La science, la cité

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JoVE et les vidéos de protocoles expérimentaux sur Internet : quel intérêt ?

Depuis quelques mois maintenant, les plateformes de vidéo scientifiques naissent comme des petits pains ! Mais certaines se démarquent parce qu'elles proposent non pas des vidéos de vulgarisation, ou des vidéos d'expériences et leurs résultats, mais des protocoles filmés. La vidéo devient alors un véritable outil de travail et d'apprentissage pour le chercheur.

Parmi ceux-là , JoVE est incontestablement le plus proche du modèle traditionnel de la publication scientifique : évaluation des soumissions avant acceptation, publication régulière et groupée des vidéos (issues), affectation d'un numéro DOI et d'un numéro de volume pour permettre la pérennité des liens et des citations etc. Lui-même se décrit comme an online research journal employing visualization to increase reproducibility and transparency in biological sciences. Lab Action, qui est arrivé après, fait beaucoup moins dans le détail ! Mais est-ce que ces sites sont utiles et après tout, est-ce que l'on a besoin d'avoir des vidéos de protocoles expérimentaux ?

Matias Pasquali, un chercheur en phytopathologie récipiendaire de la bourse Branco Weiss "Society in Science", pense que oui. Il l'explique dans un article récent de EMBO Reports. D'abord, parce que dès l'apparition de la vidéo et du cinéma, les chercheurs s'en sont emparés pour "augmenter" le sens qui leur est le plus utile : la vue. Etienne-Jules Marey et d'autres s'en sont faits un nom. Ensuite, parce que cette pratique se généralise, la vidéo est maintenant un outil commun au labo ou ailleurs : en congrès, en plus des vidéos qui viennent illustrer les conférences, on voit maintenant des chercheurs agrémenter leur poster d’un iPod vidéo ! Au-delà  de l'accessoire, ces avancées permettent aujourd'hui à  plusieurs chercheurs de collaborer à  distance pour un diagnostic ou à  des scientifiques isolés d'apprendre des techniques en live. Mais quel intérêt pour les protocoles en particulier ?

Eh bien, ceux-ci sont souvent difficiles à  communiquer : limite mensongers quand ils sont donnés dans un article, pas assez orientés pratique quand ils sont décrits dans des revues spécialisées, coûteux quand ils nécessitent de visiter un laboratoire. Ainsi, rien ne vaut une bonne vieille vidéo qui permet de voir exactement comment positionner sa boîte de Petri, à  quelle vitesse injecter ou quelle couleur tel mélange doit avoir ! La fameuse revue Wired ne dit pas autre chose

L'auteur va même jusqu'à  suggérer que les protocoles filmés soient systématiquement intégrés à  un article : ainsi, on détecterait plus facilement des fraudes ! Je reste sceptique sur ce point, car je doute de l'intérêt de vidéos pouvant durer plusieurs heures, je doute de l'effet réel sur la détection des fraudes et je doute de la capacité de tous les labos du monde à  se plier à  l'exercice (même équipés d'un "casque-caméra"). Malgré tout, si JoVE et les autres pouvaient avoir du succès, ce serait à  mon avis une excellente nouvelle pour la science ! Ainsi que pour la société si, comme je l'avançais déjà , cela pouvait changer l'image mythique du chercheur pour la remplacer par celle du travailleur inlassable de la preuve. Preuve en est cette vidéo qui montre un chercheur souriant après avoir réussi son expérience, avec ce sous-titre : expression of happiness when experiment works ! Au-delà , bien sûr, de l'impact éducatif éventuel sur le public...

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La revue par les pairs expliquée à  mes enfants

En lisant le récent billet d'Olivier Ertzscheid consacré à  la revue par les pairs, je me disais qu'il aurait tout à  fait sa place sur ce blog, notamment pour compléter le billet de Benjamin. La licence Creative Commons sous laquelle il publie ses écrits (et moi les miens) autorisant la diffusion (nonobstant la mention de l'auteur original, l'absence de but commercial et la propagation de la licence), je me permets de copier ce billet ici-même... Enjoy !

