La science, la cité

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Discours des candidats sur les OGM

Loin de moi l'idée de résumer ici les intentions des candidats aux présidentielles concernant les OGM, d'autant que pour la plupart d'entre eux, ce n'est plus guère d'actualité. Mais j'ai eu la chance d'assister à  une comparaison de ces programmes de 2002 et 2007, menée par Didier Torny et Francis Chateauraynaud. Ce dernier a récemment co-écrit un dialogue avec son "sociologue électronique" Marlowe, qui lui permet de ressortir et d'interroger plus de 1500 discours des quatre principaux candidats à  l'élection présidentielle 2007.

Mobilisant les mêmes outils sur la problématique OGM, cette équipe est capable de caractériser un discours, à  la fois quantitativement (fréquence des arguments, du vocabulaire utilisé) et qualitativement (univers lexical, type de modalisation : ironique, critique etc.). Qu'observent-ils sur l'ensemble des programmes officiels ?

D'abord, qu'aucun argument nouveau est apparu entre 2002 et 2007, certains ayant même disparus : c'est le cas de l'argument des OGM pour lutter contre la famine (utilisé par Madelin en 2002), de la nécessité du calcul bénéfice / risques des OGM, des OGM comme exemple de risque sanitaire (le dossier est aujourd'hui autonome et doit être traité en tant que tel, pas au même niveau que la vache folle ou les pesticides).

Ensuite, certains arguments sont repris : l'interdiction, le moratoire (qui a largement pris du poids), l'invocation du principe de précaution (beaucoup moins explicité, nuancé ou modalisé qu'en 2002), la question de la recherche et des essais en plein champ.

En fait, il semble que les propositions s'appauvrissent. Les positions se durcissent réellement, et les quatre candidats qui ne parlent pas des OGM en 2007 n'en parlent pas du tout, même pas positivement. Enfin, la coexistence n'est pas évoquée et face à  la montée du moratoire comme "solution miracle", on est bien forcé de parler de pauvreté des arguments...

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"Sense about science", une organisation pas très nette

J'ai dit ici-même tout le mal que je pensais de cette initiative de l'association britannique "Sense about science" qui consistait à  opposer des chercheurs à  des célébrités et people propageant des idées reçues sur l'agriculture, la santé, le nucléaire etc. Le résultat, navrant de paternalisme condescendant et de sensationnalisme, a même fait tiquer les bien-pensants de l'Association française pour l'information scientifique (AFIS), proches du mouvement zététique et de la lutte contre les pseudo-sciences !

Pourtant, soulignais-je alors, "Sense about science" mène d'autres actions respectables comme la sensibilisation au ''peer-review''. Mais qu'est au juste cette association et de quoi se réclame-t-elle ?

Sur la page d'accueil de son site, elle annonce fièrement :

Sense About Science is an independent charitable trust [founded in 2002]. We respond to the misrepresentation of science and scientific evidence on issues that matter to society, from scares about plastic bottles, fluoride and the MMR vaccine to controversies about genetic modification, stem cell research and radiation. Our recent and current priorities include alternative medicine, MRI, detox, nuclear power, evidence in public health advice, weather patterns and an educational resource on peer review.

Ma foi, de quoi rallier de nombreux scientifiques qui déplorent aujourd'hui la soi-disant montée des mouvements anti-science. D'autant que l'association peut se targuer d'être soutenue par la Royal Society. Mais voilà . Via Matt Hodgkinson (rédacteur en chef de BMC Bioinformatics), je réalise que derrière "Sense about science" se cachent "Global Futures", le très libertarien "Institute of Ideas" et le réseau "Living Marxism" (LM) qui défend une science et technologie (clonage reproductif y compris) libre de toute entrave et considère les écologistes comme l'égal des Nazis[1] ! Plus concrètement :

  • Fiona Fox, un des membres actifs du groupe de travail sur le peer review, est tristement célèbre pour avoir nié le génocide rwandais ;
  • Tracey Brown, Lord Taverne et d'autres membres du bureau de "Sense about science" sont connus pour leur prosélytisme pro-OGM et leurs liens étroits avec l'industrie de l'agro-fourniture ;
  • le Wellcome Trust britannique a refusé de les financer en estimant que la structure proposée pour le groupe de travail est extrêmement restreinte, que celui-ci court le risque d'être vu comme une stratégie fermée et de défense et que le projet est fondé sur de nombreuses hypothèses et très peu de preuves directes.

