La science, la cité

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Mot-clé : psychologie

Fil des billets - Fil des commentaires

Stephen Hawking ou les trois corps du roi

Hier, le fameux physicien Stephen Hawking — directeur de la recherche au Centre de cosmologie théorique de l'université de Cambridge, CH, CBE, FRS, FRSA — fêtait ses 70 ans. L'homme a déjà été honoré par la série Simpson, souvenons-nous :

A mon tour de lui dédier un billet inspiré par une réflexion lue il y a quelque temps chez Michael M. J. Fischer[1] et tirée d'Hélène Mialet. Elle voit trois corps chez Hawking :

  1. le corps fragile atteint de sclérose latérale amyotrophique (ou maladie de Charcot), une maladie neurodégénérative qui provoque une atrophie et un tremblement des muscles, sans affecter l'esprit, la personnalité, la mémoire, les sens, la vue… Une pneumonie contractée lors d'une visite au CERN en 1985 l'a forcé à subir une trachéotomie, qui a encore retiré à Hawking le peu de voix qui lui restait. Ce corps biologique est désormais "cyborg" dans le sens où il est pourvu d'un appareillage informatique qui lui permet de s'exprimer grâce à une voix de synthèse
  2. le corps "distribué", fait de l'intelligence et de l'attention du personnel qui s'occupe de lui ou de sa machine, et des étudiants qui font les calculs que lui ne peut plus exécuter
  3. le corps "sacré", le corpus scientifique magistral construit depuis 40 années par Hawking et qu'il laissera derrière lui.

Les historiens utilisent l'expression des "deux corps du roi" pour exprimer le fait qu'à la mort du monarque français, son corps physique est enterré mais son corps mystique, celui qui incarne la souveraineté de la monarchie, est transmis à son successeur : le roi est mort, vive le roi !. On pourrait dire la même chose du troisième, voire du deuxième corps d'Hawking, qui survivront à sa mort.

Mais la question la plus intéressante, celle qui intéresse en tous cas les anthropologues et sociologues du corps, consiste à se demander en quoi chaque corps marque l'autre. A ces questions, on a des rudiments de réponse donnés par le maître lui-même : le fait de prendre beaucoup de temps pour se mettre au lit lui a donné l'occasion de réfléchir aux trous noirs ; il évite les calculs fastidieux en développant ses intuitions et en prenant des raccourcis ; il a choisi la cosmologie car c'est une discipline qui n'exige pas que l'on donne de cours magistraux, un des rares domaines dans lesquels son incapacité de parler n'était pas un sérieux handicap et où la compétition était encore peu ardue. Mais il suffit d'obtenir un entretien avec lui, comme Hélène Mialet, pour s'apercevoir que parler avec Stephen Hawking c’est parler avec l’ordinateur qui donnera une version stéréotypée de sa vie : des bouts entiers de son histoire [il faudrait dire "de sa légende"] sont maintenant rédigés dans son ordinateur, les réponses attendent toutes prêtes qu’on vienne les chercher. Bref, l'autobiographie du savant est désormais presque stabilisée. Ce que nous dit par contre cette expérience, c'est à quel point le Hawking qui ne contrôle plus son premier corps maîtrise ses deuxième et troisième corps, et au-delà même son image, avec reprise incessante des mêmes citations puisqu'il refuse désormais d’accorder toutes interviews écrites.

Si l'imagerie populaire se partage entre l'image d'un homme hors du commun qui a réussi à repousser les limites de son propre corps et celle d'un handicapé favorisé en n'étant plus distrait par les occupations quotidiennes et mondaines que partage la commune humanité pour s'adonner pleinement à la pensée, Stephen Hawking reste un mystère, presqu'aussi insondable qu'un trou noir, et c'est ce qui le rend si fascinant.

Pour en savoir plus, je ne peux que recommander la lecture du livre d'Hélène Mialet à paraitre cette année : Hawking Incorporated !

