La science, la cité

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Mot-clé : nanotechnologies

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Benny, l'ourson qui contenait des nanos

L'université d'été de l'IHEST qui vient de se terminer était consacrée à la question "Quelle place pour la science dans le débat public". Au programme, donc, des OGM, des nanos, du changement climatique… Je n'y étais pas mais dans les divers compte-rendus publiés sur le web, une histoire a retenu mon attention, celle de Benny.

Benny est un ourson en peluche vendu aux États-Unis comme le jouet en peluche le plus doux et le plus sain du monde ! En effet, il est garanti anti-mite, anti-moisissure et anti-microbe, soit le parfait compagnon de jeu pour les enfants asthmatiques et/ou allergiques ! À ce titre, il a reçu le Family Choice Award 2006 décerné par Family Magazine.

Sauf que pour arriver à ce miracle, Benny est imprégné de nanoparticules d'argent. Et alors que ce fait était plutôt passé inaperçu, le spécialiste Andrew Maynard remarquait sur son blog en 2007 :

J'ignore si Benny est dangereux ou pas. L'argent est plutôt non-toxique à faible dose et donc je doute que Benny présente le moindre problème du moment qu'on l'utilise correctement. Mais il faut toujours être plus prudent quand il s'agit de ce que les enfants peuvent mettre dans la bouche. Mais ce que je trouve plus préoccupant encore, c'est combien il est difficile de dire si ce type de produits contiennent ou non des nano-matériaux.

Six mois plus tard, en réaction, Pure Plushy Inc. lançait une nouvelle version de Benny, où des bactericides conventionnels remplaçaient les nano-particules d'argent. Ce que je trouve fascinant dans cette histoire, c'est pas tant la réaction du fabricant[1] que l'exemple d'une peluche comme application des nanos. Alors qu'en général on pale de crèmes solaires ou de revêtements pour voitures, autant de produits de consommation presque futiles ou en tous cas marqués du sceau du "big business", il en va autrement d'une peluche qui s'adresse aux enfants asthmatique et allergiques !

D'ailleurs, lors des discussions à l'IHEST, la matérialisation soudaine d'un discours abstrait sur "les nanos" (en général) à travers un ours Benny 1ere génération a fait son effet. Comme souvent, il est difficile à l'être humain de confronter ses convictions générales à des cas concrets alors que les deux devraient aller ensemble – en ce qui concerne les nanos comme la bioéthique par exemple.

Notes

[1] Même si, comme le souligne Jameson Wetmore, porté aux nues puis décrié, sans preuve concrète de ses bienfaits ou de ses dangers, il symbolise parfaitement notre ambiguïté vis-à-vis des nanos.

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Que disent les chercheurs des retombées sociales ou politiques de leurs travaux ?

Au-delà  du désir de répondre aux questions que pose l'univers, les chercheurs aiment croire que leurs travaux participent d'un monde meilleur. Pour François par exemple, le but de toute science devrait être est la réduction de la souffrance. Mais devant une publication en particulier, un morceau reconnu et salué par les pairs de leurs recherches, éprouvent-ils ce même sentiment ? Est-ce que leur idéal tient face à  la réalité de leur travail ? C'est la question que se sont posée trois chercheurs de Thomson Scientific, entreprise célèbre pour son facteur d'impact et ses bases de données de publications scientifiques.

Pour cela, les articles appartenant au centile de publications les mieux citées dans leur domaine sur les 5 dernières années ont été recensés et leurs auteurs interrogés. Une des cinq questions posées, Quelles sont les implications sociales ou politiques de votre recherche ?, a pour but d'aborder ce point, même si les réponses couvrent parfois plus les retombées espérées que réelles et qu'avec un taux de non-réponse de 61%, la représentativité de l'enquête est sujet à  discussion.

