La science, la cité

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Nouvelles du front (14)

Le 22 septembre 2008, Bruno Laurioux remettait à  Michel Callon la médaille d'argent du CNRS qui distingue un chercheur pour l'originalité, la qualité et l'importance de ses travaux, reconnus sur le plan national et international. Dans son discours, la directrice du Centre de sociologie de l'innovation Madeleine Akrich reconnaissait l'extrême diversité des chercheurs et doctorants recrutés par Michel Callon, avec des profils allant de l'histoire aux mathématiques en passant par les sciences politiques, l'ingéniérie, l'urbanisme, l'anthropologie, l'économie, la gestion etc. Et elle proposait cette lecture magnifique :

S'agirait-il de cette interdisciplinarité dont on entend beaucoup parler ? Je ne le crois pas. Il me semble que l'on se situe dans ce que j'appellerais maladroitement de l'adisciplinarité, qui correspond à  une volonté consciente et réfléchie d'échapper aux cadres disciplinaires. La grande différence étant à  mes yeux que l'interdisciplinarité part des disciplines pour essayer de converger sur un objet, alors que l'adisciplinarité se situe ailleurs, dans un autre espace que celui quadrillé par les disciplines, et permet de faire émerger de nouvelles approches par sa focalisation première sur des questions “ sans arrêt renouvelées par le contact avec les acteurs extérieurs à  la recherche “ plutôt que sur des réponses déjà  apportées par des champs disciplinaires. Cela n'implique évidemment pas de se priver des apports d'autres travaux, mais plutôt une manière particulièrement libre de circuler à  l'intérieur de ces corpus, de tenter des rapprochements, d'opérer des déplacements.

Le 13 octobre, la revue en accès libre PLoS Biology fêtait ses 5 ans. Personnellement, je me souviens du temps passé à  la bibliothèque de l'Agro à  suivre frénétiquement les premiers pas de cette révolution. Je photocopiais les articles de Nature où il était question du projet d'Harold Varmus et ses acolytes (notamment les articles d'août 2002 et octobre 2003), une idée que je trouvais magnifique malgré un nom qui me semblait bizarre (et vague) : PLoS, pour Public Library of Science. De l'eau a coulé sous les ponts et je n'aurais pu imaginer à  quel point l'accès libre est aujourd'hui omniprésent, et PLoS avec lui ! J'y vais donc de mon hommage : ce blog n'existerait pas sans ces premiers émois face à  la perspective de l'accès libre et au choc que fut la découverte de Bruno Latour et La vie de laboratoire, à  peu près à  la même époque. Merci à  eux !

En 2003, ma photocopie de l'article "Nature" qui annonçait le lancement de PLoS #iloveopenaccess

Le 5 novembre, Tom Roud se lançait dans un décortiquage en règle du classement de Wikio et, comme avec la chaîne "Why blog?", faisait ressortir l'expérimentateur en lui (caché pas si loin derrière le théoricien) en lui jetant en pâture un blog artificiel créé pour l'occasion.

Le 11 novembre, un article des physiciens français Gilles Chériaux et Jean-Paul Chambaret (rattachés à  l'Ecole Polytechnique) était rétracté, six mois après qu'un blogueur se soit rendu compte que c'était un plagiat éhonté d'un article déjà  paru.

Le 13 novembre, l'éditorial de la revue Nature soulignait le danger que représente la contestation devant les tribunaux de résultats scientifiques, à  l'opposé de la transparence et de la discussion qui sont censés organiser la communauté scientifique. Et de citer cette récente poursuite par l'entreprise Biopure de chercheurs ayant publié dans le Journal of the American Medical Association une méta-analyse défavorable à  l'un de ses produits (un substitut sanguin), l'entreprise arguant des pertes financières encourues à  cause de cet article erroné selon eux.

Le 20 novembre, à  l'initiative du département SHS du CNRS, la Maison Méditerranéenne des Sciences de l'Homme recevait une journée d'études sur "Pourquoi déposer dans HAL SHS ? Les enjeux des archives ouvertes".

Jusqu'au 30 novembre, l'INED vous invite à  participer à  son enquête sur l'usage des langues vivantes dans la recherche dont l'objectif est de dresser un état des lieux plus approfondi des pratiques et des opinions individuelles sur la question des langues dans les sciences et de donner la parole à  tous les acteurs de la recherche.

