La science, la cité

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Mot-clé : Science

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Nouvelles du front (12)

Le 7 juin, au Salon européen de la recherche et de l'innovation, le freezing est devenue une arme politique du mouvement Sauvons la recherche. Sauf qu'ils ont encore du progrès à  faire, on voit un gars bouger à  la 37e seconde et une nana à  la 54e et à  mon avis, la vidéo serait bien plus percutante si elle s'ouvrait sur la mise en place du freezing

Le 3 juin, un candidat américain promettait vaguement de renewing our commitment to science and innovation. Mais ces quelques mots prononcés par Obama ne sont pas passés inaperçus tant les américains en veulent aux républicains d'avoir fait du mal à  leur science.

En juin, le magazine ''research*eu'' de la Commission européen (DG Recherche) nous gratifait d'un beau lieu commun : dans une époque surchargée de communiqués de presse, blogs et autres wikis, personne n'est à  l'abri de l'inexactitude, encore moins lorsqu'il s'agit de science (p. 14).

Le 19 juin, la revue Nature frôlait le numéro spécial sur la fraude scientifique avec un éditorial, l'annonce de la suspension d'un chercheur mal intentionné à  l'Université de Pennsylvanie et une enquête montrant que seulement 58 % des 201 comportements frauduleux observés par les 2,212 chercheurs interrogés ont été signalés à  la hiérarchie ces trois dernières années. Et les 24 cas soumis chaque année en moyenne par les institutions de recherche à  l'Office of Research Integrity américain ne sont que le sommet de l'iceberg... Ce qu'il manque, affirment les auteurs de l'étude ? Une culture de l'intégrité dans les labos.

Le 23 juin, un article du rédacteur en chef de Wired, le père de la "longue traîne" Chris Anderson, annonçait la fin de la théorie et le début de la science empirique basée sur les quantités colossales de données dont on dispose désormais. Un peu comme Google qui ne fait aucune hypothèse et modèle mais rend compte de nos habitudes et notre langage en moulinant des pétaoctets de données dans des serveurs équipés d'algorithmes surpuissants. Mais à  la question qu'est-ce que la science peut apprendre de Google ?, Alexandre Delaigue apporte une réponse très réservée tandis que Gloria Origgi de l'Institut Nicod s'enthousiasme beaucoup plus.

Les deux élèves-ingénieurs français tués à  Londres le 29 juin étaient des… spécialistes de l'ADN selon l'article du Monde. Or une enquête rapide montre que Laurent Bonomo étudiait un parasite qui se transmet des chats aux foetus c'est-à -dire Toxoplasma gondii, probablement dans ce labo. Gabriel Ferrez, lui, étudiait des bactéries capables de créer de l'éthanol utilisable comme biocarburant, probablement dans cet autre labo. On est loin de simples spécialistes de l'ADN, une dénomination qui équivaut sans doute pour Le Monde à  un synonyme de "biologiste"...

En juillet, nous apprenions l'étonnant destin de l'article en français le plus cité de la base bibliographique Scopus (plus de 500 citations), lequel posait les bases de la vertebroplastie en 1987.

Le 11 juillet paraissait dans Science un article (en accès libre ici) de sociologues des médias étudiant l'attitude des chercheurs face aux journalistes scientifiques. Le résultat selon lequel 46 % des chercheurs interrogés ont une expérience plutôt positive d'un tel contact, venant à  l'encontre d'autres études, a été longuement commenté.

Dans son numéro suivant, Science frappait à  nouveau un grand coup avec un article de James Evans montrant que la mise en ligne des publications scientifiques entraîne un appauvrissement des citations bibliographiques (les articles cités sont de plus en plus jeunes et de moins en moins variés). Selon l'auteur, ce serait parce qu'en naviguant en ligne on a plus tendance à  être guidé vers les articles clés d'un domaine (en mode suivi des liens hypertextes "Voir aussi...") et à  faire un choix plus strict des références à  citer (puisqu'elles sont accessibles et vérifiables en ligne). Fini notamment l'heureux hasard ("sérendipité") qui permettait, en potassant les sommaires d'une revue, de faire des rapprochements inattendus et d'explorer des voies de traverse. Le consensus se construit désormais à  vitesse grand V. Le magazine The Economist y voit la fin de la longue traîne dans les citations (via l'Agence Science-Presse). Stevan Harnad, en tous cas, fait le tri entre les diverses explications de ce phénomène, tout comme un commentaire de la revue Science...

