La science, la cité

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Les chercheurs et les médias

A l'occasion du Forum européen du journalisme scientifique des 3 et 4 décembre derniers, le sondage auprès du grand public sur la couverture médiatique de la recherche était accompagné d'un rapport concernant le point de vue des chercheurs sur les médias. Une occasion de découvrir l'autre facette de la médaille…

Manu, du blog Scipovo, en a déjà  donné un compte-rendu chez lui et ici-même en commentaire. Mais voici quand même ma petite contribution sur le sujet. Ce qui ressort bien, c'est que les scientifiques sont sceptiques vis-à -vis des journalistes : il ne seraient intéressés que par des sujets tape-à -l'œil et des faits divers, ils ne donneraient pas assez de place à  la science, il serait difficile de parler le même langage qu'eux. A mon avis, il ne s'agit pas tant d'une critique que de la découverte d'une réalité : scientifiques et journalistes ne font pas le même métier et ne recherchent pas la même chose. Le problème devient plus sérieux quand cela les pousse à  s'ignorer au lieu de travailler main dans la main… Ce qu'admettent certains scientifiques (p. 19), même s'ils sont moins de 10% à  penser que les deux cultures sont irréconciliables (p. 20).

Il fallait s'y attendre, c'est la télé qui est la moins aimée des scientifiques. Malgré son potentiel (reposant sur la force de l'image), elle serait trop attiré par le scandale et la controverse, avec trop peu de temps pour recouper et vérifier les sources. Seuls la BBC, National Geographic et Arte sont complimentés. Les revues de vulgarisation s'en sortent bien mais les chercheurs regrettent qu'elles soient trop peu diffusées. Internet est plutôt vu comme un canal permettant aux scientifiques de s'exprimer directement (sites, blogs, forums, podcasts), avec bénéfice et pour une large audience, avec un bémol concernant la qualité et la vérification des informations que l'on peut y trouver (sur le sujet, on suivra avec intérêt le cyber-atelier 2008 de SpectroSciences).

Un tiers des chercheurs interrogés admettent participer à  des événements au sein de la communauté scientifique (conférences etc.) mais être peu engagés envers un public plus large (par manque de temps, d'intérêt ou de motivation institutionnelle principalement). La moitié des chercheurs interrogés reconnaissent des contacts épisodiques avec les médias généralistes, en fonction de projets ou d'événements particuliers. Enfin, 20% des sondés sont en contact régulier avec des journalistes, parce que leur notoriété, leurs responsabilités et leur domaine les amène à  communiquer activement.

Laissons de côté les raisons qui poussent à  communiquer, toujours les mêmes pour nous arrêter sur les obstacles à  cette communication : ce sont le manque de financement spécifique, le manque de temps et la difficulté de trouver un langage commun avec les journalistes. Les sessions de formation, dont 80% des sondés ressentent le manque (p. 23), ne sont donc pas inutiles !

Une demande intéressante des chercheurs serait que la science apparaisse dans plus de contextes, et ne soit pas uniquement cantonnée à  la rubrique "Science et environnement" (p. 18). Or c'est le cas, et la mode des séries type Les Experts ou Numbers ne le dément pas !

Un dernier témoignage en conclusion, qui rejoint certaines de nos préoccupations :

Je pense qu'il serait approprié de commencer la couverture médiatique par les questions sociétales et politiques plutôt que par l'état de l'art de la recherche. La recherche motivée par la politique et la réponse à  des problèmes (policy and problem driven research) devrait être prise comme point de départ pour repenser la relation entre la recherche et le monde extérieur. (p. 26)

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La recherche scientifique dans les médias

Un nouveau sondage européen (Eurobaromètre) vient de sortir sur le thème de la couverture médiatique de la recherche scientifique. Il s'y cache forcément des résultats intéressants pour nous !

Déjà , la recherche scientifique ne vient qu'au cinquième rang des sujets d'actualité qui intéressent le plus, avant l'économie (nous devrions donc faire mieux que nos collègues économistes blogueurs) mais après le sport, les people, la politique et la culture. Mais en comparant avec un sondage de 2005 il apparaît que la formulation a son importance, puisque le score augmente quand on parle de "découvertes scientifique" au lieu de "recherche scientifique". En tous cas, ce sont les Suédois, Grecs et Français qui se montrent les plus intéressés !

