Addendum : Journalisme scientifique, #NoFakeScience et idéologie
14
sept.
2019
Moins de 24h depuis la parution de mon billet précédent, j’ai beaucoup échangé sur Twitter avec celles et tous ceux qui ont bien voulu réagir. De nombreuses personnes m’ont remercié pour avoir mis des mots sur un ressenti, ou pour leur avoir montré qu’il y avait plus dans #NoFakeScience que ce qu’ils y voyaient en signant la tribune. J’en suis évidemment ravi.
Néanmoins, de nombreux points ont été soulevés qui m’ont fait réfléchir et je reviens donc sur le sujet avec cet addendum. Ayant reçu plusieurs centaines de mentions, j’ai fait le choix de ne pas citer ni faire de lien vers celles et ceux dont je reprends la prose ci-dessous — à la fois par simplicité, et pour éviter de relancer 200 nouveaux débats et mentions ;-)
Il m’a été reproché de ne pas traiter du fond de la tribune, uniquement de ses militants. J’estime que c’est faux dans le sens où tout discours doit être analysé à la lumière de ce qu’il produit, et même des personnes qu’il rassemble autour de lui. On ne peut pas s’en tenir aux mots ; d’ailleurs, ceux-ci ont déjà été largement analysés lorsque la tribune est sortie, et mon intention était d’aller au-delà. Mais ce qui m’intéresse, c’est bien le message de la tribune #NoFakeScience et l’idéologie, consciente ou non, qu’elle véhicule à travers ses porte-paroles.
Justement, qui sont ces porte-paroles ? En parlant du mouvement #NoFakeScience
, je parlais de ceux qui s’activent (en l’occurrence sur Twitter) pour défendre le point de vue de la tribune en corrigeant des articles de presse, en blâmant le traitement médiatique des sciences, etc. Pour certains, #NoFakeScience n’est pas “une communauté”. C’est une tribune qui rassemble ponctuellement des gens aux objectifs/idéologies différents (et même aux interprétations différentes de la tribune)
. Ce qui permet quand même d’étudier un groupe, sans blâmer ses auteurs d’origine comme certains m’en ont fait le reproche. Pour d’autres enfin, #NoFakeScience n’existe pas en dehors des rédacteurs de #NoFakeScience (je paraphrase) : c’est réductionniste mais ça se défend… quitte à frustrer le diplômé en sociologie que je suis, qui ne peut s’empêcher d’observer des groupes sociaux (avouez qu’observer 20 personnes c’est vraiment pas intéressant et ne nous apprendra pas grand chose).
En bref, pour synthétiser ces deux longs paragraphes : ce qui m’intéresse c’est le message de la tribune tel qu’il est repris et véhiculé par les personnes qui s’en réclament, sans l’imputer directement aux auteurs et à leur intention première. Un classique de la sociologie, méconnu ou mal compris de mes interlocuteurs d’un jour…
Surtout, on m’a reproché de me focaliser sur deux personnes : Pierre-Antoine alias UnMondeRiant, co-auteur de la tribune et qui incarne donc tout à fait la tribune ; et Zebodag, figure de proue du mouvement “ze” d’obédiance libertarienne. Je reconnais que j’ai manqué de rigueur car Zebodag ne participe pas, de près ou de loin, à #NoFakeScience. Beaucoup m’ont fait remarquer que les #NoFakeScience se démarquaient largement des Ze, dont ils dénoncent la récupération. Je dois avouer que ça m’avait échappé, même si UnMondeRiant a le mérite d’épingler sur son profil Twitter un tweet anti-libertarien. En effet, Zebodag et moi avons plusieurs abonnés en commun, que je connais bien et qui sont dans (ou proches de) #NoFakeScience. Mais “être abonné” ne signifie pas être d’accord avec et je confesse mon erreur.
Néanmoins, un twitto fait remarquer, même si ces deux milieux #NoFakeScience et libertariens doivent être distingués, ils ont en commun d’être pro-science, de souvent mépriser le politique et la sociologie, et d’avoir des références culturelles et des obsessions communes : les biais cognitifs, Daniel Kahneman, Richard Dawkins, Gérald Bronner… Ils peuvent donc parfois se retrouver ensemble sur des conversations Twitter.