Notes

[1] Michael M. J. Fischer, "Body Marks (Bestial/Divine/Natural). An essay into the social and biotechnological imaginaries, 1920-2005 and bodies to come", in Ivan Crozier (dir.), A cultural history of the human body in the modern age, Berg, 2010

Partage

Quand les articles sont rejetés

Comme le soulignait Jean-François Bach (secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, 3'15) lors du colloque consacré à  l'évolution des publications scientifiques, les idées les plus nouvelles, les plus grandes innovations ont plus de mal, ont souvent du mal à  passer la barrière de l'expertise ou revue par les pairs. Et Bach de donner l'exemple de la découverte des hybridomes et des anticorps monoclonaux, dont la publication a été d'abord refusée par Nature avant d'être finalement acceptée, sous forme de lettre alors qu'un article complet avait été soumis…

Les autres exemples ne manquent pas : Fermi, Joule, Avogadro et de nombreux prix Nobel ont parfois eu du mal à  faire paraître leurs travaux les plus novateurs (Juan Miguel Campanario fournit une énumération truffée de témoignages qui va faire chaud au cœur à  blop et Timothée).

Un exemple en forme de clin d'oeil, tiré d'un autre article de Campanario, destiné à  ceux qui avaient apprécié le billet du C@fé des sciences sur l'inactivation du chromosome X :

Mais alors, que faire ? Ne peut-on pas distinguer le cancre (rejeté) du génie (rejeté lui aussi) ? Ce système est-il à  jeter à  la poubelle ?

Cela dépend des raisons pour lesquelles ces articles sont rejetés. Parfois, et même pour un prix Nobel, un article peut-être entaché d'erreurs, imprécis ou pas suffisamment mûr. C'est le lot commun des chercheurs de se faire rejeter des articles, les motifs qui reviennent le plus souvent avec le plus de force touchant à  la théorie décrite, à  la conception du travail de recherche (design) et à  la discussion des résultats obtenus. La question de la théorie arrive en premier, les rapporteurs étant en effet attentifs à  l'apport du manuscrit à  la théorie en cours ou la qualité de la nouvelle théorie proposée. Avec les travers cités plus hauts (une théorie avant-gardiste aura peu de chances de convaincre les gardiens du temple), qui font dire à  certains que la revue par les pairs est plus faite pour réguler la science normale (au sens de Kuhn) que pour permettre les changements de paradigme. Ce que certains chercheurs saluent dans le sens où changer de paradigme tous les quatre matins aurait un coût énorme !

En fait, face à  un rejet, le génie sera peut-être celui qui suit ce conseil d'un chercheur cité par Joseph Hermanowicz :

Vous devez être créatif. Vous devez avoir de bonnes idées et les amener jusqu'au bout. Vous devez sans aucun doute être suffisamment intelligent pour avoir des idées, suffisamment tenace pour pousser sans arrêt, et suffisamment confiant pour savoir que vous êtes sur la bonne voie, et aussi pour vous réorienter quand vous faites une erreur."

Nous faisons tous des erreurs et nous nous faisons tous rejeter des articles mais il y a celui qui croit en ses résultats et celui qui se décourage aussitôt ! Si vous êtes dans le premier cas et souhaitez faire entendre raison à  vos pairs, voici un guide pratique des stratégies les plus fréquemment utilisées d'après un sondage auprès de chercheurs pour qui ça a marché :

Partage

Le stéréotype de la blonde

Vous vous souvenez de l'impact de l'effet Mozart dans la société américaine et de sa diffusion par "mutation", voici une nouvelle étude de psychologie sociale qui fait les grands titres (et ça devrait continuer, selon Fabrice qui m'a filé le tuyau). Ce travail (français !) à  paraître dans le Journal of Experimental Social Psychology teste l’effet "inconscient" des stéréotypes sur le comportement, en l'occurrence le stéréotype de la blonde. Où il s'avère que nous faisons un moins bon score au Trivial Pursuit après avoir examiné le visage de reines de beauté blondes que d'hommes bruns. Mais le plus important ici n'est pas tant l'effet d'amorce d'un stéréotype, relativement connu, que l'observation que cet effet ne se manifeste dans le même sens que le stéréotype (ici : les réponses aux questions sont moins bonnes parce que les blondes sont considérées comme plus stupides) uniquement quand on a mis le participant dans un état accru d'interdépendance aux autres ; s'il se construit comme indépendant des autres, il réussit mieux le test après avoir vu le portrait de femmes blondes !