Si on oublie les autres sujets d'actualité maintenant, 57% des sondés affirment qu'ils s'intéressent à  la recherche scientifique. Les mêmes pays que précédemment ressortent premiers, la tendance lourde étant que les nouveaux pays membres de l'Union européenne sont moins intéressés par la recherche scientifique que les anciens membres. Parmi les thèmes qui intéressent le plus, la médecine et l'environnement arrivent bons premiers. Et c'est en France et en Allemagne que cette thématique de l'environnement est la plus prégnante.

Le médium le plus important pour obtenir des informations sur la recherche scientifique est la télévision (61% des sondés regardent des émissions de télé sur la science régulièrement ou occasionnellement), avant la presse généraliste (49%) et Internet (28%). C'est aussi à  la télévision qu'ils font le plus confiance, bien avant la presse ou Internet (sauf en France où la télévision et les journaux sont au coude à  coude). 56% des sondés sont satisfaits de la manière dont les médias couvrent la recherche scientifique, y compris 4% (seulement !) de très satisfaits. 31% des sondés considèrent pourtant que le sujet n'est pas suffisamment couvert, et 57% en France ! La proportion est encore plus grande pour ce qui est de la couverture médiatique, non plus de la recherche mais des chercheurs.

Concernant la qualité de cette couverture médiatique, les pays nordiques sont majoritaires à  la trouver objective, fiable, variée alors que la France la trouve surtout difficile à  comprendre ! Le contraste est tout autre sur la question de la participation : si un médium devait organiser un débat sur une question scientifique, la Finlande et Chypre auraient majoritairement tendance à  laisser les chercheurs discuter alors que les citoyens britanniques et danois seraient les plus demandeurs pour participer.

73% des Grecs considèrent que l'information doit leur être présentée par les scientifiques plutôt que par les journalistes, parce qu'elle est plus digne de confiance et plus précise (l'objectivité n'est invoquée qu'à  39%) ! Les Autrichiens, les Irlandais et les Portugais sont les plus en désaccord avec cette idée, avec l'idée que les explication des journalistes sont plus faciles à  comprendre. De fait, une étude socio-démographique montre que plus les sondés ont suivi de longues études, plus ils préfèrent une communication directe des scientifiques.

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L'embargo... mais pas toujours !

J'ai dit dans mon précédent billet à  quel point l'embargo sur l'information est une plaie pour le journalisme scientifique. Mais heureusement, il y a des reportages qui échappent à  cet embargo... Souvent, ce sont des reportages après-coup : un dossier paraissant dans La Recherche ou Science & vie, une émission scientifique mensuelle à  la télévision. Mais parfois aussi, ce sont les quotidiens qui n'en font qu'à  leur tête.

Ainsi, Stéphane Foucart écrivait il y a quelques jours dans Le Monde un article intitulé "L'essor des agrocarburants pourrait aggraver le réchauffement climatique". Article intéressant au demeurant, qui revenait sur un certains nombre de critiques faites aux agrocarburants. Avec, à  l'appui, des données publiées par Paul Crutzen, prix Nobel de chimie 1995, selon lesquelles la production d'un litre de carburant issu de l'agriculture peut contribuer jusqu'à  deux fois plus à  l'effet de serre que la combustion de la même quantité de combustible fossile. L'article scientifique où ce travail a été publié est paru dans une revue relativement confidentielle (parce que spécialisée), Atmospheric Chemistry and Physics Discussions, presque deux mois auparavant. La couverture médiatique s'est donc faite sans embargo et différée dans le temps. Stéphane Foucart, que j'ai interrogé, le reconnaît :

Un certain nombre de papiers importants paraissent dans les revues anglo-saxonnes en août. Ils passent inaperçus, non pour des raisons éditoriales mais pour des raisons contingentes de congés d'été, une grande part des responsables de rubriques étant bêtement en vacances. Je suis tombé par hasard sur le papier, en lisant une synthèse de communiqués des instituts et des éditeurs scientifiques. Fallait il passer sous silence ce papier sous prétexte qu'il n'était plus "dans l'actualité" ? A mon avis non.

