La science, la cité

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Un documentaire relance la controverse sur le climat

Aperçu chez Matthieu, un début (?) de dissémination virale pour ce documentaire sceptique vis-à -vis du réchauffement climatique, "The Great Global Warming Swindle", déjà  vu 450 000 fois sur Internet et largement blogué.

Voici les éléments qu'il avance :

  • le GIEC serait un panier de crabes ultra-politisé, peu honnête et loin d'être consensuel ;
  • le réchauffement climatique est devenue une industrie qui ne peut plus se dédire, au risque de menacer l'emploi et la crédibilité de milliers d'experts et consultants ;
  • l'augmentation de la concentration de CO2 n'est pas synchrone du développement industriel, et a dans le passé toujours suivi la hausse de températures plutôt que précédé ;
  • contrairement aux modèles et prédictions, l'augmentation de la température s'observe plus à  la surface de la terre que dans la troposphère ;
  • l'évolution des températures est extrêmement corrélé avec les taches et le vent solaires, plus qu'avec le CO2 (cf. graphiques à  33'44'') ;
  • le GIEC a été mis en place par Margaret Thatcher pour soutenir son virage vers le nucléaire ;
  • les modèles climatiques ne valent que ce que valent leurs hypothèses, au premier rang desquelles l'idée que le CO2 est responsable du réchauffement ;
  • la publicisation des résultats scientifiques biaise les recherches vers ce qui est intéressant, ce qui change, ce qui va dans le sens des tendances etc. ;
  • le GIEC a déjà  censuré des affirmations gênantes (57'28'') ;
  • l'Afrique pâtit des soi-disant politiques de développement durable interdisant les énergies fossiles et promouvant l'éolien ou le solaire.

On voit donc un pot-pourri d'arguments très divers, mais qui tapent à  certains endroits qui font mal : accuser le GIEC d'être politique, bien qu'évident, choque toujours le grand public et les scientifiques eux-mêmes ! Et accuser les militants écologistes d'être contre-productifs en Afrique fait également mal. De fait, les réactions des scientifiques (cf. RealClimate ou Climate Change Denial) répondent aux arguments scientifiques, et non à  ces dernières critiques. Surtout, le réalisateur Martin Durkin rassemble une belle brochette de chercheurs qui abordent chacun un des arguments, laissant croire qu'eux-mêmes sont d'accord entre eux sur la totalité : ce qui est loin d'être évident vu la nature essentiellement réductionniste de la science ! Et le tout sans contradicteur : la polyphonie, qui est à  la base du journalisme, a disparue.

Alors, la controverse relancée ? Etonnamment, elle est relancée dans la société civile. Car ce documentaire diffusé sur la chaîne britannique Channel 4 le 8 mars est destiné au grand public — tout sauf un moyen traditionnel de faire de la science ainsi que l'avaient déjà  montré à  leur insu Allègre et Galam. Sans connaître les forces à  l'œuvre en coulisses, on peut constater qu'amener la controverse dans le public n'est qu'un moyen de susciter le débat pour éventuellement faire fléchir les politiques internationales — car quel intérêt s'il s'agit juste de dire "on vous ment" ? Preuve du rôle central du public, que l'on retrouvait déjà  dans la vidéo sur le maïs OGM MON863…

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Fraude, publication, pratiques de recherche : comment les pièces s'imbriquent

La structure d'un blog, sa parcellisation en billets, rend difficile la vision synthétique. Ainsi, j'ai pu parler ici de PLoS ONE, là  du peer-review, ici des difficultés à  intégrer la réplication des résultats dans le cours normal de la recherche, là  de la fraude, ici des protocoles expérimentaux bien différents de la réalité. Bien-sûr, on obtient une image assez large des défis de la science aujourd'hui ” mais plus un puzzle qu'un tableau de Hopper.

