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Mot-clé : Internet

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Petite histoire des blogs de science en français

Il y a quelques mois, un chercheur en histoire culturelle m’a contacté suite au colloque “Histoire de la culture scientifique en France : institutions et acteurs” organisé à Dijon en février. Dans le cadre de l’édition des actes, il souhaitait élargir le périmètre des thèmes traités et m’a demandé de faire un article de synthèse sur l’histoire des blogs de science. J’ai longtemps hésité avant d’accepter, et j’ai profité de l’été pour retourner dans mes archives personnelles et fouiller ma mémoire afin d’écrire ce chapitre. Le voici en version auteur : j’en suis assez fier. N’hésitez pas à laisser un commentaire pour signaler une erreur ou combler un manque.

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Émission #fail sur France Culture ?

« Comment le numérique peut-il développer la culture scientifique ? ». Tel était le thème de l’émission "Science publique" du 19 novembre (animée par Michel Alberganti) avec Etienne Klein, Alexandre Moatti, Pierre Olivier Pulvéric et Bruno Racine.  Le débat s’annonçait ambitieux... Mais l'émission aurait dû s'appeler « Comment la numérisation du savoir peut-elle contribuer à diffuser la connaissance scientifique ? » vu l'angle étroit qu'elle s'est donné pour aborder le sujet.

Télécharger l'émission complète au format MP3

Vous avez dit numérisation des ressources ?

Les œuvres historiques de la science sont numérisées de manière partielle ou intégrale (100 000 ouvrages / an) rapporte Bruno Racine, président de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Celui-ci venait notamment discuter de l'accord signé le 7 octobre avec Microsoft pour l’indexation sur le moteur de recherche Bing de ses œuvres numérisées.

La bibliothèque en ligne Gallica de la BnF devrait compter 1,2 million de documents en 2011, pendant que Google Books s'impose aussi sur ce marché et passe un accord avec l'éditeur Hachette pour la numérisation de 40 000 à 50 000 œuvres en langue française aujourd’hui épuisées.

Avec un marché colossal et une logique de partenariats public/privé en plein essor, il ne faut pas oublier que dans le domaine scientifique se pose la question de la légitimité des sources, prévient Pierre-Olivier Pulvéric, invité au titre des Assises du numérique dont il est le Commissaire général adjoint.

Tant d’informations, comment ne pas se noyer ?

Pour Alexandre Moatti, blogueur et président du comité éditorial de Science.gouv.fr et de Bibnum.education.fr : « Internet, c’est une confiance entre contributeurs ». L'internaute doit, par conséquent, jouir d’une méthode, de repères, d’une éducation aux usages numériques. Surtout : d’une capacité de discernement et de tri, nécessaires à une identification des ressources de qualité, et une utilisation des moteurs de recherche qui s'apparente à la démarche de recherche du scientifique.

L'omniprésence de Google (et de son idéologie) soulève également la question de l'ordre des résultats de recherche (algorithmes de ranking), qui peut être déformé par le Search Engine Optimization ou la présence de liens sponsorisés sur le côté (qui sont de la publicité, purement et simplement).

Pour Bruno Racine, le savoir n'est plus un sanctuaire réservé à quelques initiés et touche plus de monde. Mais pour Etienne Klein, l'appropriation du savoir scientifique doit être linéaire, avec des passages obligés... or le magma du web ne permet pas d'en prendre le temps.

Une émission qui prend le petit bout de la lorgnette

Ces sujets sont intéressants mais à trop se focaliser sur la numérisation et le web, on en oubliait que la culture scientifique sur le web n'est pas que diffusion, et que le numérique ne s'arrête pas au web. Heureusement, Alexandre Moatti était là pour envisager l'idée qu'à l’heure des réseaux sociaux en tous genres, ceux dédiés à la culture scientifique (comme Knowtex ou la communauté du C@fé des sciences, que j'ai contribué à fonder) permettent peut-être d'envisager de nouvelles formes de "mise en culture de la science".

