Pourquoi les OGM et les nanoparticules n'ont pas toujours existé
31
janv.
2007
Une rhétorique que l'on retrouve souvent dans la bouche de scientifiques ou apparentés (i.e. adeptes d'un certain cadrage moderne, scientiste ou positiviste) veut que les OGM, comme les nanoparticules, aient toujours existé dans la nature. Comme Denis qui affirme dans un commentaire ici-même que la terre, notre bonne mère, a elle-même une infinité de nanoparticules en son sein
ou Benoît Hervé-Bazin qui confirme dans un entretien à La Recherche (janvier 2007) : De tels fragments ont existé de tout temps : "nano" ne rime pas obligatoirement avec "techno" ! L'atmosphère contient des "nanodébris" de végétaux ou de micro-organismes. Et, depuis que le feu existe, l'être humain en respire sous forme de fumée.
Cette rhétorique, qui est supposée disqualifier toute critique que l'on pourrait avoir (et Dieu sait qu'il y en a !) sur ces deux sujet brûlants, peut-être discutée selon plusieurs arguments (disclaimer : je ne dis pas que les arguments sont convaincants, je me contente de les exposer, d'autant que j'en ai probablement une vision très imparfaite) :
Argument sociologique
Les OGM, ce ne sont pas des organismes dont le génome est recombiné par l'Homme mais un projet public, des soutiens économiques, une vision du monde. Les OGM, c'est une domination économique Nord/Sud. Dès lors, il est évident que l'on ne peut parler d'OGM en l'absence de ces caractéristiques fondamentales, plus fondamentales même que l'objet scientifique lui-même. Car l'objet est un prétexte, un prétexte à "mettre en ordre" l'agriculture, un prétexte à établir un réseau très fort entre les laboratoires de recherche et les semenciers dont on exclut les agriculteurs, voire un prétexte à court-circuiter l'OMC et la FAO. Ce qui compte, c'est le jeu des acteurs autour de l'objet, qui ne fait que cristalliser des rapports de force et des stratégies de négociation.
Argument épistémologique (relativiste ?)
L'Homme ne nomme une chose qu'après l'avoir définie, catégorisée etc. Avant qu'apparaisse la notion d'OGM, la nature n'était pas connue comme constituée d'OGM puisque cette catégorie était absente du cerveau humain. Dès lors, comme en droit, on peut contester la "rétroactivité" des concepts, et contester qu'il ait pu exister des OGM ou des particules avant même que l'Homme définisse ces deux termes. On n'est pas loin du principe anthropique selon lequel l'Homme peut observer et connaître l'univers (ici, la nature) parce qu'il s'y trouve. Si l'Homme était absent, dirait-on que les OGM ou nanoparticules existent dans la nature ?
Argument politique
Evidemment, en disant qu'une chose a toujours existé on tend à la banaliser. Le projet politique derrière n'est pas mince. En disant cela, on accentue aussi le fossé entre les chercheurs (qui "savent" que la nature est constituée d'OGM) et les profanes (qui l'ignorent). Ainsi, on hiérarchise les représentations (la représentation du scientifique est une connaissance, plus valable que celle du profane car universelle et objective), au détriment des représentations moins formalisées et plus distribuées (pour le profane, les OGM c'est un objet artificiel, c'est une culture de plein champ, c'est une plante "protégée" par des droits de propriété intellectuelle etc.).
Argument logique
Les chercheurs ou scientifiques qui disent que les OGM sont présents partout dans la nature sont les premiers à dénoncer les profanes pour qui l'OGM est partout ! il nous envahit
, argument qualifié de plutôt grossier pour faire peur aux foules mal informées
par Ryuujin[1] — qui écrit ailleurs que la nature est bourrée de croisements, d'hybrides, d'OGM…
. Deux positions irréconciliables !
Argument biologique
Parmi les multiples définitions des OGM, l'une veut que leurs caractéristiques génétiques initiales ont été modifiées de façon non naturelle par addition, suppression, remplacement ou modification d'au moins un gène
(selon Christian Vélot, c'est moi qui souligne). Si c'est non naturel, alors ils n'ont pu précéder l'Homme dans la nature.
Argument philosophique
Et quand bien même, on n'a pas dit grand chose une fois qu'on a dit que les nanoparticules ont existé de tout temps. Est-ce pour autant qu'il ne faut pas réguler ? Est-ce pour autant qu'il ne faut pas chercher à connaître les risques, à informer et à prévenir ? Evidemment, non. Cette rhétorique est donc largement stérile voire contre-productive pour décider et agir !
Notes
[1] Ryuujin est un élève-ingénieur en agronomie qui sévit sur Internet, que j'ai déjà épinglé ici.