Un article de sept pages seulement, un résultat simple à  expliquer, la figure centrale de la blonde sur laquelle on peut disserter à  l'infini : voilà  du pain béni pour les journalistes ! Non seulement parce qu'ils ont un résultat scientifique bien emballé, mais parce qu'ils peuvent moduler le rôle de la blonde : la femme fatale qui va jusqu'à  nous faire oublier notre propre QI (les hommes, les yeux dans les yeux d’une blonde, éprouvent des problèmes au niveau de leurs capacités intellectuelles et voient leur QI baisser) ou l'idiote façon Paris Hilton (même si some blondes are of course highly intelligent, sic). Quitte à  oublier que les femmes étaient tout autant affectées par le stéréotype dans l'étude, qu'un test de connaissance n'est pas un test de QI ou qu'on peut se mettre à  la place de quelqu'un et reproduire son stéréotype sans l'avoir en face de soi… La plupart des articles ou dépêches ayant ensuite repris l'information du Sunday Times, on ne trouve rien de bien différent chez FOXNews ou United Press.

Et si la recherche scientifique n'avait pas pour but d'établir des vérités pré-mâchées mais de construire du social, en disant : "voici ce que des chercheurs en blouse blanche ont découvert dans leur laboratoire, à  vous d'en faire quelque chose" ?

C'est vrai en général (comme l'ont montré les sociologues connexionnistes comme Latour) mais c'est flagrant dans la couverture médiatique des découvertes scientifiques. Il ne s'agit pas tant de se soumettre à  de l'indiscutable que de s'emparer de chiffres et d'observations objectivées pour les retraduire (par exemple, les rapprocher de l'expérience quotidienne ou les rendre moins perturbants). Mais cela ne signifie pas que les chercheurs sont impuissants pour autant : selon la manière dont leur article est rédigé et la revue où il est publié (comme dans l'exemple du gène de l'homosexualité), selon le témoignage qu'ils vont apporter aux journalistes qui téléphonent en masse, ils orientent la manière dont leur fait brut est transformé en fait social. Dans cet exemple, le stéréotype de la blonde était presque trop "vendeur"[1] et les journalistes, privés de la possibilité de faire leur travail (trouver un angle, creuser le sujet), ont dû s'embarquer trop loin et dériver.

En tous cas, des articles de psychologie sociale qui donnent (presque) lieu à  des observations de psychologie sociale, c'est une ironie qui ne peut que m'amuser ! Même si je n'irai pas jusqu'à  avancer que c'est un coup monté par les chercheurs aux dépens des journalistes, pour mieux les étudier…

Notes

[1] Selon le premier auteur, Clémentine Bry, ce stéréotype a été choisi pour rigoler parce que plus léger que d'autres stéréotypes utilisés dans la littérature.

Partage

Trouver l'auteur : l'intelligence du savant

L'extrait ci-dessous fait le portrait de deux "génies" du XIXe siècle, reste à  deviner lesquels (sans vous aider de Google, petits malins !) :

L'un avait une intelligence volontaire, consciente, méthodique et semblant faite pour l'abstraction mathématique : elle a donné essentiellement naissance à  un monde romantique. L'autre était spontané, peu réfléchi, ayant plus de goût pour le rêve que pour une approche rationnelle et faite, semble-t-il, pour des travaux de pure imagination, sans soumission à  la réalité : il a triomphé dans la recherche mathématique.

Mà J 02/11 : Cette citation vient du psychologue Edouard Toulouse (cité par Tom Stoppard, "La Science en jeu", Alliage n° 37-38, 1998, p. 151), qui avait pris pour sujets d'étude le romancier Emile Zola et le mathématicien Henri Poincaré. Etonnamment, c'est bien le romancier qui avait ce cerveau fait pour l'abstraction mathématique et le mathématicien ce goût pour le rêve. Surprenant à  première vue mais peut-être pas si absurde — m'est avis que la psychologie des sciences a encore du pain sur la planche !