En moyenne, les retombées décrites par les chercheurs de leurs résultats couvrent 3,2 domaines, de la défense à  la pollution en passant par le développement de médicaments, la nutrition et les retombées/philosophiques, religieuses ou éthiques. Les réponses, agrégées au niveau supérieur de la typologie, sont données dans le tableau ci-dessous. Où l'on s'aperçoit que 23% des réponses mentionnent la santé, bien au-delà  du propre champ des recherches en médecine qui ne représente que 18% de l'échantillon. Viennent ensuite ceux qui n'ont pas répondu et ceux pour qui le progrès des connaissances scientifiques est une retombée sociale ou politique en soi.

Les retombées concernant l'environnement sont le moins citées mais c'est la catégorie pour laquelle les réponses ont été les plus longues, les plus fournies, suggérant un besoin supplémentaire d'explication, d'argumentation ou de discussion.

On observe enfin le profil de chaque discipline scientifique : au rang des surprises, les sciences de l'espace qui mettent en avant les retombées philosophiques, éthiques ou religieuses, les sciences sociales qui se revendiquent des politiques de santé et l'écologie qui met en avant la compréhension des sciences par le grand public. Quant aux nanotechnologies, tiens tiens, elles se présentent actuellement plus sous l'angle des progrès technologiques et des bénéfices économiques que sous celui de la santé ou de l'environnement. Ce travail n'est qu'une tentative d'enquête, qu'il reste à  approfondir et systématiser. Néanmoins, il pose un premier jalon pour savoir comment les chercheurs situent les conséquences sociales ou politiques de leurs travaux au début du XXIe siècle.

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Nanotechnologies, qui croire ?

"Internet actu" publie ses articles sous licence Creative Commons, ce qui permet de les reproduire et de les diffuser largement. Ce que je fais ici avec un article de Jean-Marc Manach qui revient sur de récentes enquêtes d'opinion sur les nanotechnologies (mes commentaires sont en notes de bas de page).

Seul un tiers (29,5%) des Américains considéreraient les nanotechnologies comme moralement acceptables, contre 54,1% des Anglais, 62,7% des Allemands et 72,1% des Français. Cette forte suspicion du public américain n’aurait rien à  voir avec l’inculture d’un côté de l’Atlantique par rapport à  l'autre, dans la mesure où les interrogés se déclarent tous plutôt bien informés de ce que sont les nanotechnologies, et de ses avantages potentiels.

Le problème serait en fait lié à  l’importance prise par la religion aux Etats-Unis où, contrairement aux Européens, plus laïcs, de nombreux croyants voient dans les nanos une façon de jouer à  Dieu, comme le signale EurActiv.[1] Etonnament (sic), alors qu'elles pourraient être tout aussi moralement condamnable, les Américains n'en soutiennent pas moins les OGM, au contraire des Européens.[2]

L'étude, basée sur un échantillon de 1015 Américains à  qui avaient été posées certaines des questions d'un Eurobaromètre sur l’attitude des Européens au regard des biotechnologies datant de 2006, a été rendue publique lors de la réunion annuelle, le 15 février 2008, de l’Association américaine pour l’avancée de la science (American Association for the Advancement of Science, AAAS). Etonnament (sic), l’Eurobaromètre révélait pourtant que 81% des Américains et 76% des Européens approuvaient les recherches en matière de nanotechnologies (contre respectivement 61% et 41% pour ce qui est des OGM). Contradiction des études ?[3]

Dietram Scheufele, responsable de cette enquête, est professeur de journalisme à  l'université de Wisconsin-Madison, et coresponsable du groupe de recherche sur l’opinion publique et les valeurs du Centre pour la nanotechnologie dans la société de l'université d’Etat d’Arizona.

En novembre dernier, il avait relevé que les scientifiques experts en nanotechnologies étaient plus optimistes, mais aussi plus inquiets, que le grand public des perspectives ouvertes par leurs recherches. Alors que 15% du public s'inquiétait des risques de pollution, le pourcentage de scientifiques était de 20%. Pour ce qui est des conséquences sanitaires, le ratio était respectivement de 20 et 30%. A contrario, le grand public craignait plus que les scientifiques des risques d’atteinte à  la vie privée.