Commentaires
Merci d'ouvrir cette discussion ! Je trouve la plupart de ces arguments assez inadéquats... L'argument sociologique est paranoïaque : si les OGM c'est la domination Nord/Sud, on peut en dire autant de la science en général. Doit-on attendre que les Dogons aient rattrapé leur retard en physique nucléaire pour continuer à chercher ?
L'argument "épistémologique" est purement formel et à côté de la plaque. Evidemment que :
La question c'est de savoir dans quelle mesure il existe des phénomènes naturels du même ordre ( cà d des transferts "sauvages" de matériel génétique ).L'argument "politique", qui me semble d'ailleurs plutôt "linguistique" est applicable lui aussi à n'importe quel domaine des sciences. Dans un débat sur le nucléaire est-ce qu'on prend en compte la période radioactive des produits de combustion ? Ou est-ce qu'on évite le sujet par crainte de "hiérarchiser" les discours et d'exclure le profane ?
L'argument "logique" relève de la mauvaise foi et le "biologique" rejoint l'"épistémologique". Et puis, comme le dit fort justement l'argument "philosophique" la question n'a guère d'intérêt de toutes façons.
Pour ma part, je ne parviens pas à me faire un avis tranché sur les OGM et je crois que c'est en partie à cause de la pauvreté des arguments échangés. Les "anti" occupent largement l'espace public avec des positions de principe, absolutistes, que je ne partage pas (en gros : l'homme ne devrait pas bricoler la Nature et le chercheur qui travaille pour une entreprise est le Mal incarné) Par contre j'attends toujours que les "pro" me convainquent de l'efficacité des mesures de confinement, de l'absence de risques sanitaires, etc...
Globalement assez d'accord avec toi Enro ! Sinon, pour compléter l'argument biologique sur les OGM, on peut aussi trouver des arguments écologiques. Il y a quelque temps, j'avais décrit dans un billet comment les "caractères" étaient cruciaux pour déterminer les populations relatives des espèces. Si on ajoute à une plante un caractère "non naturel", non sélectionné par l'évolution, on perturbe probablement très violemment le système, avec tout ce que cela entraîne. Sans compter qu'on n'a aucune idée véritable des dangers de la dissémination (je me souviens qu'un article assez contesté il y a deux-trois ans montrait comment les OGM nord-américains avaient contaminé les cultures de blé du Mexique), que ce soit avec des espèces similaires ou avec des hybrides. De ce point de vue, c'est un peu comme si on disait : le CO2 a toujours existé, on peut très bien en rejeter dans l'atmosphère autant qu'on veut...
Assez d'accord avec Dvanw. ton argument sociologique est assez mal venu, et, en plus, c'est le premier, alors ça la fout mal. La Chine a décidé d'investir massivement dans les OGM pour doper (dans tous les sens du terme) son agriculture. c'est la preuve, d'apres OGM=méchant, méchant=Nord, que la Chine a rejoint les pays du Nord ? les arguments epistémiologiques, politiques et logiques sont spécieux.
seul l'argument biologique tient la route. L'appelation OGM n'est ambigue que pour les coupeurs de mouches en plein vol. Il est évident qu'il ne désigne pas des organismes génétiquement modifiés naturellement, puisque l'évolution le fait depuis bien longtemps. Il s'agit bien sûr d'organismes dont le génome a été modifé par des techniques de génomique, par des chercheurs, et n'existent pas depuis toujours.
Pour élargir le sujet, ma position sur les OGM est qu'ils sont un outil et une promesse formidable pour certains points - diminution des produits chimiques, résistance à la sécheresse ou aux inondations, par exemple - mais que la réalisation de ces promesses va entrainer au passage une standardisation de l'agriculture qui n'en avait pas besoin. je ne veux pas d'oméga3 dans ma baguette de pain, par exemple. Comme Dvanw, je suis un peu réservé dans le débat.
Je ne suis pas d'accord avec Matthieu et Dvanw sur l'argument sociologique (enfin pas complètement). C'est vrai qu'il y a des OGM conçus pour des raisons humanitaires, voire économique pour les pays du Sud (mais la Chine fait-elle encore partie des pays du Sud quand on voit le nombre de scientifiques occidentaux qui ouvrent des antennes de leur labo en Chine ?). Je ne crois pas que le lobby pro-OGM actuel n'a rien d'une armée de philanthropes voulant faire le bonheur de l'humanité (même s'il y en a). Je me souviens avec effroi du fameux gène Terminator, qui rendait les plantes stériles, si bien que le but avoué était de revendre tous les ans des semences aux agriculteurs qui traditionnellement utilisaient une partie de la récolte de l'année précédente pour semer. Donc l'argument sociologique se tient : il y a un vrai projet de développement du marché agricole vers le Sud avec les OGM. Du côté du Nord, on sait par ailleurs qu'on est déjà en surproduction : quel est donc l'intérêt d'accroître les rendements chez nous si ce n'est pas pour revendre les surplus aux pays du Sud ? (j'ai l'impression de faire du José Bové...)
