La science, la cité

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Scientifiques et faucheurs d'OGM

À l'heure où l'essai de vignes OGM de l'Inra se fait une nouvelle fois arracher, où l'on ne sait plus à quel saint se vouer et où Marion Guillou (présidente de l'Inra) se dit scandalisée en tant que citoyenne, j'ai déterré un sondage de 2007 qui a fait quelque bruit sur Twitter… Le voici :

43 % des scientifiques du CNRS jugent acceptable la destruction d'essais d'OGM en plein champ (20 % pour qui c'est tout à fait acceptable et 23 % pour qui c'est assez acceptable)

Le sondage avait été présenté lors du colloque CNRS "Sciences et Société en mutation" (février 2007) que j'avais relaté sur ce blog. Il avait été commandé par le CNRS, chose rare, pour comprendre comment ceux qui font la science (chercheurs, ingénieurs) perçoivent eux-mêmes leurs relations avec la société. Il n'avait alors pas échappé à la présidence (Catherine Bréchignac) que les scientifiques ont le même positionnement que le grand public puisque selon l'auteur de l'étude, Daniel Boy, ces chiffres sont très comparables à ceux obtenus sur des échantillons représentatifs de 5.000 personnes non scientifiques. Et on pourrait continuer la liste : à 79% ils trouvent "acceptable" de boycotter des produits contenant des OGM. A 72% de lutter contre l'implantation d'un site de stockage de déchets nucléaires. A 66% de lutter contre l'implantation d'antennes de téléphonie mobile

Le sondage a été effectué selon la méthode de l'échantillonnage stratifié et Daniel Boy explique[1] :

Nous avons pris le CNRS tel qu'on l'avait et on a regardé en fonction des grades et des disciplines. Nous avons fait des cases : grades/disciplines. À l'intérieur de ces cases, un certain nombre de noms de personnes ont été tirés au sort. C'est plus proche du réel que les sondages grand public, parce qu'on est dans un univers d'environ 30 000 personnes. Il y a très peu de chances qu'on se trompe en faisant de l'aléatoire. (…) Donc je n'ai vraiment aucun doute que cela représente bien les ingénieurs et les chercheurs.

Les données sont très précises : les plus vieux (60 ans et plus) sont ceux qui jugent le moins favorablement les fauchages d'OGM, suivis par les moins de 40 ans. Ce sont donc les scientifiques de 40 à 59 ans, et ceux qui ont rejoint le CNRS entre 1980 et 2000, qui sont les plus proches des faucheurs. Pourquoi ? J'attends vos hypothèses en commentaire ! Les ingénieurs sont plus tolérants que les chercheurs, et les chargés de recherche plus que les directeurs de recherche, sans doute parce qu'ils n'y voient pas une remise en cause de leur autorité. Enfin, comme on pourrait s'y attendre, les personnels sont d'autant plus critiques envers les fauchages qu'ils travaillent en sciences de la vie, environnement ou chimie.

Nous voilà donc dans de beaux draps, répond en substance Anne Bertrand sur Twitter. Pas forcément, réponds-je. D'abord, parce qu'on voit que les scientifiques sont attachés globalement aux mêmes valeurs que le grand public et ont les mêmes réflexes. Il n'y a donc pas de grand divorce ! Ensuite, parce que cela montre à quel point les cultures épistémiques, les traditions de recherche et le vécu marquent les chercheurs. Il existe donc une diversité au sein de la communauté, qu'il faut maintenir et encourager. Qu'y aurait-il de plus dépriment qu'une tribu de clones en blouses blanches ! Enfin, cela signifie que certains chercheurs s'opposent à certaines recherches, ou en tous cas respectent que d'autres puissent s'y opposer. Et ça, c'est une bonne nouvelle pour qui ne veut pas voir dans les laboratoires des savants fous suivant aveuglément le sens du progrès !

