La science, la cité

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Mot-clé : France inter

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Quand les journalistes prennent (trop) des pincettes

Entendu ce soir sur France inter, à  la toute fin du journal de 19h :

C'est à  la fois complexe et poétique : dans la revue Nature à  paraître demain, des chercheurs britanniques ont paraît-il découvert que les mots peuvent provoquer, dès leur simple prononciation, une sensation de goût chez certaines personnes. (c'est moi qui souligne)

Pourquoi autant de précautions en rapportant ainsi la nouvelle ? L'article original est bien plus affirmatif :

Here we show that individuals who experience synaesthetic tastes that are elicited by words (who are known as lexical–gustatory synaesthetes) begin to taste an upcoming word before they can actually say it (that is, while it is still 'on the tip of the tongue').

J'émettrais plusieurs hypothèses :

  • 1. le journaliste aurait obtenu cette information de seconde main, par l'intermédiaire de la journaliste scientifique de France inter à  qui il ne fait qu'à  moitié confiance — et autres explications fantaisistes toutes aussi peu probables ;
  • 2. il aurait obtenu l'information grâce au communiqué de presse envoyé par Nature (comme cela se pratique habituellement), communiqué qui serait plus mesuré. Sans pouvoir accéder au communiqué lui-même, on peut en avoir un avant-goût en jetant un œil à  la présentation par la rédaction de l'article des chercheurs britanniques, qui est tout aussi affirmative :

In tests on individuals in whom synaesthetic tastes are elicited by words, they could 'taste' an upcoming word before they could say it.

  • 3. l'information ne viendrait pas en première main de Nature mais d'une source tiers. Pourtant, en parcourant les articles en anglais consacrés à  cette découverte, on s'aperçoit que les journalistes américains et anglo-saxons sont loin de montrer la même réserve :

Having a word stuck on the tip of the tongue is enough to activate an unusual condition in which some people perceive words as having different tastes, according to a new study. (Scientific American)

Lexical-gustatories involuntarily “taste” words when they hear them, or even try to recall them, she wrote in a study, “Words on the Tip of the Tongue,” published in the issue of Nature dated Thursday. (The New York Times)

For some people, the mere mention of a word can bring a very specific taste to the tongue. "Mountain" might elicit cold bacon, for instance, while "Michelle" might conjure egg whites. (New Scientist)

  • 4. la distance traduirait une certaine méfiance plus générale vis-à -vis des résultats rapportés par les revues scientifiques, ce que j'expliquerais par 1) un manque de connaissance du mécanisme de peer-review ou 2) une image de la science comme accumulation de vérités provisoires et fragiles (un contre-coup de l'affaire Hwang ?) ;
  • 5. la découverte serait si surprenante pour le journaliste qu'il en oublierait son professionnalisme pour laisser parler son scepticisme ;
  • 6. la distance exprimerait un certain dédain vis-à -vis d'un résultat scientifique présenté comme essentiellement amusant et distrayant, en clôture du journal...

Autant d'hypothèses qui me laissent insatisfait et perplexe. Et vous, quelle est votre interprétation ?

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Accélération de la montée des eaux : vraiment ?

Voici ce qu'affirmait Jean-Marie Pelt dans "CO2 mon amour" sur France Inter, samedi 22 avril, à  propos du réchauffement climatique et de la hausse du niveau des mers :

Actuellement, les satellites nous permettent de mesure la montée [des eaux], qui est de 0,2 mm/an ; ça fait 20 cm/siècle. Mais c'est plus qu'au siècle précédent où c'était 15 cm. Et c'est plus qu'au siècle avant où c'était 10 cm. Donc il y a une tendance à  l'accélération !

Deux erreurs :

  • 0,2 mm/an ne fait pas 20 cm/siècle mais 2 cm/siècle. Il doit donc s'agir de 2 mm/an ;
  • le calcul montre que la hausse relative de 10 à  15 cm est de 50% et la hausse de 15 à  20 cm de 33%. Il ne s'agit donc pas d'une accélération mais d'un ralentissement !! En valeurs absolues, l'augmentation n'est pas non plus en accélération mais constante avec +5 cm/siècle. Ceci n'enlève rien à  l'inquiétante hausse observée, mais ne justifie pas un discours erroné...

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OGM : "On a toujours vécu sans !"

Il y a quelques mois, le vendredi 25 mars 2005, Fabrice Drouelle recevait Corine Lepage dans la partie magazine du journal 13-14 de France inter. A un moment de l'interview, Mme Lepage fit remarquer (en substance) que "Les OGM ne profitent pas aux consommateurs ; ceux-ci n'en ont pas l'utilité." Alors, au lieu de pousser Mme Lepage dans ses derniers retranchements et de mettre en cause ce jugement lapidaire, Fabrice Drouelle approuva en affirmant "On a toujours vécu sans."

Je sais bien qu'il s'agissait de la partie "Magazine " du journal, plutôt destinée à  faire la promotion des invités, mais cela n'excuse pas cette faute de la part d'un journaliste de la trempe de M. Drouelle. En effet, l'affirmation de Mme Lepage est infondée, les exemples ne manquent pas pour montrer à  quel point les OGM peuvent profiter au consommateur (d'une meilleure tenue des tomates au moment de leur vente aux OGM thérapeutiques comme ces bananes qui contiennent des molécules médicamenteuses ou ces lapines dont le lait contient un vaccin contre le rotavirus et dans le futur des oléagineux enrichis en oméga-3 etc.). Plus fondamentalement, en fait, l'innovation en agronomie n'est jamais directement "utile" au consommateur mais il en profite in fine. A-t-il réclamé la révolution fourragère ? A-t-il réclamé l'introduction des herd books pour l'amélioration génétique des races ? Demande-t-il à  ce qu'on associe triazoles et chlorothalonil pour lutter contre la septoriose du blé ? Non, mais le résultat de ces innovations se trouve tous les jours dans son assiette.