Un peu Jose Bove, oui, par le cote arguments volontairement simplificateurs. Personne ne pretend que les OGMs sont obligatoirement bons, ou que les scientifiques oeuvrent toujours pour le developpement des pays du Sud. Le debat est ici de savoir si les OGMs ont toujours existe - et nous critiquons ici le fait de definir les OGMs par leur utilisation (Les OGM, ce ne sont pas des organismes dont le génome est recombiné par l'Homme mais un projet public, des soutiens économiques, une vision du monde.). Cette facon de voir n'a pas de sens - est-ce que l'on defini la physique des particules par la bombe atomique ?
Matthieu > Tu confonds, c'est la physique nucléaire qui se définit par la bombe atomique !! ;-) La physique des particules se définit, elle, par les grands programmes (big science) internationaux : une montagne qui, comme le constate J.-M. Lévy-Leblond dans La Recherche de juillet-août 2006, a accouché de bien modestes souris…
JM Levy-Leblond n'est pas ma reference, et je ne partage pas son avis. Et je parie sur de l'humour pour ta reponse :-D
@Tom : l'argument dit "sociologique" me semble plus une question de sensibilité politique qu'autre chose. Le problème est qu'il n'a rien de spécifique aux OGM : toute connaissance est (aussi) du pouvoir. Faire de la recherche à Paris revient à asseoir un peu plus la domination de la France sur le Mali, qui n'a pas les mêmes infrastructures de recherche... Qu'est-ce qu'on fait ? On arrête tout ?
Et pis, sans me faire l'avocat des OGM ( mettez-moi "agnostique" ), il me semble qu'il y a d'autres usages en vue que d'augmenter les rendements de l'agriculture... Genre : réduire l'usage de pesticides, développer des espèces moins gourmandes en eau, produire des protéines spécifiques à usage thérapeutique... Non ?
@ Matthieu
Je comprends ton point de vue, mais je ne le partage pas complètement. A première vue, je te l'accorde qu'il est fallacieux de définir les OGM par l'utilisation qu'on en fait. Néanmoins, ce qu'on désigne en général par le vocable "OGM" sont clairement des produits à vocation commerciale. Le meilleur exemple est qu'on ne parle jamais d'OGM pour les souches de levures qu'on utilise dans les labos, où encore les constructions à base de GFP ou de luciférase, alors que sur le principe, c'est exactement la même chose. Donc, à partir du moment où tu utilises le terme "OGM", il y a forcément cette connotation commerciale, et donc l'analyse d'Enro me semble valable. En fait, tout dépend de ce que tu associes toi à "OGM"; pour moi, le vocable OGM recouvre exactement ce que critique Enro dans son point de vue sociologique, i.e. des cultures génétiquement modifiées destinées à l'exploitation commerciale.
dvanw > Les usages que tu mentionnes reviennent en effet souvent… dans les discours ! Dans les faits, la réduction de pesticides (qui n'est pas si généralisée, comme je le mentionnais dans un commentaire chez Matthieu) peut être vue comme un "effet collatéral" d'une augmentation du rendement, on attend toujours les plantes résistantes au stress hydrique (elles sont en développement, mais toujours rien en vue alors qu'on nous les promet depuis dix ans), et les OGM à usage thérapeutique ne sont peut-être pas plus avantageux que des techniques de production habituelles…
Ce qui est amusant, dans un raisonnement scientifique, c'est la valeur morale attachée à la nature. Cela me rappelle un ami qui m'expliquait que le meilleur moyen de nettoyer son couteau après un pic-nic, c'était de l'enfoncer dans la terre. Je trouvais ça pas terrible comme méthode, mais il se justifia ainsi: "c'est propre, c'est la nature". L'expression "la Terre, notre bonne mère" relève de ce genre de naïveté. Comme-ci la Terre n'était pas remplie de bêtes en tous genre, de poisons, de germes de maladies, etc. etc. Si jamais une centrale nucléaire explose, la personne en question pourra dire "c'est pas grave, de toute façon la radioactivité est tout autour de nous, c'est na-tu-rel!"... "Depuis que le feu existe, l'être humain en respire sous forme de fumée" il faudrait proposer à ce monsieur de respirer des "nanoparticules naturelles sous forme de fumée", pour voir s'il y trouve du plaisir....
je voulais dire, "ce qui est amusant, c'est que dans ce raisonnement scientifique est attachée une valeur morale à la nature". Je crois que ma formulation est un peu ambigà¼e: tous les scientifiques ne pensent pas (loin de là ) comme la personne que tu cites.
