Petites réflexions sur l'affaire Allègre (ou les conférences de citoyens contre Claude Allègre)
1
nov.
2006
L'affaire Allègre, c'est ce géophysicien émérite, médaille d'or du CNRS et ancien ministre, qui prend la plume et la parole pour :
- contester le phénomène du réchauffement climatique (chronique dans L'express du 21 septembre) ;
- avant de contester la part des gaz à effet de serre dans le réchauffement climatique (sur France inter le 11 octobre) ;
- et finalement réclamer le droit au doute (tribune dans Le Monde du 26 octobre).
Les médias se sont un peu enflammés (en particulier Libération) mais surtout les chercheurs (SLR, le LGGE etc.) et les Français eux-mêmes (111 réactions à l'heure actuelle sur le site du Monde !!). L'affaire est intéressante de ce point de vue, plus que du point de vue scientifique : Allègre n'a fait aucune recherche sur ce sujet et ne met pas particulièrement en avant de percée majeure qui nécessiterait de réviser nos connaissances scientifiques. Il semble même avoir fléchi ses positions après que de nombreux spécialistes ont corrigé ses citations et arguments. Par contre, il s'engage dans l'arène politique, au seul nom de sa gloire passé (un autre exemple du mandarinat que je stigmatisais chez Axel Kahn) et en profitant de l'ambiguïté, alors qu'il pourrait très bien, en tant que membre de l'Académie des sciences, travailler avec ou contre le GIEC et contester leurs résultats dans l'arène scientifique. Son agenda, si on essaye de le décoder, pourrait être de modérer la politique de modification de notre mode de vie et surtout de promouvoir l'"écologie réparatrice par opposition à l'écologie dénonciatrice". Une question de vision du monde, donc.
Bref, Claude Allègre ne fait pas de la science mais de la politique, il ne sert à rien de vouloir lui rétorquer des arguments scientifiques (même si je sais gré au travail de "critique de science" exercé par les médias et chercheurs cités plus hauts qui me permettent d'écrire ceci aujourd'hui). Il revendique sa place de martyr contestataire, tel un Pasteur ou un Wegener (je cite). Passe encore. Cela fonctionne plutôt bien, on fait attention à lui, tant mieux pour lui. Mais les profanes se sentent parfois un perdus : Allègre qui critique le réchauffement climatique, quand même !!
Or en 2002, une conférence de citoyens a rendu un rapport sur le changement climatique. Pour rester dans le politique, donc, on pouvait y lire :
Nous citoyens, à la lumière des données scientifiques actuelles, sommes convaincus que c’est notre mode de vie qui génère une quantité de gaz à effet de serre supérieure à ce que notre planète peut absorber de façon naturelle. Ce surplus est responsable du réchauffement de notre atmosphère. Il en résultera des changements climatiques mondiaux qui deviendront de moins en moins maîtrisables dans le temps. Attendu que
- les émissions de GES sont dues principalement à la consommation d'énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) ;
- les sources d’énergie fossile sont en voie d’épuisement et leur prix ne tient pas compte des effets induits par les émissions de GES ;
- l’énergie nucléaire présente des risques à l’exploitation, génère des déchets radioactifs, et présente, en cas de transfert aux pays en voie de développement, deux dangers principaux : danger de prolifération (arme atomique) et risques liés à l’exploitation et au manque de stabilité politique ;
- il existe de nombreuses sources d’énergie potentiellement utilisables (vent, soleil, mouvement des marées, géothermie, biomasse, etc.),
nous pensons que
Il faut donc développer des sources d’énergies renouvelables, pour lesquelles il faut passer au stade de production industrielle. (...)
- la réduction des gaz à effet de serre est fortement dépendante de la consommation et des choix énergétiques ;
- il est inéluctable de promouvoir d’autres sources d’énergie ;
- le nucléaire ne peut être qu’une solution transitoire étant donné les risques encourus.
