Une rhétorique que l'on retrouve souvent dans la bouche de scientifiques ou apparentés (i.e. adeptes d'un certain cadrage moderne, scientiste ou positiviste) veut que les OGM, comme les nanoparticules, aient toujours existé dans la nature. Comme Denis qui affirme dans un commentaire ici-même que la terre, notre bonne mère, a elle-même une infinité de nanoparticules en son sein ou Benoît Hervé-Bazin qui confirme dans un entretien à  La Recherche (janvier 2007) : De tels fragments ont existé de tout temps : "nano" ne rime pas obligatoirement avec "techno" ! L'atmosphère contient des "nanodébris" de végétaux ou de micro-organismes. Et, depuis que le feu existe, l'être humain en respire sous forme de fumée. Cette rhétorique, qui est supposée disqualifier toute critique que l'on pourrait avoir (et Dieu sait qu'il y en a !) sur ces deux sujet brûlants, peut-être discutée selon plusieurs arguments (disclaimer : je ne dis pas que les arguments sont convaincants, je me contente de les exposer, d'autant que j'en ai probablement une vision très imparfaite) :

Argument sociologique

Les OGM, ce ne sont pas des organismes dont le génome est recombiné par l'Homme mais un projet public, des soutiens économiques, une vision du monde. Les OGM, c'est une domination économique Nord/Sud. Dès lors, il est évident que l'on ne peut parler d'OGM en l'absence de ces caractéristiques fondamentales, plus fondamentales même que l'objet scientifique lui-même. Car l'objet est un prétexte, un prétexte à  "mettre en ordre" l'agriculture, un prétexte à  établir un réseau très fort entre les laboratoires de recherche et les semenciers dont on exclut les agriculteurs, voire un prétexte à  court-circuiter l'OMC et la FAO. Ce qui compte, c'est le jeu des acteurs autour de l'objet, qui ne fait que cristalliser des rapports de force et des stratégies de négociation.

Argument épistémologique (relativiste ?)

L'Homme ne nomme une chose qu'après l'avoir définie, catégorisée etc. Avant qu'apparaisse la notion d'OGM, la nature n'était pas connue comme constituée d'OGM puisque cette catégorie était absente du cerveau humain. Dès lors, comme en droit, on peut contester la "rétroactivité" des concepts, et contester qu'il ait pu exister des OGM ou des particules avant même que l'Homme définisse ces deux termes. On n'est pas loin du principe anthropique selon lequel l'Homme peut observer et connaître l'univers (ici, la nature) parce qu'il s'y trouve. Si l'Homme était absent, dirait-on que les OGM ou nanoparticules existent dans la nature ?

Argument politique

Evidemment, en disant qu'une chose a toujours existé on tend à  la banaliser. Le projet politique derrière n'est pas mince. En disant cela, on accentue aussi le fossé entre les chercheurs (qui "savent" que la nature est constituée d'OGM) et les profanes (qui l'ignorent). Ainsi, on hiérarchise les représentations (la représentation du scientifique est une connaissance, plus valable que celle du profane car universelle et objective), au détriment des représentations moins formalisées et plus distribuées (pour le profane, les OGM c'est un objet artificiel, c'est une culture de plein champ, c'est une plante "protégée" par des droits de propriété intellectuelle etc.).

Argument logique

Les chercheurs ou scientifiques qui disent que les OGM sont présents partout dans la nature sont les premiers à  dénoncer les profanes pour qui l'OGM est partout ! il nous envahit, argument qualifié de plutôt grossier pour faire peur aux foules mal informées par Ryuujin[1] — qui écrit ailleurs que la nature est bourrée de croisements, d'hybrides, d'OGM…. Deux positions irréconciliables !

Argument biologique

Parmi les multiples définitions des OGM, l'une veut que leurs caractéristiques génétiques initiales ont été modifiées de façon non naturelle par addition, suppression, remplacement ou modification d'au moins un gène (selon Christian Vélot, c'est moi qui souligne). Si c'est non naturel, alors ils n'ont pu précéder l'Homme dans la nature.

Argument philosophique

Et quand bien même, on n'a pas dit grand chose une fois qu'on a dit que les nanoparticules ont existé de tout temps. Est-ce pour autant qu'il ne faut pas réguler ? Est-ce pour autant qu'il ne faut pas chercher à  connaître les risques, à  informer et à  prévenir ? Evidemment, non. Cette rhétorique est donc largement stérile voire contre-productive pour décider et agir !

Notes

[1] Ryuujin est un élève-ingénieur en agronomie qui sévit sur Internet, que j'ai déjà  épinglé ici.