Notes

[1] Daniel Boy (2008), "Analyse des résultats des enquêtes sur la perception de la société par les chercheurs et réciproquement", Sciences en société au XXIe siècle : autres relations, autres pratiques, CNRS Éditions

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Henri, 15 ans, faucheur volontaire

Henri, 15 ans, arrêté pendant qu'il fauchait une parcelle d'essai de maïs OGM appartenant à  Monsanto, est reconvoqué demain devant le Juge pour enfant de Nantes, à  la demande du procureur qui cherche à  le mettre en examen. A 15 ans on passe son brevet des collèges et à  moins d'être un génie, on a rarement étudié de près la question des OGM et disséqué le corpus de littérature qui leur sont consacrés. On ne peut donc pas opposer des arguments scientifiquement solides à  la poursuite d'essais OGM. Ceux qui ne pensent à  la querelle des OGM qu'en termes matérialistes ou qui veulent à  tout prix y faire apparaître des démarcations trouveront inepte qu'un mineur ait participé à  une telle destruction et verront là  une preuve du prosélytisme à  tout crin des militants anti-OGM. Surtout quand ceux-ci, appelant à  la défense d'Henri, saluent son jeune âge [qui] nous rappelle qu’il existe des désobéissances salutaires et responsables quant à  l’avenir des générations futures. Une envolée un peu forcée et utilisant l'adjectif discutable de responsable, l'âge d'Henri lui valant devant la justice une présomption relative d'irresponsabilité.

Mais à  15 ans, on peut être militant et avoir une vision assez claire du monde dans lequel on veut vivre. Dès lors, Henri peut effectivement avoir son mot à  dire (et la désobéissance civile, bien commode, le lui permet alors qu'il n'a pas encore atteint l'âge de voter). Car la critique des OGM, et même la colère contre ces avatars de la technoscience, peut être rationnelle à  défaut d'être raisonnable. Elle s'appuie certes sur une rationalité différente de la rationalité scientifique, laquelle, malgré ses divergences, est loin d'être tombée sur un consensus radicalement opposé aux OGM. C'est une rationalité plus holistique car elle englobe l'appréciation subjective du risque, une vision du monde qui porte sur le rôle de l'agriculture, les règles du commerce international et les limites de de la propriété intellectuelle ainsi qu'un accord sur les formes possibles de contestation.

Alors vous, de quel côté vous situez-vous ? Henri, 15 ans, a mené une action illégale de désobéissance civile mais peut-on considérer qu'il avait des raisons de le faire ? Sans doute aucune alternative ne nous aura fait mieux sentir ce qui se joue autour des OGM…


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Les OGM, science contre science

Un des messages de mon billet sur le Grenelle de l'environnement était que très souvent dans ce type de débats, il n'y a pas d'un côté la science et de l'autre les peurs, l'opinion ou la pseudo-science. Et que la science se retrouvant face à  elle-même, c'est la politique qui permet de trancher.

Un article du New York Times paru le 26 décembre, précisément intitulé "Both sides cite science to address altered corn", ne dit pas autre chose. Avant la décision française sur le MON810, c'est le Commissaire européen Dimas qui décidait unilatéralement de s'opposer à  l'autorisation de mise sur le marché de nouvelles plantes OGM. En se basant sur de nouvelles études montrant que le maïs Bt n'est pas exempt d'incertitudes et de risques à  long terme. Car contrairement aux apparence, l'article nous apprendre vite que le Commissaire Dimas a une foi absolue en la science. Ah ! Mais simplement, il y a des fois où des points de vue scientifiques divergents sont sur la table. Alors pourquoi une science si schizophrène ? Parce que le verre peut sembler à  moitié vide ou à  moitié plein, explique une écologue de l'ETH Zà¼rich. Mais aussi parce que les disciplines et les cultures épistémiques sont comme l'huile et l'eau, elles ne se mélangent pas : une spécialiste des papillons monarques à  l'université du Minnesota estime qu'on ne sait pas vraiment s'il y a un effet des OGM sur les écosystèmes et qu'il est difficile d'anticiper l'apparition de problèmes dans le futur. Tandis qu'un biologiste végétal considère qu'on a passé le stade des interrogations et qu'il s'agit aujourd'hui de nourrir la planète…

à‡a ne vous fait penser à  rien ? Si, bien sûr ! Il y a une semaine, le Comité de préfiguration d’une haute autorité sur les organismes génétiquement modifiés soulevait des interrogations quant aux conséquences environnementales, sanitaires et économiques possibles de la culture et de la commercialisation du MON 810. Avec, à  l'appui, 27 références scientifiques publiées après 2001. Et que dit l'Association français pour l'information scientifique : l'activation de la clause de sauvegarde n’est pas scientifiquement justifiée… Allez savoir… Et dans ces circonstances, comment l'OMC peut-elle réellement juger si un fait scientifique est réellement nouveau et convaincant ? Quand je vous disais que c'est le politique qui finit par trancher…

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Science et pas science au Grenelle de l'environnement

La science n'est pas connaissance du monde : elle est un discours sur le monde. Parce qu'elle délimite elle-même son champ d'application (les trous noirs mais pas les OVNIs), parce qu'elle propose une méthode presque univalente (essentiellement réductionniste), parce qu'elle se construit sur une dynamique sociale forte (revues, collèges invisibles, académies, universités et instituts de recherche), elle ne peut prétendre à  l'exhaustivité.