Publiée dans Nature, l’étude relevait à  la foi le peu de prise de conscience du grand public, mais aussi l’absence de débats autour de ces questions, l’isolement des scientifiques, et l’absence d’études sérieuses sur les risques posés par les nanos.

En décembre 2007, l’éditorialiste de Nature Nanotechnology plaidait d’ailleurs pour un renforcement des collaborations avec les sciences sociales, afin d’éviter que les "filtres" politiques ou religieux ne viennent trop interférer dans la vision que se font les gens des nanotechnologies. Force est de constater que c’est encore loin d’être le cas.

Pour en savoir plus, on se reportera opportunément à  la NanoEthicsBank, qui recense à  ce jour 685 publications ayant trait aux implications sociales et éthiques, aux perceptions et à  l’acceptabilité des nanotechnologies, aux efforts de régulation et de promotion des "meilleures pratiques" en la matière.

Notes

[1] Tom Roud a montré, sur la base d'un article du Monde, que cette causalité était largement hasardeuse. Seulement elle provient ici d'un chercheur, Dietram Scheufele, dont on peut imaginer qu'il parle du haut de son expertise et que son expérience lui fait dire ce qui est vraisemblable et ce qui ne l'est pas. Comme ces chercheurs en biologie des plantes qui ont tout de suite nié l'hérédite non-mendélienne du mutant ''hothead'' simplement sur la foi de leurs présomptions. Notons quand même qu'une publication est sur les rails : Brossard D., Scheufele D. A., Kim E. & Lewenstein B. V., "Religiosity as a perceptual filter: Examining processes of opinion formation about nanotechnology", Public Understanding of Science.

[2] Mmm, pas si sûr. Comme l'ont montré les sociologues Pierre-Benoît Joly et Claire Marris, on ne peut pas dire que les Américains ont accepté les OGM dans le sens où ils sont ne sont pas clairement identifiés et étiquetés, au sens propre comme au figuré, et donc n'existent pas en tant que catégorie

[3] Il faudrait comparer les méthodes de sondage : la question semble différente mais on trouve la même chose si on prend des questions équivalentes (Eurobaromètre p. 83). L'acceptation morale des nanotechnologies par les Européens se situe à  7,07 sur une échelle de 0 à  10 et pour les Américains à  7,08. Mais surtout, un sondage a été mené en 2005 et l'autre en 2007. Peut-on envisager que l'opinion s'est renversée en l'espace de deux ans ?


Je suis en lice pour le festival de l'expression sur internet, dans la catégorie "Blog politique / Expression citoyenne". Vous aimez mon blog et mes billets ? Merci de voter pour moi avant le 31 mars !

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Blogs, YouTube : expériences de communication en science

Des blogs de scientifiques, il y en a (beaucoup en anglais, moins en français). Des scientifiques qui bloguent des vidéos, cela existe. Mais un article récent de la revue Chemical and Engineering News rapporte des expériences de communication qui passent par ces outils, des expériences institutionnelles et non plus individuelles.

Tout démarre après le buzz des vidéos sur l'expérience Coca + Mentos, que certains ont vu comme de la science populaire (essayer avec d'autres bonbons ou boissons, changer les variables une par une et observer le résultat) et a d'ailleurs suscité l'intérêt des chercheurs qui s'interrogent toujours (comme en témoignent de récents courriers des lecteurs dans La Recherche ou Science & vie). Le Museum of Science de Boston y a rapidement perçu un moyen de toucher un nouveau public et en a profité pour demander aux internautes de voter pour leur explication préférée des concepts d'échelle nanométrique et nanoscience. Dilemme que les scientifiques du musée eux-mêmes avaient du mal à  trancher (voir la vidéo gagnante).

