Quand les scientifiques promettent
6
juil.
2006
Un récent article d'opinion paru dans ''Nature'' m'a conforté dans une idée que je traîne depuis quelques temps. Les scientifiques disent toujours qu'ils ne promettent rien, notamment en réponse aux citoyens qui les accusent de promesses non tenues (PGM contre la faim dans le monde, nanotechnologies pour augmenter l'homme etc.). J'avais pu le constater moi-même aux débats Vivagora sur les nanotechnologies...
Or les promesses existent bien. Elles permettent de se fixer des objectifs à moyen terme, d'attirer l'attention des politiques et législateur ("Laissez nous travailler avec les cellules souches et dans quelques années nous pourrons réparer n'importe quel organe déficient !") et surtout d'obtenir des financements et recconaissance. Alors quoi, les scientifiques feraient des promesses sans s'en rendre compte ?
Oui, notamment parce que c'est ancré dans la plus vieille habitude scientifique qui soit, la publication des résultats. A la fin d'un article scientifique, ne trouve-t-on pas toujours des phrases ouvrant vers les perspectives futures ? Ces fameuses phrases reprises ensuite en coeur par les journalistes scientifiques ? Exemple parfait, lors de la publication de l'article sur la première lignée de cellules souches clonées humaines, l'équipe du Dr Hwang concluait en affirmant (c'est moi qui souligne) :
Our work described here shows that stem cell lines can be generated using somatic cells from patients with disease and injury. It may also be possible to generate NT-hESC lines from patients with diseases and disorders of unknown causes. For example, NT-hESCs derived from early-onset Alzheimer's disease or autism patients might prove invaluable for mechanistic studies in vitro after differentiation into neuroprogenitors. In addition, biological insight gained through studying hESCs might find application to ART and assist in understanding genomic imprinting. The derivations of patient-specific NT-hESCs grown without animal cell co-culture may advance cell transplantation therapies as well as aid in the discovery of human developmental processes and the causes of many complex diseases.
L'article a été rétracté depuis et l'on sait que les résultats étaient frauduleux. Précisément parce que le but de cet article était d'attirer l'attention et les financements, auquel participent ces promesses très alléchantes mentionnant la maladie d'Alzheimer et autres "nombreuses maladies complexes".
C'est ce type de comportements que dénonce l'article de Nature. On pourrait en effet envisager qu'un article ne serve qu'à publier les résultats d'une expérience à un instant donné, à les replacer dans leur contexte ou paradigme, et voilà ! Les chercheurs qui lisent les articles sont suffisamment alertes pour savoir quelles conséquences on peut prévoir à moyen terme... Et de tout cela, la recherche scientifique sortirait sans doute plus éthique, moins tirée par ses promesses que par ses accomplissements.
Commentaires
Tout ça, c'est bien beau mais il faudra changer la façon dont les financements sont attribués. Pour obtenir des bourses, les scientifiques sont toujours obligés de biaiser leurs réflexions pour montrer que telle ou telle recherche va apporter ça et ça à l'organisme qui pourrait donner les sous !
Nous, scientifiques, sommes formés à moduler nos projets de recherche pour satisfaire les financiers. C'est malheureux, je te l'accorde, et pas toujours très éthique mais si on veut continuer, parfois il faut jouer le jeu.
Oui, c'est bien ce qui sous-tend mon billet : c'est le fait même que l'on promet plus pour recevoir plus d'attention et de financements qui biaise ainsi la publication d'articles. Mais après tout, pourquoi pas "éduquer" les financeurs privés (parce qu'il en faut) pour savoir lire en filigrane, dans des articles scientifiques, les projets de recherche qui se dessinent et les avancées qui se profilent. Si les chercheurs le mentionnent dans leurs articles, c'est bien parce qu'ils ont pu le déduire de leur recherche, et un expert ou un comité d'experts réuni pour décider de financements pourrait bien faire de même... Car, je le répète, l'idée est que les promesses disparaissent des articles et de la communication scientifique parce qu'elles lui font plus de mal que de bien !