Il était une fois un papa qui faisait de la recherche. Il était chercheur. Un jour, le téléphone de papa sonne : c'est une dame qui lui demande s'il serait d'accord pour écrire un article sur les moteurs de recherche pour une revue très connue et très renommée. Normalement, les revues n'envoient pas des dames mais plutôt un message à  tous les chercheurs sur Internet pour leur demander s'ils veulent ou non écrire un article, ce qui est plus démocratique. Mais il y a aussi plein de revues qui préfèrent téléphoner directement aux chercheurs qu'elles connaissent pour le leur proposer. C'est moins démocratique, mais c'est plus pratique. Et puis il y a aussi des revues qui font les deux (des dames ET sur internet).

Donc papa est content et il accepte d'écrire un article. Comme papa est aussi un peu fainéant et qu'il préfère bosser à  plusieurs plutôt que tout seul, il téléphone à  deux autres de ses copains chercheurs pour leur proposer d'écrire l'article avec lui, ce que ses copains acceptent. Et papa et ses deux copains se mettent au boulot.

Quelques mois plus tard (bé oui, c'est long d'écrire un article), papa et ses copains envoient l'article à  la dame qui le leur avait demandé. Et là  ... des messieurs et des dames invisibles (on ne sait pas qui c'est, on sait juste qu'ils sont deux et que ce sont des chercheurs comme papa), relisent l'article de papa et de ses copains pour dire s'il est intéressant ou non.

Quelques mois plus tard (bé oui, c'est long à  relire des articles, et en plus ils n'ont pas que celui de papa et de ses copains à  relire), quelques mois plus tard donc, les deux messieurs invisibles disent à  la dame qui a demandé l'article a papa, si l'article est bien ou non. Si les deux le trouvent bien, ça va. Si les deux le trouvent nul, ça va aussi (papa sera un peu déçu mais pas trop quand même). Mais très souvent, il arrive que les deux messieurs invisibles ne soient pas d'accord entre eux :

  • Monsieur 1 trouve l'article de papa et de ses copains super-intéressant, très clair et avec plein d'idées dedans ...
  • mais Monsieur 2 trouve qu'il n'est pas clair, qu'il n'est pas intéressant et qu'il n'y a pas d'idées dedans.

De toute façon, Monsieur 1 et Monsieur 2 sont censés dire à  Papa et à  ses copains pourquoi ils ont aimé (ou détesté) leur article, et aussi leur demander de changer des choses ou des idées dans l'article. Mais le problème, c'est que souvent Monsieur 1 et Monsieur 2 ne sont pas invisibles que pour papa et ses copains. Ils sont aussi invisibles ... entre eux !!! Et du coup Monsieur 1 ne sait pas ce que Monsieur 2 a demandé de changer à  Papa dans son article, et pareil pour Monsieur 2 qui ignore tout des remarques de Monsieur 1. Alors il arrive que Monsieur 1 demande à  papa d'écrire avec des mots plus simples parce que l'article est trop compliqué, et que Monsieur 2 demande à  Papa d'écrire avec des mots plus compliqués parce que l'article est trop simple ...

Du coup, Papa et ses copains ne savent plus trop quoi faire ni s'ils doivent écouter les conseils de Monsieur 1 ou ceux de Monsieur 2. Mais comme papa et ses copains sont de gentils chercheurs, comme la dame qui leur a demandé d'écrire cet article était gentille, et comme la revue dans laquelle l'article sera peut-être publiée est super-connue (plus que Titeuf par exemple), papa et ses copains se remettent au travail comme ils peuvent, en essayant de se débrouiller pour que Monsieur 1 ET Monsieur 2 soient contents.

Quelques mois plus tard (bé oui c'est long de réécrire un article surtout que, souvenez-vous, Monsieur 1 et Monsieur 2 ont demandé à  papa et à  ses copains des choses contradictoires), quelques mois plus tard, l'article est fini et papa et ses copains le renvoient à  la dame, qui le renvoie à  Monsieur 1 et Monsieur 2. Monsieur 1 qui était content quand il avait reçu le premier article de papa et de ses copains, est toujours content. Mais Monsieur 2 lui, ne l'est toujours pas, et il recommence à  faire plein de remarques à  Papa (enfin à  la Dame, qui ira les rapporter à  papa, vu que, souvenez-vous, Monsieur 2 est toujours invisible pour papa et ses copains). Du coup, la Dame qui avait demandé l'article à  Papa va aller dire à  Papa que comme Monsieur 2 n'est toujours pas content, son article ne pourra finalement pas être publié dans la revue (et papa ne sera jamais aussi célèbre que Titeuf, mais ça c'est pas grave).