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Nouvelles du front (6)

Comme promis un nouveau volume dans la foulée, je crois que j'ai rattrapé le retard que j'avais accumulé en mai et juin…

Le 18 mai, un article de Paul Bloom et Deena S. Weisberg dans Science donnait quelques raisons à  la "résistance à  la science" que manifestent les enfants et se retrouve chez les adultes (via Rationally Speaking). Cette résistance à  la science, malgré un nom qui peut laisser penser à  un concept très riche, désigne ce que d'autres appellent l'attrait pour les para-sciences et les explications fumeuses : croire en l'astrologie ou que la raison d'être des nuages est de donner la pluie. Cela est en fait dû aux pré-conceptions du jeune enfant, basées sur sa perception du monde, qui persiste chez l'adulte (parfois à  ses dépends, comme le prouve ce test : à  votre avis, à  la sortie d'un tube en demi-cercle, est-ce qu'une balle continue tout droit ou remonte pour boucler son mouvement circulaire ?). Dans ces conceptions, la Terre est forcément aplatie et les animaux créés tels quels. Quant aux assertions sur des sujets complexes comme la théorie des cordes ou l'étiologie de l'autisme, elles sont acceptées ou non par le profane en fonction du crédit qu'il attribue à  la source… En conclusion,

These developmental data suggest that resistance to science will arise in children when scientific claims clash with early emerging, intuitive expectations. This resistance will persist through adulthood if the scientific claims are contested within a society, and it will be especially strong if there is a nonscientific alternative that is rooted in common sense and championed by people who are thought of as reliable and trustworthy [e.g. evolution vs. creationism].

Un article paru dans PLoS Computational Biology le 16 mars a été rétracté quelques semaines plus tard à  cause d'un bug dans le programme en Perl qui avait servi à  obtenir les résultats. Enfin, en théorie puisque la rétractation n'est toujours pas indiquée sur la page de l'article en question. Justement, une news de la revue Nature datée du 17 mai revenait sur la lettre de Murat Cokol et al., s'essayant à  la modélisation des taux de rétractation en fonction du facteur d'impact des journaux (via Medical Writing). Où il apparaît que les revues à  fort impact (Nature, Cell et les autres) ont une plus grand probabilité de voir leurs articles rétractés. Une explication ? On peut avancer le fait que ces revues publient des articles plus novateurs, dans des domaines plus disputés, et donc sont plus propices aux erreurs et fraudes. Ou bien qu'elles sont plus lues et donc que les erreurs ont plus de chance d'être détectées et rapportées, hypothèse qui permet d'envisager un effet "revues en accès libre" augmentant le nombre de rétractations (dont l'exemple ci-dessus est peut-être le fruit). Mais comme ce courrier n'a pas été évalué par les pairs avant publication, la controverse fait rage, portant notamment sur la qualité et la fiabilité des données utilisées (9,4 millions d'articles obtenus par la base PubMed). Toujours au sujet des rétractations, mais avec un regard éthique, je conseille ce billet à  lire sur Adventures in Ethics and Science.

Dans le même esprit, mais sans doute plus rare, l'éditorial du 20 juin de la revue Macroporous and Mesoporous Materials dénonce un cas de plagiat d'article et promet qu'il n'acceptera plus de soumissions de l'auteur fautif (et pourquoi pas de son co-auteur, n'était-il pas au courant ?). Ils avaient même repris presque mot pour mot le titre de l'article original, vieux de 12 ans et sans doute publié dans une revue obscure !

Le 25 juin dernier, The Inoculated Mind (blog très moche mais intéressant au demeurant) faisait le bilan d'un débat qui a agité la blogosphère scientifique anglophone : pourquoi les scientifiques sont-ils de moins en moins disponibles pour les journalistes scientifiques ? Et ce billet de prendre la défense des journalistes qui, oui, sont indispensables et doivent être traités avec respect… Et les communiqués de presse des universités elles-mêmes sont souvent les premiers fautifs de la mauvaise couverture de l'actualité scientifique !

