La science, la cité

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Du debunking sur le web, et sur les réseaux sociaux en particulier

Vendredi 12 février était invité dans la matinale de France inter Laurent Tillon, présenté comme chargé de mission biodiversité à l’ONF, membre du Conseil National de la Protection et de la Nature et auteur de Etre un Chêne, sous l’écorce de Quercus (Actes Sud). Ce dernier n’est pas un ouvrage de vulgarisation mais appartient au genre du nature writing, présenté par son éditeur comme un texte nourri de science, de poésie et de philosophie.

Dans cet entretien, Laurent Tillon évoque les substances volatiles des feuilles qui aident la plante à se défendre. Ce qu’on appelle aussi parfois les phytoncides aurait un effet sur le système immunitaire des vertébrés : j’emploie le conditionnel et j’ajoute que ces hypothèses sont controversées, comme le montre l’article Wikipédia correspondant mais des résultats ont été publiés par des équipes des universités Chung-Hsing (Taiwan) et de Taiwan montrant qu’elles réduiraient le stress et l’anxiété chez les souris, et par des équipes des universités de Stanford et d’Osaka sur des effets significatifs sur l’activité des lymphocytes NK8 et donc l’immunité innée chez l’Homme. Laurent Tillon évoque d’abord les vertébrés puis explique que quand on va se promener en forêt, on gagne en immunité. Il est possible de douter des extrapolations qui sont faites (passer de résultats in vitro à des conclusions concernant une promenade en forêt) mais d’autres travaux par des universités coréennes montrent que les effets bénéfiques des promenades en forêt sont bien réels (exemple).

Puis il continue en expliquant que les feuilles qui se cicatrisent émettent des ions négatifs, des petits champs électriques, pour solliciter le renouvellement des feuilles, lesquels ont la propriété de réduire le cortisol qui est l’hormone du stress. Ce passage se termine ensuite sur les habitudes de promenades en forêt des japonais (le “shinrin-yoku”) et le fait qu’on peut toujours enlacer un arbre, on ne risque rien.

Face à ce passage radio, plusieurs réactions sont possibles. Se dire qu’effectivement, la balance bénéfice-risque est très favorable et que ce conseil santé semble épris de bon sens. Se dire aussi qu’on découvre des pratiques culturelles japonaises qui excitent notre curiosité. Ou se dire qu’il s’agit là de notions qu’on ignorait et vouloir creuser cette littérature scientifique (comme je l’ai fait ci-dessus). Mais en tweetant ce passage retranché de ses dernières secondes de rigolade en mode ça ne fera de mal à personne, on peut s’y essayer, il n’y a aucun risque, France inter a suscité de très nombres réactions en mode “bullshit alert” de la part de journalistes ou vulgarisateurs à tendance rationaliste (La Tronche en biais, François-Marie Bréon, Emmanuelle Ducros), des chercheurs (en chimie, en physique, en biologie…), des vidéastes comme Cyrus North (spécialiste en vulgarisation de la philosophie), des personnalités défendant une idéologie conservatrice (Gilles Clavreul, Amaury Brelet), des ingénieurs… Cette unanimité (642 réponses, 626 reweets avec commentaire) était très impressionnante et m’a tout de suite frappé, comme elle a marqué un chercheur en physico-chimie affirmant ne pas trop comprendre tous les collègues qui sont tombés sur lui.

En effet, cette réaction massive n’est pas celle que j’aurais attendue, mais plutôt quelque chose comme « tiens, ce qu’il raconte m’étonne beaucoup, dommage qu’il n’apporte pas de preuve mais essayons de se renseigner. Allez les tweetos, que sait-on de la sylvothérapie et de l’effet des ions sur l’immunité ? ».

Sur quoi ont porté les critiques ? C’est très très difficile à dire puisque les tweets n’apportaient souvent aucune contradiction. Laurent Tillon se fait traiter d’illuminé, ses théories sont farfelues, et France inter aurait perdu la boule. Certains admettent qu’en étant absolument pas spécialiste, ce genre discours m’inquiète un peu. Et du côté des vulgarisateurs et scientifiques ? Eh bien c’est la même chose : certains essayent de comprendre ce dont il est question et se demandent si ça aurait un rapport avec un certain procédé de production d’électricité à partir d’arbres mais la plupart sont juste scandalisés et protestent sur cette désinformation à une heure de grande écoute.

À froid, certains modèrent leurs propos et admettent que c’est un poil suspect, qu’il s’est pris les pieds dans le tapis et que le terme champ électrique a pu être une maladresse pour vulgariser le terme ion : renseignons-nous avant de faire des grandes déclarations…. Il me semble que la bonne attitude serait la prudence, éventuellement du scepticisme, mais sur un domaine si spécialisé je doute que tous ceux qui ont réagi l’ont fait en connaissance de cause. Que les scientifiques réagissent comme les autres, en mode je ne comprends peut-être pas tout ce dont il parle mais ça me semble être du bullshit donc c’en est probablement, voilà ce qui me choque. Je ne dis pas qu’il a parfaitement raison ou que quelques publications suffisent à lui donner raison ; mais je dis qu’un travail minimal de vérification était nécessaire avant de dégainer.

JIl me semble que les réactions auxquelles nous avons assisté sont une mauvaise dérive de la vulgarisation scientifique et des conversations sur les réseaux sociaux. Attention, j’essaye d’expliquer mais sans jugement. Je me contente d’observer ce qu’est devenu le travail de vulgarisation et d’explication des sciences qui me mobilisait, mes semblables et moi, quand nous avons commencé à faire d’internet notre terrain d’expression. En effet, voilà plus de dix ans que je défends le droit des blogueurs de science à parler ce dont ils ne sont pas spécialistes, à condition de faire le travail d’enquête et de lecture critique de la littérature scientifique, et à condition d’accepter les critiques et les commentaires. Mon meilleur exemple c’était ce billet du Bacterioblog (un blog spécialisé en bactériologie et évolution) qui démontrait que non, ce n’était pas absurde d’observer une baisse des infarctus du myocarde après un mois d’interdiction de fumer dans les lieux de convivialité. Bien que non spécialiste, ce blogueur avait fait le travail de recherche nécessaire pour contrer un lieu commun. Et aujourd’hui, on observe des non spécialistes qui tweetent sans source et sans justification pour contrer une parole semi-experte (l’auteur s’étant documenté pour écrire son livre et possédant une thèse en écologie forestière). Même si cette question est complexe car pluridisciplinaire (la biophysique des ions, la chimie de l’atmosphère, les neurosciences du cortisol, la biologie des feuilles), est-ce qu’on n’aurait pas dû s’attendre à un ou deux debunking un peu plus documentés ? Ceux qui ont fait cet effort ont montré par exemple que dans les arbres et tout autour d’eux, la densité de charge électriques n’est pas nulle et on a donc des concentrations d’ions dans l’air ou que il existe des travaux scientifiques publiés (essentiellement japonais à ma connaissance) qui vont en ce sens.

Je ne veux pas surinterpréter cet épisode mais il montre, selon moi, que 1/ les discours qui peuvent sonner “new age” ne passent plus et qu’aucun crédit ne leur est accordé par une grande partie de la communauté scientifique et 2/ que cette même partie de la communauté scientifique ne se prive plus de juger en deux secondes ce qui est vrai et ce qui est faux, comme le ferait n’importe qui et 3/ qu’on ne suspend plus assez son jugement face à un exposé. Cette analyse étant aggravée par le fait que a/ ce n’est pas la première fois que France inter donne la parole à des auteurs de livre en promo qui tordent la science pour produire des énoncés (d)étonnants et que b/ au sortir d’une crise Covid qui aura largement agité les radars anti-bullshit des vulgarisateurs scientifiques, ceux-si sont désormais beaucoup plus prompts à dégainer. Certains ont pu laisser entendre qu’une affirmation extraordinaire ne peut pas être assénée sans preuve. Mais, si j’accepte cet argument pour Avi Loeb et ses déclarations sur l’astéroïde Oumoamoa, j’estime ici qu’il n’y a rien de très extraordinaire !

En conclusion, je voudrais qu’on admette collectivement que tout n’était pas faux dans ce qui est raconté par Laurent Tillon, que la nuance est le meilleur allié de la crédibilité scientifique, et qu’il existe des questions scientifiques sur lesquelles les français sont peut-être moins bien informés que des chercheurs asiatiques… Je voudrais aussi réveiller mes camarades vulgarisateurs qui se gaussent de l’ultracrépidarianisme de certains scientifiques abonnés aux plateaux télé : attention, en réagissant vous aussi à chaud sur des sujets dont vous n’êtes pas experts, vous rapprochez dangereusement de ce travers que vous dénoncez…

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La crise COVID-19 vue par des économistes de l'innovation

Qu’est-ce qu’il a manqué comme investissements dans la R&D pour être mieux préparés à la pandémie en cours ? Est-ce que les énormes investissements actuels et la réorientation de certains pans de la recherche vers le COVID-19 est la plus efficace, et quels peuvent être ses effets pervers (notamment les querelles de brevets en cours) ? Que peut-on attendre de l’après-crise en termes de politiques de recherche, et d’adoption de certaines technologies numériques ?

Des économistes de l’innovation, chercheurs ou doctorants du College of Management of Technology de l’EPFL (Suisse), ont publié le 14 avril une étude de 33 pages riches de réflexions théoriques, de pronostics tendanciels, mais aussi d’exemples. Pour faciliter la diffusion de ces résultats, je vous en propose une synthèse en français sous forme de mindmap.

De mon côté, j’ai également publié quelques réflexions et un peu de veille sur l’innovation ouverte pour faire face au COVID-19.

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Top 9 des romans à teneur scientifique lus en 2019

J’ai lu très exactement 22 romans en 2019, deux de plus qu’en 2018 ! De tous ces romans, goût personnel oblige, un nombre non négligeable est à consonance scientifique. Voici une sélection personnelle de ceux dont je recommande la lecture (et, pour mémoire, les listes de 2014, 2015, 2016, 2017 et 2018) :

N° 8 : Galatea 2.2 de Richard Powers, 1995

Mon premier Richard Powers, l’auteur dont les romans abondent de réflexions sur la science et que Bruno Latour et Daniel Dennett adorent, m’est malheureusement tombé des mains. Les ingrédients avaient tout pour me plaire : un écrivain en résidence dans une université, un chercheur qui développe une intelligence artificielle… mais le style très recherché en VO a eu raison de moi.

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N° 7 : Dracula de Bram Stoker, 1897

Ce roman ultra-classique met en scène plusieurs personnages qui luttent contre le comte Dracula. Parmi eux, le Dr Seward et le Pr. Van Helsing ont recours à un mélange entre le savoir traditionnel des chasseurs de vampires, et la méthode médicale basée sur la symptomatologie et le raisonnement déductif.

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N° 6 : Project Unison: Mirador de la Memoria d’Ewa Miendlarzewska, 2018

Ce livre m’a été recommandée par une collègue de l’auteure, laquelle est chercheuse en neurosciences à l’université de Genève. Dans le genre de la neuroscience-fiction, ce premier roman met la barre très haut avec de vrais morceaux de science (comment se fabrique un souvenir, comment donner une personnalité à une IA, quelles hormones influent sur notre comportement…), un catalogue très fourni de trouvailles technologiques (un robot compagnon domestique, une machine pour oublier, le projet Unison du titre qui relie plusieurs consciences et télécharge leurs souvenirs dans le cloud…), et une narration non linéaire. Non traduit en français.

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N° 5 : Pfitz d’Andrew Crumey, 1995

Un Prince cherche l’immortalité en inventant des villes imaginaires, qu’il fait cartographier au millimètre par une administration rigoureuse : Service de la Cartographie, Service Biographique, Service des Belles-lettres… L’occasion de quelques considérations sur le travail du cartographe, l’accomplissement d’un rêve impossible : rendre le monde sur le papier.