Du coup, elle va avoir tendance à  rejeter tout ce qu'elle n'est pas, afin de maintenir la démarcation qui donne à  la science sa légitimité particulière. Ce sont les accusations envers la fausse science, la pseudo-science, la junk science méprisés en regard de la sound science, cette science bien faite, cherchant le consensus des pairs, sans motifs politiques. Le plus drôle, comme toujours, est qu'un camp traite l'autre de junk science et réciproquement !

Puis il y a tout ce que la science n'a pas encore intégré dans son champ : tous les domaines laissés de côté, toutes les questions jugées superflues. On peut citer par exemple les traitements alternatifs contre le cancer : ils font partie de ce que David Hess a appelé la "science qui n'est pas faite" (undone science). Pour bien montrer que ces sujets sont temporairement exclus de la science mais que celle-ci peut se les approprier, dès qu'il se crée une communauté de recherche ou une source de financements : Because the pharmaceutical industry invests only in patentable products rather than public domain interventions, clinical trials research for nutritional and herbal therapies has moved forward at a slow pace. On n'est pas loin de l'histoire racontée par Matthieu, toujours à  propos d'un traitement contre le cancer…

Il n'y a donc pas la science d'un côté et la non-science de l'autre mais ce que la science a investit, ce qu'elle pourrait investir dans le futur ou ce qu'elle a décrété ne relevait pas de son ressort. Mais même ce qu'elle a investit n'est pas monolithique. Selon les disciplines, les discours sur le monde divergent et peuvent devenir incompatibles (ou "incommensurables", dirait Thomas Kuhn). J'ai étudié un bel exemple de cette situation : l'affaire Quist et Chapela. Vous vous souvenez que Quist et Chapela avaient démontré en 2001 la présence au Mexique (région de l'Oaxaca), dans des populations sauvages de maïs, de séquences génétiques provenant de maïs OGM. Ils ont d'abord été critiqués sur le résultat lui-même, puis sur le protocole expérimental, et sur les conclusions que l'on pouvait tirer du résultat en termes écologiques. Une étude parue en 2005 dans les prestigieux Proceedings of the National Academy of Sciences mettait fin à  la controverse en montrant qu'en 2003 et 2004, pour 153 000 semences testées prélevées dans 125 champs de l'Oaxaca, aucun transgène n'était à  signaler. S'ils étaient bien présents en 2001, ils ont donc disparus sous l'effet de la baisse des importations de PGM et de l'éducation des agriculteurs, entraînés à  ne plus planter n'importe quelle semence.

Mais voilà  : un article de 2006 revenait sur le raisonnement statistique des auteurs et soulignait surtout que la question est plus complexe qu'il n'y paraît puisqu'au-delà  de l'analyse, des estimations précises et fiables de la présence de transgènes nécessitent de comprendre la structure et la dynamique des populations locales de maïs traditionnel et la manière dont les agriculteurs les gèrent. C'est donc la manière de poser le problème qui doit être corrigée, pour revenir aux pratiques agricoles locales… Dans ces conditions, alors que Quist et Chapela sont bien positionnés puisqu'ils s'intéressaient depuis longtemps à  la biodiversité sous l'angle anthropologique et économique, que deviennent les biologistes moléculaires qui les avaient attaqués le plus durement ? Que deviennent même les biologistes des populations qui ignorent les savoirs locaux ? On voit que la manière de poser le problème peut-être suffisamment différente pour que des communautés scientifiques un tant soit peu éloignées n'arrivent plus à  se parler, à  se mesurer l'une à  l'autre !