Le 20 juillet à  l'Euroscience Open Forum de Barcelone, des experts ont appelé à  la prise en compte des risques toxicologiques des nanotechnologies. Il semble en effet que des résultats scientifiques récents mettent en évidence l'existence de risques brandits depuis longtemps...

Le 29 juillet, un éditorial de la revue Genome Biology se moquait gentiment du facteur d'impact en imaginant que le même système est appliqué pour décider si l'on est envoyé au paradis ou en enfer (via Pawel). Extrait :

Genome Biology : Ecoutez, une fois que le facteur d'impact a dominé l'évaluation de la science, les chercheurs créatifs ont été maudits. Les bureaucrates n'ont plus eu à  connaître quoi que ce soit ou avoir un semblant de sagesse ; tout ce qu'ils avaient à  faire était de se fier à  quelques nombres arbitraires. Et maintenant vous me dites que vous faites cela pour déterminer qui va au paradis ?

Saint Pierre : Oui, c'est beaucoup plus simple. Peu importe si vous avez été gentil ou avez fait de votre mieux ou avez bien travaillé ou avez été pieux ou modeste ou généreux. La seule chose qui compte c'est de calculer si vous avez eu un gros impact.

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Nouvelles du front (10)

Vous aviez entendu parler du classement de Shangaï, du classement de l'Ecole des mines mais pas du classement de Vincennes ? Les "Scientists of America" réparent cette injustice (attention, second degré !).

Si vous êtes un physicien, mathématicien ou biologiste théoricien, vous savez que mettre vos articles en accès libre sur arXiv donne un avantage compétitif et augmente la probabilité d'être cité. Mais comme ce comportement se banalise, il devient de plus en plus difficile de se démarquer des concurrents. Une solution : soumettre tout juste avant 21h00 (heure d'hiver de Paris), moment où la journée se termine pour les serveurs d'arXiv. Ainsi, vous apparaissez en haut des listes le lendemain et êtes plus cités, comme le montre un article paru en février dans les Publications of the Astronomical Society of the Pacific ! Evidemment, c'est plus facile pour les Américains que pour les Européens…

Le 29 février, Science reportait un cas de fraude en chimie analytique et environnementale. Le coupable, qui plagiait des articles très techniques et peu visibles, publiait à  un rythme effrené : 66 publications en 4 ans ! Son université indienne ne l'a pas démis de ses fonctions mais Pattium Chiranjeevi ne pourra plus endosser de responsabilités et son augmentation de salaire a été refusée. (lire également ici)

Rebelote deux semaines plus tard, à  propos cette fois d'un chercheur Coréen en vue qui avait fabriqué des expériences de toutes pièces pour ses articles parus dans Science et Nature Chemical Biology. Le plus embêtant : il avait créé une entreprise sur la base de ses pseudo-résultats, laquelle cherche déjà  comment se reconvertir...

Le 6 mars, le retrait d'un article publié dans Nature, dont les résultats se sont avérés non reproductibles, énerve. Des deux co-premiers auteurs, censés avoir fourni la même quantité de travail et partager la même responsabilité vis-à -vis de leur article, un seul est déisgné coupable et on nous dit que l'autre n'a quasiment pas contribué. Faudrait savoir… A lire chez Pablo aka blop.

Le 15 mars, dans sa chronique pour Le Monde 2, Pierre Assouline s'aventurait du côté de la neurofinance et notait : Elle a fait l'objet de quelques publications, mais exclusivement en anglais, preuve que le phénomène est inconnu chez nous. Quelqu'un peut-il dire à  Assouline que les chercheurs français publient aussi en anglais, et parfois même uniquement dans cette langue ? A titre d'exemple, Thami Kabbaj (université d'Orléans) est loin d'être un bleu en la matière, et avait déjà  analysé l'affaire Jérôme Kerviel sous cet angle

Le 22 mars, un article de Rue 89 racontait comment un article créationniste camouflé en une revue de littérature publiée dans Proteomics a été épinglé sur les blogs et comment les nombreux commentateurs de Pharyngula ont repéré tous les emprunts témoignant du plagiat. La double faute (créationnisme + plagiat) était caractérisée ! On se souviendra qu'en 2005, c'est sur un forum Internet que l'affaire Hwang avait décollé, ses participants s'exerçant à  démasquer les photos dupliquées et les données ADN d'embryons falsifiées. (via woody)

Une expérience prévue par le CERN en mai prochain pourrait détruire la Terre. Les internautes se mobilisent !