En juin aussi, les chimistes iraniens qui avaient été exclus par l'American Chemical Sociey (ACS) ont été réintégrés. Ca a pris du temps mais après vérification par ACS, il est apparu que cette décision n'était pas contrainte par l'embargo des Etats-Unis, qui ne s'applique pas à  la fourniture d'information scientifique. Une victoire pour la communauté scientifique qui s'était mobilisée !

En France, on connaissait le programme PICRI de la région Île-de-France, qui met ensemble des associations et des laboratoires de recherche. Voilà  la région Bretagne qui se lance à  son tour. Chic…

Et enfin, deux mises en scène ironiques du créationnisme :

via Science Humor

Une machine à  PCR à  la California State University, Chico ©© njhdiver

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Fraude, publication, pratiques de recherche : comment les pièces s'imbriquent

La structure d'un blog, sa parcellisation en billets, rend difficile la vision synthétique. Ainsi, j'ai pu parler ici de PLoS ONE, là  du peer-review, ici des difficultés à  intégrer la réplication des résultats dans le cours normal de la recherche, là  de la fraude, ici des protocoles expérimentaux bien différents de la réalité. Bien-sûr, on obtient une image assez large des défis de la science aujourd'hui ” mais plus un puzzle qu'un tableau de Hopper.

 2000 piece Robin Hood puzzle ©© INTVGene

Le prétexte à  rassembler toutes ces pièces dipersées m'est fourni par un article de Nature publié en juillet 2006, sur lequel je suis retombé récemment. Comme quoi, il est bon de lire et bookmarker une première fois pour mieux y revenir ensuite par sérendipité... Dans cet article, le journaliste Jim Giles aborde un grand nombre de thèmes et fait le constat suivant (ma traduction) :

Il y a quarante ans, l'immunologiste et Prix Nobel Peter Medawar déclarait que tous les articles scientifiques étaient frauduleux, dans le sens où ils décrivent la recherche comme un doux passage des hypothèses aux conclusions en passant par les expériences, quand la réalité est toujours moins nette que cela. Les commentaires, blogs et trackbacks, en élargissant le domaine de la publication au-delà  des limites de l'article traditionnel, pourraient rendre la littérature scientifique un peu moins frauduleuse ” dans le sens de Medawar comme dans le sens plus général. Ils pourraient aussi aider les nombreux scientifiques frustrés qui luttent pour reproduire des découvertes alors que, peut-être, ils ne devraient pas se donner tant de mal. La réplication, malgré toute son importance conceptuelle, est une affaire sociale, chaotique (messy) ; il se pourrait qu'elle ait besoin d'un médium social, chaotique.

Une profession de foi que je fais mienne, assurément !

J'ai aussi récemment vu une exhortation à  publier des thèses controversées dans des journaux en accès libre, en l'occurrence PLoS ONE, afin qu'elles puissent être discutées ouvertement et sérieusement : le physicien atypique Vincent Fleury est ainsi apostrophé par OldCola (pseudonyme d'un biologiste). Une autre convergence entre préoccupations finalement pas si éloignées...

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PLoS ONE, deux mois après

Le 20 décembre dernier était donc lancé PLoS ONE, revue scientifique hétéroclite dont les articles sont à  peine évalués par les pairs (uniquement pour trier le grain de la mauvaise ivraie), sorte de "bazar" où le lecteur doit se repérer, commenter, recommander etc. L'ambition était grande dans un monde académique qui peine à  sortir de la recommandation a priori par la notoriété des revues (facteur d'impact) et la relecture par les pairs.

Un mois et demi après, quel bilan peut-on tirer ? Est-ce que les lecteurs se sont appropriés les articles qui leur sont livrés en pâture ? Il semblerait que oui ! Ainsi, la revue Science (excusez du peu !), dans son numéro du 2 février, présentait un article de PLoS ONE comme "choix du rédacteur en chef" (editor's choice). Moins institutionnels, les blogs participent aussi à  faire ressortir certains articles et à  entamer la discussion. Selon Postgenomic, qui agrège près de 700 blogs scientifiques, ce sont au moins 25 articles qui ont été remarqués (parfois très brièvement). Du côté des outils sociaux, au moins trois articles de biologie ont attiré l'attention des utilisateurs de CiteULike et au moins cinq autres articles ont été bookmarkés sur Connotea...