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N° 4 : La Tristesse des éléphants de Jodi Picoult, 2014

Serenity, Jenna, et Virgil sont lancés à la recherche d’Alice, une ethologue spécialiste du comportement de deuil des éléphants, et s’est enfuie sans laisser d’adresse. La narration alterne entre leurs différents points de vue et les chapitres vus par Alice sont extrêmement documentés, relatant la vie facinante des éléphants en Afrique et dans une réserve aux États-Unis. On n’a qu’une envie après avoir refermé le livre : passer plus de temps avec ces pachydermes et découvrir ce qu’ils ont à nous dire !

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N° 3 : Botaniste de Marc Jeanson et Charlotte Fauve, 2019

C’est le livre scientifique dont tout le monde a parlé cette année. En tête de gondole : Marc Jeanson, devenu à 32 ans le responsable des collections de l’herbier national au Muséum national d’Histoire Naturelle à Paris (et accessoirement membre de ma promo à l’Agro Paris). Avec l’ingénieure et journaliste Charlotte Fauve, il rend un hommage (richement illustré d’anecdotes d’histoire des sciences) à ses prédécesseurs illustres et défend le métier de botaniste, l’importance de conserver nos herbiers, et d’étudier la flore en même temps que l’Homme modifie son environnement.

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N° 2 : Histoire du lion Personne de Stéphane Audeguy, 2016

Ce court roman de 160 pages suit le périple du lion Personne, abandonné par sa mère dans la savane et récupéré par un jeune garçon sénégalais, jusqu’à la Ménagerie du Jardin des plantes. Histoire vraie ou inventée ? À vrai dire peu importe tant on se laisse porter par une langue riche et érudite, un texte “à hauteur d’animal”, et l’authenticité des savants Buffon ou Bernardin de Saint-Pierre tels qu’ils apparaissent dans le roman.

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N° 1 : Le Météorologue d’Olivier Rolin, 2014

Tombé par hasard sur l’histoire d’Alexeï Féodossiévitch Vangengheim, Olivier Rolin nous amène sur les pas de ce météorologue sacrifié par le régime stalinien et exécuté sur dénonciation calomnieuse. Avec celui qui représentait l’URSS à la Commission internationale sur les nuages, participait à des congrès pansoviétiques sur la formation des brouillards, avait créé en 1930 le Bureau du tempsle socialisme s’édifiait dans le ciel aussi. Un roman puissant et passionnant.

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Addendum : Journalisme scientifique, #NoFakeScience et idéologie

Moins de 24h depuis la parution de mon billet précédent, j’ai beaucoup échangé sur Twitter avec celles et tous ceux qui ont bien voulu réagir. De nombreuses personnes m’ont remercié pour avoir mis des mots sur un ressenti, ou pour leur avoir montré qu’il y avait plus dans #NoFakeScience que ce qu’ils y voyaient en signant la tribune. J’en suis évidemment ravi.

Néanmoins, de nombreux points ont été soulevés qui m’ont fait réfléchir et je reviens donc sur le sujet avec cet addendum. Ayant reçu plusieurs centaines de mentions, j’ai fait le choix de ne pas citer ni faire de lien vers celles et ceux dont je reprends la prose ci-dessous — à la fois par simplicité, et pour éviter de relancer 200 nouveaux débats et mentions ;-)

Il m’a été reproché de ne pas traiter du fond de la tribune, uniquement de ses militants. J’estime que c’est faux dans le sens où tout discours doit être analysé à la lumière de ce qu’il produit, et même des personnes qu’il rassemble autour de lui. On ne peut pas s’en tenir aux mots ; d’ailleurs, ceux-ci ont déjà été largement analysés lorsque la tribune est sortie, et mon intention était d’aller au-delà. Mais ce qui m’intéresse, c’est bien le message de la tribune #NoFakeScience et l’idéologie, consciente ou non, qu’elle véhicule à travers ses porte-paroles.

Justement, qui sont ces porte-paroles ? En parlant du mouvement #NoFakeScience, je parlais de ceux qui s’activent (en l’occurrence sur Twitter) pour défendre le point de vue de la tribune en corrigeant des articles de presse, en blâmant le traitement médiatique des sciences, etc. Pour certains, #NoFakeScience n’est pas “une communauté”. C’est une tribune qui rassemble ponctuellement des gens aux objectifs/idéologies différents (et même aux interprétations différentes de la tribune). Ce qui permet quand même d’étudier un groupe, sans blâmer ses auteurs d’origine comme certains m’en ont fait le reproche. Pour d’autres enfin, #NoFakeScience n’existe pas en dehors des rédacteurs de #NoFakeScience (je paraphrase) : c’est réductionniste mais ça se défend… quitte à frustrer le diplômé en sociologie que je suis, qui ne peut s’empêcher d’observer des groupes sociaux (avouez qu’observer 20 personnes c’est vraiment pas intéressant et ne nous apprendra pas grand chose).

En bref, pour synthétiser ces deux longs paragraphes : ce qui m’intéresse c’est le message de la tribune tel qu’il est repris et véhiculé par les personnes qui s’en réclament, sans l’imputer directement aux auteurs et à leur intention première. Un classique de la sociologie, méconnu ou mal compris de mes interlocuteurs d’un jour…

Surtout, on m’a reproché de me focaliser sur deux personnes : Pierre-Antoine alias UnMondeRiant, co-auteur de la tribune et qui incarne donc tout à fait la tribune ; et Zebodag, figure de proue du mouvement “ze” d’obédiance libertarienne. Je reconnais que j’ai manqué de rigueur car Zebodag ne participe pas, de près ou de loin, à #NoFakeScience. Beaucoup m’ont fait remarquer que les #NoFakeScience se démarquaient largement des Ze, dont ils dénoncent la récupération. Je dois avouer que ça m’avait échappé, même si UnMondeRiant a le mérite d’épingler sur son profil Twitter un tweet anti-libertarien. En effet, Zebodag et moi avons plusieurs abonnés en commun, que je connais bien et qui sont dans (ou proches de) #NoFakeScience. Mais “être abonné” ne signifie pas être d’accord avec et je confesse mon erreur.

Néanmoins, un twitto fait remarquer, même si ces deux milieux #NoFakeScience et libertariens doivent être distingués, ils ont en commun d’être pro-science, de souvent mépriser le politique et la sociologie, et d’avoir des références culturelles et des obsessions communes : les biais cognitifs, Daniel Kahneman, Richard Dawkins, Gérald Bronner… Ils peuvent donc parfois se retrouver ensemble sur des conversations Twitter.

J’ai donc proposé, pour objectiver cette parenté, d’étudier par une cartographie les comptes Twitter de ces deux communautés, ce qui n’a pas toujours été bien compris. Mon intention serait de compiler les tweets des #NoFakeScience et les tweets des Ze, pour documenter leurs interactions : est-ce qu’ils interviennent dans les mêmes threads, est-ce qu’ils se répondent directement, et si oui sur quels sujets. Tant qu’à faire, j’en profiterais pour documenter les “effets de meute”, c’est-à-dire si certains threads ramènent plus de x participants (x étant un seuil à définir) et sur quels sujets. Ce travail serait mené dans un esprit de recherche, en anonymisant les comptes : en effet, on peut visualiser un réseau avec des comptes représentés par des nœuds et 2-3 couleurs selon le groupe auquel ils appartiennent, et analyser dans le corps du texte quelques exemples choisis — sans citer le contenu des tweets ni leurs auteurs. Une des réactions a été de m’accuser de manquer d’objectivité pour faire ce travail. Outre que cela me blesse un peu, la suite de la conversation a démontré surtout une méconnaissance des méthodes en SHS. D’autres étaient tout simplement offusqués par ce procédé, alors que je doute qu’ils se soient manifestés contre Chèvre pensante utilisant cette même méthode pour défendre les critiques d’Envoyé spécial accusés de trollisme.

Concernant Jean-Marie Lehn et Jean-Pierre Sauvage, il est vrai que certains co-auteurs et signataires avaient dénoncé leur attitude climato-sceptique. Mais pourquoi les avoir sollicités et acceptés comme premier signataires, et ainsi publié leur nom à L’Opinion ? Vous aviez la possibilité de les évincer (gentiment ou non) et vous ne l’avez pas fait. L’image que ça renvoie est très très mauvaise, même si la tribune réaffirme le consensus sur l’origine antropique du changement climatique.

Sans doute victime d’une bulle de filtre, je me suis avancé dans un tweet en disant que Mac Lesgy, Géraldine Woessner, Emmanuelle Ducros étaient les journalistes préférés des #NoFakeScience : j’ai été surpris qu’on me cite plutôt la rédaction santé du Figaro avec notamment Soline Roy et Cécile Thibert, Florent Gouthière, Jean-Baptise Malet, les Décodeurs avec Samuel Laurent, CheckNews avec Olivier Monod… Est-ce partagé par le collectif ? Il faudra bien se mettre d’accord pour faire la curation des très bons journalistes scientifiques dont parlait Pierre-Antoine dans mon précédent billet. Et je m’interroge sur le fait que ce n’est pas ce qui est renvoyé dans ma timeline.

À ce sujet, autre chose me perturbe : en décembre 2017, un autre collectif mené par Olivier Monod justement avait fait paraître une tribune “Les fausses informations scientifiques sont des fake news comme les autres” dont beaucoup de signataires ont critiqué par la suite la tribune #NoFakeScience, malgré leur air de famille évident (rappelé par Virigine Tournay). Pourquoi ? Qu’est-ce qui fait qu’ils n’ont pas soutenu cette version de la même idée ? Ceci mériterait d’être approfondi.

Concernant Stéphane Foucart, je vois que les positions sont irréconciliables. Certains ont balayé d’un revers de la main tout mon billet à cause de ce seul paragraphe, d’autres me disent qu’ils l’exècrent. Le tribunal de l’Histoire jugera… Certains faits spécifiques sont remontés concernant les articles de Stéphane Foucart. Deux avancées quand même : S. Foucart a concédé que son tweet sans commentaires avec les deux graphiques sur les néonicotinoides aurait dû être accompagné d’un commentaire ; et j’ai découvert un fil de Yannick Nassol retweeté par @scienti_geek, qui arbore le hashtag #NoFakeScience et qui est très Foucart-compatible. Mais à quel point est-ce que les signataires de la tribune, ou ses rédacteurs, l’approuveraient ? Bonne question… car le collectif semble admettre plus facilement un biais pro-OGM ou pro-nucléaire qu’un biais anti-agences d’évaluation.

Enfin, concernant le ton : certains #NoFakeScience manient le sarcasme, ou attaquent très vivement. Ceci est très dommageable, même si je peux comprendre l’agacement. Mais heureusement que la très grande majorité a été très patiente et constructive.

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Journalisme scientifique, #NoFakeScience et idéologie

Je ne me suis pas exprimé sur la tribune #NoFakeScience, laquelle réclame un meilleur traitement scientifique des faits journalistiques, car j’étais gêné par ce texte dont je devrais pourtant partager les objectifs. Après tout, moi aussi j’ai ouvert ce blog pour corriger des erreurs manifestes des médias (voir par exemple ce billet de 2006) ! Mais au fil du temps, en observant le comportement des signataires voire des auteurs de la tribune, mon malaise s’est accentué et j’ai pu commencer à mettre des mots dessus.