Quand papa et ses copains regardent la lettre que leur a fait passer la Dame, et dans laquelle Monsieur 2 explique pourquoi il n'est pas d'accord avec Papa et avec ses copains, Papa et ses copains aimeraient bien téléphoner ou rencontrer ou même envoyer un message à  Monsieur 2 pour pouvoir discuter avec lui et essayer, la prochaine fois, de faire un meilleur article. Mais voilà  ... Monsieur 2 n'est pas seulement invisible, il est aussi ... impalpable. Ca veut dire qu'on ne peut pas le voir et qu'on ne peut pas non plus le toucher (alors que Harry Potter, même sous sa cape d'invisibilité, on peut le toucher). Bien sur, Papa et ses copains pourraient écrire une lettre pour Monsieur 2, et demander à  la Dame de la lui remettre, mais la Dame n'a pas que ça à  faire. Elle est très occupée, et d'ailleurs Papa et ses copains aussi.

FIN

Et pour une illustration de ce texte, lui-même déjà  largement inspiré par le vécu de l'auteur, je renvoie vers une intervention récente de Vincent Fleury, nous parlant de ses expériences avec Nature et Science.

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Publier des résultats négatifs, mode d'emploi

La question des résultats négatifs est une question délicate en science. Quand on n'obtient pas le résultat qu'on attendait, faut-il en déduire quelque chose ? Faut-il le publier ? Jusqu'il y a quelques années, de tels résultats intéressaient peu et étaient difficilement publiables. De fait, écrivais-je il y a un an, le mode de communication de la science n'est pas neutre. Mais parce que les résultats négatifs sont aussi des résultats, parce qu'ils permettent d'abandonner des hypothèses erronées, d'ouvrir de nouveaux champs inattendus et d'éviter de réinventer la roue carrée, un mouvement est né pour en promouvoir la publication. De nouvelles revues électroniques se sont créées pour faciliter la diffusion de résultats négatifs, dans tous les domaines :

Dans ce dernier domaine justement, les résultats négatifs paraissent parfois dans des journaux plus ordinaires, comme BMC Genetics. C'est le cas de ces deux articles du groupe de John Todd, de l'université de Cambridge, rapportant l'absence d'association entre le polymorphisme de différents gènes et le diabète de type 1. Pourquoi ces articles là  et pas d'autres ?

Le blog "The Contingency Table" nous donne trois raisons :

  • les résultats présentés sont fiables. Il arrive souvent que l'absence d'association soit obtenue avec une faible confiance statistique, or le groupe de John Todd peaufine toujours l'analyse statistique et possède assez de moyens pour financer des études suffisamment larges pour détecter les effets qu'ils attendent. Ainsi, dans le premier article, ils testent l'association pour 3523 cas, 3817 témoins et 725 familles. D'où un résultat assez convaincant que les SNPs testés ne jouent pas de rôle dans le diabète pour leur échantillon ;
  • les expériences sont bien pensées : au lieu de simplement présumer que les SNPs de HapMap représentent toutes les variations possibles, ils ont séquencé les gènes d'un petit échantillon de sujets pour découvrir les SNPs. Et ça a payé : ils ont ainsi découvert 22 polymorphismes récurrents, dont 5 seulement étaient recensés par HapMap ;
  • ils apportent une contribution essentielle à  la recherche biomédicale : puisque HapMap ne contient pas toutes les variations possibles, ils montrent qu'il est nécessaire de diversifier les sources d'information dans les études de polymorphisme et d'association.

Vous savez donc ce qu'il vous reste à  faire pour publier des résultats négatifs dans la littérature non-spécialisée !

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Nouvelles du front (4)

Je dois reconnaître que j'ai tardé à  écrire ce volume 4, d'où un sommaire très riche !

