Science et pas science au Grenelle de l'environnement
27
oct.
2007
La science n'est pas connaissance du monde : elle est un discours sur le monde. Parce qu'elle délimite elle-même son champ d'application (les trous noirs mais pas les OVNIs), parce qu'elle propose une méthode presque univalente (essentiellement réductionniste), parce qu'elle se construit sur une dynamique sociale forte (revues, collèges invisibles, académies, universités et instituts de recherche), elle ne peut prétendre à l'exhaustivité.
Du coup, elle va avoir tendance à rejeter tout ce qu'elle n'est pas, afin de maintenir la démarcation qui donne à la science sa légitimité particulière. Ce sont les accusations envers la fausse science, la pseudo-science, la junk science méprisés en regard de la sound science, cette science bien faite, cherchant le consensus des pairs, sans motifs politiques. Le plus drôle, comme toujours, est qu'un camp traite l'autre de junk science et réciproquement !
Puis il y a tout ce que la science n'a pas encore intégré dans son champ : tous les domaines laissés de côté, toutes les questions jugées superflues. On peut citer par exemple les traitements alternatifs contre le cancer : ils font partie de ce que David Hess a appelé la "science qui n'est pas faite" (undone science). Pour bien montrer que ces sujets sont temporairement exclus de la science mais que celle-ci peut se les approprier, dès qu'il se crée une communauté de recherche ou une source de financements : Because the pharmaceutical industry invests only in patentable products rather than public domain interventions, clinical trials research for nutritional and herbal therapies has moved forward at a slow pace.
On n'est pas loin de l'histoire racontée par Matthieu, toujours à propos d'un traitement contre le cancer…
Il n'y a donc pas la science d'un côté et la non-science de l'autre mais ce que la science a investit, ce qu'elle pourrait investir dans le futur ou ce qu'elle a décrété ne relevait pas de son ressort. Mais même ce qu'elle a investit n'est pas monolithique. Selon les disciplines, les discours sur le monde divergent et peuvent devenir incompatibles (ou "incommensurables", dirait Thomas Kuhn). J'ai étudié un bel exemple de cette situation : l'affaire Quist et Chapela. Vous vous souvenez que Quist et Chapela avaient démontré en 2001 la présence au Mexique (région de l'Oaxaca), dans des populations sauvages de maïs, de séquences génétiques provenant de maïs OGM. Ils ont d'abord été critiqués sur le résultat lui-même, puis sur le protocole expérimental, et sur les conclusions que l'on pouvait tirer du résultat en termes écologiques. Une étude parue en 2005 dans les prestigieux Proceedings of the National Academy of Sciences mettait fin à la controverse en montrant qu'en 2003 et 2004, pour 153 000 semences testées prélevées dans 125 champs de l'Oaxaca, aucun transgène n'était à signaler. S'ils étaient bien présents en 2001, ils ont donc disparus sous l'effet de la baisse des importations de PGM et de l'éducation des agriculteurs, entraînés à ne plus planter n'importe quelle semence.
Mais voilà : un article de 2006 revenait sur le raisonnement statistique des auteurs et soulignait surtout que la question est plus complexe qu'il n'y paraît puisqu'au-delà de l'analyse, des estimations précises et fiables de la présence de transgènes nécessitent de comprendre la structure et la dynamique des populations locales de maïs traditionnel et la manière dont les agriculteurs les gèrent
. C'est donc la manière de poser le problème qui doit être corrigée, pour revenir aux pratiques agricoles locales… Dans ces conditions, alors que Quist et Chapela sont bien positionnés puisqu'ils s'intéressaient depuis longtemps à la biodiversité sous l'angle anthropologique et économique, que deviennent les biologistes moléculaires qui les avaient attaqués le plus durement ? Que deviennent même les biologistes des populations qui ignorent les savoirs locaux ? On voit que la manière de poser le problème peut-être suffisamment différente pour que des communautés scientifiques un tant soit peu éloignées n'arrivent plus à se parler, à se mesurer l'une à l'autre !