Surtout que dans ce cas, l'actualité des biocarburants ne se cantonne pas aux trois jours qui suivent la sortie d'un article ! L'article étant sorti dans une revue qui pratique le peer commentary, le journaliste du Monde a même pu profiter des commentaires laissés par les pairs pour enrichir son compte-rendu. Et pour notre plus grand plaisir à  tous, au moment où l'article du Monde sort, chacun peut accéder de lui-même à  l'article original (en accès libre) et aux commentaires des pairs...

Il y a un autre cas intéressant à  étudier, historique celui-là . Nous sommes en 1974 et les technologies de l'ADN sont en train de naître, au premier rang desquelles l'ADN recombinant, qui est un produit de la collaboration du spécialiste des enzymes de restriction Herbert Boyer et du spécialiste des plasmides Stanley Cohen. Cette avancée majeure, c'est celle qui permettra ensuite de faire fabriquer de l'insuline à  des bactéries, d'insérer des transgènes dans des plantes cutlivées, de faire de la génétique en laboratoire etc. Or un des résultats cruciaux de ce travail (l'expression d'un gène de grenouille par une bactérie) aurait pu passer inaperçu si, comme le raconte un témoin de l'époque, un journaliste du New York Times n'était pas au même moment en train d'écrire un article sur quelque chose d'un professeur de Harvard ou du MIT. Comme le scientifique en question n'était pas prêt et son travail avait encore besoin d'être perfectionné, il conseilla au journaliste d'aller voir Stanley Cohen qui travaillait sur quelque chose d'intéressant. Ce qu'il fit, et son article Animal Gene shifted in Bacteria fut publié 19 jours après l'article scientifique qu'il rapporte, en même temps qu'un communiqué de presse de l'université de stanford qui se rendit compte seulement à  ce moment-là  de l'impact portentiel de ce travail ! Si l'on continue de suivre la chronologie donnée par Sally Smith Hughes, il y eut le lendemain un article du San Francisco Chronicle, puis un mois après un reportage dans le magazine Newsweek. Pas d'embargo donc dans ce cas, pas non plus de couverture journalistique au jour le jour mais une information finalement correcte pour le lecteur. La machine médiatique n'était pas aussi emballée qu'aujourd'hui…

L'embargo n'est donc pas toujours indispensable, ni hier ni aujourd'hui, et on retrouve encore l'arbitraire qui gouvernait autrefois la couverture de l'actualité scientifique. Heureusement, oserais-je dire !

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L'embargo en question

J'ai déjà  mentionné ici la manière discutable dont les résultats scientifiques sont communiqués aux journalistes scientifiques : sous condition d'embargo, c'est-à -dire que ces derniers doivent préparer leur enquête et leur article mais ne rien publier avant leurs autres collègues, d'où une explosion d'articles (et souvent de superlatifs) le jour J. Sauf exception, comme en 1997 quand The Observer a brisé l'embargo pour publier le scoop de la première brebis clonée, Dolly.

Mais cette pratique immémoriale est peut-être plus que jamais sous le feu des critiques. En 2006, Vincent Kiernan du Chronicle of Higher Education publiait une enquête approfondie aux presses de l'université d'Illinois : non content de dénoncer ces pratiques de collusion, son livre offre une exploration sans précédent de l'impact de l'embargo sur la culture scientifique du public et les questions médicales. Après avoir passé en revue 25 quotidiens américains et s'être entretenu avec les journalistes scientifiques, il conclut que ce système favorise le "journalisme en bande" et crée un obstacle néfaste à  la compétition journalistique, favorisant une couverture complaisante de l'actualité scientifique et médicale à  partir d'une poignée de sources-clés.

Puis nul autre que le rédacteur en chef du fameux Lancet, dans son compte-rendu de lecture du livre de Kiernan paru dans Science, y allait de son couplet : l'embargo est d'abord une demande des journalistes, avant que les éditeurs des revues scientifiques n'y voient l'avantage qu'ils pouvaient en tirer. L'embargo est artificiel, il favorise la survie des journalistes les moins doués, il attire l'attention sur des résultats souvent faibles et douteux. L'existence de cette "bande de journalistes" guidés par l'embargo devrait être antithétique d'une profession qui résiste habituellement à  toute pression extérieure. Selon lui, la disparition de l'embargo fera du bien à  tout le monde. Mais quelle revue osera la première ?