J’ai donc proposé, pour objectiver cette parenté, d’étudier par une cartographie les comptes Twitter de ces deux communautés, ce qui n’a pas toujours été bien compris. Mon intention serait de compiler les tweets des #NoFakeScience et les tweets des Ze, pour documenter leurs interactions : est-ce qu’ils interviennent dans les mêmes threads, est-ce qu’ils se répondent directement, et si oui sur quels sujets. Tant qu’à faire, j’en profiterais pour documenter les “effets de meute”, c’est-à-dire si certains threads ramènent plus de x participants (x étant un seuil à définir) et sur quels sujets. Ce travail serait mené dans un esprit de recherche, en anonymisant les comptes : en effet, on peut visualiser un réseau avec des comptes représentés par des nœuds et 2-3 couleurs selon le groupe auquel ils appartiennent, et analyser dans le corps du texte quelques exemples choisis — sans citer le contenu des tweets ni leurs auteurs. Une des réactions a été de m’accuser de manquer d’objectivité pour faire ce travail. Outre que cela me blesse un peu, la suite de la conversation a démontré surtout une méconnaissance des méthodes en SHS. D’autres étaient tout simplement offusqués par ce procédé, alors que je doute qu’ils se soient manifestés contre Chèvre pensante utilisant cette même méthode pour défendre les critiques d’Envoyé spécial accusés de trollisme.
Concernant Jean-Marie Lehn et Jean-Pierre Sauvage, il est vrai que certains co-auteurs et signataires avaient dénoncé leur attitude climato-sceptique. Mais pourquoi les avoir sollicités et acceptés comme premier signataires, et ainsi publié leur nom à L’Opinion ? Vous aviez la possibilité de les évincer (gentiment ou non) et vous ne l’avez pas fait. L’image que ça renvoie est très très mauvaise, même si la tribune réaffirme le consensus sur l’origine antropique du changement climatique.
Sans doute victime d’une bulle de filtre, je me suis avancé dans un tweet en disant que Mac Lesgy, Géraldine Woessner, Emmanuelle Ducros étaient les journalistes préférés des #NoFakeScience : j’ai été surpris qu’on me cite plutôt la rédaction santé du Figaro avec notamment Soline Roy et Cécile Thibert, Florent Gouthière, Jean-Baptise Malet, les Décodeurs avec Samuel Laurent, CheckNews avec Olivier Monod… Est-ce partagé par le collectif ? Il faudra bien se mettre d’accord pour faire la curation des très bons journalistes scientifiques dont parlait Pierre-Antoine dans mon précédent billet. Et je m’interroge sur le fait que ce n’est pas ce qui est renvoyé dans ma timeline.
À ce sujet, autre chose me perturbe : en décembre 2017, un autre collectif mené par Olivier Monod justement avait fait paraître une tribune “Les fausses informations scientifiques sont des fake news comme les autres” dont beaucoup de signataires ont critiqué par la suite la tribune #NoFakeScience, malgré leur air de famille évident (rappelé par Virigine Tournay). Pourquoi ? Qu’est-ce qui fait qu’ils n’ont pas soutenu cette version de la même idée ? Ceci mériterait d’être approfondi.
Concernant Stéphane Foucart, je vois que les positions sont irréconciliables. Certains ont balayé d’un revers de la main tout mon billet à cause de ce seul paragraphe, d’autres me disent qu’ils l’exècrent. Le tribunal de l’Histoire jugera… Certains faits spécifiques sont remontés concernant les articles de Stéphane Foucart. Deux avancées quand même : S. Foucart a concédé que son tweet sans commentaires
avec les deux graphiques sur les néonicotinoides aurait dû être accompagné d’un commentaire ; et j’ai découvert un fil de Yannick Nassol retweeté par @scienti_geek, qui arbore le hashtag #NoFakeScience et qui est très Foucart-compatible. Mais à quel point est-ce que les signataires de la tribune, ou ses rédacteurs, l’approuveraient ? Bonne question… car le collectif semble admettre plus facilement un biais pro-OGM ou pro-nucléaire qu’un biais anti-agences d’évaluation.
Enfin, concernant le ton : certains #NoFakeScience manient le sarcasme, ou attaquent très vivement. Ceci est très dommageable, même si je peux comprendre l’agacement. Mais heureusement que la très grande majorité a été très patiente et constructive.