Je pense qu'Enro a assez mal défendu l'argument sociologique, en le basant sur la domination économique Nord-Sud. Le problème n'est pas là , comme l'ont soulevé les contradicteurs. La question a plutôt à voir avec la démocratie, et avec le rôle que jouent les scientifiques dans une démocratie. Pour les OGM, on est en présence d'un risque pour les populations qui paraît faible, mais également d'un bénéfice loin d'être évident pour les mêmes populations. Il est essentiel que les scientifiques fassent le bilan des avantages et des inconvénients. Qu’ils puissent se tromper est normal, car ils ne sauraient être omniscients. Là où le bât blesse, c’est lorsque des avis présentés comme scientifiques sont en fait le produit des intérêts de l’industie. Dans de nombreux cas, il s’agit de scientifiques qui sont les employés d’une compagnie et le message de ces derniers est amplifié par les médias sous l’effet du lobbying comme s’il reflétait l’opinion de la communauté scientifique. Dans d’autres cas il s’agit de rien de moins que d’experts fonctionnaires rémunérés par des « pots-de-vins ».
Naturellement, une démocratie devrait pouvoir faire face à ces pratiques, qui sont une conséquence inévitable des enjeux financiers. Mais en France, on ne peut plus compter sur un fonctionnement normal. Rappelons que les OGM ont été défendus en France par Axel Kahn, fonctionnaire, qui a donné un avis favorable à la culture OGM. A la suite de son action, il a été rémunéré par l’industrie (Rhône-Poulenc) et a continué à défendre les intérêts de cette compagnie "Les OGM permettront de nourrir la planète en respectant l'environnement" (Les Echos, 18 décembre 1997). Il n’a reçu aucune sanction judiciaire ni disciplinaire, mais au contraire, l’aura médiatique qui a découlé de ses prises de positions a boosté son avancement hiérarchique. Il est resté membre du comité national d’éthique et continue de s’exprimer dans les médias sur les problèmes d’éthiques !
Tout cela signifie que le débat est profondément faussé. Si l’on considère qu’Axel Kahn n’est pas compétent sur les problèmes agronomiques sur lesquels il s’exprime (il est biochimiste), qu’il a été rémunéré d’une manière douteuse et qu’il ne pratique pas l’éthique dont il se revendique, on comprend qu’après tout, la discussion « rationnelle » est vidée de son sens. La science n’a plus de signification lorsque les conditions de son exercice ne sont pas remplies.
darwinner > Merci pour ce commentaire très juste, mais qui s'éloigne finalement de l'objet OGM et pourrait s'appliquer aux technosciences en général… alors que j'ai vraiment essayé ici de tourner autour de l'affirmation selon laquelle les OGM auraient toujours existé. Axel Kahn est évidemment un sujet inépuisable pour ce blog, mais qui a déjà été pas mal abordé. Quant à la remarque sur "Axel Kahn biochimiste" (et un peu généticien), voilà qui me fait penser au billet où je parlais de cultures épistémiques des chercheurs et de leur influence dans le débat sur les OGM !
Bonsoir, Il y avait bien entendu une bonne dose d'ironie dans "la Nature, notre bonne mère". J'ai remisé mon côté "Jean-Jacques Rousseau" depuis quelques années...Encore une fois, ce qui pose problème, ce n'est pas la présence de nano objets à l'état naturel, objets qui existent depuis des lustres. Le fond est que nous avons maintenant la capacité technique d'accélérer le temps et de créer éperdument des objets totalement modifiés par nous sans que nous puissions nous y adapter ou lutter contre. A moins que les parades ou remèdes soient créées à la même vitesse. Nous accélérons tout! Que M. clic-clic se rassure, je ne crois pas que si une centrale nucléaire explose, ce soit la manifestation d'un quelconque évènement naturel. Encore que l'exemple apparait particulièrement mal choisi si on songe au "réacteur nucléaire naturel" d'Oklo au Gabon, mais bon c'est sans doute tirer un peu plus sur la corde pour me faire pendre définitivement. D.
Les OGM et la nanotechnologie ont toujours existé ...dans l'univers infini dans le temps et l'espace : Nos créateurs les ont utilisés pour cérer la vie sur la terre il ya très longtemps et furent pris pour des dieux...Eux même, les Elohim ont été créés par une autre civilisation qui a disparue...Et nous nous irons créer de la vie ailleurs si nous ne nous autodétruisons pas...
raelien > Je vous laisse la responsabilité de vos propos, et aux lecteurs le soin d'en juger la pertinence…