Il y a deux mois, c'est un ancien journaliste scientifique de la BBC qui enfonçait le clou. Extraits choisis :

C'est quelque chose que les journalistes ne devraient pas faire mais que nous faisons tous, volontairement, parce que nous n'avons pas le choix si nous voulons rester connectés au flux régulier des nouvelles des revues. Aucun autre domaine du journalisme n'a un tel arrangement confortable et dissimulé. (…) Les revues disent que l'embargo est une bonne chose. Ils disent que cela nivelle vers le haut la couverture des recherches sérieuses qui ont été approuvées par les pairs. Ils ajoutent que cela permet aux journalistes de travailler leurs articles, conduire les interviews et filmer, afin qu'ils comprennent bien la science sous-jacente. Tout ça, c'est du pipeau et de la condescendance.

Je suis prêt à  parier que le débat va continuer mais que l'embargo finira par céder sous ces coups de butoir, ainsi que sous ceux des blogueurs. En effet, ces derniers se posent aujourd'hui comme complément sérieux au journalisme scientifique et revendiquent eux aussi un droit à  l'information : pourquoi seraient-ils ainsi exclus, à  plus forte raison quand l'embargo expire avant la date de publication réelle de l'article scientifique et que, ne pouvant y accéder, ils sont dans l'impossibilité de se livrer à  leur exercice favori du commentaire… Pour le salut de la liberté d'informer, espérons que cette situation cessera rapidement !

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Quand les journalistes prennent (trop) des pincettes

Entendu ce soir sur France inter, à  la toute fin du journal de 19h :

C'est à  la fois complexe et poétique : dans la revue Nature à  paraître demain, des chercheurs britanniques ont paraît-il découvert que les mots peuvent provoquer, dès leur simple prononciation, une sensation de goût chez certaines personnes. (c'est moi qui souligne)

Pourquoi autant de précautions en rapportant ainsi la nouvelle ? L'article original est bien plus affirmatif :

Here we show that individuals who experience synaesthetic tastes that are elicited by words (who are known as lexical–gustatory synaesthetes) begin to taste an upcoming word before they can actually say it (that is, while it is still 'on the tip of the tongue').

J'émettrais plusieurs hypothèses :

  • 1. le journaliste aurait obtenu cette information de seconde main, par l'intermédiaire de la journaliste scientifique de France inter à  qui il ne fait qu'à  moitié confiance — et autres explications fantaisistes toutes aussi peu probables ;
  • 2. il aurait obtenu l'information grâce au communiqué de presse envoyé par Nature (comme cela se pratique habituellement), communiqué qui serait plus mesuré. Sans pouvoir accéder au communiqué lui-même, on peut en avoir un avant-goût en jetant un œil à  la présentation par la rédaction de l'article des chercheurs britanniques, qui est tout aussi affirmative :

In tests on individuals in whom synaesthetic tastes are elicited by words, they could 'taste' an upcoming word before they could say it.

  • 3. l'information ne viendrait pas en première main de Nature mais d'une source tiers. Pourtant, en parcourant les articles en anglais consacrés à  cette découverte, on s'aperçoit que les journalistes américains et anglo-saxons sont loin de montrer la même réserve :

Having a word stuck on the tip of the tongue is enough to activate an unusual condition in which some people perceive words as having different tastes, according to a new study. (Scientific American)

Lexical-gustatories involuntarily “taste” words when they hear them, or even try to recall them, she wrote in a study, “Words on the Tip of the Tongue,” published in the issue of Nature dated Thursday. (The New York Times)

For some people, the mere mention of a word can bring a very specific taste to the tongue. "Mountain" might elicit cold bacon, for instance, while "Michelle" might conjure egg whites. (New Scientist)

  • 4. la distance traduirait une certaine méfiance plus générale vis-à -vis des résultats rapportés par les revues scientifiques, ce que j'expliquerais par 1) un manque de connaissance du mécanisme de peer-review ou 2) une image de la science comme accumulation de vérités provisoires et fragiles (un contre-coup de l'affaire Hwang ?) ;
  • 5. la découverte serait si surprenante pour le journaliste qu'il en oublierait son professionnalisme pour laisser parler son scepticisme ;
  • 6. la distance exprimerait un certain dédain vis-à -vis d'un résultat scientifique présenté comme essentiellement amusant et distrayant, en clôture du journal...

Autant d'hypothèses qui me laissent insatisfait et perplexe. Et vous, quelle est votre interprétation ?

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