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Top 10 des romans à teneur scientifique lus en 2018

J’ai lu très exactement 20 romans en 2018, en baisse continue depuis 2015 ! De tous ces romans, goût personnel oblige, un nombre non négligeable est à consonance scientifique. Voici une sélection personnelle de ceux dont je recommande la lecture (et, pour mémoire, les listes de 2014, 2015, 2016 et 2017) :

N° 9 : ReVISIONS coordonné par Julie E. Czerneda et Isaac Szpindel, 2004

Et si la découverte du laser ou de la génétique était arrivée plus tôt dans l’Histoire ? Et si l’on ignorait tout de la domestication du chien ou de la structure du système solaire ? Et si les Sumériens avaient inventé l’imprimerie et les Américains avaient rendu Internet illégal ? Ce recueil montre que l’uchronie, puisque c’est de ce genre qu’il s’agit, se marie bien à l’histoire des sciences. Mon goût personnel m’a porté particulièrement vers les nouvelles mettant en scène Nikola Tesla, ou Dr. Joseph Bell et Arthur Conan Doyle.

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N° 8 : Lab Girl de Hope Jahren, 2016

Ce récit autobiographique d’une géobiologiste et géochimiste américaine, encensé par la critique, m’a laissé sur ma faim. Les anecdotes se succèdent à un rythme effréné, la vulgarisation est réduite à la portion congrue, et le tout manque de poésie ou d’une vision singulière de la science. Dans ce genre, Seed to Seed reste indépassable. J’ai néanmoins apprécié de découvrir ces disciplines très transverses qui mèlent analyses chimiques et isotopiques, histoire de la Terre et de son climat, étude du sol et du sous-sol, et biologie des organismes ; et l’auteure a le mérite de ne rien cacher de son début de carrière très chaotique, semé d’embûches mais pas de financements.

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N° 7 : Le Sommeil de la raison de Juan Miguel Aguilera, 2006

Les sorcières étaient considérées par l’historien Jules Michelet comme des précurseurs médiévales des scientifiques, mues par le désir de savoir et s’occupant des naissances, de la mort et de la sexualité : La sorcière a péri, devait périr. Comment ? Surtout par le progrès des sciences mômes qu’elle a commencées, par le médecin, par le naturaliste, pour qui elle avait travaillé. Dans ce roman situé en Europe en 1516, nous suivons un membre du clergé, le jeune roi Charles Quint, un jeune intellectuel proche d’Erasme — Juan Luis Vives — qui élabore le premier traité de psychologie, et une sorcière donc… Détonnant croisement de visions du monde au début de la Renaissance.

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N° 6 : L’Agonie du globe de Jacques Spitz, 1935

Ce roman d’anticipation, qui m’a été recommandé par Alexandre Moatti, met l’humanité face à sa perte : alors que la Terre se scinde en deux, tous les regards se tournent vers les scientifiques pour expliquer ce qui arrive et prévoir ce qui va arriver. Alors, un curieux mouvement se fit jour dans l’opinion des foules : elles firent grief aux hommes de science de leur impuissance, de même que le malade en veut au médecin qui ne peut le guérir. Était-ce la peine, se disait-on, d’entretenir à grands frais des Universités, des Laboratoires, des Facultés, pour n’en tirer que des parlotes sans efficacité ? Le ressentiment de l’homme moyen peut s’évaluer au détail suivant : lors d’une journée des laboratoires qui, selon la coutume, fut organisée en Angleterre au profit de l’Université de Cambridge, l’appel fait à la charité publique, au lieu des milliers de livres sterlings attendus, ne donna que des shillings. En France on disait péremptoirement : “Le monde n’a pas besoin de savants”.

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N° 5 : The Need for Better Regulation of Outer Space de Pippa Goldschmidt, 2015

Inédit en français, ce recueil de nouvelles alterne entre les grandes figures historiques (Oppenheimer, Einstein, Turing…) et des récits contemporains de laboratoire. Toujours poétiques, toujours inventives, les histoires de Goldschmidt (qui est docteure en astronomie et a reçu plusieurs bourses d’écriture dans des laboratoires de recherche) parviennent à faire toucher du doigt la nature du travail scientifique sans s’interdire la métaphore, la rêverie… qui donnent un supplément d’âme à ce recueil.

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N° 4 : Le Rêve de Galilée de Kim Stanley Robinson, 2009

Dans ce roman, le grand auteur de SF Robinson jongle entre récit historique et space opera. La deuxième partie m’a laissé assez froid, par contre le travail historique est remarquable pour comprendre le caractère de Galilée et ses démêlés avec l’Inquisition jusqu’à sa condamnation en 1633. Le tour de force de Robinson est, notamment, de citer de longs extraits des écrits de Galilée (qu’on lit rarement, avouons-le) ! Apparemment la traduction française est truffée de mauvaises interprétations physiques, comme moi préférez donc la version originale en anglais.

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N° 3 : The Sky’s Dark Labyrinth de Stuart Clark, 2011

Stuart Clark est docteur en astrophysique et un des auteurs les plus renommés sur ce sujet en Grande-Bretagne. Dans ce premier roman d’une trilogie, non traduite en français, il se mêle d’histoire des sciences pour nous conter en parallèle les combats menés par Johannes Kepler et Galileo Galilei pour comprendre les astres et sortir d’une interprétation fantaisiste (celle d’Aristote) ou religieuse (celle de la Bible) de la voûte céleste. Le résultat est très réussi, avec le même souci de véracité historique que chez Kim Stanley Robinson, mais sans sa fantaisie et avec deux personnages historiques au lieu d’un. Les deux tomes suivants de la trilogie s’intéressent à Isaac Newton et à Albert Einstein, un bon moyen de parcourir plusieurs siècles d’histoire de la physique !

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N° 2 : Samedi de Ian McEwan, 2005

Ian McEwan, habitué de ce classement, apparaît pour la troisième fois après Délire d’amour et Solaire. Ce roman met en scène un neurochirurgien réputé, qui devrait se tirer de situations compliquées au cours d’une seule et même journée. Encore une fois, l’auteur se documente le plus possible, en l’occurrence sur la technique chirurgicale et les concepts scientifiques. Extrait : il reste en partie dans son rôle de praticien capable de diagnostiquer un manque de maîtrise de soi, une émotivité excessive, un tempérament explosif sans doute dû à un taux insuffisant de GABA sur les récepteurs spécifiques de certains neurones. D’où, certainement, une incidence négative sur la présence de deux enzyme dans le corps strié et le pallidum latéral — l’acide glutamique décarboxylase et l’acétylcholine. Pour une large part, les rapports humains se jouent au niveau moléculaire.

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N° 1 : Le Traquet kurde de Jean Rolin, 2018

Le Traquet kurde nous entraîne dans une exploration ornithologique, à la recherche de l’oiseau du même nom. De la Turquie au Banc d’Arguin en passant par le Puy de Dôme et la Jordanie, le lecteur découvre tout l’exotisme de ces observations documentées, le scandale de quelques voleurs et faussaires notoires, et le folklore des revues et ouvrages spécialisés. En voici un extrait significatif : Dans le compte-rendu de ce séjour, s’étendant sur les mois de mars, avril, mai et juin 1959, qu’à son retour il publie dans la revue Alauda (et dans lequel plusieurs notes, relatives par exemple à la reproduction du goéland railleur dans le golfe Persique, renvoient au chef-d’œuvre de Mainertzhagen, Birds of Arabia), le père de Naurois, malheureusement, se conformant aux usages des revues scientifiques, ne dit rien de ses conditions matérielles d’existence – que mangeait-il, où dormait-il, comment disait-il la messe, car il est certain qu’il la disait, dans cet environnement –, même s’il mentionne une “vedette”, sans doute mise à sa disposition par l’administration, qui dut faire office de camp de base pendant la durée de l’expédition.

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Top 7 des romans à teneur scientifique lus en 2017

J’ai lu très exactement 27 romans en 2017, en baisse continue depuis 2015 ! De tous ces romans, goût personnel oblige, un nombre non négligeable est à consonance scientifique. Voici une sélection personnelle de ceux dont je recommande la lecture (et, pour mémoire, les listes de 2014, 2015 et 2016) :

N° 7 : Some of us glow more than others de Tania Hershman, 2017

En 140 pages, ce recueil livre 41 histoire courtes souvent empreintes de science. Je retiens notamment Switchgirls raconté du point de vue des rats de laboratoire ; The Plan or You Must Remember This qui décrit en quelques chapitres antéchronologiques une expérience sur cobaye humain, de son terme à son début ; The Party où des biochimistes sont l’attraction d’une soirée réunissant des physiciens, mathématiciens… et même un prix Nobel ; et There is No-One In the Lab Tonight But Mice qui décrit avec ironie une grève surprise des chercheurs du monde entier, pendant un an : A simpler time, we said, who needs constant novelty? Besides, we wrote, who really undrstood what the scientists were doing anyway? We couldn’t read their journal articles, their reports. We’re better off like this, we said cheerfully.

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N° 6 : Les Veilleurs de Connie Willis, 2015

Cette anthologie d’une auteure que j’ai déjà cité sur ce blog nous emmène dans une science-fiction simple, loin des vaisseaux spatiaux et des civilisations post-apocalyptiques. Deux nouvelles en particulier méritent de figurer dans ce classement : “Au Rialto” raconte un congrès de physique quantique complètement loufoque, où les choses ne sont pas ce qu’elles semblent. Effet du principe d’incertitude, du paradoxe EPR ?… “Infiltration” est un texte zététique qui s’amuse à démasquer les spirites et autres médiums, dans un hommage appuyé à H. L. Mencken (le fameux “procès du singe” est même mentionné).

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N° 5 : Intrusion de Ken MacLeod, 2012 (non traduit en français)

Dans un futur proche, la biologie de synthèse fournit des améliorations pour la santé et l’environnement… que la surveillance généralisée et la pression sociale (“transparence”) a rendues obligatoire. Que devient la liberté individuelle, du libre arbitre ? L’intrigue tourne autour d’un médicament à prendre, ou pas, pendant la grossesse pour modifier le génome du fœtus et éviter les tares, les maladies infantiles… En prime, un des personnages mène une thèse en sociologie des sciences intitulée “Convergent agent-constitutive discursive practices in emergent technological networks: the case of a dry-lab synthetic biology team”. L’auteur ironise même quelque peu sur cette discipline

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N° 4 : L’Homme qui mit fin à l’histoire de Ken Liu, 2011

Un couple de chercheurs, lui historien, elle physicienne, invente un moyen emprunté à la physique quantique des particules pour retourner dans le passé. Une seule et unique fois par période visitée, pour une seule et unique personne, et sans aucune possibilité pour l’observateur d’interférer avec l’objet de son observation… Première destination : les exactions perpétrées par l’unité 731 de l’armée japonaise dans la Mandchourie occupée. (À noter que la nouvelle peut être lue gratuitement en anglais sur le site de l’auteur.)

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N° 3 : Jamais avant le coucher du soleil de Johanna Sinisalo, 2000

Finlande. Ange rentre d’une soirée où il a un peu bu, aperçoit une bande de jeunes qui malmène un enfant petit, mince, et pelotonné dans une posture étrange, comme totalement désarticulé : un troll d’un an, dix huit mois tout au plus. Ange va le recueillir chez lui, et apprendre à l’apprivoiser. Entremêlé d’extraits de contes et légendes, d’ouvrages zoologiques et de faits divers tirés de la presse, ce roman nous émeut, nous fait réfléchir, et nous secoue les tripes quand les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu !

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N° 2 : La recherche de l’Absolu d’Honoré de Balzac, 1834

Un riche Flamand se prend de passion pour la chimie : Balthazar se passionna pour la science que cultivait Lavoisier et devint son plus ardent disciple. Pour découvrir le secret de l’Absolu, c’est-à-dire l’unité de la matière, il va ruiner et mettre à l’épreuve sa famille : Je le vois, la science est plus puissante en toi que toi-même, et son vol t’a emporté trop haut pour que tu redescendes jamais à être le compagnon d’une pauvre. Une vision balzacienne de l’hubris du scientifique, abandonnant la vie domestique pour une quête démesurée. Selon Jacques Bergier, Balzac se passionnait pour les merveilles de la chimie et on retrouve dans ce roman des échos de Frankenstein.