Mais alors, comment s'en sortir ? Pas question de chercher à  démêler le faux du vrai puisque les discours peuvent être incommensurables ou inexistants dans le cas de la science qui n'est pas faite. Mieux vaut faire comme le propose Bruno Latour, prenant l'exemple de l'affrontement sur les OGM en France :

Chaque groupe propose (…) un monde dans lequel les autres sont invités à  venir vivre. Or, ces propositions de mondes divergent les unes des autres non seulement dans leurs "aspects sociaux", mais surtout dans leurs "aspects scientifiques". Il n'est pas très étonnant qu'elles suscitent des réactions virulentes de ceux qui se trouvent ainsi mobilisés, surtout si on leur demande de modifier leurs habitudes alimentaires, leur définition du risque, leur lien à  la terre, leurs relations avec les firmes agro-alimentaires, la manne des subventions européennes, et ainsi de suite. C'est justement, le rôle de la politique que de faire émerger de ces propositions antagonistes, un monde commun : une définition acceptée de ce qu'est l'agriculture, la recherche, l'alimentation, la génétique, l'Europe de demain.

 ©© Cyril Cavalié

A l'heure du Grenelle de l'environnement, il faut donc tâcher de créer un monde commun, en ne demandant pas à  la science d'apporter des preuves et de simplifier le débat mais de le complexifier pour que les choix soient épais, robustes et qu'ils tiennent compte des humains comme des non-humains.

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Au Mali, un jury de citoyens s'exprime sur les OGM

Le problème des OGM, ce n'est pas qu'en Europe. Et les jurys de citoyens, ce n'est pas qu'en France.

Ainsi, il s'était tenu en janvier 2006 (mais je l'apprends seulement par le dernier numéro de la revue Territoires) une conférence de citoyens au Mali sur la question des OGM et de l’avenir de l'agriculture du pays. Rendue possible par la combinaison d’une structure de démocratie participative locale, l’Espace communal d’interpellation démocratique (Ecid, organisé dans la région de Sikasso pour débattre du processus de décentralisation), et d’éléments méthodologiques tirés des jurys de citoyens. Elle devait statuer sur la problématique épineuse des OGM, que les firmes de l'agro-industrie tentent d'imposer à  une filière coton en crise (soutenues en plus par USAid, l’agence des Etats-Unis pour le développement international, notamment mandatée pour promouvoir les OGM). D'après l'article de Territoires :

Au Mali, s’il existe quelques groupes qui financent la recherche sur les OGM, il n’existe en revanche pas d’autorisation gouvernementale qui permette la réalisation d’études en plein champ. Le Mali réunit des conditions politiques propices à  l’organisation d’un tel débat : liberté d’expression, de rassemblement, de la presse et décentralisation. L’existence de médias et notamment de radios libres a permis à  près de 800 000 personnes d’être tenues informées de la teneur des débats et des recommandations du jury, analyse Michel Pimbert.

© Michel Pimbert

Concrètement, quatre commissions ont été formées (gros producteurs, producteurs moyens, petits producteurs et groupe des femmes — soit 45 personnes en tout) pour entendre et interroger les témoins-experts. Pas vraiment des profanes mais des parties prenantes, sauf peut-être dans le groupe des femmes. L'avis rendu est une lecture très intéressante, aussi parce qu'il fait état de l'incompréhension qui peut exister entre les mondes productivistes et paysans, Nord et Sud ou matérialistes et animistes. Comme cette remarque : Considérant l'éthique et la religion de notre société, prendre un gène d’animal inconnu chez nous et l’introduire dans une plante n’est pas notre souhait à  nous, producteurs. Ou encore : Ne mener aucune recherche scientifique sur les OGM au nom des producteurs maliens car nous, paysans maliens, sommes contre les OGM. Michel Pimbert, coordinateur de l'événement pour l'Institut international pour l'environnement et le développement, souligne le critère d’équité invoqué par les gros paysans et l'aspect à  la fois combatif et constructif des femmes, qui demandent par exemple à  être formées aux techniques de production du sésame et du coton biologique.

Des recommandations qui confortent le gouvernement dans sa décision de ne pas introduire d’OGM. Cette expérience est aussi une façon de montrer au gouvernement le type de participation citoyenne que l’on peut mettre en place dans le cadre du protocole de Carthagène sur la biodiversité, dont le Mali est signataire. Le projet de loi qui découle du protocole prévoit en effet l’organisation, au niveau national, de procédures de participation du public avant toute introduction d’OGM.

Dans la culture africaine, la démocratie participative va de soi si on l'inscrit dans la lignée des conseils des anciens et des palabres. Appliquée aux débats techno-scientifiques, elle est pourtant originaire du nord de l'Europe. Un métissage qui montre que les bonnes idées n'ont pas de frontières...

[Mà J 26/05, 12h39] : Pour en savoir plus, écouter l'émission "Terre à  terre" (France culture) du 20 mai 2006.

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