En janvier dernier, un article publié dans PLoS Medicine analysait 2856 évaluations (reviews) pour la revue Annals of Emergency Medicine, signées par 306 rapporteurs (reviewers) expérimentés. D'où il apparaît que le seul indicateur significativement corrélé à  un rapport de lecture de qualité est le fait d'avoir été formé il y a moins de 10 ans ou de travailler dans un hôpital universitaire. D'autres travaux avaient fait ressortir l'impact positif sur l'évaluation d'une formation en épidémiologie ou statistique ou avaient souligné que l'effet de la formation est faible et à  court-terme. Quand en plus on sait que le peer-review est souvent impuissant à  détecter la fraude ou les erreurs, le comité de rédaction de PLoS Medicine se permet de poser la question qui dérange : pourquoi s'embêter finalement avec le peer-review ? Les réponses ne manquent évidemment pas, ici comme chez eux !

Le 4 février, une dépêche de l'Agence Reuters faisait l'apologie d'un nouvel espoir de médicament contre le cancer. Katherine Schaefer aurait découvert par hasard qu'un régulateur de PPAR-gamma avait tué ses cultures de cellules tumorales. "On tient sans doute un nouveau médicament contre le cancer", pensa-t-elle alors... dès 2005 ! Rien de très nouveau, affirme le blog Spoonful of medicine. Alors pourquoi ressortir cette histoire aujourd'hui, et quel rapport avec les thématiques de ce blog ? Eh bien, il semble que c'est une attachée de presse zélée de l'université de K. Schaefer, qui a remis cette histoire au goût du jour saisissant l'occasion d'un nouvel article publié, et utilisant l'emballage attrayant de la "découverte par hasard". Or même cet excellent guide d'écriture d'un communiqué de presse scientifique passe sous silence la règle n° 1 : n'écrire un communiqué qu'à  bon escient, quand quelque chose de véritablement nouveau est publié, et sans sur-vendre !

Le 1er mars, le Journal of Clinical Investigation présentait sa nouvelle politique vis-à -vis des conflits d'intérêts. En soulignant bien qu'admettre un conflit d'intérêt potentiel ne signifie pas nécessairement qu'un auteur ou un résultat n'est plus crédible ; cela permet plutôt au lecteur d'interpréter les motivations et contributions d'un auteur ou d'une source de financement donnés à  la lumière de ces potentiels conflits.

Bibliothèque du MIT ©© nic221

Le 27 mars, un article signé par le comité de rédaction de PLoS Medicine revenait sur la pratique des revues systématiques (systematic reviews ou SR) de la littérature bio-médicale. A la différences des méta-analyses, il ne s'agit pas forcément de passer un ensemble de résultats à  la moulinette statistique mais de présenter de manière synthétique et critique l'ensemble des travaux relatifs à  une question bien précise. 2500 de ces revues systématiques sont désormais publiées par an, dont certaines qui sont de mauvaise qualité ou pas à  jour peuvent tromper, et la publication sélective de SR qui sont connotées politiquement — ou la non-publication de celles qui ont des résultats dérangeants — peuvent menacer leur crédibilité. D'où ces recommandations valables pour PLoS Medicine comme pour PLoS ONE.

Le même jour, GlaxoSmithKline était jugé coupable de manquements au Fair Trading Act néo-zélandais et condamné à  payer une amende de 217 500 $. Pourquoi ? Parce que les affirmations de GSK sur le contenu en vitamine C de sa boisson Ribena étaient erronées, comme l'ont montré... deux collégiennes de 14 ans ! A l'occasion de travaux pratiques sur la vitamine C, elles avaient constaté que les 7 mg / 100 mL prétendus par la publicité étaient indétectables. Un bel exemple de science amateur ou science populaire. (via le blog Improbable Research)

Enfin, un article du numéro du 29 mars de Nature creusait en détail la question de la réplication des résultats, en particulier dans le domaine des cellules souches. Où il apparaît que, à  l'image de travaux publiés en 1999 et en 2002 dont les résultats n'ont jamais pu être reproduits et qui font encore débat, c'est tout le domaine des cellules souches qui est sur la sellette. Parce qu'il est très "chaud" (enjeux économiques), sous haute-surveillance (enjeux éthiques et politiques) et fait appel à  du matériel très délicat à  manipuler, il semble en effet plus exposé que les autres. Et dans ces conditions, la fraude n'est jamais loin... Une bonne raison pour redoubler de prudence dans la couverture médiatique de ce type de travaux !