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N° 1 : Le Roman du mariage de Jeffrey Eugenides, 2011

Ce roman met en scène un trio d’étudiants en études littéraires, en théologie et en biologie. Du coup, l’auteur de Virgin Suicides nous offre des scènes très réalistes en labo de recherche, avec le coup de théâtre d’un Prix Nobel attribué à un personnage inspiré par Barbara McClintock : Depuis trente-cinq ans, elle inspectait son maïs avec une patience mendélienne, sans que personne ne l’encourage ni ne lui donne son avis sur son travail. Elle se contentait de venir travailler chaque matin, guidée par son processus de découverte, oubliée du monde et s’en moquant. Et aujourd’hui, brusquement, la consécration : le Nobel, la justification d’une vie de travail. Elle avait l’air heureuse mais on voyait que ce n’était pas après ça qu’elle courait.

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Trouver l'auteur : sociologie de la sociologie des sciences

Presque 9 ans après la précédente, je vous soumets cette devinette estivale. Qui a écrit cette abîme, cynique, de sociologie des sciences (en VO) :

The question of what institutional and economic and political interests actually benefited from social science research into science was itself a small but thriving area of social science research, and the question of who benefited from that research was a smaller area still. The one researcher who had taken the next logical step and investigated who benefited from research into research into research into research had concluded that the only beneficiary of his research was himself, a result so significant that its publications had ensured him a professorship at the University of Edinburgh.

J’attends de lire vos idées en commentaires :-) (moteurs de recherche interdits !)

[MàJ 18/08] : Il s’agit du roman de science-fiction dystopique Intrusion, de Ken MacLeod. Une des personnages y mène une thèse en sociologie des sciences, l’auteur ayant été inspiré par son séjour comme writer in residence dans l’unité de recherche ESRC Genomics Policy and Research Forum à l’université d’Edimbourg. On y trouve également cette réflexion :

And, of course, she was keeping a careful record of her own activities, for possible future use. I’ll take reflexiviy to a whole new level! she’d said. The political economy of the promise of the political economy of the promise of promise!

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Faut-il encore interroger les candidat.e.s sur leur politique scientifique ?

Cette tribune a été publiée par Le Monde sous le titre « L’exercice du questionnaire aux politiques est inutile et dépassé »

En 2011 j’étais l’un des fondateurs de l’initiative “Votons pour la science” qui visait à interpeller les candidat.e.s à la présidentielle française sur une série de questions, afin de comprendre comment ils/elles appréhendaient les questions scientifiques et se positionnaient sur les thématiques suivantes : énergie, éducation, régulation des technologies et organisation de l’expertise, innovation. Portée par des passionnés qui font vivre depuis plus de 10 ans le débat scientifique à travers blogs, sites web, chaînes Youtube et comptes Twitter, “Votons pour la science” succédait à des mobilisations de blogueurs de science initiées aux États-Unis (élection présidentielle de 2008) puis au Canada (élection fédérale de mai 2011). L’exercice a fait florès : l’élection présidentielle de 2013 au Chili, l’élection du président du conseil de 2013 en Italie, l’élection présidentielle de 2016 aux États-Unis… ont toutes eu leur questionnaire de politique scientifique.

Pourtant, nous avons choisi de ne pas renouveler l’initiative pour les élections présidentielles de 2017. Non pas que l’exercice n’intéresse plus : les journalistes scientifiques réunis au sein de l’AJSPI d’une part, et les prestigieux scientifiques signataires de Science-et-technologie.ens.fr d’autre part, ont d’ores et déjà publié leur questionnaire en ligne. Mais nous arguons qu’il est inutile et dépassé. Certes, huit candidat.e.s, plus deux candidat.e.s à la primaire socialiste, nous avaient répondu : de quoi comparer largement leurs programmes ! Nous apprenions ainsi que Jacques Cheminade est fasciné par les nouvelles sources d’énergie (anti-matière, supraconductivité, stockage par chaleur sensible ou chaleur latente…) ; que Marine Le Pen s’entoure d’experts ayant “une réelle pratique de la science et [ayant], pour certains d’entre eux, poursuivi une carrière scientifique de premier plan” afin “de bien comprendre les grands enjeux associés à certaines problématiques scientifiques” ; qu’Eva Joly veut “faire des universités un lieu de formation majeur des cadres du pays” ; que Jean-Luc Mélenchon souhaite “inscrire dans la Constitution le droit des citoyens à intervenir dans le développement de la recherche”. C’était éclairant…

À peine François Hollande élu, il multiplia les signes de bonne volonté en déposant une gerbe en hommage à Marie Curie et en saluant les chercheurs amassés à l’Institut Curie. Jusqu’au choc de mi-mandat : le 17 octobre 2014, Sciences en marche mobilisait massivement la communauté scientifique contre la crise profonde traversée par le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche. Dans son discours à la tribune, le chercheur Pascal Maillard mettait le président Hollande face à ses engagements de campagne présentés sur notre site : redéployer une partie du Crédit impôt recherche pour les organismes et les Universités, revenir sur les financements de projets à court terme qui n’incitent pas à la prise de risque et qui enferment la recherche dans le conformisme, reconnaître le doctorat dans les grands corps d’État. En pratique, ce programme fut préparé par le député Jean-Yves Le Déaut, qui couvrait avec Geneviève Fioraso les sujets liés à l’innovation et à la recherche ; une fois élu, Hollande nomma Fioraso au Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et s’entoura de conseillers à l’Elysée d’où Le Déaut était absent. Quel poids ces “promesses” peuvent-elles donc avoir quand la parole politique est de plus en plus discréditée et les contraintes du pouvoir (notamment budgétaires) de plus en plus fortes ? N’engagent-elles que celles et ceux qui y croient ?

En 2012, nous avons vu les équipes de campagne remplir des questionnaires à tout va, émanant de groupes d’intérêt divers et variés où les scientifiques ne semblaient pas avoir plus de poids que les chasseurs ou le secteur des services à la personne… alors que les valeurs scientifiques sont menacées de toute part. La guerre culturelle dans laquelle nous sommes entrés pour faire face à la désinformation, à la post-vérité, aux biais cognitifs (écho de croyance, raisonnement motivé…) – auxquels n’échappent aucun bord politique – nécessite autre chose qu’un petit clientélisme s’attachant à quelques points de programme. Quand tout un système de valeurs fondamentales est mis en cause, la vigilance de tous les instants, la dénonciation, l’éducation… s’imposent à nous. Selon le politologue Brendan Nyhan cité par Hubert Guillaud, nous n’avons pas connu d’âge d’or démocratique : les faits n’ont jamais dominé l’opinion publique, les médias ou le discours politique. Voilà sur quoi il faut se battre, à l’instar de ces scientifiques américains qui s’engagent en politique depuis la victoire de Trump et se présentent aux élections sénatoriales de 2018 — sans que des questionnaires nous soient d’aucun secours.

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Top 7 des romans à teneur scientifique lus en 2016

J’ai lu très exactement 36 romans en 2016, en baisse de 6 ouvrages par rapport à mon bilan de 2015 ! De tous ces romans, goût personnel oblige, un nombre non négligeable est à consonance scientifique. Voici une sélection personnelle de ceux dont je recommande la lecture (et, pour mémoire, les listes de 2014 et 2015) :

N° 7 : When it changed dirigé par Geoff Ryman, 2009

Cette anthologie de science-fiction propose des nouvelles inédites d’auteurs débutants ou confirmés, inspirées par les recherches de chercheurs britanniques. L’histoire que cette rencontre leur a inspirée est suivie d’un bref commentée du chercheur concerné. Cette initiative originale donne un résultat mitigé, pas mémorable, à l’exception du “Enigma” de Liz Williams qui met en scène de manière touchante Alan Turing et Ludwig Wittgenstein.

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N° 6 : Seventeen Coffins de Philip Caveney, 2014

Il s’agit du deuxième tome d’une série pour adolescents, non traduite en français. Pourquoi est-ce que je lis ça ? Parce que ça se passe à Edimbourg, à différentes périodes de l’Histoire selon les voyages dans le temps du personnage principal. Ce tome nous entraîne en 1830, quand Charles Darwin est connu par les habitants d’une manière décalée : Our University professer told me about him. He reckons he’s an idiot. He was studying medicine under Dr Munro, here in Edinburgh, but he threw it all up in the second year and moved to England to study natural history, of all things. (…) Ruined a promising career.

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N° 5 : Épépé de Ferenc Karinthy, 1970

Voici une fable étrange qui oscille entre Swift, Kafka et Perec, avec les tribulations d’un linguiste perdu dans une ville dont il n’arrive pas à comprendre la langue. Un choc pour ce spécialiste qui croit en son intuition, en sa rapidité de compréhension, en sa faculté d’approfondissement, en son inspiration, qualité indispensable à la recherche scientifique, et peut-être en la chance qui généralement a accompagné jusque-là sa carrière, ce qu’il a commencé il a le plus souvent pu l’achever. Il est rompu à la réflexion méthodique, c’est son métier, son gagne-pain (p. 107).

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N° 4 : Histoire des siècles futurs de Jack London, 1908-1912

Ce recueil de nouvelles, d’un écrivain plutôt connu pour ses romans d’aventures, surprend. Il n’a rien à envier aux pionniers de l’anticipation que furent J.H. Rosny aîné ou H.G. Wells. Deux nouvelles en particulier m’ont intéressé pour leur personnage principal de scientifique. Dans L’Ennemi du monde entier, un savant fou qui fut maltraité dans son enfance, un des hommes de génie les plus infortunés du monde, doué d’une merveilleuse intelligence, la met au service du mal au point de faire de lui le plus diabolique des criminels. Dans Goliath, un génie bienfaiteur, surhomme scientifique découvreur de l’Energon qui n’est rien d’autre que l’énergie cosmique contenue dans les rayons solaires, force tous les gouvernements du monde au désarmement, à la nationalisation des moyens de production et à la justice sociale. Même les professeurs de sociologie, ces vieux balourds, qui s’étaient opposés par tous les moyens à l’avènement de l’ère nouvelle, ne se plaignaient plus. Ils étaient vingt fois mieux rémunérés qu’autrefois et travaillaient beaucoup moins. On les occupa à réviser la sociologie et à composer de nouveaux manuels sur cette science.

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N° 3 : Délire d’amour de Ian McEwan, 1997

Voici un roman poignant dont le héros est un journaliste scientifique et auteur d’ouvrages de vulgarisation. Sans dévoiler l’intrigue, c’est un thriller psychologique avec la science en toile de fond, qui ose même se conclure sur un article scientifique ! À noter qu’Ian McEwan figurait déjà dans mon palmarès 2014 avec Solaire.

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N° 2 : Expo 58 de Jonathan Coe, 2013

Ce roman drôle et touchant à la fois nous plonge dans l’Exposition universelle organisée à Bruxelles en 1958, dans une phase d’optimisme sans précédent quant aux avancées scientifiques récentes dans le champ du nucléaire, d’où le fameux Atomium. On y croise Sir Lawrence Bragg, directeur de la Royal Institution, et un développement sur la vision de “l’Homme du XXIe siècle” des scientifiques soviétiques.