A l'opposé de 2006, 2007 aura été une année faste pour la communication scientifique en français : le prix Descartes a récompensé l'astrophysicien Jean-Pierre Luminet dans la catégorie "Ecrivain de l'année" et Delphine Grinberg, une des conceptrices de la Cité des enfants au sein de la Cité des Sciences et de l’industrie et auteur de livres scientifiques pour enfants, dans la catégorie "Communicant de l'année".


Je suis en lice pour le festival de l'expression sur internet, dans la catégorie "Blog politique / Expression citoyenne". Vous aimez mon blog et mes billets ? Merci de voter pour moi avant le 31 mars !

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Nouvelles du front (6)

Comme promis un nouveau volume dans la foulée, je crois que j'ai rattrapé le retard que j'avais accumulé en mai et juin…

Le 18 mai, un article de Paul Bloom et Deena S. Weisberg dans Science donnait quelques raisons à  la "résistance à  la science" que manifestent les enfants et se retrouve chez les adultes (via Rationally Speaking). Cette résistance à  la science, malgré un nom qui peut laisser penser à  un concept très riche, désigne ce que d'autres appellent l'attrait pour les para-sciences et les explications fumeuses : croire en l'astrologie ou que la raison d'être des nuages est de donner la pluie. Cela est en fait dû aux pré-conceptions du jeune enfant, basées sur sa perception du monde, qui persiste chez l'adulte (parfois à  ses dépends, comme le prouve ce test : à  votre avis, à  la sortie d'un tube en demi-cercle, est-ce qu'une balle continue tout droit ou remonte pour boucler son mouvement circulaire ?). Dans ces conceptions, la Terre est forcément aplatie et les animaux créés tels quels. Quant aux assertions sur des sujets complexes comme la théorie des cordes ou l'étiologie de l'autisme, elles sont acceptées ou non par le profane en fonction du crédit qu'il attribue à  la source… En conclusion,

These developmental data suggest that resistance to science will arise in children when scientific claims clash with early emerging, intuitive expectations. This resistance will persist through adulthood if the scientific claims are contested within a society, and it will be especially strong if there is a nonscientific alternative that is rooted in common sense and championed by people who are thought of as reliable and trustworthy [e.g. evolution vs. creationism].

Un article paru dans PLoS Computational Biology le 16 mars a été rétracté quelques semaines plus tard à  cause d'un bug dans le programme en Perl qui avait servi à  obtenir les résultats. Enfin, en théorie puisque la rétractation n'est toujours pas indiquée sur la page de l'article en question. Justement, une news de la revue Nature datée du 17 mai revenait sur la lettre de Murat Cokol et al., s'essayant à  la modélisation des taux de rétractation en fonction du facteur d'impact des journaux (via Medical Writing). Où il apparaît que les revues à  fort impact (Nature, Cell et les autres) ont une plus grand probabilité de voir leurs articles rétractés. Une explication ? On peut avancer le fait que ces revues publient des articles plus novateurs, dans des domaines plus disputés, et donc sont plus propices aux erreurs et fraudes. Ou bien qu'elles sont plus lues et donc que les erreurs ont plus de chance d'être détectées et rapportées, hypothèse qui permet d'envisager un effet "revues en accès libre" augmentant le nombre de rétractations (dont l'exemple ci-dessus est peut-être le fruit). Mais comme ce courrier n'a pas été évalué par les pairs avant publication, la controverse fait rage, portant notamment sur la qualité et la fiabilité des données utilisées (9,4 millions d'articles obtenus par la base PubMed). Toujours au sujet des rétractations, mais avec un regard éthique, je conseille ce billet à  lire sur Adventures in Ethics and Science.

Dans le même esprit, mais sans doute plus rare, l'éditorial du 20 juin de la revue Macroporous and Mesoporous Materials dénonce un cas de plagiat d'article et promet qu'il n'acceptera plus de soumissions de l'auteur fautif (et pourquoi pas de son co-auteur, n'était-il pas au courant ?). Ils avaient même repris presque mot pour mot le titre de l'article original, vieux de 12 ans et sans doute publié dans une revue obscure !

Le 25 juin dernier, The Inoculated Mind (blog très moche mais intéressant au demeurant) faisait le bilan d'un débat qui a agité la blogosphère scientifique anglophone : pourquoi les scientifiques sont-ils de moins en moins disponibles pour les journalistes scientifiques ? Et ce billet de prendre la défense des journalistes qui, oui, sont indispensables et doivent être traités avec respect… Et les communiqués de presse des universités elles-mêmes sont souvent les premiers fautifs de la mauvaise couverture de l'actualité scientifique !