J'avais pris contact avec eux en décembre dernier pour traduire le dossier sur le peer-review en Français. Initiative qui avait été acceptée. Il va de soi qu'au vu de ces éléments, je ne saurai entretenir des liens avec ces gens-là ...

Notes

[1] D'après GMWatch. Autre exemple de leur position sur un sujet qui nous intéresse : dans un numéro de leur LM Magazine, Joe Kaplinsky reproche à  Sokal et Bricmont de ne pas aller assez loin : l'évaluation des origines des idées relativistes et la sous-estimation de leur influence est une faiblesse de leur livre, rien de moins ! Notons que Martin Durkin, réalisateur du documentaire controversé niant la réalité du réchauffement climatique d'origine anthropique, se réclame de ce mouvement.

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Quist, Chapela et le maïs mexicain : une controverse sur les OGM

Je viens de recevoir la note d'un travail que j'ai effectué en décembre dernier, portant sur la controverse de la pollution génétique de maïs sauvage par du maïs OGM au Mexique. La note n'est pas mauvaise donc je vous livre ici ce devoir.

Article sur la controverse Quist et Chapela

L'article de Quist et Chapela relatant la découverte de ce premier cas d'introgression et publié dans Nature fut violemment attaqué, critiqué et eux-mêmes furent pris à  partie. Les dégâts de cette immense controverse se font encore ressentir cinq ans après et elle fut sans doute un tournant pour les politiques de recherche, l'expertise et la constitution du débat public sur les OGM. Qu'apprend-on dans mon "article" ?

  • Que l'enjeu de la controverse et les positions se déplacent au fur et à  mesure qu'elle avance : les généticiens qui rejetaient l'article en bloc finissent par rejeter certains de ces arguments (les épisodes multiples d'introgression, puis l'interprétation du danger pour la flore sauvage) ;
  • les cultures épistémologiques font que Quist et Chapela, à  la fois écologues et généticiens, sont mal compris — sauf de ceux qui considèrent aussi les populations végétales en interaction avec les communautés paysannes ; cette position les isole en même temps qu'elle les rend forts puisque pas attaquables avec des arguments habituels, situés à  un autre niveau ("votre PCR a été mal faite", "vous êtes de mauvais expérimentateurs" etc.) ;
  • que la science emprunte toutes les arènes (médiatiques, politique, juridique) pour avancer, et qu'elle s'y fabrique autant qu'elle se fabrique dans son arène d'origine ;
  • que les asymétries sont fortes entre les partisans du courant majoritaires, que l'on peut difficilement accuser d'attaches idéologiques alors qu'ils n'en manquent pas, et les défenseurs de Quist et Chapela apparentés aux mouvements écologistes ;
  • que les mots sont peut-être plus importants que les "faits", en témoigne l'essor de l'expression "pollution génétique".

Quelques précisions sur la méthode : les études de controverse sont courantes en sociologie des sciences (un séminaire y est consacré à  l'Université Louis-Pasteur, un cours à  l'Ecole des mines et à  l'Université d'Edinburgh etc.). En effet, étudier une controverse permet de faire ressortir les stratégies des chercheurs, leur rhétorique et la manière dont ils administrent la preuve, bref leur "cuisine" qui est beaucoup moins visible lorsque la science suit son cours "normal". Quand la controverse est socio-technique (i.e. elle implique un public non-scientifique), comme dans le cas présent, cela permet aussi de comprendre et comparer des acteurs hétérogènes. Mon parti pris de méthode est celui de la sociologie de Latour, qui place les acteurs humains et non-humains au même niveau (d'où le titre de ce billet), les suit dans leur action et interprète leurs forces et faiblesses en terme de réseau, où chaque réseau se constitue par la traduction d'intérêts entre acteurs différents…

En conclusion, je retiendrai qu'il faut se méfier des discours simplificateurs des scientifiques façon Paul Reiter (de l'Institut Pasteur), qui fustige les militants et les associations engagées sur le terrain des technosciences :

[Leurs] idées sont souvent renforcées par des références à  des articles scientifiques revus par les pairs qui sembleraient appuyer leurs déclarations, sans se soucier de savoir si ces articles sont largement approuvés par la communauté scientifique elle-même. Quant aux scientifiques qui contestent ces alarmistes, les médias leur donnent rarement une place prépondérante et ils sont souvent taxés de « scepticisme ».