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N° 1 : Ce qu’il advint du sauvage blanc de François Garde, 2012

Cette version romancée de l’histoire vraie de Narcisse Pelletier, jeune mousse vendéen abandonné sur les côtes australiennes et recueilli par une tribu aborigène, est passionnante par sa construction et son témoignage anthropologique. Les membres de la Société de géographie, qui tentent d’en savoir plus sur les”sauvages” de ces contrées du Pacifique, en prennent pour leur grade. Mais le livre, qui a reçu le Prix Goncourt du premier roman, n’est pas exempt de reproches non plus : il faut en prolonger la lecture par la passionnante analyse qu’en livre l’anthropologue Stephanie Anderson. Pour comprendre que cet ouvrage n’est pas tant un témoignage sur les mœurs étranges de certaines tribus sauvages qu’un révélateur de la vision ethnocentrée que nous pouvons en avoir ; et pour s’interroger sur le statut de ces fictions basées sur des faits réels, qui donnent surtout envie de revenir aux sources historiques

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Le "publish or perish", coupable idéal de la fraude scientifique

Toujours à propos de la fraude scientifique, un discours omniprésent ces derniers mois n’a de cesse de m’agacer : le fait de mettre la hausse des cas de fraude sur le dos de la pression à la publication, le fameux “publish or perish”.

La pression à la publication est un coupable idéal mais je tiens à rétablir son innocence ! Le raisonnement semble logique : à trop demander des résultats aux chercheurs, on les pousse à s’affranchir des règles de bonne conduite et à plagier, à fabriquer ou falsifier des résultats… Et pourtant, c’est démenti par une étude intitulée on ne peut plus explicitement “Misconduct Policies, Academic Culture and Career Stage, Not Gender or Pressures to Publish, Affect Scientific Integrity”. Ses auteurs ne sont pas des inconnus : l’un, Vincent Larivière, est spécialiste de scientométrie (l’étude de la dynamique scientifique à partir des publications) ; l’autre, Daniele Fanelli, de méta-revues et d’éthique de la recherche.

Qu’ont-ils montré exactement ? Par une étude multifactorielle de 611 articles rétractés (suite à une fraude) et 2226 articles ayant fait l’objet d’un erratum (suite à une erreur honnête) en 2010-2011, ils ont corrélé la probabilité des premiers et derniers auteurs de frauder ou d’être intègre respectivement, avec des facteurs de risque psychologiques, sociologiques et structurels :

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Ils concluent que le sexe des auteurs n’est pas statistiquement significatif, que la fraude a plus de risque de se produire dans les pays qui n’ont pas de code de conduite, où la critique des pairs l’emporte sur le respect de l’autorité, où la performance est rétribuée financièrement, et au début de la carrière des chercheurs. La probabilité de frauder étant plus faible dans les pays où la performance de publication détermine l’évolution de carrière et le financement de la recherche, ils concluent que the widespread belief that pressures to publish are a major driver of misconduct was largely contradicted: high-impact and productive researchers, and those working in countries in which pressures to publish are believed to be higher, are less-likely to produce retracted papers, and more likely to correct them.

Les mêmes auteurs ont remis le couvert il y a quelques mois en montrant que le taux de publication individuel des chercheurs n’avait pas augmenté depuis un siècle. Ce qui a augmenté c’est le nombre d’article en collaboration, mais quand on compte chaque article comme une fraction du nombre d’auteurs de l’article alors l’effet disparaît. Par conséquent : the widespread belief that pressures to publish are causing the scientific literature to be flooded with salami-sliced, trivial, incomplete, duplicated, plagiarized and false results is likely to be incorrect or at least exaggerated.

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Je n’ai pas encore trouvé d’explication à la propagation de ce mythe, à part qu’il permet de blâmer les agences de financement et la culture de l’évaluation à tout va, dont beaucoup de chercheurs se passeraient bien volontiers…

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Fraude et intégrité scientifique : lettre ouverte à l'Académie des sciences

Monsieur le Président Bernard Meunier,
Madame la Secrétaire perpétuelle Catherine Bréchignac,
Monsieur le Secrétaire perpétuel Jean-François Bach,

en tant que citoyen, je m’honore de contribuer à la culture scientifique de ce pays et de ses habitants. Depuis 10 ans, je tiens sur mon blog « La science, la cité » la chronique des bonnes et mauvaises relations entre science et société. Ce rôle de vigie, j’aimerais le partager avec notre assemblée la plus auguste, siégeant quai Conti.

Statutairement, l’Académie exerce cinq missions fondamentales : encourager la vie scientifique, promouvoir l’enseignement des sciences, transmettre les connaissances, favoriser les collaborations internationales et assurer un rôle d’expertise et de conseil. L’exemplarité éthique n’en fait pas partie mais c’est une responsabilité qui lui est reconnue de fait :

  • le rapport de Pierre Corvol propose de « mieux impliquer les Académies en matière d’intégrité dans les sciences et faire la promotion de leurs travaux dans la matière » (Proposition n° 13)
  • le Président Hollande, dans son discours de ce jour, désigne les scientifiques de l’Académie comme un rempart contre les « égarements » des « charlatans ».

Vous comprendrez ma colère et mon incompréhension du fait que l’Académie des sciences accueille en son sein un fraudeur notoire, à l’origine du plus grand scandale de fraude scientifique en France depuis l’affaire Bihain dans les années 1990. Olivier Voinnet, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a été suspendu par [MàJ 16/10] ses employeurs, l’ETH Zürich et son employeur le CNRS. Mme la Secrétaire perpétuelle Catherine Bréchignac peut mesurer la gravité de cette décision puisqu’elle a dirigé pendant cinq ans le CNRS, et qu’elle n’a jamais eu à prononcer une telle sanction.

Par conséquent, je tenais à vous exprimer ma révolte et à lire la défense que vous voudrez bien m’opposer. Dans cette attente, je vous prie de croire, chers membres du Bureau de l’Académie des sciences, ma considération la plus distinguée.

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[MàJ 28/09] Ceux qui ont suivi l’affaire Voinnet et savent déjà qu’il est membre de l’Académie des sciences me demandent s’il y a du nouveau le concernant. La réponse est non. Ce qui a motivé mon courrier c’est que l’Académie, très exposée en cette année de son 350e anniversaire, se pare de plus en plus d’une probité qu’elle ne me paraît pas mériter. On me demande également s’il est possible d’exclure un membre de l’Académie. Ses statuts prévoient que tout Membre, à compter du jour où son élection a été approuvée par le Président de la République, jouit durant sa vie entière de la totalité des droits que lui confère son élection, sans limitation aucune sauf celle prévue à l’article 25 des présents Statuts.. Rien n’est donc prévu pour exclure les brebis galeuses ; et on ose nous parler d’exemplarité…

[MàJ 14/10] En toute discrétion (je le dois à FX Coudert qui l'a repéré et tweeté), l'Académie des sciences a publié un communiqué de presse où elle annonce qu'Olivier Voinnet a été élu à l’Académie des sciences en novembre 2014 avant la mise en cause de plusieurs de ses publications. À ce jour, il n’a pas été reçu sous la Coupole, acte solennel d’intronisation de tous les membres de l’Académie des sciences. Dès que les conclusions de la commission mixte CNRS-ETH seront connues, notre Académie prendra alors les décisions nécessaires. Pendant cette période d’attente, notre Compagnie s’abstiendra de tout commentaire. Ce que je ne comprends pas c'est que le chercheur sur lequel porte l'investigation CNRS-ETH en cours n'est probablement pas O. Voinnet (mais l'un de ses co-auteurs). Pourquoi donc attendre le résultat de cette enquête dont les détails ne sont pas connus alors que celle qui portait sur O. Voinnet est terminée et a conduit à sa suspension ?!

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Top 10 des romans à teneur scientifique lus en 2015

J’ai lu très exactement 42 romans en 2015, ce qui améliore encore mon bilan de 2014 ! De tous ces romans, goût personnel oblige, un nombre non négligeable est à consonance scientifique. Voici une sélection personnelle de ceux dont je recommande la lecture (et, pour mémoire, la liste de 2014) :

N° 11 : Le Triste destin de Kitty da Silva d’Alexander McCall Smith, 2005 (in One City)

Une jolie histoire de cœur et d’interculturalité par l’auteur des Chroniques d’Edimbourg et ancien professeur de droit de la médecine — ou comment un jeune indien arrive à Edimbourg avec son diplôme de médecine pour intégrer un laboratoire de recherche sur les cellules souches.

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N° 10 : Le Cerveau à sornettes. Traité de l’Évitisme de Roger Price, 1951

L’évitisme est une théorie philosophico-humoristique inventée par Roger Price et recommandée par Georges Perec en préface (C’est drôle ? Oh oui ! C’est drôle. Vous me jurez que c’est drôle ? Je vous jure que c’est drôle. C’est américain ? Oui, c’est américain, mais c’est quand même drôle.). Ce n’est pas pour rien qu’on y trouve un air de famille de Cantatrix sopranica L. dudit Perec. Extrait : Vous remarquerez que la femelle Néandertal était également dotée d’un physique très primitif. Certaines mutations typiquement féminines ne s’étaient pas encore produites. je veux parler du buste, bien sûr. Le buste ne fut découvert que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle — époque où l’on inventa la publicité.

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N° 9 : La Machine à différences de William Gibson et Bruce Sterling, 1991

Une uchronie qui vaut plus par son univers proche de “La véritable Histoire du dernier roi socialiste” que par son intrigue trop compliquée. On y croise Francis Galton (devenu Lord Galton), Charles Darwin, Ada Lovelace, Edward Mallory… dans un monde steampunk où les machines analytiques inventées par Charles Babbage servent à l’anthropométrie criminelle des services de la police, au fichage de la population par le ministère de l’intérieur, aux calculs scientifiques de l’Institut d’analyse machinisme de Cambridge, à la projection d’images animées des théâtres publics…

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N° 8 : L’Autre univers de Poul Anderson, 1955 (in La Patrouille du temps)

Il s’agit cette fois d’un voyage dans le temps qui se transforme en uchronie : deux patrouilleurs chargés de protéger la structure de l’Histoire, débarquent dans New York en 1955 qui ne ressemble plus du tout à celui qu’ils connaissent. Véhicules à vapeur, aucun éclairage urbain, ni bombe atomique ni pénicilline : ce monde semblait pratiquer des méthodes empiriques, sans disposer d’une véritable ingénierie. Le point de divergence entre ce monde et le nôtre ? La culture Celte aurait pris le pas sur l’Empire romain et les Juifs auraient disparu très tôt. Sans judaïsme pas de christianisme, donc pas de monothéisme, or l’idée médiévale d’un dieu unique et tout-puissant était capitale pour la science, car elle supposait la notion de l’ordre de la nature. Les premiers monastères ont sans doute eu la paternité de l’invention, essentielle, des horloges mécaniques, du fait qu’ils observaient des heures régulières pour la prière. Il semble que les horloges ne soient venues que tard dans ce monde-ci.

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N° 7 : Frankenstein de Mary Shelley, 1818

Voilà un immense classique, qui mérite toujours d’être (re)lu… pour s’apercevoir que ce n’est pas un roman d’horreur gothique mais plutôt un roman emprunt de romantisme (avec des descriptions lyriques des Alpes et des Highlands) et un roman de sentiments plutôt que d’aventure. Le personnage de Victor Frankenstein est énormément travaillé : c’est bien le “savant fou” qui est resté dans l’imaginaire collectif mais ses passions, son histoire, sa morale sont décrits en détail. Une hubris qui se résume en deux phrases, de l’ascension (quelle gloire ne résulterait pas de ma découverte, si je pouvais bannir du corps humain la maladie, et, hors les causes de mort violente, rendre l’homme invulnérable ?) à la chute (apprenez de moi, sinon par mes préceptes, du moins par mon exemple, combien il est dangereux d’acquérir la science, et combien plus heureux est l’homme qui prend sa ville natale pour l’univers, que celui qui aspire à une grandeur supérieure à ce que lui permet sa nature).

