La science, la cité

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Le retour de la science populaire ?

Au XIXe siècle, alors que la science se publicise à  travers les expositions universelles et des collections de livres de poche ("Bibliothèque des Merveilles" d'Hachette à  partir de 1864), de nombreux périodiques de vulgarisation apparaissent : Le Magasin pittoresque, Cosmos, La Science pour tous, Le Magasin d'éducation et de récréation, L'Ami des sciences, La Science populaire... soit au moins dix revues scientifiques différentes disponibles jusqu'en 1890.

Mais le point remarquable est que nombre de ces revues n'offraient pas simplement de vulgariser les savoirs de l'Académie et des savants officiels mais proposaient aux lecteurs de devenir de petits savants : c'était le programme de la "science populaire", largement promu par Camille Flammarion[1]. La science populaire, ce sont d'abord des livres-modes d'emploi : 100.000 exemplaires vendus de l'Astronomie populaire de Flammarion, 46 réimpressions de la Science amusante de Tom-Ti. Ce sont aussi des cours du soir publics et gratuits, comme les cours d'astronomie populaire donnés par Auguste Comte (lui-même !) ou par François Arago. Ce sont enfin des activités comme les explorations en ballon, l'observation du ciel et des étoiles, des expériences de science amusante... auxquelles le quidam peut prendre part. Malheureusement, le poids croissant de l'Académie des sciences (à  qui les amateurs peuvent en théorie soumettre leurs travaux, mais qui ont bien du mal en pratique) et la professionnalisation de la science aura raison de ce mouvement.

Et aujourd'hui, à  part l'observation naturaliste et éventuellement l'astronomie, les sciences sont trop complexes pour devenir objet de pratiques amateurs. A moins de réintroduire la science amusante, ou de s'adonner quotidiennement à  la cuisine moléculaire d'Hervé This. Pourtant, elle semble ressurgir aux Etats-Unis avec la SAS, Society for Amateur Scientists. Un petit coup d'œil à  son bimensuel, The Citizen Scientist, vous convaincra de la diversité des activités de ses membres, de l'étude de la fixation de l'azote par les bactéries à  la détection de la radiation...

P.S. Pour en savoir plus sur l'histoire de la vulgarisation au XIXe sièce, je vous conseille fortement l'article de Bernadette Bensaude-Vincent : "Un public pour la science : l'essor de la vulgarisation au XIXe siècle"...

Notes

[1] Flammarion commença à  écrire à  16 ans, alors qu'il était apprenti graveur-ciseleur, avant d'acquérir une formation scientifique sur le tas comme élève astronome à  l'Observatoire de Paris.

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De l'émerveillement du scientifique...

Lu sur une liste de diffusion, un très bel extrait du dernier livre d'Erri de Luca, Sur la trace de Nives. Il s'agit du dialogue imaginaire entre l'écrivain et la célèbre alpiniste italienne Nives Meroi, sur les pentes de l'Himalaya :

Nos ancêtres sont allés à  la chasse d'immense. Ils agrandissaient ainsi la vie. C'est pourquoi l'astronomie a été la première science des civilisations. La nuit fut explorée plus que le jour parce qu'elle était bien plus vaste. La pensée a forcé les secrets, chipé des connaissances pour élargir le champ de la vie étroite. Lorgner l'infini fait augmenter l'espace, la respiration, la tête de celui qui l'observe. A force d'étonnement, la science a progressé. Eprouver de l'émerveillement est une qualité scientifique essentielle, parce qu'elle incite à  découvrir. J'ignore s'il en est encore ainsi, je ne connais rien à  la science et je ne connais pas de scientifiques. Le terme même de scientifique me rend soupçonneux. Pourtant, s'il n'y a plus d'étonnement dans le déclic de celui qui s'enferme dans un laboratoire, tant pis pour lui et tant pis pour la science.

Ou comment le scientifique doit s'émerveiller et la science doit ré-enchanter le monde...

Sur ce, je vous souhaite à  tous de très belles fêtes de fin d'année !

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Amnésie de la science mais pas des scientifiques !

Comme le répète inlassablement J.-M. Lévy-Leblond, la science n'a pas de mémoire :

L'oubli est constitutif de la science. Impossible pour elle de garder la mémoire de toutes ses erreurs, la trace de toutes ses errances. La prétention à  dire le vrai force à  oublier le faux. La positivité de la science l'oblige à  nier son passé. (...) C'est Whitehead qui affirmait : "Une science qui hésite à  oublier ses fondateurs est condamnée à  la stagnation", faisant ainsi du reniement un véritable programme épistémologique, de l'amnésie un critère de scientificité. (...) Aussi il ne faut pas s'étonner que les scientifiques méconnaissent l'histoire de leur discipline. Il est inutile d'avoir lu Galilée, Newton ou même Einstein pour être physicien, Claude Bernard, Pasteur ou Morgan pour être biologiste, Lavoisier, Van't Hoff ou Grignard pour être chimiste. ("Un savoir sans mémoire" in La Pierre de touche, Folio essais, 1996)

Cela tient à  sa nature prospective (tournée vers l'avenir) et le fait que son socle de connaissance se réévalue en permanence à  la lumière des nouvelles découvertes (passant ainsi à  la trappe ses errements et impasses, reformulant les formules de Galilée et Newton…). Plus pragmatiquement, imaginez si un étudiant en biologie devait apprendre toute la biologie depuis Pasteur... et imaginez son petit-fils qui devrait apprendre beaucoup plus encore vu l'explosion des connaissances, ce serait rapidement impossible. C'est ainsi que les connaissances s'intègrent les uns aux autres et si on donne le nom d'un scientifique à  sa formule ou son unité de mesure, c'est plus par "rite propitiatoire" (Lévy-Leblond, ibidem) que comme source d'inspiration active et de référence féconde.

De fait, les courbes de citation des articles scientifiques s'effondrent rapidement après quelques années : l'indice de Price, ou proportion de références faites dans les cinq années après publication, varie ainsi entre 60 et 70% pour la physique et la biochimie et entre 40 et 50% pour les sciences sociales (qui ont plus de mémoire, donc). C'est nécessaire pour ne pas être submergé par le volume de connaissance produit chaque année mais parfois malheureux pour des découvertes oubliées et redécouvertes, comme celle de Mendel (on appelle ces articles "ressuscités" des sleeping beauties).

Or si on ne peut qu'encourager les chercheurs à  s'intéresser à  l'histoire de leur discipline et à  se plonger dans ses textes fondateurs, on devrait les obliger à  connaître l'histoire de leurs institutions. Comment défendre, comme le fait "Sauvons la recherche", la capacité d'intervention des EPIC et des EPST si l'on ne sait pas d'où vient le CNRS ?

Justement, dimanche dernier a été mise en ligne la Revue pour l'histoire du CNRS, avec un accès libre au texte intégral de certains articles et un moving wall de 2 ans. Exemples de thèmes abordés : "L’Institut de biologie physico-chimique", "Un demi-siècle de génétique de la levure au CNRS" ou encore "Les sciences sociales en France : développement et turbulences dans les années 1970". Plus aucune excuse, donc, pour que les scientifiques ignorent leur histoire, à  défaut que la science connaisse la sienne.

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