Mais alors, comment s'en sortir ? Pas question de chercher à démêler le faux du vrai puisque les discours peuvent être incommensurables ou inexistants dans le cas de la science qui n'est pas faite. Mieux vaut faire comme le propose Bruno Latour, prenant l'exemple de l'affrontement sur les OGM en France :
Chaque groupe propose (…) un monde dans lequel les autres sont invités à venir vivre. Or, ces propositions de mondes divergent les unes des autres non seulement dans leurs "aspects sociaux", mais surtout dans leurs "aspects scientifiques". Il n'est pas très étonnant qu'elles suscitent des réactions virulentes de ceux qui se trouvent ainsi mobilisés, surtout si on leur demande de modifier leurs habitudes alimentaires, leur définition du risque, leur lien à la terre, leurs relations avec les firmes agro-alimentaires, la manne des subventions européennes, et ainsi de suite. C'est justement, le rôle de la politique que de faire émerger de ces propositions antagonistes, un monde commun : une définition acceptée de ce qu'est l'agriculture, la recherche, l'alimentation, la génétique, l'Europe de demain.
A l'heure du Grenelle de l'environnement, il faut donc tâcher de créer un monde commun, en ne demandant pas à la science d'apporter des preuves et de simplifier le débat mais de le complexifier pour que les choix soient épais, robustes et qu'ils tiennent compte des humains comme des non-humains.
Commentaires
J'avoue avoir un peu du mal avec cet article :) Des le debut, je suis un peu etonne par la phrase d'introduction: autant le fait que la science est une (parmi d'autres) representation du monde me parait difficilement contestable, autant en deduire qu'elle n'est pas connaissance me parait quelque peu brutal. A ce compte la, qu'est ce qui peut etre connaissance ?
Ensuite, il me semble que ce que l'on entend par junk science est un peu different que la definition que tu donnes, qui me parait plus coller a 'science academique'. Je ne comprends pas pourquoi mettre sur le meme plan reconnaissance des pairs, science bien faite et absence de motifs politiques. Deja, dans reconnaissance des pairs, il y a forcement un cote politique, et science bien faite ne veut pas dire absence de motifs politiques. Dans la plupart des disciplines scientifiques, il y a eu des avancements grace a des manieres de 'faire les choses' differemment, sur des bases qui sont defendables et discutables. Le probleme de la junk science, ce n'est pas qu'elle ait un agenda politique, mais qu'elle se limite a ca.
De ce que j'en comprends de ton example Quist et Chapela, les critiques sont restes de l'ordre du scientifique: differentes disciplines peuvent etre en desaccord sur la/les 'bonnes manieres de faire', mais on reste dans un champ scientifique autant que possible. Ce qui ne veut pas dire que la politique est absente. Au contraire, ce serait plutot: si on est d'accord avec votre vision 'politique' des choses, est-ce que vos travaux ont une valeur scientifiques - sous entendu, on n'a pas besoin d'etre d'accord avec la vision en question pour apprecier le travail.
Si on prends l'exemple de l'economie comme discipline scientifique: il y a differentes ecoles, qui correpondent de maniere evidente a des courants de pensee politiques. Mais on peut apprecier Hayek sans etre ultra-liberal, apprecier Marx sans etre marxiste, etc...
Il faut vraiment que la science soit au coeur de ces débats, que l'écologue ait la parole et que l'on ne court pas vers un écologisme de façade. Il ne faut pas que ce Grenelle fasse de "courbettes" devant écolos les plus radicaux ne vendant pas un discours objectif mais une idéologie. Mais au final, ce Grenelle, qu'est-ce donc pour le moment ? Beaucoup de bruit, et rien dans l'immédiat.
