La science, la cité

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La crise COVID-19 vue par des économistes de l'innovation

Qu’est-ce qu’il a manqué comme investissements dans la R&D pour être mieux préparés à la pandémie en cours ? Est-ce que les énormes investissements actuels et la réorientation de certains pans de la recherche vers le COVID-19 est la plus efficace, et quels peuvent être ses effets pervers (notamment les querelles de brevets en cours) ? Que peut-on attendre de l’après-crise en termes de politiques de recherche, et d’adoption de certaines technologies numériques ?

Des économistes de l’innovation, chercheurs ou doctorants du College of Management of Technology de l’EPFL (Suisse), ont publié le 14 avril une étude de 33 pages riches de réflexions théoriques, de pronostics tendanciels, mais aussi d’exemples. Pour faciliter la diffusion de ces résultats, je vous en propose une synthèse en français sous forme de mindmap.

De mon côté, j’ai également publié quelques réflexions et un peu de veille sur l’innovation ouverte pour faire face au COVID-19.

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Benny, l'ourson qui contenait des nanos

L'université d'été de l'IHEST qui vient de se terminer était consacrée à la question "Quelle place pour la science dans le débat public". Au programme, donc, des OGM, des nanos, du changement climatique… Je n'y étais pas mais dans les divers compte-rendus publiés sur le web, une histoire a retenu mon attention, celle de Benny.

Benny est un ourson en peluche vendu aux États-Unis comme le jouet en peluche le plus doux et le plus sain du monde ! En effet, il est garanti anti-mite, anti-moisissure et anti-microbe, soit le parfait compagnon de jeu pour les enfants asthmatiques et/ou allergiques ! À ce titre, il a reçu le Family Choice Award 2006 décerné par Family Magazine.

Sauf que pour arriver à ce miracle, Benny est imprégné de nanoparticules d'argent. Et alors que ce fait était plutôt passé inaperçu, le spécialiste Andrew Maynard remarquait sur son blog en 2007 :

J'ignore si Benny est dangereux ou pas. L'argent est plutôt non-toxique à faible dose et donc je doute que Benny présente le moindre problème du moment qu'on l'utilise correctement. Mais il faut toujours être plus prudent quand il s'agit de ce que les enfants peuvent mettre dans la bouche. Mais ce que je trouve plus préoccupant encore, c'est combien il est difficile de dire si ce type de produits contiennent ou non des nano-matériaux.

Six mois plus tard, en réaction, Pure Plushy Inc. lançait une nouvelle version de Benny, où des bactericides conventionnels remplaçaient les nano-particules d'argent. Ce que je trouve fascinant dans cette histoire, c'est pas tant la réaction du fabricant[1] que l'exemple d'une peluche comme application des nanos. Alors qu'en général on pale de crèmes solaires ou de revêtements pour voitures, autant de produits de consommation presque futiles ou en tous cas marqués du sceau du "big business", il en va autrement d'une peluche qui s'adresse aux enfants asthmatique et allergiques !

D'ailleurs, lors des discussions à l'IHEST, la matérialisation soudaine d'un discours abstrait sur "les nanos" (en général) à travers un ours Benny 1ere génération a fait son effet. Comme souvent, il est difficile à l'être humain de confronter ses convictions générales à des cas concrets alors que les deux devraient aller ensemble – en ce qui concerne les nanos comme la bioéthique par exemple.

Notes

[1] Même si, comme le souligne Jameson Wetmore, porté aux nues puis décrié, sans preuve concrète de ses bienfaits ou de ses dangers, il symbolise parfaitement notre ambiguïté vis-à-vis des nanos.

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Consignes de sécurité et politique de santé

Alors que je volais en direction d'Édimbourg, le message d'extinction des appareils électroniques lors de l'atterrissage et du décollage a fait naître quelques réflexions. Il est évident qu'un téléphone portable que son propriétaire aurait oublié d'éteindre ne causerait pas pour autant la chute de l'appareil, ou nous aurions à déplorer bien plus d'accidents aériens qu'il y en a actuellement[1]. Ce message est donc plutôt destiné à éviter que l'ensemble des passagers de l'avion laisse leur téléphone et ordinateur allumés, ce qui occasionnerait un rayonnement électromagnétique bien plus important et susceptible sans doute de perturber les instruments de bord.