En réalité, le numérique propose de nombreuses modalités d'engagement des communautés avec des contenus scientifiques, et des communautés entre elles (patients, scientifiques, chercheurs, blogueurs, amateurs…) autour de la culture scientifique. Qu'on pense aux serious games, plateformes de blogs et de partage de ressources, "débats participatifs" en ligne, pure players proposant d'autres lectures de la "science en train de se faire", webTV collaboratives… Le ciel est la limite comme disent les anglo-saxons !

Des invités triés sur le volet

Aux Assises du numérique (organisée par une agence de relations publiques), la table-ronde "Le numérique pour une nouvelle politique des savoirs" était animée par… Michel Alberganti. La pratique qui consiste à animer des débats s'appelle "faire des ménages" et c'est depuis longtemps une pierre dans le jardin de la déontologie des journalistes.

Le bulletin du Syndicat national des journalistes interrogeait en 1991 la "confusion des genres, due, par exemple, aux "ménages" effectués par certains de nos confrères, aux shows médiatiques télévisuels ou encore à l'omniprésence du sponsoring ou de la publi-info".  Cette question n'a rien perdu de son actualité puisqu'elle était à l'ordre du jour des Assises du journalisme la semaine dernière. Servez la soupe à la personne qui vous embauche pour faire un ménage, comme ici, et on ne manquera pas de vous poser des questions. Dont acte.

D'autre part, il y a cette pratique du "Club Science publique" qui offre à Étienne Klein et Jean-Claude Ameisen (absent cette fois) un abonnement mensuel à l'émission. Je ne sais pas vous mais nous, cette pratique nous gêne. Et le regard d'Etienne Klein sur la culture numérique, bof…

Une occasion manquée au final

Comment ne pas contraster cette émission avec l'ébullition du "grand mix", la soirée mariant culture scientifique et culture numérique qui s'est tenue à la Cantine (haut lieu parisien de la culture numérique) le 5 novembre dernier ? (disclaimer : je suis à l'origine de cet événement)

Étudiants, chercheurs, blogueurs, internautes, "geeks", opérateurs de recherche et institutions de culture scientifique y étaient réunis pour écouter quelques spécialistes (Dominique Boullier du médialab SciencesPo, Jean Menu d'universcience et Pierre Barthélémy de Slate.fr), assister à la présentation de projets qui changent la culture scientifique numérique (citons OwniSciences, Prisme de tête, Sciences et démocratie, ArtScienceFactory, Hypotheses.org…) et réfléchir lors d'ateliers à deux questions :

Cet agent du changement, le magazine Politis l'a bien saisi dans l'article Controverses 2.0 publié la même semaine que l'émission de France culture. Extraits choisis :

Nous sommes à la Cantine, lieu parisien hautement connecté, pour une première réunion en vie réelle d’un nouveau type de réseau, et c’est l’une des questions posées au public. Ici on parle de live-blogging, de serious games, de bookmarking ou encore de cross-post. Et pourtant l’univers en question est loin d’être hermétique. Il se veut même le lieu d’expression d’un nouveau type de lien social autour des controverses scientifiques. De jeunes initiatives qui ne passent pas inaperçues. (…)

Antonio Casilli est sociologue à l’EHESS, spécialiste des questions liées à Internet et partie prenante dans le projet OWNISciences« Internet ne dématérialise pas les pratiques de controverses sociotechniques classiques, mais les prolonge. Les forums citoyens en ligne peuvent bousculer les certitudes scientifiques. Ce n’est pas nouveau et a déjà été observé dès les échanges télématiques du pré-web en 1988. Des personnes atteintes par le VIH avaient réussi, dans un réseau de résistance civile électronique, à faire évoluer les protocoles d’essais cliniques américains. »

Alors, à quand un "grand mix" sur France Culture ?

>> Article co-écrit avec Lorena Biret et publié initialement sur le blog Knowtex

>> Image CC Flickr : hans.gerwitz

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Le téléphone arabe des blogs de science

Des journalistes qui font des erreurs, il y en a, et les blogs se font une spécialité (une joie ?) de leur tomber dessus quand ça arrive. Mais quand des blogueurs font eux-mêmes des erreurs ? Les autres blogueurs les reprennent, ou bien les lecteurs grâce aux commentaires. Et surtout, dans ces cas-là , on peut suivre la chaîne des évènements grâce au fin réseau des rétroliens, des fils de commentaires etc. La transparence est la plus totale possible.