> Fulmar, justement, le but de ce post est je crois de souligner qu'il ne peut PAS y avoir de discours scientifique objectif, non ideologique. Non seulement le discours scientifique ne peut etre suffisant pour repondre aux questions fondamentales (utitiliser les OGM ou non, dans quel but, etc...), mais au sein meme de la communaute scientifique, il y a plusieurs discours, qui ne s'accordent meme pas forcement sur les problemes a poser.
Le point ou j'avoue avoir un peu du mal a suivre Enro, par contre, c'est mettre sur le meme plan ce qu'il appelle 'junk science' et le non scientifique ('rejeter tout ce qu'elle n'est pas'). Je pense que le discours scientifique a certaines specificites (qui ne sont pas l'objectivite ou l'absence d'agenda politique, la on est d'accord).
david > Merci de ces remarques, très justes. En fait, le premier titre de ce billet était : "Science vs. junk science vs. undone science, comment s'en sortir ?" avec l'idée que plutôt que de chercher à démêler le vrai du faux ou de "dépassionner" le débat grâce à la science (comme le répétait sans arrêt le député Jean-François Legrand sur France culture), il faut tout prendre en bloc, ajouter les opinions des uns et des autres et faire de la politique. J'ai sans doute simplifié la définition de la sound science et de la junk science mais si tu as le mérite de reconnaître un agenda politique à même la meilleure sound science, ce n'est pas le cas de ces acteurs qui prennent la science comme alibi et brandissent à tout va la sound science, sous-entendu la Science immaculée qui n'existe que dans les livres...
Je suis d'accord avec ta lecture de l'affaire Quist et Chapela mais le problème est que personne ne prendra d'abord le temps de ce pencher sur la vision politique de l'un ou de l'autre côté avant de regarder des résultats scientifiques (ou alors pour les rejeter d'emblée, puisque Chapela est connu pour être militant) — et qu'en attendant, il est difficile de voir cette fameuse "vérité scientifique" dont on nous rebat les oreilles. Ainsi, la science ne propose pas de vision univoque du monde, ce que je voulais dire un peu abusivement par
...Quelques informations intéresantes sur les OGM : http://futura24.site.voila.fr/agri/agri.htm
qui montre que les OGM ne permettent pas d'augmenter les productions agricoles. Au contraire, ils peuvent diminuer les rendements et coûter très cher aux agriculteurs.
L'exemple des fermiers américains est éloquent, selon une étude de la Soil Association (britannique) sur la baisse des rendements avec les OGM (deux résumés en français, l'étude complète en anglais).
Lire aussi ces explications simples et détaillées sur les OGM : http://www.infogm.org/lesogmendebat/sommaire.html.
Robin > Merci, mais entre un premier lien vide et un second strictement informatif, je ne vois pas trop l'intérêt de faire du copier-coller de commentaires sur un billet qui n'a rien à voir...
david > Grâce à Wikipédia, je viens de tomber sur la citation de deux auteurs (Gross et Levitt) qui soutiennent une position proche de celle que j'avais laissé entendre (volontairement ou non) au début de ce billet. On peut être d'accord ou pas mais ça a le mérite d'être clair…
merci pour ce biolet, c'est toujours interessant de vous lire. Je me demandaisc ependant pourquoi cette parebnthese : les trous noirs mais pas les ovnis ? :)
Sae > Ce que je veux dire c'est que les scientifiques étudient les trous noirs, alors qu'ils n'en ont jamais touché et approché de près, voire même les mini-trous noirs dont on n'a encore jamais prouvé l'existence (comme l'avoue Aurélien Barrau, CNRS) — mais qu'ils refusent catégoriquement de s'intéresser aux OVNIs… Je te renvoie notamment vers ce billet antérieur sur la démarcation entre ce qui rentre dans le domaine de la science et ce qui n'y entre pas.
bonjour, j'ai trouv ce billet fort interessant :) je me demandzais pourquoi cette precision les trous noirs mais pas les ovnis ... ;) je te souhaite une bonneccontinuation !
Arrangeur > Voir mon commentaire précédent…