Ainsi, un message destiné à tous ("Merci d'éteindre vos appareils électroniques") peut être ignoré par une minorité, mais pas au-delà. Or en ne l'explicitant pas, en laissant croire que c'est le moindre appareil qui doit être éteint, on s'expose à la situation suivante : un passager qui n'éteindrait pas son appareil et constaterait que ça ne fait aucune différence sera tenté de répéter l'exercice et, d'effet d'aubaine en effet d'aubaine, tout un vol pourrait désobéir à la consigne. Problème. À l'inverse, si on explique clairement que l'avion ne peut supporter qu'une minorité d'appareils allumés mais qu'on demande un effort collectif, les individus téméraires seraient refroidis.

Ce mécanisme, c'est le même qui régit les politiques de vaccination. Si la vaccination est obligatoire pour tous, la collectivité peut en réalité supporter quelques individus isolés qui refusent le vaccin, ces "free riders" ne compromettant pas l'immunité de groupe. Ils en profiteraient même, constatant alors que la vaccination n'est pas obligatoire (pour eux) et ouvrant une brèche redoutable. Si les campagnes de vaccination expliquaient par contre que la vaccination n'est normalement obligatoire que pour 85 % de la population mais que la responsabilité collective impose que chacun soit vacciné, ce comportement individualiste serait diminué ou au moins responsabilisé.

Moralités :

  • les vols en avion inspirent des réflexions sur le fonctionnement de nos sociétés
  • une bonne politique de santé/sécurité est une politique qui va dans les détails et explicite le poids respectif de l'individu et du collectif, quitte à sacrifier sa brièveté.

Notes

[1] J'en veux pour preuve deux personnes qui discutaient devant moi dans la queue pour l'embarquement, l'un disant à l'autre que le mode "Avion" de l'iPhone dispense d'éteindre l'appareil au décollage, l'autre lui rétorquant le contraire — combien de passager oublient ou se dispensent ainsi de suivre la consigne d'extinction ?

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Histoire et sociologie de l'agriculture intensive et de son expertise

Depuis un certain temps que mûrit le projet d'entretiens filmés avec des chercheurs en philosophie, histoire et sociologie des sciences, je suis heureux d'annoncer enfin la naissance de la web TV "La science telle qu'elle se fait". C'est une initiative signée Deuxième labo, en partenariat avec deux doctorants de l'université de Strasbourg (Alexis Zimmer et Nils Kessel). Vous pouvez vous abonner pour recevoir les nouvelles vidéos dès leur mise en ligne (flux RSS / podcast iTunes), mais soyez assurés que j'en publierai également un certain nombre sur ce blog.

Première chercheuse à se plier à l'exercice, l'historienne Nathalie Jas (Université d'Orsay/Inra) nous raconte ci-dessous comment en est-on arrivé à l'agriculture moderne et quel a été le rôle de l'agronomie dans ce développement, puis discute le statut de l'agriculture biologique et des pesticides avant d'aborder la question de l'expertise en science.

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Radiofréquences : alors, quel effet ?

Dans le Zapping de Canal + de vendredi dernier, étaient accolés deux extraits de journaux télévisés. Le premier, "Télématin" de France 2, nous apprenait que l'AFSSET, l'Agence française de sécurité sanitaire, rend public un rapport sur le sujet qui se veut rassurant. Conclusion de deux ans de recherche pour l'agence : les données disponibles n'indiquent pas d'effets sanitaires à court terme ni à long terme de l'exposition aux radiofréquences. Il n'y aurait aucune preuve scientifique sur l'augmentation du risque de tumeur, ni des cancers liés aux ondes électro-magnétiques. Immédiatement après, un extrait du journal de 13 h de TFI donnait la parole au Directeur général de l'AFSSET, Martin Guespéreau, selon lequel : Le rapport de l'AFSSET montre qu'il y a des effets biologiques sur le corps humain. Bien-sûr il y a loin de ces effets à une pathologie, une maladie. Mais pour nous, c'est déjà des signes suffisants pour commencer à agir. Et le journaliste d'enchaîner : L'AFSSET préconie donc de réduire les expositions. Elle recommande l'achat des téléphones portables dont les niveaux d'émission sont les moins élevés.

