La science, la cité

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Mot-clé : créationnisme

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Nouvelles du front (11)

Du 26 mars au 18 avril, toute l'actualité du côté obscur de la recherche médicale (conflits d'intérêt, fraude…) est résumée dans un billet du nouveau blog de "Science ! On blogue" consacré au business de la science.

Le 1er avril, le blog des livres apparenté au magazine La Recherche nous offrait un poisson d'avril de taille !

Quelques jours plus tard, une pétition (sérieuse cette fois-ci) était évoquée pour protester contre les prémices d'un recrutement inique au sein de la section 35 du CNRS ("Philosophie, histoire de la pensée, sciences des textes, théorie et histoire des littératures et des arts").

La semaine du 21 avril, le Texas rejetait la demande de l'Institute for Creation Research qui souhaitait être autorisé à  délivrer un Master ès sciences.

Enfin arrivait mai et ses commémorations quarantenaires. Sur la liste de diffusion "Theuth", l'historien des sciences Pierre Crépel nous gratifiait d'un texte très circonstancié sur D'Alembert en mai 68. Qu'il me permette de recopier ici de larges extraits pour le plaisir :

En mai 68, la correspondance Voltaire - D'Alembert comprend deux lettres du premier et trois du second. La grande affaire du moment est pour eux le voyage du marquis de Mora (dont D'Alembert ignore évidemment qu'il est l'amant de Mlle de Lespinasse) et de son ami le duc de Villahermosa. Dès le 5 avril, le savant encyclopédiste recommande au patriarche de Ferney ce "jeune Espagnol de grande naissance et de plus grand mérite, fils de l'ambassadeur d'Espagne à  la cour de France, et gendre du comte d'Aranda, qui a chassé les jésuites d'Espagne".

En 68, D'Alembert habite depuis trois ans chez Julie de Lespinasse rue Saint-Dominique, il se déplace rarement à  plus de trois cents mètres de Saint-Germain-des-Prés ou de la rue Saint-Honoré. Il se lève plutôt de bonne heure, du moins pour un intellectuel parisien, il travaille le matin, on dîne alors vers deux heures. Après dîner, il va quatre fois par semaine au Louvre, où siègent les académies, jamais à  la Sorbonne. En fin d'après-midi, ou plus tôt quand il n'y a pas d'académie, il rend des visites ou fréquente les salons. Il va au spectacle le soir, mais sans exagération, et se couche assez tôt.

Mais où est donc passé de Gaulle? A Colombey ? A Baden-Baden ? Certains prétendaient aussi l'avoir vu à  Alger en 58. Légendes. Rien de tout cela. De Gaulle est resté au Havre en mai 68. Il est né à  Attigny en Champagne (aujourd'hui département des Ardennes). En 58, il est aide-pilote sur le vaisseau le Capricieux au cours de sa campagne à  Luisbourg, comme le montre un certificat du 7 avril 63. De 64 à  72, il est professeur de navigation au Havre, comme en témoigne le certificat du lieutenant-général de l'amirauté du Havre du 18 décembre 72. De Gaulle est surtout célèbre pour diverses inventions (loch, boussole, compas azimutal ...) intéressant la Marine. On peut suivre ses travaux dans les archives de la Marine (cote G 99 des Archives nationales) et de l'Académie des sciences, dont il devient correspondant en 82. D'Alembert a pu constater tout cela de près, notamment lors du premier voyage de De Gaulle à  Paris en juillet 77, puis du second en décembre 78 - janvier 79. Il est donc clair que D'Alembert a rencontré De Gaulle à  l'Académie des sciences, non pas en mai 68 mais dix ans plus tard. Il serait temps que les historiens cessent de raconter n'importe quoi.

Le 9 mai, Harun Yahya, auteur de l'Atlas de la création envoyé en 2007 aux enseignants français, était condamné à  trois ans de prison ferme en Turquie pour "création d'une organisation illégale" et "enrichissement personnel".