Il ne reste plus qu'à  inventer un système pour regrouper en un seul endroit tous ces commentaires dispersés. On peut songer aux trackbacks, selon un modèle proche de celui d'ArXiV, où les commentaires de blogueurs ont déjà  permis d'améliorer substantiellement un article. En attendant, il faut naviguer entre ces sites, voire souscrire au flux de Postgenomic. Mais la visibilité des articles publiés "en vrac" par PLoS ONE existe bel et bien, et le tri par les lecteurs en fonction de l'intérêt propre de l'article et des centres d'intérêt de chacun semble fonctionner.

P.S. Sans doute ce billet fournira-t-il quelques réponses utiles à  cet internaute qui est arrivé chez moi après avoir cherché articles publiés par plos one dans Google. Preuve que le besoin est là  mais que pour trouver où ces articles ont été commentés, il faut déjà  savoir où chercher...

[Mà J 20/02, 7h20] : Comme le souligne Chris Surridge sur le blog de PLoS, un des articles qui a été le plus remarqué ne possède qu'une discussion, renvoyant en fait vers un billet du blog "Gene expression" ayant 25 commentaires ! Il y a donc du travail pour regrouper et fluidifier tout cela...

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Le peer commentary, de Nature à  PLoS ONE

Mon billet précédent sur le peer commentary a fait beaucoup réagir, l'opinion dominante étant que le peer review ne sera jamais remplacé avantageusement par un système où chacun est invité à  commenter et à  réagir directement aux articles scientifiques. C'est plus ou moins la conclusion à  laquelle arrive également la revue Nature, dont la tentative d'open peer review s'est terminé en septembre. Bilan annoncé en décembre dernier :

  • 1369 articles candidats
  • 71 articles ouverts au public après accord des auteurs
  • 92 commentaires postés sur 38 articles, dont 49 sur 8 articles
  • 10 commentaires pour l'article le plus commenté, portant sur la sélection sexuelle post-accouplement
  • note moyenne attribuée par les auteurs aux commentaires reçus : 2,6/5 pour ceux portant sur le contexte de publication (editorial) et 1,8/5 pour les commentaires plus techniques.

Pour Nature, l'expérience n'est pas aussi concluante qu'ils l'espéraient, essentiellement en raison du nombre et de la qualité moyenne des commentaires. Ils n'envisagent donc pas immédiatement de la renouveler voire de l'adopter pour de bon : "les chercheurs ne sont pas encore prêts" affirme Timo Hannay.

Colorful scientific journals

Mais le 20 décembre était officiellement lancé PLoS ONE, qui penche résolument de l'autre côté et mise tout sur le peer commentary. Tous les articles soumis à  PLoS ONE sont relus par "au moins un des 200 chercheurs composant le comité de rédaction, uniquement pour vérifier l'absence d'erreur majeure dans les expériences effectuées ou leur analyse. A la différence de quasiment toutes les autres revues, les rapporteurs ne font pas attention à  la signification des résultats. A la place, les articles importants seront mis en avant par l'attention qu'ils susciteront après publication." (Jim Giles, "Open-access journal will publish first, judge later", Nature 445: 9, 4 janvier 2007). En l'absence de tri a priori des articles, ce ne sont pas moins de 40 à  60 articles qui seront publiés par mois dans toutes les disciplines, pour atteindre quelques centaines par mois à  moyen terme.

Comme l'affirme le rédacteur en chef de PLoS ONE Chris Surridge, le but est de "faire une revue où les articles ne sont pas une fin en soi mais le début d'une discussion" (Jim Giles, op. cit.). Pour ce faire, des outils avancés permettant de surligner et d'annoter directement dans le texte, de commenter et de noter les commentaires ont été ou vont être déployés (voir un exemple sur l'article "bac à  sable"). Plus largement, l'ambition des fondateurs du groupe PLoS dont Harold Varmus est véritablement de "tranformer la manière dont on publie la science" !

Le "match" est intéressant et le futur nous dira quelle est la meilleur option. Mais on peut aussi imaginer que les deux modèles continueront à  cohabituer, avec d'autres intermédiaires où le peer commentary s'ajoute au peer review sans le remplacer...

Photo © Getthebubbles

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