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N° 6 : Frankenstein délivré de Brian W. Aldiss, 1973

Ce roman est à lire juste après le précédent : Brian Aldiss imagine qu’un voyageur du temps rencontre le Dr Frankenstein et essaye d’agir sur les événements que nous, lecteurs, connaissons grâce à Mary Shelley. C’est jouissif de voir le narrateur remonter les bretelles de Frankenstein et tenter d’en faire un être meilleur. Le texte est également parsemé de réflexions sur la responsabilité du scientifique : Frankenstein n’était pas Faust, vendant son âme immortelle à Satan en échange de la puissance. Frankenstein ne voulait que la Connaissance — ne faisait, si l’on veut, que de la recherche. Il voulait mettre le monde en ordre. Il voulait trouver les réponses aux énigmes de la vie.

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N° 5 : La Double hélice de James Watson, 1968

Ce n’est pas un roman, mais ça se lit comme un roman : l’histoire de la découverte de la structure de l’ADN racontée par l’un de ses co-découvreurs. Dans une interview au Time en 2003, interrogé sur sa “deuxième plus grande réalisation”, Watson répondit : écrire La Double hélice. Je pense que ce livre durera. Personne d’autre n’aurait pu l’écrire. Et comment ! C’est un autoportrait sans concession de Watson l’américain, le macho, l’ambitieux.

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N° 4 : La Statue intérieure de François Jacob, 1987

Une autre autobiographie de chercheur, magnifiquement écrite, qui va de l’enfance de l’auteur jusqu’à son 10e Noël à l’Institut Pasteur. La première moitié est riche des péripéties de la Seconde Guerre mondiale et aux théâtres de combats dans lesquels est engagé Jacob ; la seconde moitié correspond à ses débuts comme scientifique. On aurait envie d’apprendre de nombreux passages par cœur tellement il décrit à la fois avec exactitude et avec poésie le travail du chercheur, sans oublier de nous faire revivre ses découvertes liées à l’expression des gènes, qui lui vaudront le prix Nobel de physiologie.

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N° 3 : Un Blanc de Mika Biermann, 2013

Une expédition polaire qui tourne mal, une bande de scientifiques givrés, brossés à gros traits ridicules : Zout Würthimberg le géologue, Mikhaïl Arnoldowitsch Wobliètchenkov le sismologue, Jogen Ficiar l’ornithologue, Silva Dal le climatologue, Hanna Khor la cyanobactériologiste et Kora Pristine l’ichtyologue. Arriveront-ils à tirer un feu d’artifice depuis le pôle Sud pour le réveillon du 31 décembre 2000 ? Vous le saurez en lisant ce court roman polyphonique, qui joue avec le genre des “carnets d’expédition retrouvés”.

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N° 2 : L’Affaire Furtif de Sylvain Prudhomme, 2010

Un bateau mystérieux part de Lisbonne. Ses passagers sont inconnus, mais se dévoilent petit à petit… dont Toyo Sôseki, éminent naturaliste de l’Institut de Kyoto. Ce court roman joue avec les types de discours — au récit se mêlent des extraits de carnet de bord ou les débats entre philosophes et théologiens dans un colloque universitaire sur le sens de cette expédition. Une modernisation réussie du roman de pirates et de naufragés, où l’on va de surprise en surprise (si bien que je n’ose trop en dire pour ne pas en gâcher la lecture). Et cette phrase : C’est par paresse que l’homme a choisi de donner des noms aux plantes ; pour s’éviter la fatigue d’une observation chaque fois recommencée.

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N° 1 : Black-Out suivi de All Clear de Connie Willis, 2010

En 2065, les historiens d’Oxford ne se contentent plus d’explorer les archives et autres traces du passé : ils s’y plongent grâce au voyage dans le temps. Partis explorer la Grande-Bretagne de la Seconde Guerre mondiale, trois historiens vont se retrouver coincés à Londres pendant le Blitz et s’interroger sur la nature du continuum espace-temps (c’est un roman de science-fiction) : est-ce qu’ils peuvent intervenir sur les événements ? Quel est l’impact de leurs interventions ? Comment le continuum peut-il se rétablir ? Les deux tomes m’ont tenu en haleine cet été et je ne les ai plus lâchés jusqu’à la fin !

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Quelques réflexions à propos de l'affaire Voinnet

Depuis le mois de janvier, le biologiste des plantes Olivier Voinnet est dans la tourmente. Sur le site de commentaires par les pairs post-publication PubPeer, ce sont près de 40 articles étalés sur plus de 15 ans qui sont pointés du doigt. En cause, des données qui semblent trafiquées, notamment des figures de résultats expérimentaux qui semblent avoir été montées de toutes pièces sous Photoshop. Alors, fraude ou négligence ?

Nous étions encore à nous interroger quand, le 1er avril, une chercheuse du même domaine témoignait sur le site PubPeer des aléas d’un article d’Olivier Voinnet dont elle s’est retrouvée rapporteuse à trois reprises (deux fois l’article fut refusé, pour être accepté la troisième fois). Elle raconte ainsi que les auteurs ont fait dire différentes choses aux mêmes figures, jetant le trouble sur l’authenticité de leur travail et leur intégrité. Et le 7 avril, Vicky Vance rendait public son rapport de relectrice de l’époque.

Le 9 avril, le CNRS (qui emploie Olivier Voinnet, où il est Directeur de recherche 1e classe) et l’ETH de Zürich (où il est détaché et dirige une équipe d’une trentaine de personnes) annonçaient installer chacun une commission d’enquête composée d’experts indépendants afin de faire toute la lumière sur ces accusations. Il suffit donc désormais d’attendre leur rapport ?

Ce n’est malheureusement pas si simple, et il y a plusieurs raisons d’être inquiet.

D’une part, alors que le CNRS et l’ETH verrouillaient la communication de crise et interdisaient aux protagonistes de communiquer pendant le travail des commissions d’experts, ces deux institutions ne purent s’empêcher d’aller au-delà du factuel dans leur communiqué de presse, pour exprimer leur avis sur les reproches formulés à l’encontre d’Olivier Voinnet :

Indépendamment des travaux de cette commission, le CNRS constate à ce stade que les mises en cause publiques ont porté sur la présentation de certaines figures, mais qu’à sa connaissance, aucune déclaration n’a remis en cause les résultats généraux obtenus par Olivier Voinnet et ses collaborateurs sur le rôle des petits ARN dans la régulation de l’expression des gènes et la réponse antivirale, résultats par ailleurs confirmés à plusieurs reprises, sur le même matériel ou sur d’autres, par différents groupes à travers le monde.

These allegations have come as a surprise to the Executive Board at ETH Zurich. Olivier Voinnet is a scientist whose outstanding research findings have been confirmed repeatedly by other research groups, says Günther (le Vice-président de l’ETH en charge de la recherche et des relations institutionnelles).

Or, comme leur a répondu Vicky Vance dans une lettre ouverte publiée dimanche 12 avril :

I have read that the posts showing fabrication of data in the figures of many of Prof. Voinnet’s articles were viewed by some people as having little importance. The rationale being provided is that the results are still valid because other labs have been able to show the same results. That is NOT completely true. The practice of fabrication of data by the Voinnet lab has had serious negative impact on the field of RNA silencing. Many investigators are, in fact, not able to repeat some aspects of his reported results or have conflicting data. However, once results are published in high impact journals by a powerful and important senior investigator such as Prof. Voinnet, there is little chance to get funding to pursue conflicting data and further experimental approaches are stalled.

Pour reprendre la formule des sociologues David Pontille et Didier Torny, if the absence of reproducibility is often considered a clue to falsification, the opposite is not necessarily true. C’est-à-dire que contrairement aux rayons N et à la mémoire de l’eau qui se sont dégonflés dès le pot aux roses découvert, le domaine des ARN interférents ouvert par Voinnet subsistera après lui. Mais dans quel état ? Le tri entre les résultats valables et les résultats non valables sera considérable, et on réalisera quel coup a été porté contre l’avancée des connaissances et l’éthique scientifique. À cet égard, l’attitude déculpabilisante des tutelles est irresponsable et inadmissible.

D’autre part, la France a un lourd passif en matière de gestion de la fraude scientifique. Revenons un peu en arrière : en septembre 1998, l’éditorial de Science et Vie titré Fraude scientifique : l’exception française regrettait que

il n’existe en France aucune déontologie scientifique. Nulle protection n’est offerte aux dénonciateurs, qui honorent la science en proclamant la vérité au risque de briser leur carrière. Il est temps de s’attaquer sérieusement au mal. Hélas, quand on lit le communiqué de l’Inserm, qui indique que, à sa connaissance, aucune mauvaise conduite scientifique de l’unité 391 n’a pu être démontrée, on n’a pas l’impression d’en prendre le chemin…

Ce qui valait l’ire de l’éditorialiste était l’affaire Bihain, du nom de ce chercheur Inserm bardé de contrats industriels qui annonça avoir découvert un gène de l’obésité susceptible de donner naissance à des traitements révolutionnaires… jusqu’à ce que des soupçons de fraude émergent. Le traitement de l’affaire aussi bien par l’Inserm que par le Ministère fut lamentable (comme en témoigne le résumé qu’en fit Nature) et si bien minoré qu’aujourd’hui cet épisode a été oublié (contrairement à la mémoire de l’eau, qui est pourtant plus vieille de 10 ans) et brille par son absence sur la page Wikipédia dudit Bernard Bihain.

Dix ans plus tard, la France faisait encore figure de mauvais élève dans la lutte contre la fraude scientifique, ce qui n’augure pas de bonnes choses pour l’affaire Voinnet. Mais certains observateurs (je protège mes sources !) estiment que ce scandale qui éclabousse un chercheur médaillé d’argent du CNRS, sans doute le premier grand scandale scientifique de l’histoire du CNRS, ne pourra pas être étouffé comme le fut l’affaire Bihain.

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A l'assaut d'un paradoxe de la recherche française !

A l’ère de l‘open data, on ne peut que s’étonner de ne pas avoir de vision pluriannuelle des financements accordés par l’Agence nationale de la recherche (ANR) ; ou de ne pas savoir sur quels projets travaille tel chercheur et avec quels résultats, ou qui est spécialiste de tel sujet dans telle université… D’autant plus que les chercheurs se plaignent tout le temps de remplir trop de formulaires et de rendre sans cesse des comptes, qu’il s’agisse de soumettre un dossier à l’ANR, de déposer une publication dans l’archive ouverte HAL, de produire leur compte-rendu annuel d’activité ou de remplir le dossier d’évaluation HCERES de leur laboratoire. Voici donc le paradoxe (enfin, un des paradoxes…) de la recherche française : multiplication des saisies de données en entrée, et pauvreté des données publiques en sortie.

Dit autrement par l’Académie des sciences, cela donne (je souligne) : La facilité de diffusion par voie électronique de questionnaires construits de manière peu rationnelle par des personnes très éloignées des laboratoires et n’ayant pas une connaissance réelle de la vie des laboratoires amène les chercheurs à passer un temps de plus en plus grand à remplir de trop nombreux formulaires qui nourrissent des « cimetières à informations » dont la taille semble seulement limitée par celle des serveurs qui hébergent ces formulaires une fois remplis.

Partant de ce constat déplorable, j’ai passé un nombre incalculable d’heures avec ma collègue Elifsu à comprendre d’où venait le problème. Nous avons épluché un grand nombre de documents, rapports et articles ; testé de nombreux logiciels ; et interrogé une douzaine d’acteurs du monde de la recherche. Bref, nous avons pénétré pour vous dans les rouages de l’administration, du pilotage et de la valorisation de la recherche. On dit merci qui ?