Le 15 mai, Nature racontait sur quatre pages l'histoire d'une publication, suivie d'une tentative infructueuse de réplication puis d'une rétraction, d'une accusation de fraude et du succès d'une autre équipe sur le même sujet. à‡a se lit comme un roman qui se déroulerait dans l'univers de l'enzymologie mais le chercheur qui a passé sept mois et dépensé en vain des dizaines de milliers de dollars ne rit pas, non plus que la doctorante accusée à  tort de fraude par son ancien directeur de thèse.

Le monde idéal serait-il un monde sans chercheurs ? Peut-être, puisqu'un monde sans chercheurs est un monde où la souffrance humaine, inexistante, n'a pas besoin d'être réduite. C'est ce qu'insinue une campagne contre le cancer, avec laquelle on peut ne pas être d'accord. (via Jean-No)

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Nouvelles du front (9)

Dans son numéro de janvier, le magazine de l'université Louis-Pasteur rapporte quelques témoignages de chercheurs sur l'ANR, qui fête ses 3 ans (pp. 18-19). Où il apparaît que des progrès ont été faits concernant les explications par les évaluateurs des projets refusés et que les projets "blancs" (sans thème imposé) permettent de belles réussites. A condition de trouver les bons gestionnaires ou consultants capables de répondre aux exigences administratives et financières de l'Agence… Et on retrouve toujours cette préoccupation : l'ANR finance surtout des projets appliqués, ce qui n'est finalement que le prix à  payer pour une aide financière conséquente. Mais quand un chimiste reçoit 80.000 € sur deux ans pour une étude pré-clinique permettant d’empêcher une molécule brevetée par l'université en 2004 de tomber dans l’oubli, il se demande : nous avons apporté des réponses aux questions des industriels, mais est-ce bien notre métier de faire de la recherche appliquée ?

Une nouvelle revue scientifique pour les créationnistes : Answers Research Journal (via P.Z. Myers). Qui commence déjà  à  publier des travaux "intéressants". Nature aussi en parle, se faisant le porte-voix de ceux qui conseillent de ne pas trop attaquer ce journal frontalement mais d'essayer plutôt d'informer le public...

Atlas of Creation par Harun Yahya ©© gravitywave

Le pape Benoît XVI a dû annuler une visite officielle à  l'université romaine La Sapienza, qui avait été organisée à  l'initiative de son recteur. Ceci face à  la fronde d'une fraction d'enseignants-chercheurs qui avaient exprimé leur mécontentement, rappelant qu'en 1990, le pape (qui n'était que cardinal) avait cité le philosophe des sciences Paul Feyerabend pour qui à  l'époque de Galilée, l'Eglise a plus obéi à  la raison que Galilée lui-même. Le procès contre Galilée était raisonnable et juste. (via physicsworld.com, je renvoie à  ce blog en anglais pour une discussion de l'affaire)

Le 15 janvier, un excellent article de Frank Furedi nous apprenait que dans le monde anglo-saxon, certaines personnalités comme Sir David Read (vice-président de la Royal Society) ne parlent plus de "science" mais de "the science" (la nuance est intraduisible mais disons que l'article "the" est inutile car la science est une entité abstraite, comme "freedom"). Ce que cela signifie ? Incontestablement, que le discours scientifique se pare de vertus moralisatrices et politiques… (via Kinga)

On a beaucoup parlé de comportements déviants aussi : la revue Nature a publié un article où deux chercheurs de l’université du Texas ont passé au crible d'un logiciel de comparaison de texte un échantillon de la fameuse base Medline. Ils cherchaient des similitudes, ils ont trouvé un peu plus de 400 cas de haute ressemblance (pour lesquels les sanctions ont commencé à  tomber). En extrapolant à  la base entière, il y aurait donc un peu plus de 1% de plagiat ou publications doublonnées dans la littérature scientifique. Puis Le Monde nous apprenait qu'une initiative française sous les auspices du CNRS vise à  établir un diagnostic sur la fraude scientifique dans le pays et proposer des remèdes.