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Quist, Chapela et le maïs mexicain : une controverse sur les OGM

Je viens de recevoir la note d'un travail que j'ai effectué en décembre dernier, portant sur la controverse de la pollution génétique de maïs sauvage par du maïs OGM au Mexique. La note n'est pas mauvaise donc je vous livre ici ce devoir.

Article sur la controverse Quist et Chapela

L'article de Quist et Chapela relatant la découverte de ce premier cas d'introgression et publié dans Nature fut violemment attaqué, critiqué et eux-mêmes furent pris à  partie. Les dégâts de cette immense controverse se font encore ressentir cinq ans après et elle fut sans doute un tournant pour les politiques de recherche, l'expertise et la constitution du débat public sur les OGM. Qu'apprend-on dans mon "article" ?

  • Que l'enjeu de la controverse et les positions se déplacent au fur et à  mesure qu'elle avance : les généticiens qui rejetaient l'article en bloc finissent par rejeter certains de ces arguments (les épisodes multiples d'introgression, puis l'interprétation du danger pour la flore sauvage) ;
  • les cultures épistémologiques font que Quist et Chapela, à  la fois écologues et généticiens, sont mal compris — sauf de ceux qui considèrent aussi les populations végétales en interaction avec les communautés paysannes ; cette position les isole en même temps qu'elle les rend forts puisque pas attaquables avec des arguments habituels, situés à  un autre niveau ("votre PCR a été mal faite", "vous êtes de mauvais expérimentateurs" etc.) ;
  • que la science emprunte toutes les arènes (médiatiques, politique, juridique) pour avancer, et qu'elle s'y fabrique autant qu'elle se fabrique dans son arène d'origine ;
  • que les asymétries sont fortes entre les partisans du courant majoritaires, que l'on peut difficilement accuser d'attaches idéologiques alors qu'ils n'en manquent pas, et les défenseurs de Quist et Chapela apparentés aux mouvements écologistes ;
  • que les mots sont peut-être plus importants que les "faits", en témoigne l'essor de l'expression "pollution génétique".

Quelques précisions sur la méthode : les études de controverse sont courantes en sociologie des sciences (un séminaire y est consacré à  l'Université Louis-Pasteur, un cours à  l'Ecole des mines et à  l'Université d'Edinburgh etc.). En effet, étudier une controverse permet de faire ressortir les stratégies des chercheurs, leur rhétorique et la manière dont ils administrent la preuve, bref leur "cuisine" qui est beaucoup moins visible lorsque la science suit son cours "normal". Quand la controverse est socio-technique (i.e. elle implique un public non-scientifique), comme dans le cas présent, cela permet aussi de comprendre et comparer des acteurs hétérogènes. Mon parti pris de méthode est celui de la sociologie de Latour, qui place les acteurs humains et non-humains au même niveau (d'où le titre de ce billet), les suit dans leur action et interprète leurs forces et faiblesses en terme de réseau, où chaque réseau se constitue par la traduction d'intérêts entre acteurs différents…

En conclusion, je retiendrai qu'il faut se méfier des discours simplificateurs des scientifiques façon Paul Reiter (de l'Institut Pasteur), qui fustige les militants et les associations engagées sur le terrain des technosciences :

[Leurs] idées sont souvent renforcées par des références à  des articles scientifiques revus par les pairs qui sembleraient appuyer leurs déclarations, sans se soucier de savoir si ces articles sont largement approuvés par la communauté scientifique elle-même. Quant aux scientifiques qui contestent ces alarmistes, les médias leur donnent rarement une place prépondérante et ils sont souvent taxés de « scepticisme ».

Cela ne veut pas dire grand chose de parler d'articles largement approuvés par la communauté scientifique elle-même. La communauté scientifique n'est pas une et indivisible, elle est aussi traversée par des tensions et peut évoluer dans ses conceptions. Le cas de Quist et Chapela le montre bien : si l'on a pu à  l'époque contester les associations qui s'appuyaient sur leur article, il faut reconnaître qu'agir ainsi a reconfiguré en retour le champ scientifique. Et qu'en parallèle, les débats ont changé de nature et ce sont déplacé. Il n'y a pas l'obscurantisme face à  la raison, mais bien des différences de rationalité, où chacun voit une autre partie de l'éléphant...

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