Et non seulement nous pensons, modestement, avoir trouvé la réponse, mais en plus nous avons une bonne nouvelle : il existe quelques solutions simples à la déperdition d’information dans la recherche, que vous découvrirez dans notre livre blanc tout juste paru :-)

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Notre analyse devrait rassurer les chercheurs, qui souffrent à la fois du manque d’information sur les orientations de la recherche et de la difficulté à repérer les bons interlocuteurs sur tel ou tel sujet, et des lourdeurs administratives évoquées plus haut. Elle devrait également rassurer les administrateurs : il est possible de rendre l’administration de la recherche conviviale et directement utile, en retirant toutes les corvées (ou les tâches perçues comme telles). Elle devrait enfin rassurer les dirigeants : ce que nous décrivons n’est pas un idéal sorti de nos cerveaux mais des processus, des infrastructures déjà éprouvés en Grande-Bretagne et ailleurs… avec une analyse coûts-bénéfices qui ne laisse aucun doute quant à l’opportunité de rejoindre le mouvement !

Chercheurs, administrateurs, dirigeants de la recherche : la feuille de route est claire et la balle dans votre camp…

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Top 10 des romans à teneur scientifique lus en 2014

J’ai lu très exactement 39 romans en 2014, ce qui est mon meilleur score depuis de (trop) nombreuses années grâce à 1/ une discipline de fer au premier semestre (me forcer à lire au moins 20 pages chaque soir) et 2/ un nouveau boulot à l’université de Bordeaux depuis le mois de juin, qui me fait asseoir dans le tramway 50 minutes par jour et me donne largement l’occasion de lire.

De tous ces romans, goût personnel oblige, un nombre non négligeable est à consonance scientifique. Voici une petite sélection personnelle de ceux dont je recommande la lecture :

N° 10 : Intuition d’Allegra Goodman (Éditions du Seuil), 2006

Voici une histoire d’amitiés et d’inimitiés dans un laboratoire de biologie, sur fond de soupçons de fraude. Ce roman est un des meilleurs représentants du courant lab lit (“littérature de labo” pour faire court), et à ce titre j’en attendais beaucoup. Il m’a un peu déçu, j’ai trouvé qu’il traînait parfois en longueur et que son écriture était sans style ou inutilement pompeuse.

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N° 9 : La Vénus anatomique de Xavier Mauméjean (Le Livre de poche, coll. “Science-fiction”), 2004

Cette uchronie imagine que le médecin-philosophe du XVIIIe siècle Julien Offroy de la Mettrie participe à un concours organisé par Frédéric II de Prusse pour réaliser le “nouvel Adam”. Associé dans une drôle d’équipe avec le mécanicien constructeur d’automates Jacques Vaucanson et l’anatomiste rebelle Honoré Fragonard, il explore sous toutes les coutures la question de l’homme et de la machine. Résultat : un chouette voyage historique, géographique (de Saint-Malo à l’Allemagne en passant par Paris) et savant.

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N° 8 : Cosmicomics d’Italo Calvino (Le Livre de poche), 1965

On ne présente plus ces contes où Italo Calvino s’amuse à raconter de façon si originale le big bang, la fin des dinosaures, la dérive des continents… Si original mais un tantinet répétitif à force, et parfois trop tourné vers la poésie à mon goût. À noter que mon édition est ancienne mais Gallimard a édité en 2013 un volume complet comprenant Cosmicomics, Temps zéro, Autres histoires cosmicomiques et Nouvelles histoires cosmicomiques.

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N° 7 : Les Esprits de Princeton de Daniel Kehlmann (Actes Sud, coll. “Papiers”), 2012

J’ai déjà écrit tout le bien que je pensais des Arpenteurs du monde, du même auteur. Voici cette fois une courte pièce de théâtre, qui démarre avec l’enterrement du grand logicien Kurt Gödel à Princeton, en 1978. Sa veuve et ses collègues venus assister à la veillée funèbre évoquent leurs souvenirs de ce scientifique atypique et parfois dérangé qui, ces dernières années, leur a donné du fil à retordre. Kurt Gödel, ou plutôt son esprit, est présent lui aussi, pour revivre les événements de sa vie, spectateur éthéré de son évolution.

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N° 6 : La Véritable Histoire du dernier roi socialiste de Roy Lewis (Actes Sud, coll. “Babel”), 1990

Roy Lewis (à qui l’on doit le célèbre Pourquoi j’ai mangé mon père) propose ici une uchronie mordante, où les révolutions de 1848 ont fait advenir une humanité socialiste. Lewis traite en long et en large de ce qu’il adviendrait alors à la science, comme je le raconte dans mon billet “De Pierre Boulle à Roy Lewis, la science (ne) fait (pas) le bonheur”.

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N° 5 : CosmoZ de Claro (Actes Sud, coll. “Babel”), 2010

Claro est un directeur de collection, traducteur (de Pynchon, excusez du peu !) et auteur qui n’a peur de rien. Ainsi, ce gros roman est une fresque un peu dingue qui tisse ensemble le mythe du magicien d’Oz (le livre comme le film) et les horreurs du 20e siècle : Dorothy, Toto, l’Epouvantail, le Bûcheron en fer-blanc, le Lion poltron, la Sorcière de l’Ouest et un couple de Munchkins se retrouvent ainsi jetés dans les remous de l’histoire. Je retiens notamment quelques pages courageuses sur l’essor de la radiothérapie, les ouvrières de l’industrie du radium et la fabrication de la bombe atomique.

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N° 4 : Les Insolites de René Sussan (Denoël, coll. “Présence du futur”), 1984

La plus longue nouvelle de ce recueil, “Un fils de Prométhée”, s’intéresse aux événements de l’été 1816 au bord du lac Léman, quand Percy Bysshe Shelley, Mary Goodwin (ils ne se marieront qu’en décembre), Lord Byron, sa maîtresse Claire Claremont et le Dr. John Polidori se mirent en tête d’écrire chacun une histoire mystérieuse et surnaturelle. Le résultat, pour Mary Shelley, fut nul autre que Frankenstein. Mais René Sussan imagine que sous l’influence de la théorie “l’ontogénie récapitule la phylogénie” du Pr Meckel (précurseur de Haeckel), Byron et sa compagnie échafaudent une expérimentation sur son enfant à naître en extrayant le fœtus du ventre de Claire Clairmont pour le baigner dans un milieu proche du placenta, afin de le faire se développer au-delà de 9 mois et obtenir un surhomme ; le Dr Polidori s’y oppose. Je vous laisse découvrir ce texte pour savoir si l’expérimentation aura lieu et comment elle se terminera… (Cette nouvelle a reçu le Grand Prix de l’Imaginaire en 1985.)

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N° 3 : Le Prestige de Christopher Priest (Gallimard, coll. “Folio SF”), 1995

Ce roman a été adapté au cinéma par Christopher Nolan et met en scène deux magiciens qui rivalisent d’ingéniosité et de perversité pour dépasser l’autre. Avec, dans le rôle du savant fou construisant des machines infernales et entretenant l’hubris des magiciens, Nikola Tesla (joué dans le film par David Bowie !). Ce roman est captivant et bien documenté en ce qui concerne le caractères et le travail de Tesla.

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N° 2 : La Fille du temps de Josephine Tey (10/18, coll. “Grands détectives”), 1951

Ce livre est présenté partout comme un grand classique du roman policier et je n’en avais pourtant jamais entendu parler, jusqu’à ce qu’il soit mis en avant sur un présentoir de la librairie Mollat. S’inscrivant dans la lignée des whodunit, il met en scène un inspecteur de Scotland Yard cloué dans son lit, qui enquête à plusieurs siècles de distance sur les atrocités (soi-disant) commises par Richard III pour se hisser sur le trône d’Angleterre. En particulier, il souhaite faire la preuve que le souverain n’est pas coupable de l’assassinat de ses neveux, les enfants du roi Edouard IV, connu comme l’affaire des Princes de la Tour. Ce livre est une réflexion extrêmement riche et intéressante sur le métier d’historien, et la méthode historiographique. Le titre est d’ailleurs tiré d’une phrase de Francis Bacon : La Vérité est fille du Temps et non de l’Autorité.

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N° 1 : Solaire de Ian McEwan (Gallimard, coll. “Folio”), 2010

Je connaissais Ian McEwan comme un auteur sérieux, auteur du troublant “Expiation” (adapté au cinéma sous le titre “Reviens-moi”), et je le découvre drôlatique. Ce roman est le portrait au vitriol d’un chercheur en physique fictif, récompensé du prix Nobel de physique et complètement infréquentable, qui essaye de revenir dans la course scientifique pour ne pas rester un chercheur has been. Certaines scènes sont d’anthologie et j’ai hurlé de rire en lisant son périple rocambolesque au pôle Nord, en compagnie d’artistes concernés par le réchauffement climatique.

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Petite histoire des blogs de science en français

Il y a quelques mois, un chercheur en histoire culturelle m’a contacté suite au colloque “Histoire de la culture scientifique en France : institutions et acteurs” organisé à Dijon en février. Dans le cadre de l’édition des actes, il souhaitait élargir le périmètre des thèmes traités et m’a demandé de faire un article de synthèse sur l’histoire des blogs de science. J’ai longtemps hésité avant d’accepter, et j’ai profité de l’été pour retourner dans mes archives personnelles et fouiller ma mémoire afin d’écrire ce chapitre. Le voici en version auteur : j’en suis assez fier. N’hésitez pas à laisser un commentaire pour signaler une erreur ou combler un manque.

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Bruits de couloir à l'ANR avant l'annonce des résultats de l'AAP 2014

Alors que je m’amusais sur Twitter à égrener les jours jusqu’à l’annonce par l’ANR des projets financés dans le cadre de son giga-appel à projets générique 2014 (je sais que dans certains labos le suspense est palpable…), FX Coudert m’a interpellé :

Alors, dans le plus pur style d’Elifsu (j’ai été à bonne école), je me suis dit que c’était une question intéressante, et qu’on pouvait essayer de lui donner un début de réponse probant avec un petit sondage rapide. Bien relayé sur Twitter (merci pour tous vos retweets) et sur ce blog, le petit sondage est devenu grand et ce sont pas moins de 72 chercheurs qui ont répondu en moins de 1,5 jour !

Voici le résultat que vous attendez tous, sans autre valeur qu’indicative : sur 76 porteurs de projet ayant répondu à l’enquête (représentant 2,7 % des 2 804 projets en lice), 21 déclarent avoir connaissance “officieusement” de la décision de l’ANR les concernant.

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21 porteurs de projet sur 76, c’est 28 % soit plus d’un quart ! Et en extrapolant ce sondage à l’ensemble des porteurs de projet, ce sont pas moins de 785 chercheurs qui savent déjà ce qu’il en est. Les “bruits de couloir” n’apparaissent donc pas comme un phénomène isolé. Si les fuites sont inévitables sur des programmes de cette ampleur, avait-on pris la mesure du phénomène avant ?

Si le résultat est troublant, c’est certes parce qu’il prouve que la “période d’embargo” et le secret des délibérations sont enfreints en masse mais aussi et surtout parce qu’il donne à voir une stratification sociale de la science : ceux qui sont dans le secret des dieux vs. ceux qui ne le sont pas.

Je vous laisse discuter ces résultats en commentaire et notamment, pour ceux qui sont concernés, déterminer si les bruits de couloir portent surtout sur les projets acceptés ou les projets refusés.

P.S. Et bonne chance à tous les porteurs de projet !!

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De Pierre Boulle à Roy Lewis, la science (ne) fait (pas) le bonheur

Dans son livre intitulé Les Jeux de l’esprit (1971), Boulle imagine ce que Saint-Simon avait proposé un siècle auparavant dans ses Lettres d’un citoyen de Genève (1802) : un monde gouverné par un groupe de savants, le “conseil de Newton”, et une humanité vouée à la production et à la science. Chez Boulle, le conseil de Newton a seulement été renommé le Gouvernement scientifique mondial (GSM).