Dans la revue Nature Biotechnology, deux chercheurs écrivaient en janvier en se demandant où la méthode scientifique s'en est-elle allée ? A leur grand regret en effet, il est de plus en plus difficile de trouver des descriptions claires et complètes des protocoles expérimentaux mis en oeuvre par les auteurs publiant dans les revues les plus en vue. Où le "choc" du résultat l'emporte sur la norme scientifique... La rédaction de la revue a répondu en lançant le débat. (via Nautilus)

Enfin, le C@fé des sciences s'agrandit avec deux nouveaux membres : le blog de ICE, placé sous le signe du réchauffement climatique, et le Webinet des curiosités, placé sous celui de l'éclectisme. Bienvenue à  eux et bonne lecture à  vous !

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Kuhn, Popper et le dessein intelligent

Ce texte est la traduction autorisée d'un billet de Steve Gimbel, professeur de philosophie au Gettysburg College, que je remercie.

"Mike the Mad Biologist" a récemment blogué sur la notion de changement de paradigme (Thomas Kuhn) appliquée au dessein intelligent. Mike a raison sur quelques points :

Les changements de paradigme sont très rares. A chaque fois que vous entendez parler d'une théorie "nouvelle", souvenez-vous en. Einstein en avait une. Darwin en avait une. Kimura en avait une. Peu d'autres en ont. C'est très heureux car si les disciplines étaient révisées de A à  Z tous les mois, il serait très difficile de travailler (et ce serait une bonne preuve que le travail lui-même était bancal).

Oui, la très grande majorité de chercheurs font ce que Kuhn appelle la "science normale", qui est fermement ancrée dans le paradigme guidant la science, et les révolutions sont si rares que quand elles se produisent, c'est crucial.

Deuxièmement,

Il y a une différence entre une perspective ou vue du monde (''worldview", "Weltanschauung") et une théorie. Les théories (et hypothèses) peuvent être remplacées par de nouvelles données ou analyses. De nombreuses soi-disant théories ne sont pas des théories rigoureuses qui peuvent être réfutées (et je ne compte pas discutailler ici de Popper). Comment réfuter par exemple le dessein intelligent ?

Pour Kuhn, un paradigme entraîne une vision du monde complète. Il contient des présupposés fondateurs ; il définit quelle sorte de questions peut être posée et lesquelles valent le coup d'être approfondies ; il définit quelles approches sont considérées légitimes pour répondre aux questions ; et il définit ce qui compte comme une réponse valable. De cette façon, Kuhn est dans la lignée de Pierre Duhem, selon lequel un paradigme n'est pas falsifiable parce que l'on peut toujours faire des ajustements dans le réseau pour expliquer les anomalies qui apparaissent. Certaines anomalies sont facilement mises au placard quand d'autres nécessitent des modifications ad hoc majeures, mais on peut toujours sauver une partie quelconque du paradigme si l'on est prêt à  ajuster quelque part ailleurs.

Ainsi, non seulement le dessein intelligent n'est pas réfutable au sens de Popper mais la théorie de l'évolution, la théorie quantique ou tout ce qu'on veut non plus. La référence à  Popper, que l'on voit si souvent, est fautive puisque les hypothèses ne sont pas testées individuellement. Elles font partie d'un réseau plus large de croyances et peuvent être sauvées face à  des observations problématiques en arrangeant d'autres éléments du réseau.

Est-ce que cela signifie une certaine équivalence épistémologique entre la théorie de l'évolution et le dessein intelligent ? Non. Cela signifie juste que Popper n'est pas la bonne carte à  jouer. Il y a des personnes intelligentes qui travaillent dur pour montrer qu'il pourrait y avoir des conséquences testables du dessein intelligent et ce serait une erreur de considérer qu'elles sont fausses a priori. Peut-être qu'elles sont testable indirectement, peut-être pas. Le fait est que cela importe peu puisque ce n'est pas la réfutabilité qui va nous donner un critère de choix ici.