 2000 piece Robin Hood puzzle ©© INTVGene

Le prétexte à  rassembler toutes ces pièces dipersées m'est fourni par un article de Nature publié en juillet 2006, sur lequel je suis retombé récemment. Comme quoi, il est bon de lire et bookmarker une première fois pour mieux y revenir ensuite par sérendipité... Dans cet article, le journaliste Jim Giles aborde un grand nombre de thèmes et fait le constat suivant (ma traduction) :

Il y a quarante ans, l'immunologiste et Prix Nobel Peter Medawar déclarait que tous les articles scientifiques étaient frauduleux, dans le sens où ils décrivent la recherche comme un doux passage des hypothèses aux conclusions en passant par les expériences, quand la réalité est toujours moins nette que cela. Les commentaires, blogs et trackbacks, en élargissant le domaine de la publication au-delà  des limites de l'article traditionnel, pourraient rendre la littérature scientifique un peu moins frauduleuse ” dans le sens de Medawar comme dans le sens plus général. Ils pourraient aussi aider les nombreux scientifiques frustrés qui luttent pour reproduire des découvertes alors que, peut-être, ils ne devraient pas se donner tant de mal. La réplication, malgré toute son importance conceptuelle, est une affaire sociale, chaotique (messy) ; il se pourrait qu'elle ait besoin d'un médium social, chaotique.

Une profession de foi que je fais mienne, assurément !

J'ai aussi récemment vu une exhortation à  publier des thèses controversées dans des journaux en accès libre, en l'occurrence PLoS ONE, afin qu'elles puissent être discutées ouvertement et sérieusement : le physicien atypique Vincent Fleury est ainsi apostrophé par OldCola (pseudonyme d'un biologiste). Une autre convergence entre préoccupations finalement pas si éloignées...

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Trouvez l'auteur : Science et désenchantement du monde

Une fois n'est pas coutume, voici le premier couplet d'une chanson très lyrique, qui permet de situer un peu le problème du "désenchantement du monde" que peut induire la science. C'est facile d'en retrouver l'auteur par Google, donc faites plutôt remuer vos méninges... Et vous êtes surtout invités à  réagir en commentaire !

Du temps que régnait le Grand Pan,
Les dieux protégaient les ivrognes
Des tas de génies titubants
Au nez rouge, à  la rouge trogne.
Dès qu'un homme vidait les cruchons,
Qu'un sac à  vin faisait carousse
Ils venaient en bande à  ses trousses
Compter les bouchons.
La plus humble piquette était alors bénie,
Distillée par Noé, Silène, et compagnie.
Le vin donnait un lustre au pire des minus,
Et le moindre pochard avait tout de Bacchus.

Mais en se touchant le crâne, en criant "J'ai trouvé !"
La bande au professeur Nimbus est arrivée
Qui s'est mise à  frapper les cieux d'alignement,
Chasser les Dieux du Firmament.

Aujourd'hui ça et là , les gens boivent encore,
Et le feu du nectar fait toujours luire les trognes.
Mais les dieux ne répondent plus pour les ivrognes.
Bacchus est alcoolique, et le grand Pan est mort.

[Mà J 08 février, 6h50] : Il s'agit bien de Georges Brassens, dans "Le Grand Pan". Il est intéressant de comparer cette vision "traditionnelle" du désenchantement du monde avec ce que lui répond la sociologie des sciences, et Bruno Latour en particulier (dans Nous n'avons jamais été modernes, La Découverte, 1991, p. 156) :

Comment serions-nous capables de désenchanter le monde, lorsque nos laboratoires et nos usines le peuplent tous les jours de centaines d'hybrides plus bizarres que ceux d'hier ? La pompe à  air de Boyle est-elle moins étrange que la maison des esprits Arapesh ? Construit-elle moins l'Angleterre du XVIIe siècle ? Comment serions-nous victimes du réductionnisme alors chaque savant multiplie par centaines les entités nouvelles afin d'en réduire quelques-unes ? Comment serions-nous rationalisés, alors que nous ne voyons toujours pas beaucoup plus loin que le bout de notre nez ? Comment serions-nous matérialistes alors que chaque matière que nous inventons possède des propriétés nouvelles qu'aucune matière ne permet d'unifier ? ( ) Comment pourrions-nous être glacés par le souffle froid des sciences, alors qu'elles sont chaudes et fragiles, humaines et controversées, remplies de roseaux pensants et de sujets eux-mêmes peuplés de choses ?