Commentaires
Bonjour, les #nofakescience regroupent des #nofakemed, qui regroupaient déjà nombre de figures "zététiciennes" sur les réseaux sociaux.
Derrière les zététiciens, qui ont commencé à oeuvrer sur ces réseaux depuis 2014 (année ou les chaînes youtube tronche en biais, hygiène mentale, et primum non nocere sont apparues à quelques mois d'intervalle), on trouve sempiternellement l'AFIS, en filigrane
AFIS identifiée depuis une bonne décennie, par un de ses ex-membres et par des sceptiques eux-mêmes(!) comme un faux-nez de lobbies industriels.
Quand on sait ça, tout s'éclaire
@Victor Niquel
"Quand on sait ça, tout s'éclaire"
Absolument pas !
D'abord il faudrait clarifier le sens d'une expression telle que "derrière X on trouve Y".
Vous voulez dire quoi,qu'ils sont payés par des labos ?
Eh bien d'abord il faudrait le prouver plutôt que d'utiliser ce genre d'insinuation.
Vous pensez vraiment que tous les sympathisants du mouvement zététique sont des vendus, ou des moutons qui suivent des vendus ?
Et quand bien même ce serait vrai ça ne donnerait encore aucun argument positif en faveur des antivax ou des pro-homéopathies auxquels ils s'opposent.
"Vous pensez vraiment que tous les sympathisants du mouvement zététique sont des vendus, ou des moutons qui suivent des vendus ?"
Les chefs de file sont sous contrats d'astroturfing, les gamins et les geeks qu'ils manipulent sont simplement hypnotisés par des memes et des propos sarcastiques
Vous pensez que la manipulation mentale et émotionnelle n'est pas une science?
Si vous voulez on peut parler d'homéopathie. Sans même aller dans le détail des études, qui invalident radicalement les propos des "zététiciens", les cas de l'Inde, de la Suisse et de Cuba suffisent à réfuter l'idée d'un consensus scientifique.
Je viens de découvrir en rafale les 2 billets. J'ignore tout ce qui s'est écrit sur Twitter entre les deux. Toutefois, Antoine fait bien de souligner un élément très important, qui était également très important cet été et a contribué à certains dérapages: qui parle au nom de #NoFakeScience?
S'il n'y a pas de porte-parole ni de représentant autorisé, alors —réalité propre à notre ère des communications instantanées— les plus bruyants des commentateurs seront confondus avec les "représentants" du mouvement. Et du coup, ça peut devenir un obstacle à l'établissement d'un dialogue avec les journalistes, qui était pourtant la motivation de départ de cette lettre: s'il n'y a pas de porte-parole, il ne peut pas y avoir de dialogue entre deux "communautés"; ou bien, si les "représentants" les plus bruyants sont en même temps ceux qui sont les plus radicaux dans leurs attaques contre "l'autre camp", ça ne donne pas prise à un dialogue non plus. À ma connaissance, il n'y a que nous, à Science-Presse, et une émission de science à la radio, qui ont répondu à l'offre de dialogue, parce que nous connaissions certains des intervenants et pouvions percevoir l'intention réelle derrière la lettre. Mais la lettre visait les médias généralistes, alors on est loin de l'impact espéré.
@Pascal
Personnellement, je ne me fais pas d'illusion sur la disposition des journalistes à accepter les critiques venant de l'extérieur de la profession. Le plus souvent elles sont ignorées. Quelqu'un pense-t-il que le travail réalisé depuis 20 ans par Acrimed (https://www.acrimed.org/) - certes très orienté politiquement par ailleurs - ait changé quoi que ce soit à la production de l'information ?
C'est pourquoi je pense que, même si la tribune invite sur la forme les médias à s'intéresser au problème, son réel intérêt est 1) de faire prendre conscience de ce problème au public, ou disons à la petite partie du public qui en aura eu connaissance via ses réseaux de sociabilité 2) d'inciter les sympathisants de la tribune à s'organiser pour faire face au problème, en leur montrant qu'il y a là une préoccupation commune à des milliers de personnes.
Et, en ce sens, la tribune n'est pas forcément un échec.
PS pour clarifier : je ne suis pas l'auteur du blog, mais un autre Antoine