Cela ne veut pas dire grand chose de parler d'articles largement approuvés par la communauté scientifique elle-même. La communauté scientifique n'est pas une et indivisible, elle est aussi traversée par des tensions et peut évoluer dans ses conceptions. Le cas de Quist et Chapela le montre bien : si l'on a pu à  l'époque contester les associations qui s'appuyaient sur leur article, il faut reconnaître qu'agir ainsi a reconfiguré en retour le champ scientifique. Et qu'en parallèle, les débats ont changé de nature et ce sont déplacé. Il n'y a pas l'obscurantisme face à  la raison, mais bien des différences de rationalité, où chacun voit une autre partie de l'éléphant...

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Pourquoi les OGM et les nanoparticules n'ont pas toujours existé

Une rhétorique que l'on retrouve souvent dans la bouche de scientifiques ou apparentés (i.e. adeptes d'un certain cadrage moderne, scientiste ou positiviste) veut que les OGM, comme les nanoparticules, aient toujours existé dans la nature. Comme Denis qui affirme dans un commentaire ici-même que la terre, notre bonne mère, a elle-même une infinité de nanoparticules en son sein ou Benoît Hervé-Bazin qui confirme dans un entretien à  La Recherche (janvier 2007) : De tels fragments ont existé de tout temps : "nano" ne rime pas obligatoirement avec "techno" ! L'atmosphère contient des "nanodébris" de végétaux ou de micro-organismes. Et, depuis que le feu existe, l'être humain en respire sous forme de fumée. Cette rhétorique, qui est supposée disqualifier toute critique que l'on pourrait avoir (et Dieu sait qu'il y en a !) sur ces deux sujet brûlants, peut-être discutée selon plusieurs arguments (disclaimer : je ne dis pas que les arguments sont convaincants, je me contente de les exposer, d'autant que j'en ai probablement une vision très imparfaite) :

Argument sociologique

Les OGM, ce ne sont pas des organismes dont le génome est recombiné par l'Homme mais un projet public, des soutiens économiques, une vision du monde. Les OGM, c'est une domination économique Nord/Sud. Dès lors, il est évident que l'on ne peut parler d'OGM en l'absence de ces caractéristiques fondamentales, plus fondamentales même que l'objet scientifique lui-même. Car l'objet est un prétexte, un prétexte à  "mettre en ordre" l'agriculture, un prétexte à  établir un réseau très fort entre les laboratoires de recherche et les semenciers dont on exclut les agriculteurs, voire un prétexte à  court-circuiter l'OMC et la FAO. Ce qui compte, c'est le jeu des acteurs autour de l'objet, qui ne fait que cristalliser des rapports de force et des stratégies de négociation.

Argument épistémologique (relativiste ?)

L'Homme ne nomme une chose qu'après l'avoir définie, catégorisée etc. Avant qu'apparaisse la notion d'OGM, la nature n'était pas connue comme constituée d'OGM puisque cette catégorie était absente du cerveau humain. Dès lors, comme en droit, on peut contester la "rétroactivité" des concepts, et contester qu'il ait pu exister des OGM ou des particules avant même que l'Homme définisse ces deux termes. On n'est pas loin du principe anthropique selon lequel l'Homme peut observer et connaître l'univers (ici, la nature) parce qu'il s'y trouve. Si l'Homme était absent, dirait-on que les OGM ou nanoparticules existent dans la nature ?

Argument politique

Evidemment, en disant qu'une chose a toujours existé on tend à  la banaliser. Le projet politique derrière n'est pas mince. En disant cela, on accentue aussi le fossé entre les chercheurs (qui "savent" que la nature est constituée d'OGM) et les profanes (qui l'ignorent). Ainsi, on hiérarchise les représentations (la représentation du scientifique est une connaissance, plus valable que celle du profane car universelle et objective), au détriment des représentations moins formalisées et plus distribuées (pour le profane, les OGM c'est un objet artificiel, c'est une culture de plein champ, c'est une plante "protégée" par des droits de propriété intellectuelle etc.).

Argument logique

Les chercheurs ou scientifiques qui disent que les OGM sont présents partout dans la nature sont les premiers à  dénoncer les profanes pour qui l'OGM est partout ! il nous envahit, argument qualifié de plutôt grossier pour faire peur aux foules mal informées par Ryuujin[1] — qui écrit ailleurs que la nature est bourrée de croisements, d'hybrides, d'OGM…. Deux positions irréconciliables !