Imre Lakatos était un étudiant de Popper qui trouvait aussi certains aspects de la théorie de Kuhn extrêmement attractifs. Il réalisa qu'on ne pouvait pas, sans problèmes, appliquer à  la science vue par Kuhn la réfutabilité d'hypothèses individuelles comme critère de démarcation. Mais il vit aussi un des problèmes saillants du système de Kuhn. Si un paradigme est une vision du monde et définit les questions que l'on pose, les moyens d'y répondre et ce qui compte comme réponse acceptable, alors toute la rationalité réside au sein du paradigme. Du coup, il ne peut pas y avoir de bonne raison de passer d'un paradigme à  l'autre puisque la raison ne fait sens qu'au sein d'un paradigme donné. Il n'y a pas de moyen de comparer les paradigmes avant d'acheter, si bien que le changement de paradigme est semblable à  une reconversion religieuse.

Lakatos utilisa Popper pour résoudre ce problème avec Kuhn. Popper avait souligné que des propositions réfutées pouvaient être repêchées par l'utilisation d'hypothèses ad hoc mais les exclut en considérant qu'elles n'étaient pas permises. Pour Kuhn, elles sont permises. L'idée de Lakatos fut de reformuler Kuhn pour qu'elles soient acceptées mais en devenant des handicaps dans l'acceptation d'une théorie. Et un programme de recherche (c'est ainsi qu'il renomma les paradigmes) peut être sauvé en ajustant d'autres parties de la théorie mais quand votre ajustement la rend moins réfutable, le programme devient "dégénéré". Quand le programme de recherche est capable d'expliquer de plus en plus sans modification ad hoc, il est considéré comme progressiste. Kuhn a raison (et Popper tort) quand il affirme qu'on n'est jamais obligé d'exclure une théorie, qu'elle peut toujours être sauvé de données problématiques et demeurer scientifique. Mais Popper avait raison (et Kuhn tort) en disant que cette façon de la sauver a un coût.

Alors, quand nous regardons le dessein intelligent et l'évolution darwinienne, nous avons deux programmes de recherche qui peuvent être maintenus quelles que soient les données. Mais il se trouve que le dessein intelligent est assez dégénéré pour avoir besoin de tout un tas de rustines qui n'augmentent pas sa testabilité face aux phénomènes observés. La théorie de l'évolution, par contre, est un programme de recherche incroyablement progressiste qui rend compte d'un volume croissant de données allant de faits macro-écologiques à  des faits de génétique moléculaire ou des faits géologiques. L'évolution darwinienne est testable d'un très grand nombre de façons et rend facilement compte des observations à  travers elles. Y'a-t-il des anomalies ? Bien-sûr ! Toute théorie a des anomalies. Certaines d'entre elles seront-elles résolues par l'ajout de faits aujourd'hui inconnus ? Evidemment. D'autres faits nous forceront-ils à  repenser certains pans de la théorie comme elle est acceptée aujourd'hui ? Sans aucun doute. Y'en aura-t-il qui provoqueront la dégénérescence du programme de recherche dans son entier et rendront son adhésion complètement irrationnelle ? Possible, mais vous feriez mieux de parier sur ma victoire au prochain Tour de France.

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Nouvelles du front (6)

Comme promis un nouveau volume dans la foulée, je crois que j'ai rattrapé le retard que j'avais accumulé en mai et juin…