Certes, Fabrice Drouelle pouvait ignorer tout ça mais sa phrase "On a toujours vécu sans" est une absurdité !! Nous avions toujours vécu sans la voiture avant qu'elle soit inventée, toujours vécu sans l'électricité avant qu'elle soit inventé, toujours vécu sans l'agriculture avant qu'elle soit inventée etc. En fait, c'est le principe même des innovations que d'être introduites alors qu'on avait vécu sans. Un exemple d'affirmations à  éviter car sans intérêt pour le débat présent (mais pour un autre débat sur le progrès et le bien-être apporté par la technologie, pourquoi pas)...

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Pesticides et raccourcis

Aujourd'hui entre 14 et 15 heures, Jean-Marie Pelt intervenait sur France inter comme chaque semaine, dans l'émission "CO2 mon amour". Faisant une sorte de bilan de 2005, il revenait sur la question des pesticides. Voici un extrait de ses propos, que je souhaiterais commenter :

L'Institut national de la recherche agronomique a dit qu'on ne pourrait plus continuer l'agriculture intensive comme on le fait depuis 50 ans, fondée sur des quantités énormes de produits chimiques ” en particulier des pesticides. [ ] Je pense surtout à  mes amis paysans [ ] à  qui on va dire cela et qui vont répondre cette chose plein de bon sens : "Mais comment se fait-il qu'on nous fait acheter des produits qui sont dangereux ?" Mais quelle merveilleuse question ! Les paysans sont plein de bon sens et de jugement, et ils sont tout à  fait capables de comprendre qu'ils sont en fait instrumentalisés par des multinationales et qu'on pourrait faire autrement avec d'autres types de produits, et avec moins de produits.

Sans vouloir m'attarder sur l'utilisation du vocable "paysan" ou sur la question du bon sens des uns (les "amis") et du "mauvais sens" des autres (de facto les ennemis), je remarque ici quelques raccourcis et généralisations trompeurs dans la seconde moitié de cet extrait. Si je comprends bien, Jean-Marie Pelt y affirme que les agriculteurs sont à  la botte des multinationales qui leur vendent des produits chimiques dangereux en dépit du bon sens alors qu'il existe "d'autres types de produits".

  • D'abord, les agriculteurs n'ont pas attendu les multinationales pour vouloir traiter et protéger leurs cultures, en témoigne l'utilisation de la bouillie bordelaise entreprise par les agriculteurs eux-mêmes dès 1878. Les pesticides ne sont pas des produits unilatéraux que les uns tenteraient d'imposer aux autres ! Conformément à  la loi de l'offre et de la demande, la première n'existe pas sans la seconde.
  • Ensuite, la production des pesticides n'est pas l'apanage des multinationales, en témoigne des entreprises comme Agriphyt ou la Compagnie générale des insecticides ; il faut choisir qui l'on vise au juste, les fabricants de pesticides ou les multinationales en général.
  • Certes, me direz-vous, mais l'offre de pesticides pourrait être faite de ces "autres types de produits", moins dangereux ! Sans autre précision de la part de Jean-Marie Pelt, nous émettrons l'hypothèse que ces autres produits sont les produits phytosanitaires autorisés en agriculture biologique. Or ceux-ci, même s'ils sont généralement d'origine naturelle, n'en sont pas forcément moins dangereux ! Ici, on retrouve la confusion fréquente entre produit naturel, produit de synthèse (qui sont tous les deux des produits "chimiques") et dangerosité.

Enfin, le reste est affaire d'opinion et de conviction personnelles. Mais qu'au moins les termes du débat soient posés avec précision et pédagogie et non par raccourcis et amalgames.

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Deuxième consommateur de pesticides ? Oui mais...

Le 29 décembre dernier, sur France inter, Mathieu Vidard — qui est plus animateur que journaliste — recevait Yann Arthus-Bertrand dans son émission "Café bazar". De nombreux thèmes furent évoqués, de l'écologie à  la photographie en passant par le développement durable. Arthus-Bertrand en parlait avec simplicité, avouant par exemple que sa réflexion sur l'énergie nucléaire l'avait amené à  un cul-de-sac et qu'il n'avait pas (ou plus) d'opinion sur ce sujet.

A un moment, l'animateur évoqua l'agriculture et les pesticides, en faisant remarquer — avec du dégoût dans la voix — que "la France est le deuxième consommateur mondial de pesticides". Point. Arthus-Bertrand a alors eu raison de lui faire remarquer qu'en effet, mais que la France est le premier pays agricole européen et le second exportateur mondial de produits agricoles et agro-alimentaires. Ces deux termes de l'équation s'"équilibrant" finalement...

Le constat du journaliste, bien que vrai, était orienté puisque privé de sa contrepartie. De la même façon que l'on raisonne en terme de balance risque/bénéfice, il me semble dangereux de présenter une information qui fait peur d'une manière que l'on pourrait qualifier d'incomplète.

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