Argument biologique

Parmi les multiples définitions des OGM, l'une veut que leurs caractéristiques génétiques initiales ont été modifiées de façon non naturelle par addition, suppression, remplacement ou modification d'au moins un gène (selon Christian Vélot, c'est moi qui souligne). Si c'est non naturel, alors ils n'ont pu précéder l'Homme dans la nature.

Argument philosophique

Et quand bien même, on n'a pas dit grand chose une fois qu'on a dit que les nanoparticules ont existé de tout temps. Est-ce pour autant qu'il ne faut pas réguler ? Est-ce pour autant qu'il ne faut pas chercher à  connaître les risques, à  informer et à  prévenir ? Evidemment, non. Cette rhétorique est donc largement stérile voire contre-productive pour décider et agir !

Notes

[1] Ryuujin est un élève-ingénieur en agronomie qui sévit sur Internet, que j'ai déjà  épinglé ici.

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OGM et cultures épistémiques des chercheurs

Dans les modèles de l'instruction publique et du débat public qui gouvernent nos sociétés, une frontière se constitue entre la science (unanime sur des faits non problématiques) et la société (livrée au choc des passions et largement politisée). Pourtant, une analyse plus fine montre que la communauté des scientifiques est loin d'être homogène, même en laissant de côté les convictions intimes de chacun. L'exemple des biologistes dans le débat sur les OGM le montre bien, comme l'a étudié Christophe Bonneuil.

En distinguant plusieurs "cultures épistémiques" (concept emprunté à  Karin Knorr-Cetina), Bonneuil arrive à  relier la diversité des engagements et des positions avec les dimensions cognitives, techniques et sociales du travail des chercheurs. Selon leurs modes de raisonnement, les problèmes qu'ils posent et les méthodes qu'ils utilisent pour les résoudre, voire le type de communauté qu'ils forment, les biologistes ne vont pas juger de la même façon les OGM. On a ainsi :

  • les biologistes moléculaires, travaillant sur des gènes isolés et héritiers du dogme "un gène-une protéine" , qui vont considérer que les OGM ne sont qu'une nouvelle méthode de sélection variétale, qui n'est pas radicalement différente puisque seul compte le résultat (un gène sélectionné) et non la méthode :
  • les biologistes des populations, travaillant sur les interactions dynamiques entre organismes et mobilisant des outils mathématiques, qui font face à  une incertitude en matière de dissémination des transgènes et à  leur impact sur les écosystèmes ;
  • les agronomes, considérant les systèmes de culture et expérimentant sur plusieurs années, qui vont mettre en cause les impacts indirects et cumulatifs des OGM sur les pratiques agricoles.

En pratique, ces divisions s'observent notamment à  travers les signataires français à  sept pétitions importantes dans le débat sur les OGM, publiées entre 1996 et 2003 (carrés oranges). Les principaux signataires sont représentés sur la figure ci-dessous (points rouges), formant quatre groupes (des plus favorables aux OGM au moins favorables) :

  1. les défenseurs des cultures transgéniques comme "progrès" pour répondre aux défis du XXIe siècle, comprenant essentiellement des personnalités notables non apparentées à  la biologie végétale : les prix Nobel Pierre-Gilles de Gennes et Jean-Marie Lehn, les académiciens Georges Charpak, Guy Ourisson et Edouard Brézin, Yves Coppens etc. ;
  2. ceux qui rejettent les fauchages et défendent les biotechnologies, mais sans prise de parti pour les cultures transgéniques. Ce sont des biologistes moléculaires exerçant des responsabilités institutionnelles comme Yves Chupeau, André Gallais, Michel Dron, Philippe Guerche, Guy Riba, Yvette Dattée etc. ;
  3. ceux qui refusent les fauchages mais demandent la grâce des faucheurs et un débat avec la société ; ils sont peu nombreux, et ce sont surtout des biologistes des populations comme Jane Lecomte et Pierre-Henri Gouyon ;
  4. ceux qui critiquent les impacts sociaux et environnementaux négatifs des cultures OGM, et se trouvent être extérieurs au domaine de la biologie végétale et largement connus pour leur critique des technosciences : Jean-Marc Lévy-Leblond, Jacques Testard ou Gilles-Eric Séralini.

Je trouve cette analyse (dont je n'ai présenté qu'une partie ici) réellement intéressante pour ne pas caricaturer le débat sur les OGM et remettre en cause certains préjugés sur la science "une et indivisible"...

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