Le 18 mai, un article de Paul Bloom et Deena S. Weisberg dans Science donnait quelques raisons à  la "résistance à  la science" que manifestent les enfants et se retrouve chez les adultes (via Rationally Speaking). Cette résistance à  la science, malgré un nom qui peut laisser penser à  un concept très riche, désigne ce que d'autres appellent l'attrait pour les para-sciences et les explications fumeuses : croire en l'astrologie ou que la raison d'être des nuages est de donner la pluie. Cela est en fait dû aux pré-conceptions du jeune enfant, basées sur sa perception du monde, qui persiste chez l'adulte (parfois à  ses dépends, comme le prouve ce test : à  votre avis, à  la sortie d'un tube en demi-cercle, est-ce qu'une balle continue tout droit ou remonte pour boucler son mouvement circulaire ?). Dans ces conceptions, la Terre est forcément aplatie et les animaux créés tels quels. Quant aux assertions sur des sujets complexes comme la théorie des cordes ou l'étiologie de l'autisme, elles sont acceptées ou non par le profane en fonction du crédit qu'il attribue à  la source… En conclusion,

These developmental data suggest that resistance to science will arise in children when scientific claims clash with early emerging, intuitive expectations. This resistance will persist through adulthood if the scientific claims are contested within a society, and it will be especially strong if there is a nonscientific alternative that is rooted in common sense and championed by people who are thought of as reliable and trustworthy [e.g. evolution vs. creationism].

Un article paru dans PLoS Computational Biology le 16 mars a été rétracté quelques semaines plus tard à  cause d'un bug dans le programme en Perl qui avait servi à  obtenir les résultats. Enfin, en théorie puisque la rétractation n'est toujours pas indiquée sur la page de l'article en question. Justement, une news de la revue Nature datée du 17 mai revenait sur la lettre de Murat Cokol et al., s'essayant à  la modélisation des taux de rétractation en fonction du facteur d'impact des journaux (via Medical Writing). Où il apparaît que les revues à  fort impact (Nature, Cell et les autres) ont une plus grand probabilité de voir leurs articles rétractés. Une explication ? On peut avancer le fait que ces revues publient des articles plus novateurs, dans des domaines plus disputés, et donc sont plus propices aux erreurs et fraudes. Ou bien qu'elles sont plus lues et donc que les erreurs ont plus de chance d'être détectées et rapportées, hypothèse qui permet d'envisager un effet "revues en accès libre" augmentant le nombre de rétractations (dont l'exemple ci-dessus est peut-être le fruit). Mais comme ce courrier n'a pas été évalué par les pairs avant publication, la controverse fait rage, portant notamment sur la qualité et la fiabilité des données utilisées (9,4 millions d'articles obtenus par la base PubMed). Toujours au sujet des rétractations, mais avec un regard éthique, je conseille ce billet à  lire sur Adventures in Ethics and Science.

Dans le même esprit, mais sans doute plus rare, l'éditorial du 20 juin de la revue Macroporous and Mesoporous Materials dénonce un cas de plagiat d'article et promet qu'il n'acceptera plus de soumissions de l'auteur fautif (et pourquoi pas de son co-auteur, n'était-il pas au courant ?). Ils avaient même repris presque mot pour mot le titre de l'article original, vieux de 12 ans et sans doute publié dans une revue obscure !

Le 25 juin dernier, The Inoculated Mind (blog très moche mais intéressant au demeurant) faisait le bilan d'un débat qui a agité la blogosphère scientifique anglophone : pourquoi les scientifiques sont-ils de moins en moins disponibles pour les journalistes scientifiques ? Et ce billet de prendre la défense des journalistes qui, oui, sont indispensables et doivent être traités avec respect… Et les communiqués de presse des universités elles-mêmes sont souvent les premiers fautifs de la mauvaise couverture de l'actualité scientifique !

En juin aussi, les chimistes iraniens qui avaient été exclus par l'American Chemical Sociey (ACS) ont été réintégrés. Ca a pris du temps mais après vérification par ACS, il est apparu que cette décision n'était pas contrainte par l'embargo des Etats-Unis, qui ne s'applique pas à  la fourniture d'information scientifique. Une victoire pour la communauté scientifique qui s'était mobilisée !

En France, on connaissait le programme PICRI de la région Île-de-France, qui met ensemble des associations et des laboratoires de recherche. Voilà  la région Bretagne qui se lance à  son tour. Chic…

Et enfin, deux mises en scène ironiques du créationnisme :

via Science Humor

Une machine à  PCR à  la California State University, Chico ©© njhdiver

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Le dessein intelligent enfin scientifique ?