En exemple nous en était donné récemment par Stephanie West Allen, qui corrigeait dans son blog les affirmations erronées de deux blogueurs scientifiques. Tout démarre avec une publication scientifique montrant par une méthode d'IRM fonctionnelle que notre cerveau est moins sollicité à  la lecture d'un texte qui utilise des pronoms que des noms. Malgré une ambiguïté accrue, mon cerveau va préférer la phrase J'ai acheté des fleurs à  Claire, je suis sûr qu'elle va les aimer à  la phrase J'ai acheté des fleurs à  Claire, je suis sûr que Claire va aimer les fleurs, qui le force à  représenter deux fois les concepts "Claire" et "fleurs". Grâce aux pronoms, je peux plus facilement suivre le fil de mes pensées et saisir le sens du texte.

Le premier blogueur, Roger Dooley, lit le communiqué de presse publié par l'université de Caroline du Sud et raconte que l'étude s'est penché sur la manière dont notre cerveau réagit quand il entend des textes avec ou sans pronom. Première erreur : il ne s'agit pas d'entendre mais de lire ! Puis Gerry Riskin reprend l'information de ce premier blog et, tout en décrivant l'expérience où l'on fait entendre des phrases, il commet un contresens : pour lui, l'utilisation répétée d'un nom au lieu d'un pronom stimule plus le cerveau et donc l'imprègne plus. Or les auteurs montraient bien que la sur-stimulation du cerveau induite par la répétition d'un nom nuit à  la compréhension générale. Deux blogueurs inexacts voire fautifs, repris par un troisième blogueur : voilà  le pouvoir des blogs en action.

Mais au-delà  de l'anecdote, je vois dans cet exemple une illustration de la nécessité de pouvoir accéder librement aux publications scientifiques, bref, de l'accès libre. Ainsi, on peut éviter l'effet du téléphone arabe en retournant facilement aux sources ou en tous cas, en donnant la possibilité aux lecteurs de vérifier par eux-mêmes ce qui est avancé. Car souvent même, l'erreur démarre dès l'étape du communiqué de presse et elle se propage quasi-inévitablement, tous médias confondus…

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Les chercheurs et les médias

A l'occasion du Forum européen du journalisme scientifique des 3 et 4 décembre derniers, le sondage auprès du grand public sur la couverture médiatique de la recherche était accompagné d'un rapport concernant le point de vue des chercheurs sur les médias. Une occasion de découvrir l'autre facette de la médaille…

Manu, du blog Scipovo, en a déjà  donné un compte-rendu chez lui et ici-même en commentaire. Mais voici quand même ma petite contribution sur le sujet. Ce qui ressort bien, c'est que les scientifiques sont sceptiques vis-à -vis des journalistes : il ne seraient intéressés que par des sujets tape-à -l'œil et des faits divers, ils ne donneraient pas assez de place à  la science, il serait difficile de parler le même langage qu'eux. A mon avis, il ne s'agit pas tant d'une critique que de la découverte d'une réalité : scientifiques et journalistes ne font pas le même métier et ne recherchent pas la même chose. Le problème devient plus sérieux quand cela les pousse à  s'ignorer au lieu de travailler main dans la main… Ce qu'admettent certains scientifiques (p. 19), même s'ils sont moins de 10% à  penser que les deux cultures sont irréconciliables (p. 20).

Il fallait s'y attendre, c'est la télé qui est la moins aimée des scientifiques. Malgré son potentiel (reposant sur la force de l'image), elle serait trop attiré par le scandale et la controverse, avec trop peu de temps pour recouper et vérifier les sources. Seuls la BBC, National Geographic et Arte sont complimentés. Les revues de vulgarisation s'en sortent bien mais les chercheurs regrettent qu'elles soient trop peu diffusées. Internet est plutôt vu comme un canal permettant aux scientifiques de s'exprimer directement (sites, blogs, forums, podcasts), avec bénéfice et pour une large audience, avec un bémol concernant la qualité et la vérification des informations que l'on peut y trouver (sur le sujet, on suivra avec intérêt le cyber-atelier 2008 de SpectroSciences).