De quoi fournir une base raisonnable pour réfléchir calmement et échapper aux hystéries de certains. Certes, les experts qui conseillent nos gouvernements ne suivront probablement jamais Allègre et nous pouvons dormir sur nos deux oreilles. Mais quid d'un Jospin s'il avait été élu ? Quid de certains hommes politiques qui voudraient faire du zèle et endosser l'alibi Allègre pour satisfaire des lobbys économiques et industriels ? Quand je dis que les conférences de citoyens ont du bon, c'est qu'elles fournissent une base saine aux débats et engagent la société civile dans la définition de son avenir, loin des prises de becs et jeux de coudes !!
Commentaires
Complètement d'accord avec toi. Le cas Allègre est particulièrement énervant pour cette confusion permanente entre scientifique et politique. Quant au côté martyr de la science... Sinon, moi ce qui m'étonne particulièrement est la façon dont certaines personnes ont adhéré très spontanément à son discours (il suffit de faire un tour sur lieu-commun par exemple). J'ai ressenti chez certains bloggers une certaine "jubilation" à dénoncer l'écologie (-isme ? ) que je trouve assez malsaine... Comme s'ils n'attendaient qu'une certaine légitimité scientifique pour soutenir leurs "préjugés". Les mêmes qui dénoncent un prétendu "scientisme" dans l'étude de l'environnement n'en sont pas du tout gênés dans d'autres domaines scientifiques tout aussi "flous" (par exemple l'économie au hasard...). Cela fait réfléchir, je trouve, sur ses propres opinions voire sur sa propre démarche scientifique.
AAh, parfaitement d'accord avec l'article, et le premier commentaires. Un gros débat s'était engagé chez autheuil, puis, quand Verel s'y est mis aussi, je me suis vraiment demandé ce qui leur prenait tous. La dernière tribune de Claude Allègre est un monument d'auto-martyrisation, voire de conspirationnisme. Souvent, ignorer ce genre de personnes est la meilleure stratégie, mais le problème est qu'Allègre a son poids d'ancien ministre, et qu'il donc peut servir d' "alibi", comme vous l'ecrivez. La destruction de son argumentaire par Libération était nécessaire, mais je ne sais pas si les degats ne sont pas irrémédiables.
Le commentaire de Tom Roud m'a fait me poser la question, justement, de la raison pour laquelle plusieurs membres de lieu-commun ont si spontanement approuvé Claude Allègre.
merci pour le lien de libé, au passage, je ne l'avais pas lu.
Jean-Marc Jancovici ("consultant" et auteur d'ouvrage de vulgarisation sur le sujet du climat) propose sur son site le même genre d'exercice que la réponse de Libération.
Mes connaissances scientifiques sont bien trop faibles pour que je me permette d'émettre un avis sur les positions, semble-t-il contestables, émises récemment par Claude ALLEGRE.
En revanche, tu t'en doutes, ta conclusion me dérange un peu. Il est un peu osé d'insinuer que Lionel JOSPIN aurait été susceptible de mener, en qualité de Président de la République, une politique industrielle et environnementale exclusivement basée sur les avis (discutables et discutés) exprimés par son ami et ancien ministre de l'Education Nationale.
A cet égard, rien dans la politique qu'il a mené entre 1997 et 2002 ne laisse supposer cela.
Je te rejoins, en revanche, sur le risque que les positions de Claude ALLEGRE servent d'alibi scientifique à certains dirigeants politiques soucieux de préserver une certaine partie de leur électorat.
Guillaume > Je n'insinue rien, je pose la question : "quid d'un Jospin s'il avait été élu ?", puisque, comme tu l'indiques bien, nos deux hommes sont des proches et amis. Libre à toi de penser que cela n'aurait pas été le cas, mais faute de preuves ou de déclarations officielles, la question reste ouverte...