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Pourquoi les OGM et les nanoparticules n'ont pas toujours existé

Une rhétorique que l'on retrouve souvent dans la bouche de scientifiques ou apparentés (i.e. adeptes d'un certain cadrage moderne, scientiste ou positiviste) veut que les OGM, comme les nanoparticules, aient toujours existé dans la nature. Comme Denis qui affirme dans un commentaire ici-même que la terre, notre bonne mère, a elle-même une infinité de nanoparticules en son sein ou Benoît Hervé-Bazin qui confirme dans un entretien à  La Recherche (janvier 2007) : De tels fragments ont existé de tout temps : "nano" ne rime pas obligatoirement avec "techno" ! L'atmosphère contient des "nanodébris" de végétaux ou de micro-organismes. Et, depuis que le feu existe, l'être humain en respire sous forme de fumée. Cette rhétorique, qui est supposée disqualifier toute critique que l'on pourrait avoir (et Dieu sait qu'il y en a !) sur ces deux sujet brûlants, peut-être discutée selon plusieurs arguments (disclaimer : je ne dis pas que les arguments sont convaincants, je me contente de les exposer, d'autant que j'en ai probablement une vision très imparfaite) :

Argument sociologique

Les OGM, ce ne sont pas des organismes dont le génome est recombiné par l'Homme mais un projet public, des soutiens économiques, une vision du monde. Les OGM, c'est une domination économique Nord/Sud. Dès lors, il est évident que l'on ne peut parler d'OGM en l'absence de ces caractéristiques fondamentales, plus fondamentales même que l'objet scientifique lui-même. Car l'objet est un prétexte, un prétexte à  "mettre en ordre" l'agriculture, un prétexte à  établir un réseau très fort entre les laboratoires de recherche et les semenciers dont on exclut les agriculteurs, voire un prétexte à  court-circuiter l'OMC et la FAO. Ce qui compte, c'est le jeu des acteurs autour de l'objet, qui ne fait que cristalliser des rapports de force et des stratégies de négociation.

Argument épistémologique (relativiste ?)

L'Homme ne nomme une chose qu'après l'avoir définie, catégorisée etc. Avant qu'apparaisse la notion d'OGM, la nature n'était pas connue comme constituée d'OGM puisque cette catégorie était absente du cerveau humain. Dès lors, comme en droit, on peut contester la "rétroactivité" des concepts, et contester qu'il ait pu exister des OGM ou des particules avant même que l'Homme définisse ces deux termes. On n'est pas loin du principe anthropique selon lequel l'Homme peut observer et connaître l'univers (ici, la nature) parce qu'il s'y trouve. Si l'Homme était absent, dirait-on que les OGM ou nanoparticules existent dans la nature ?

Argument politique

Evidemment, en disant qu'une chose a toujours existé on tend à  la banaliser. Le projet politique derrière n'est pas mince. En disant cela, on accentue aussi le fossé entre les chercheurs (qui "savent" que la nature est constituée d'OGM) et les profanes (qui l'ignorent). Ainsi, on hiérarchise les représentations (la représentation du scientifique est une connaissance, plus valable que celle du profane car universelle et objective), au détriment des représentations moins formalisées et plus distribuées (pour le profane, les OGM c'est un objet artificiel, c'est une culture de plein champ, c'est une plante "protégée" par des droits de propriété intellectuelle etc.).

Argument logique

Les chercheurs ou scientifiques qui disent que les OGM sont présents partout dans la nature sont les premiers à  dénoncer les profanes pour qui l'OGM est partout ! il nous envahit, argument qualifié de plutôt grossier pour faire peur aux foules mal informées par Ryuujin[1] — qui écrit ailleurs que la nature est bourrée de croisements, d'hybrides, d'OGM…. Deux positions irréconciliables !

Argument biologique

Parmi les multiples définitions des OGM, l'une veut que leurs caractéristiques génétiques initiales ont été modifiées de façon non naturelle par addition, suppression, remplacement ou modification d'au moins un gène (selon Christian Vélot, c'est moi qui souligne). Si c'est non naturel, alors ils n'ont pu précéder l'Homme dans la nature.

Argument philosophique

Et quand bien même, on n'a pas dit grand chose une fois qu'on a dit que les nanoparticules ont existé de tout temps. Est-ce pour autant qu'il ne faut pas réguler ? Est-ce pour autant qu'il ne faut pas chercher à  connaître les risques, à  informer et à  prévenir ? Evidemment, non. Cette rhétorique est donc largement stérile voire contre-productive pour décider et agir !

Notes

[1] Ryuujin est un élève-ingénieur en agronomie qui sévit sur Internet, que j'ai déjà  épinglé ici.

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"Qui veut gagner des millons", véridique !!

Y'a du boulot...

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