En juin aussi, les chimistes iraniens qui avaient été exclus par l'American Chemical Sociey (ACS) ont été réintégrés. Ca a pris du temps mais après vérification par ACS, il est apparu que cette décision n'était pas contrainte par l'embargo des Etats-Unis, qui ne s'applique pas à  la fourniture d'information scientifique. Une victoire pour la communauté scientifique qui s'était mobilisée !

En France, on connaissait le programme PICRI de la région Île-de-France, qui met ensemble des associations et des laboratoires de recherche. Voilà  la région Bretagne qui se lance à  son tour. Chic…

Et enfin, deux mises en scène ironiques du créationnisme :

via Science Humor

Une machine à  PCR à  la California State University, Chico ©© njhdiver

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Et les maths ?

Selon Francis Rumpf[1], les revues Nature et Science publient des articles dans tous les domaines de la recherche fondamentale à  l'exclusion des mathématiques.

Pourquoi pas les mathématiques ? Autant le titre de la revue Nature peut expliquer un contenu orienté vers les sciences naturelles (en gros : biologie, physique, chimie), autant la revue Science semble sans restrictions (et couvre en effet un éventail assez large de disciplines). Pourquoi donc ne pas publier d'articles de mathématiques ? On pourrait penser que cette discipline fonctionne différemment et pourtant, la communication des résultats se fait de la même façon par des revues scientifiques.

Dans leurs instructions aux auteurs, les deux revues ne formulent aucune restriction de ce genre. Nature demande juste que les articles soient originaux, extrêmement importants et puissent intéresser un lectorat interdisciplinaire. Alors, pourquoi pas les mathématiques ?

Si vous avez une hypothèse (ou une explication avérée), j'aimerais la lire. D'avance, merci !

Notes

[1] Francis Rumpf (1994), "Panorama de l'édition scientifique" in Francis Agostini (dir.), Science en bibliothèque, Editions du cercle de la librairie, pp. 163-192

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Quand les scientifiques promettent

Un récent article d'opinion paru dans ''Nature'' m'a conforté dans une idée que je traîne depuis quelques temps. Les scientifiques disent toujours qu'ils ne promettent rien, notamment en réponse aux citoyens qui les accusent de promesses non tenues (PGM contre la faim dans le monde, nanotechnologies pour augmenter l'homme etc.). J'avais pu le constater moi-même aux débats Vivagora sur les nanotechnologies...

Or les promesses existent bien. Elles permettent de se fixer des objectifs à  moyen terme, d'attirer l'attention des politiques et législateur ("Laissez nous travailler avec les cellules souches et dans quelques années nous pourrons réparer n'importe quel organe déficient !") et surtout d'obtenir des financements et recconaissance. Alors quoi, les scientifiques feraient des promesses sans s'en rendre compte ?

Oui, notamment parce que c'est ancré dans la plus vieille habitude scientifique qui soit, la publication des résultats. A la fin d'un article scientifique, ne trouve-t-on pas toujours des phrases ouvrant vers les perspectives futures ? Ces fameuses phrases reprises ensuite en coeur par les journalistes scientifiques ? Exemple parfait, lors de la publication de l'article sur la première lignée de cellules souches clonées humaines, l'équipe du Dr Hwang concluait en affirmant (c'est moi qui souligne) :

Our work described here shows that stem cell lines can be generated using somatic cells from patients with disease and injury. It may also be possible to generate NT-hESC lines from patients with diseases and disorders of unknown causes. For example, NT-hESCs derived from early-onset Alzheimer's disease or autism patients might prove invaluable for mechanistic studies in vitro after differentiation into neuroprogenitors. In addition, biological insight gained through studying hESCs might find application to ART and assist in understanding genomic imprinting. The derivations of patient-specific NT-hESCs grown without animal cell co-culture may advance cell transplantation therapies as well as aid in the discovery of human developmental processes and the causes of many complex diseases.

L'article a été rétracté depuis et l'on sait que les résultats étaient frauduleux. Précisément parce que le but de cet article était d'attirer l'attention et les financements, auquel participent ces promesses très alléchantes mentionnant la maladie d'Alzheimer et autres "nombreuses maladies complexes".

C'est ce type de comportements que dénonce l'article de Nature. On pourrait en effet envisager qu'un article ne serve qu'à  publier les résultats d'une expérience à  un instant donné, à  les replacer dans leur contexte ou paradigme, et voilà  ! Les chercheurs qui lisent les articles sont suffisamment alertes pour savoir quelles conséquences on peut prévoir à  moyen terme... Et de tout cela, la recherche scientifique sortirait sans doute plus éthique, moins tirée par ses promesses que par ses accomplissements.

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