Partage

Nouvelles du front (6)

Comme promis un nouveau volume dans la foulée, je crois que j'ai rattrapé le retard que j'avais accumulé en mai et juin…

Le 18 mai, un article de Paul Bloom et Deena S. Weisberg dans Science donnait quelques raisons à  la "résistance à  la science" que manifestent les enfants et se retrouve chez les adultes (via Rationally Speaking). Cette résistance à  la science, malgré un nom qui peut laisser penser à  un concept très riche, désigne ce que d'autres appellent l'attrait pour les para-sciences et les explications fumeuses : croire en l'astrologie ou que la raison d'être des nuages est de donner la pluie. Cela est en fait dû aux pré-conceptions du jeune enfant, basées sur sa perception du monde, qui persiste chez l'adulte (parfois à  ses dépends, comme le prouve ce test : à  votre avis, à  la sortie d'un tube en demi-cercle, est-ce qu'une balle continue tout droit ou remonte pour boucler son mouvement circulaire ?). Dans ces conceptions, la Terre est forcément aplatie et les animaux créés tels quels. Quant aux assertions sur des sujets complexes comme la théorie des cordes ou l'étiologie de l'autisme, elles sont acceptées ou non par le profane en fonction du crédit qu'il attribue à  la source… En conclusion,

These developmental data suggest that resistance to science will arise in children when scientific claims clash with early emerging, intuitive expectations. This resistance will persist through adulthood if the scientific claims are contested within a society, and it will be especially strong if there is a nonscientific alternative that is rooted in common sense and championed by people who are thought of as reliable and trustworthy [e.g. evolution vs. creationism].

Un article paru dans PLoS Computational Biology le 16 mars a été rétracté quelques semaines plus tard à  cause d'un bug dans le programme en Perl qui avait servi à  obtenir les résultats. Enfin, en théorie puisque la rétractation n'est toujours pas indiquée sur la page de l'article en question. Justement, une news de la revue Nature datée du 17 mai revenait sur la lettre de Murat Cokol et al., s'essayant à  la modélisation des taux de rétractation en fonction du facteur d'impact des journaux (via Medical Writing). Où il apparaît que les revues à  fort impact (Nature, Cell et les autres) ont une plus grand probabilité de voir leurs articles rétractés. Une explication ? On peut avancer le fait que ces revues publient des articles plus novateurs, dans des domaines plus disputés, et donc sont plus propices aux erreurs et fraudes. Ou bien qu'elles sont plus lues et donc que les erreurs ont plus de chance d'être détectées et rapportées, hypothèse qui permet d'envisager un effet "revues en accès libre" augmentant le nombre de rétractations (dont l'exemple ci-dessus est peut-être le fruit). Mais comme ce courrier n'a pas été évalué par les pairs avant publication, la controverse fait rage, portant notamment sur la qualité et la fiabilité des données utilisées (9,4 millions d'articles obtenus par la base PubMed). Toujours au sujet des rétractations, mais avec un regard éthique, je conseille ce billet à  lire sur Adventures in Ethics and Science.

Dans le même esprit, mais sans doute plus rare, l'éditorial du 20 juin de la revue Macroporous and Mesoporous Materials dénonce un cas de plagiat d'article et promet qu'il n'acceptera plus de soumissions de l'auteur fautif (et pourquoi pas de son co-auteur, n'était-il pas au courant ?). Ils avaient même repris presque mot pour mot le titre de l'article original, vieux de 12 ans et sans doute publié dans une revue obscure !

Le 25 juin dernier, The Inoculated Mind (blog très moche mais intéressant au demeurant) faisait le bilan d'un débat qui a agité la blogosphère scientifique anglophone : pourquoi les scientifiques sont-ils de moins en moins disponibles pour les journalistes scientifiques ? Et ce billet de prendre la défense des journalistes qui, oui, sont indispensables et doivent être traités avec respect… Et les communiqués de presse des universités elles-mêmes sont souvent les premiers fautifs de la mauvaise couverture de l'actualité scientifique !

En juin aussi, les chimistes iraniens qui avaient été exclus par l'American Chemical Sociey (ACS) ont été réintégrés. Ca a pris du temps mais après vérification par ACS, il est apparu que cette décision n'était pas contrainte par l'embargo des Etats-Unis, qui ne s'applique pas à  la fourniture d'information scientifique. Une victoire pour la communauté scientifique qui s'était mobilisée !

En France, on connaissait le programme PICRI de la région Île-de-France, qui met ensemble des associations et des laboratoires de recherche. Voilà  la région Bretagne qui se lance à  son tour. Chic…

Et enfin, deux mises en scène ironiques du créationnisme :

via Science Humor

Une machine à  PCR à  la California State University, Chico ©© njhdiver

Partage

- page 1 de 2