Oh que cela plairait à tous les scientistes d’aujourd’hui ! En effet, écrit Pierre Boulle,

les savants étaient arrivés à considérer qu’ils formaient de par le monde la véritable internationale, la seule valable, celle de la connaissance et de l’intelligence. La science était pour eux à la fois l’âme du monde et la seule puissance en mesure de réaliser les grands destins de celui-ci, après l’avoir arraché aux préoccupations triviales et infantiles de politiciens ignares et bavards. Alors, au cours de nombreux entretiens amicaux, presque fraternels, était peu à peu apparue la vision d’un avenir triomphant, d’une planète unie, enfin gouvernée par le savoir et la sagesse.

Car une seule chose animait la communauté des savants :

l’idéal connaissance était le pôle commun à tous les esprits scientifiques de cette époque. Pour les physiciens, il s’agissait d’une véritable religion ; pour les biologistes, d’une sorte d’éthique, un acte gratuit dont il sentaient confusément la nécessité impérieuse pour échapper au désespoir du néant. Les uns et les autres estimaient que cette connaissance totale ne serait atteinte que par les efforts conjugués de l’humanité toute entière.

Or les savants sont partageurs. Comment pourraient-ils garder pour eux un tel idéal de connaissance et de sagesse ? Les voici donc lancés dans un programme de prise de conscience scientifique du monde. Car ils ne veulent plus refaire les mêmes erreurs et tiennent à éviter l’écueil dangereux, autrefois sarcastiquement signalé par les romanciers d’anticipation : le partage de l’humanité en deux classes, les savants et les autres, ceux-ci condamnés aux travaux grossiers et utilitaires, ceux-là enfermés dans une tour d’ivoire, bien trop exiguë pour permettre l’épanouissement total de l’esprit.

C’est là que Boulle fait une description visionnaire, qui rejoint tellement le rêve de certains vulgarisateurs et popularisateurs des sciences :

Un immense réseau de culture scientifique enserrait le monde. Un peu partout, des établissements grandioses s’étaient élevés, avec des amphithéâtres assez nombreux et assez vastes pour que, par un roulement savamment organisé, la population entière des villes et des campagnes pût y prendre place en une journée, avec des bibliothèques contenant en milliers d’exemplaires tout ce que l’homme devait apprendre pour s’élever l’esprit, depuis les rudiments des sciences jusqu’aux théories les plus modernes et les plus complexes. Ces centres étaient également pourvus d’un nombre considérable de salles d’étude, avec microfilms, appareils de projection, télévision, permettant à chacun de se familiariser avec les aspects infinis de l’Univers. Dans des laboratoires équipés des instruments les plus modernes, tout étudiant pouvait faire des expériences personnelles sur les atomes, provoquer lui-même des désintégrations, suivre le tourbillon magique des particules à travers bêtatrons et cyclotrons, mesurer avec des appareils d’une délicatesse extrême les durées de quelques milliardièmes de seconde séparant la naissance et la mort de certains mésons.

Tout va bien dans le meilleur des mondes ? Non, parce que Boulle est un adepte du “renversement ironique”, comme le nota si bien le critique Jacques Goimard. Très souvent, il s’est attelé à faire ressortir les paradoxes de l’esprit humain et le côté dérisoire de nos aspirations utopiques. Car rapidement, le GSM ne peut que constater les échecs essuyés en matière d’instruction mondiale :

Chaque famille voulait avoir sa maison particulière avec piscine. Cette soif de bien-être, ce désir du monde de s’approprier les acquisitions de la science et de la technique sans en comprendre l’esprit et sans avoir participé à l’effort intellectuel de découverte, ne se limitaient pas aux habitations. (…) Des savants, des cerveaux précieux devaient interrompre ou ralentir leurs travaux de recherche fondamentale, dirigés vers le vrai progrès, pour se mettre au service du monde et satisfaire ses besoins immodérés de confort, de luxe et de raffinement matériels.

Eh oui ! La chute est d’autant plus rude que le rêve était grand : rien à faire, l’Homme restera l’être paradoxal qu’il est, autant capable de pensées absolues que de désirs de confort matériel. Ce que Roy Lewis (à qui l’on doit le célèbre Pourquoi j’ai mangé mon père) décrit également dans son uchronie mordante La Véritable Histoire du dernier roi socialiste (1990). Sa prémisse, c’est celle d’une civilisation “socialiste” qui a mis la science et les savants sous la protection de l’Inpatco (International Patent Convention), allant au bout de quatre grands courants de pensée en vogue en 1848 :

  • les craintes prémonitoires des romantiques selon lesquelles la science et la technologie allaient séparer l’homme de la nature et de Dieu
  • le luddisme, ce mouvement ouvrier qui démolit les métiers à tisser pour sauvegarder le gagne-pain des drapiers et tisserands
  • le socialisme, conçu en réaction contre le capitalisme et le système industriel
  • la théorie darwinienne de l’évolution, qui fit entrevoir l’accession des machines à la faculté de penser et, par conséquent, la réduction de la fonction humaine au service des machines et au développement de leurs capacités.

Dans cette uchronie, une version alternative de l’Histoire telle qu’elle aurait pu être si les révolutions de 1848 avait tourné différemment, l’Inpatco n’est rien d’autre qu’un “trust universel” auquel est confié la propriété, au nom de l’humanité, de toutes les nouvelles inventions, à charge de ne les mettre en circulation que lorsqu’elles produiraient des emplois et des améliorations des conditions d’existence sans entraîner désastres ni chômage, ni destruction de la nature. Pas question par exemple d’introduire l’électricité, qui mettrait à mal les travailleurs du gaz. La bicyclette, elle, fut mise en circulation avec un grand succès, alors que une suggestion de doter les villes de vélos-taxis efficaces ou de voitures à pédalier a été repoussée avec violence par les cochers de fiacre.

Résultat :

Vers le milieu des années 1860, les gouvernements et les populations laïques avaient perdu le contact avec les travaux et les objectifs des savants et des techniciens. Vers 1880, ils n’étaient plus au courant de ce qui se passait dans les réserves [laboratoires de l’Inpatco]. Le XXe siècle était déjà bien entamé qu’on sous-estimait encore largement les progrès réalisés par l’Inpatco dans les domaines scientifique et technique. Les réserves furent fermées au public. Les publications spécialisées de l’Inpatco étaient protégées et interdites de vente dans les librairies coopératives. De toutes façons, le citoyen socialiste profane n’aurait pu les comprendre.

À défaut, les peuples d’Europe et d’Amérique s’ennuient et se droguent à l’opium, distribué légalement : à eux les paysages exotiques et érotiques, bien qu’illusoires et destructeurs de cellules grises, de l’empire du pavot…

Alors que chez Pierre Boulle le gouvernement scientifique produisait une humanité vautrée dans le confort, chez Roy Lewis ce luxe est inaccessible et seule la griserie de la drogue permet d’échapper à un morne quotidien. Deux extrêmes donc, mais un point commun à vingt ans d’écart : ces deux contes servent surtout à illustrer le côté dérisoire de nos aspirations modernes, et l’impossibilité pour notre société de devenir aussi savante que ses savants.

Ce point de vue est intéressant, et bien traité dans les deux cas. Mais ce qui m’étonne, c’est que ces auteurs interrogent nullement les motivations des savants, lesquels ne font que ce que les gouvernements leur demande. Je fais l’hypothèse qu’aujourd’hui, avec l’essor de la sociologie des sciences, la littérature s’intéressera de plus en plus à ce qui meut les savants collectivement et individuellement. C’est le cas de quelques (grands) romans que j’ai lu récemment et que je vous recommande : Intuition d’Allegra Goodman (2006), thriller psychologique sur une suspicion de fraude dans un laboratoire de biologie ; Des éclairs de Jean Echenoz (2010), biographie romancé de Nikola Tesla ; et Solaire de Ian McEwan (2010), roman cynique sur un prix Nobel de physique en prise avec sa vie et sa carrière.

N.B. : La partie sur Les Jeux de l’esprit est tirée de mon article “Retour sur le colloque Pari d’avenir : pourquoi changer les pratiques de la culture scientifique ?” (août 2008).

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Étienne Klein, le philosophe que les chercheurs aimaient

Pour le grand physicien et vulgarisateur Richard Feynman, “la philosophie des sciences est aussi utile aux scientifiques que l’ornithologie aux oiseaux”. Les scientifiques n’ont donc pas besoin de philosopher… et pourtant ils ont une “philosophie spontanée” comme l’appelle le philosophe Louis Althusser : la croyance en la réalité objective de contenus de la connaissances ; la croyance dans la capacité de la connaissance à maîtriser objectivement ces contenus ; la croyance en l’efficacité de la méthode qui produit les contenus scientifiques.

Je suis convaincu que s’il y a un philosophe que lisent les scientifiques, c’est Étienne Klein. D’une part parce qu’il est un peu comme eux : ingénieur centralien avant d’être philosophe, directeur d’un laboratoire de physique dans un institut de recherches expérimentales (le CEA). D’autre part, parce que ses livres confortent le scientisme et le matérialisme du chercheur au lieu de les questionner. Sauf dans son dernier ouvrage, “Allons-nous liquider la science ?”, qui lui vaut une épiphanie.

L’auteur commence par une anecdote parisienne : invité à un dîner avec cinq chefs indiens d’Amazonie, Étienne Klein les écoute fasciné se révolter devant la menace que fait peser notre monde occidental et technologique sur le leur. Naïf (c’est lui qui le dit), il s’étonne que des peuples reculés tiennent un discours raisonné, logique, argumenté, précis… et constate que ce discours sur la finitude du monde rappelle celui de nos contrées. Naïf toujours (c’est moi qui le dit), il se met alors à lire les ethnologues Claude Lévi-Strauss et Philippe Descola. Surprise ! Ces peuples qui ne sont pas du tout primitifs mettent en œuvre une pensée qui est aussi la nôtre dès lors que nous cessons de penser comme des scientifiques, et se révèlent bien plus proches de la nature que le chercheur dont le métier consiste pourtant à étudier la nature. Quel coup dur ! Klein comprend alors que les problèmes posés par la puissance de la (techno)science étaient en germe dans le geste qui a fondé la science moderne : la proclamation par Galilée que la nature est écrite en langue mathématique.

Cette épiphanie a ses limites : Klein refuse d’admettre que l’abstraction de l’univers apparent au profit d’un univers mathématique nous a fait sombrer dans un objectivisme tous azimuts qui aurait totalement dévitalisé notre rapport au monde, à la nature : une certaine technoscience est devenue inquiétante, mais je n’en conclurai pas pour autant que la science moderne serait, par essence, barbare et inhumaine. Ainsi, si la physique nucléaire a rendu possible la bombe atomique, elle ne lui a jamais prescrit ce but et l’homme reste l’unique responsable de ce projet de mort. Pour Klein, la science n’a jamais dit un mot à l’homme de ce qu’il doit faire… mais on risquerait de marginaliser la science en proclamant trop fort qu’elle nous dit ce qui est mais pas du tout ce qui devrait être. Klein préfère une posture de surplomb qui fait de la science une autorité pour indiquer ce que nous ne pouvons plus croire, et comment agir sur certains phénomènes. À l’inverse par exemple d’un Stephen Jay Gould, autre scientifique à penchant “philosophe”, pour qui :

les chercheurs, spécialement depuis qu’ils ont acquis la puissance et l’autorité en tant que membres d’une institution désormais bien établie, se sont aventurés au-delà de leurs domaines d’expertise personnels et ont pris part à des débats éthiques en arguant — ce qui est illogique — de la supériorité de leur savoir factuel. (Ma connaissance technique de la génétique du clonage ne me confère aucun droit d’influencer des décisions légales ou morales de créer, par exemple, une copie génétique d’un enfant mort.)

Jusqu’où les chercheurs qui avaient une inclination naturelle pour Étienne Klein le suivront-ils ? J’aimerais bien le savoir…

MàJ 11/11/2014 Correction de coquilles diverses.

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