Un tiers des chercheurs interrogés admettent participer à  des événements au sein de la communauté scientifique (conférences etc.) mais être peu engagés envers un public plus large (par manque de temps, d'intérêt ou de motivation institutionnelle principalement). La moitié des chercheurs interrogés reconnaissent des contacts épisodiques avec les médias généralistes, en fonction de projets ou d'événements particuliers. Enfin, 20% des sondés sont en contact régulier avec des journalistes, parce que leur notoriété, leurs responsabilités et leur domaine les amène à  communiquer activement.

Laissons de côté les raisons qui poussent à  communiquer, toujours les mêmes pour nous arrêter sur les obstacles à  cette communication : ce sont le manque de financement spécifique, le manque de temps et la difficulté de trouver un langage commun avec les journalistes. Les sessions de formation, dont 80% des sondés ressentent le manque (p. 23), ne sont donc pas inutiles !

Une demande intéressante des chercheurs serait que la science apparaisse dans plus de contextes, et ne soit pas uniquement cantonnée à  la rubrique "Science et environnement" (p. 18). Or c'est le cas, et la mode des séries type Les Experts ou Numbers ne le dément pas !

Un dernier témoignage en conclusion, qui rejoint certaines de nos préoccupations :

Je pense qu'il serait approprié de commencer la couverture médiatique par les questions sociétales et politiques plutôt que par l'état de l'art de la recherche. La recherche motivée par la politique et la réponse à  des problèmes (policy and problem driven research) devrait être prise comme point de départ pour repenser la relation entre la recherche et le monde extérieur. (p. 26)

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Blogs, YouTube : expériences de communication en science

Des blogs de scientifiques, il y en a (beaucoup en anglais, moins en français). Des scientifiques qui bloguent des vidéos, cela existe. Mais un article récent de la revue Chemical and Engineering News rapporte des expériences de communication qui passent par ces outils, des expériences institutionnelles et non plus individuelles.

Tout démarre après le buzz des vidéos sur l'expérience Coca + Mentos, que certains ont vu comme de la science populaire (essayer avec d'autres bonbons ou boissons, changer les variables une par une et observer le résultat) et a d'ailleurs suscité l'intérêt des chercheurs qui s'interrogent toujours (comme en témoignent de récents courriers des lecteurs dans La Recherche ou Science & vie). Le Museum of Science de Boston y a rapidement perçu un moyen de toucher un nouveau public et en a profité pour demander aux internautes de voter pour leur explication préférée des concepts d'échelle nanométrique et nanoscience. Dilemme que les scientifiques du musée eux-mêmes avaient du mal à  trancher (voir la vidéo gagnante).

L'American Association for the Advancement of Science (qui édite la revue Science) a également posté une vidéo sur les effets du réchauffement climatique, préparée à  l'occasion de leur colloque annuel mais qui pouvait bien, après tout, toucher le plus large public possible. Le succès de la vidéo n'a pas été à  la hauteur des espérances d'où une leçon : il faut rester concis et faire court. Leçon mise en application avec une seconde vidéo sur l'évolution...

Les laboratoires du projet européen nano2hybrids (dont un français), qui vont travailler pendant trois ans sur des combinaisons de nanotubes de carbone et de nanoparticules de métal, ont choisi une autre option, celle de tenir un journal filmé sur l'avancement des recherches, un video diary. Il ne s'agit plus de communiquer des résultats mais de partager la science en train de se faire, à  raison d'une vidéo par semaine, postée d'abord sur YouTube puis bientôt intégrée à  leur propre site. En parallèle, les chercheurs tiennent aussi des blogs pour apporter d'autres informations comme des bibliographies.

YouTube a pour lui l'avantage de la visibilité et d'une communauté déjà  forte. Mais des solutions comme Sciencehack permettent d'accéder uniquement aux vidéos à  contenu scientifique, qu'elles viennent de YouTube ou d'ailleurs. Un début de "Fête de la science 2.0" que j'appelais récemment de mes vœux ?

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