais ceux du bas ne pouvaient pas comprendre ceux du dessus…

Peut-on, néanmoins, rendre accessibles ces savoirs ? Vaste question, qui agite les neurones de tous les penseurs de la vulgarisation depuis de nombreux siècles. À défaut, on peut aussi les rendre sensibles, les amener à un autre niveau de matérialité ou de pensée qui soit partageable. Michel Cassé avance que les illustrations et les bande-dessinées de Mœbius sont de cet ordre-là :

Généreux, surabondant est le vide quantique, il est si peuplé de particules virtuelles qu'on s'étonne d'y voir à travers. Qui chantera les métamorphoses de ce haut vide, sinon Mœbius, réserve d'espace, généreux comme le temps ?

Ou encore :

La mécanique quantique est la mécanique de l'incertitude, de la déviation, de la transgression, celle de Mœbius,  par excellence.

Tout ceci est fort intéressant, surtout rehaussé des œuvres du sieur Giraud. Malheureusement, l'argumentation de Michel Cassé est souvent très absconse, succombant à son tour à un ésotérisme post-moderne qui tombe à plat. Mœbius me paraît plus raisonnable et intéressant à la fois (il parle d'expérience) :

Au-delà de l'aspect utilitaire [raconter des histoires], je me pose les questions, mais je manque d'outils pour aller jusqu'au bout de la réflexion. Ce qui est formidable quand je te rencontre et que je rencontre le monde de la physique, c'est que je m'aperçois qu'il y a des similitudes et des rencontres avec mon intuition, ma dérive poétique…

Comment ne pas penser, à cette lecture, aux brèves rencontres que nous vante Jean-Marc Lévy Leblond, "où telle œuvre d’art entre en résonance momentanée avec tel travail de science, sans pour autant que se confondent les cheminements de l’artiste et du scientifique" ?

>> Billet initialement publié sur mon blog ArtScienceFactory

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Comment on compte les publications ?

Au détour d'une conversation anodine sur Twitter, une question posée par Tom Roud m'a interpellé : comment, demande-t-il, évalue-t-on les chercheurs sur des grosses expériences comme celles de la physique des hautes énergies (comme en ce moment au LHC). Pablo Achard a répondu côté "évaluation humaine" : être choisi pour représenter la collaboration lors d'une conférence, parmi la centaine d'autre co-signataires d'un article, est une reconnaissance de sa contribution individuelle. Le chercheur Jeremy Birnholtz, qui a étudié ce phénomène, confirme mais explique que d'autres facteurs jouent — par exemple la possibilité de distinguer deux niveaux d'auteurs : le niveau "infrastructural", lié à la conception des détecteurs et logiciels, récurrent dans la série d'articles issus d'un même appareillage ; et le niveau "découverte" différent pour chaque article, revendiqué par les auteurs qui peuvent défendre leurs résultats au niveau le plus fin.

Côté bibliométrie et comptage automatique des publications, la réponse est évidemment différente. En réalité, la façon dont les publications sont comptées n'est pas toujours bien connu. Laissez-moi vous expliquer les deux méthodes existantes :

  • on peut procéder à un compte fractionnaire, où chaque item possède un poids égal à 1, qui se répartit proportionnellement selon la ventilation choisie ; par exemple, si deux équipes japonaises et une équipe américaine co-publient un article, on comptera 2/3 pour le Japon et 1/3 pour les USA. Si cet article concerne de façon égale la microbiologie et la génétique, on comptera 2/6 pour le Japon dans la discipline "microbiologie" et autant dans la discipline "génétique". Ainsi de suite, à tous les niveaux et selon toutes les ventilations choisies (pays, institution, discipline etc.). Ce type de compte permet de raisonner en terme de contribution à la science mondiale ; il présente l'avantage d’être consolidable à toutes les échelles et sommable d’un niveau à un autre. Cependant, il a tendance à donner un poids plus faible à la participation à une publication très internationalisée ;
  • on peut sinon effectuer un compte de présence, où l'on compte 1 ou 0 selon que l’acteur est présent ou non. Dans notre exemple, cela revient à compter 1 pour le Japon en microbiologie et 1 en génétique, 1 pour les USA en microbiologie et 1 en génétique. Soit un poids total de l’article égal à 4. Ce type de compte suit une logique de participation à la science mondiale, puisqu'on s'intéresse non pas à une contribution relative mais à la présence ou à l’absence d’un acteur ; il présente l’avantage d’être plus immédiatement compréhensible pour le lecteur, notamment dans l’étude de liens bilatéraux entre acteurs où le nombre obtenu correspond directement au nombre de publications où coexistent les deux acteurs. Mais ce type de compte est très instable dans les changements d'échelle d’observation, si bien que l’on se retrouve fréquemment avec des sommes sur le monde des indicateurs pays supérieures à 100%.

Même s'il n'y a pas de pratique bonne ou mauvaise, vous aurez compris que le compte fractionnaire a l'avantage de lisser le poids des grosses collaborations. En pratique, on l'utilise plus pour les analyses macro, tandis que le compte de présence est prépondérant pour les analyses micro. Je vous renvoie à ce sujet à la note méthodologique de l'Observatoire des sciences et techniques.

Ma conclusion c'est que tous les indicateurs bibliométriques ne se valent pas et qu'il faut faire attention à la façon dont ils sont calculés — mais ça, vous le saviez déjà !

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