Enro > Ah, ces scientifiques et leur besoin permanent et irrésistible de preuves dans tous les domaines... L'ancien Premier Ministre a exercé de hautes responsabilités politiques durant des années (pas uniquement en tant que chef du Gouvernement d'ailleurs), il n'a jamais eu pour habitude de suivre sans aucune réflexion les positions de ses amis. Il n'y a donc aucune raison sérieuse pour qu'il eut agi comme ça en qualité de Président de la République.
Mais, je te le concède, scientifiquement, la question reste ouverte et le restera probablement à jamais...
Enro> Permettez moi de me faire l'avocat de la défense.
Tout d'abord, la question climatique est double : 1) Quelle est l'évolution du climat? 2) Quel est le rôle de l'homme dans cette évolution?
Evitons la confusion! (et ce commentaire est aussi valable pour Mr Allègre (!)).
Le consensus scientifique dont tout le monde se réclame porte sur la question 1. On observe un réchauffement climatique accéléré. C'est un fait. Et monsieur Allègre ne le nie pas. Il nous interroge, certes maladroitement, sur la question 2. (relisez bien l'article de l'express).
Le vrai problème concerne la question 2 : le rôle de l'Homme. Et là , pas de consensus! Notre connaissance à ses limites. Et aux vues des données scientifiques actuelles, la plupart des hypothèses sont défendables, notamment celle de Mr Allègre. Qu'il ai tort ou raison n'est pas le sujet, car en science, l'experience précède le jugement. Et c'est justement ça le véritable problème! La politique ne peut s'appuyer sur une climatologie qui n'a pas encore rendu de jugement clair sur la question 2 (le rôle de l'homme).
Alors oui, il faut agir, c'est humain, mais personne ne connaît le véritable ennemi. Pour certains c'est l'Homme par l'émission de CO2, pour d'autres le Soleil (Nir Shaviv) par variation de l'énergie reçu, pour d'autre la Terre (cas hypothétique du kilimandjaro dans l'article de l'express). Faites votre choix.
A savoir que le Soleil, notre centrale énergetique, est probalement le principal coupable. Le CO2 étant l'accélérateur (les preuves sont claires). Alors oui, il est URGENT de réduire nos émissions de CO2. Mais pour savoir si ce sera suffisant, il faut donner les moyens aux scientifiques de continuer leurs travaux. Evitons les jugement hâtif.
Personnellement, je pense que les arguments d'Allègre auront la vie très longue, et seront remplacés par d'autres à mesure qu'on les déracinera, comme les arguments contre le droit de vote des femmes ou contre l'existence des camps de la mort.
L'intérêt des arguments d'Allègre se trouve sur le terrain politique et historique, plus que du côté scientifique. Quel contre-poid leur offrir?
Moi, je propose la mémoire. Chacun doit mémoriser ce que disent chacun de ses proches sur l'effet de serre et sur les mesures nécessaires pour le contrer. Il faut tout noter pour pouvoir soumettre ces mémoires à nos petits enfants. Ce seront eux qui jugeront.
Comme George Bush ou Dick Cheney, comme John Baird ou Stephen Harper, Claude Allègre laissera le souvenir d'avoir donné sa voix aux idées qu'il porte. Nous nous souviendrons d'eux comme des derniers négationnistes. Il faut garder des traces de leurs paroles et de leurs gestes, comme des nôtres, et les raconter à nos descendants et aux leurs. Il faudra raconter tous les détails. Et les descendants d'Allègre seront fiers ou auront honte, selon le tour que l'histoire prendra. Et ce sera pareil pour les nôtres. Ils entendront toute leur vie nos paroles, et reverront en mémoire nos gestes, vus de leurs yeux ou entendus racontés par un autre témoin.
Ce seront nos enfants nos juges.
Ce serait bien que monsieur Allègre raconte ses idées à une caméra pour que ses arrières petits-enfants puissent l'écouter en 2100. Peut-être alors qu'il réfléchirait...