Intéressant, non ? Un même rapport, deux conclusions qui semblent à l'opposé l'une de l'autre, et qui s'ignorent mutuellement ! Et France 2 qui est beaucoup plus prudent que TF1, alors même que ce dernier appartient au groupe Bouygues, actionnaire majoritaire du troisième opérateur de téléphonie mobile français ?! C'est à y perdre son latin…

La lecture du communiqué de presse de l'AFSSET est moins équivoque : les experts convoqués par l'agence ont recensé 3 500 références et examiné de manière approfondie 1 000 d'entre elles (publiées entre la sortie du rapport de 2005 et avril 2009). Une dizaine d'entre elles (considérées par l'AFSSET comme incontestables[1]) met en évidence l'existence d'effets des radiofréquences sur des fonctions cellulaires, sans qu'aucun mécanisme d'action n'ait pu être identifié et alors même que les preuves épidémiologiques se font attendre. Mais en face, 69 études ne rapportent aucun effet particulier — et l'agence explique qu'au total, le niveau de preuve n'est pas suffisant pour retenir en l'état des effets dommageables pour la santé comme définitivement établis mais considère qu'ils constituent des signaux indéniables. Ce sont les signes dont parlait Martin Guespéreau sur TF1, qui justifient les deux recommandations de l'Agence :

  • développer les recherches afin de lever les incertitudes qui demeurent
  • réduire les expositions du public.

Une recommandation non négligeable est passée sous silence dans le communiqué de presse : l'agence reconnaît l'intérêt d'un protocole d'accueil et de suivi des patients hypersensibles, vous savez, ceux qu'on a longtemps fait passer pour mythomanes et dont le cas n'est toujours pas réglé malgré le militantisme de nombreuses associations…

Comme très souvent, la méthodologie de l'expertise a été largement ignorée par les médias ; or l'agence nous raconte que les sciences humaines ont été prises en compte dans le processus d'expertise (en les personnes de Yannick Barthe, Annie Moch et Marc Poumadere, membres du groupe de travail, d'Olivier Borraz et Danielle Salomon, auditionnés, et de Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz qui ont envoyé une contribution écrite) et un observateur issu du monde associatif aura suivi l'intégralité des débats. La lecture de l'avis est plus riche encore : lorsqu'il a été proposé aux associations Priartém, Agir pour l'environnement, le Criirem et Robin des toits de nommer un représentant commun, seules les deux premières ont accepté. Une cinquième association invitée à être auditionnée, Next-up, a même carrément décliné. Cette nouvelle façon de faire découle de la charte dite "d'ouverture à la société" co-signée par l'AFSSET, l'Ineris et l'IRSN.

Étonnamment, pendant que l'on s'écharpe (ou se passionne, c'est selon) pour ce rapport d'expertise, on ne parle pas de l'étude européenne Interphone, qui pourraient apporter justement les preuves épidémiologiques qui nous manquent. Celle que d'aucuns qualifient déjà d'échec faisait l'objet d'une enquête dans le numéro de septembre de La Recherche, mettant en évidence les nombreuses difficultés d'une expertise contradictoire. On y revient…

Notes

[1] L'agence note dans son avis que le nombre important des travaux présentant des lacunes méthodologiques s’explique par le fait que les expériences visant à rechercher les effets des radiofréquences sont justement construites de manière à mettre en évidence des effets faibles et s’appuient donc sur des variations de systèmes biologiques très sensibles susceptibles d’artefacts.

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