L'American Association for the Advancement of Science (qui édite la revue Science) a également posté une vidéo sur les effets du réchauffement climatique, préparée à  l'occasion de leur colloque annuel mais qui pouvait bien, après tout, toucher le plus large public possible. Le succès de la vidéo n'a pas été à  la hauteur des espérances d'où une leçon : il faut rester concis et faire court. Leçon mise en application avec une seconde vidéo sur l'évolution...

Les laboratoires du projet européen nano2hybrids (dont un français), qui vont travailler pendant trois ans sur des combinaisons de nanotubes de carbone et de nanoparticules de métal, ont choisi une autre option, celle de tenir un journal filmé sur l'avancement des recherches, un video diary. Il ne s'agit plus de communiquer des résultats mais de partager la science en train de se faire, à  raison d'une vidéo par semaine, postée d'abord sur YouTube puis bientôt intégrée à  leur propre site. En parallèle, les chercheurs tiennent aussi des blogs pour apporter d'autres informations comme des bibliographies.

YouTube a pour lui l'avantage de la visibilité et d'une communauté déjà  forte. Mais des solutions comme Sciencehack permettent d'accéder uniquement aux vidéos à  contenu scientifique, qu'elles viennent de YouTube ou d'ailleurs. Un début de "Fête de la science 2.0" que j'appelais récemment de mes vœux ?

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Retour sur la conférence nanotechnologies

Deux mois et demi après la conférence de citoyens sur les nanotechnologies, j'aimerais revenir sur cet évènement démocratique et scientifique — ce que les médias traditionnels font rarement. Quel a été son impact ? Quels changements a-t-elle inaugurés ?

Affiche de la conférence de citoyens

Grâce au site Sciences et démocratie, nous savons par leur témoignage et leurs retours que les citoyens tirés au sort du panel semblent satisfaits de l'organisation des discussions (malgré un débat final animé par une personne nouvelle, venant un peu comme un cheveu sur la soupe), de la liberté et la confiance qui leur ont été accordées. Et même s'ils regrettent la langue de bois de certains invités/experts, ils reconnaissent avoir appris beaucoup. Evidemment, ça fait cher l'évènement pour intéresser 16 panelistes aux débats scientifiques et techniques de leur temps. Mais c'est déjà  ça, en attendant les retombées concrètes des recommandations qui ont été promises par le vice-président du Conseil régional en charge de l'Île-de-France en charge de la recherche. Mais on se souvient qu'en 1998, les recommandations issues de la conférence de citoyens organisée par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques (composée de députés, excusez du peu !) étaient quasiment restées lettre morte (seules quelques lignes avaient bougé dans la composition de la Commission du génie biomoléculaire chargée d'évaluer les dossiers d'homologation des OGM).

Ainsi, sur l'excellent site de la Banque des savoirs, un article de Dorothée Benoit-Browaeys nous met en garde contre la prolifération de ces dispositifs participatifs sans effet sur la décision [qui] risque[nt] de créer plus de défiance que de construction démocratique (citation du sociologue Jean-Michel Fourniau). Pourtant, il apparaît que dans le cas de la conférence sur les nanotechnologies certaines recommandations sont objectivement difficiles à  satisfaire, soit parce qu'elles sont trop généralistes, soit parce qu'elles ne sont pas du ressort des personnes organisant la conférence (en l'occurrence, la Région).

Alors, impasse ? Sans doute un peu. Car les conférences de citoyens ont leur limite, également dans le sens où elles ne contraignent pas les pouvoirs publics et ne permettent pas de co-construire un travail de recherche (on a toujours des experts face à  des profanes). Et même si débattre pour le plaisir peut permettre de mettre au jour des décalages entre représentations expertes et représentations profanes, de faire ressortir des points de blocage inattendus, c'est avant tout des décisions que l'on attend... Sur les nanotechnologies comme sur les OGM, le nucléaire etc. Et cette période de campagne nous offre sans doute des raisons d'espérer...

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