Jusqu'à  présent, le dessein intelligent (intelligent design, sorte de créationnisme 2.0) se présentait sous la forme d'un paquet d'arguments et de raisonnements, jetés à  la tête de l'évolutionniste critique. Ces arguments, on les trouvait dans des brochures, sur des sites Internet et dans des livres de "vulgarisation" destinés au grand public. Depuis peu, quelques tentatives s'efforcent de donner du caractère scientifique au canon du dessein intelligent, par exemple grâce à  un livre de cours qui se veut structuré et synthétique : L'Atlas de la création, dont Benjamin nous a déjà  parlé. Mais il restait la question de la recherche "en train de se faire" : quid des modes de communication des créationnistes travaillant dans des instituts comme le Discovery Institute ou l'Institute for Creation Research ? Ces chercheurs allaient jusqu'à  se plaindre dans Nature de ne pas pouvoir y publier !

Ceci est terminé. Via Improbable Research, on apprend qu'une revue consacrée aux recherches créationnistes vient d'être créée : l'International Journal for Creation Research. Et il s'agit bien d'une revue où les articles sont évalués par des pairs (peer review)[1].

Alors quoi, en se mettant enfin au diapason de la science, le créationnisme deviendrait scientifique ? Ca dépend de ce que l'on entend par "scientifique"… Bruno Latour, dans le texte "Vous avez dit "scientifique" ?" publié en septembre 2000 dans La Recherche[2], distingue trois sens de ce mot :

  • une forme de discours qui permet de renvoyer dans les cordes la sagesse populaire et les rumeurs oiseuses, parce qu'il n'y a plus à  discuter ;
  • des entités nouvelles dont on n'avait jusqu'ici jamais entendu parlé, (…) à  l'intérieur de communautés scientifiques originales. Au lieu de clore une discussion, ces entités-là  rendent les interlocuteurs perplexes ;
  • un énoncé renforcé par une grande quantité de chiffres, données, de preuves. Alors que le premier sens renvoie plutôt à  l'indiscutable et que le second porte sur la nouveauté et la perplexité qu'elle engendre, ce troisième sens porte sur ce que l'on pourrait appeler la logistique.

C'est cette "logistique" que vient de s'offrir le créationnisme à  travers l'indispensable revue avec comité de lecture. Désormais, il pourra se vanter de manipuler des chiffres et de s'appuyer sur des citations en bonnes et dues formes, il pourra se vanter de créer des entités nouvelles comme la baraminologie — mais pas forcément de fabriquer des discours suffisamment solides pour pouvoir être assénés à  un dîner. Il lui manque encore ce premier sens du mot "scientifique", lequel est qualifié par Bruno Latour de sens de l'épistémologie politique.

Un peu comme si on fondait aujourd'hui une branche de la chimie sur l'existence du phlogistique (comme avant Lavoisier) ou du mercure philosophal (comme dans l'uchronie de Gregory Keyes). Après tout, il pourrait y avoir des gens pour financer, ça marcherait bien (en cercle fermé) et on garderait la face… Mais in fine, on demande bien à  la science de créer des entités qui ne peuvent plus être retournées ou contournées, ou alors de se contenter d'être philosophie ou métaphysique. Parions que le dessein intelligent risque de finir ainsi, lui qui n'hésite pas à  considérer que quand nous n'avons pas d'explication naturelle à  un fait de la nature, nous devrions le dire au lieu d'en chercher absolument !

Notes

[1] Même si elle précise dans ses instructions aux rapporteurs (p. 10) : Nous devons nous servir de balances justes, de poids justes (Lévitique 19:36) car nous avons aussi un Evaluateur au Ciel (Ephésiens 6:9, Colossiens 3:24 et 4:1).

[2] Et repris dans les Chroniques d'un amateur de sciences, Ecole des mines de Paris, 2006.

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